Dans ses relations avec la presse et en moins d’une semaine, le pouvoir militaire a fait quatre grossières erreurs qui en disent long, sinon sur sa frilosité, du moins sur la gêne provoquée par la campagne médiatique tous azimuts dont il se croit être la victime.
Il s’est, d’abord, attaqué, par la voix de son chef, à la presse privée, qu’il a accusée de "mensonge" et de "corruption". Il a ensuite mis aux arrêts un journaliste de Taqadoumy, réprimé un sit-in organisé par des journalistes solidaires avec leur confrère et demandé, enfin, aux fournisseurs d’Internet de bloquer l’accès à ce site "subversif".
Une sortie et trois mesures malheureuses qui marquent un net raidissement de la position officielle, face à la presse dont certains titres, affichant, ouvertement, leur indépendance, se battent, obstinément, contre l’arbitraire et pour l’enracinement de la démocratie. Une démarche que ne semblent comprendre ni le pouvoir, ni ses soutiens pour lesquels "qui n’est pas avec le général est contre... la Mauritanie". Ils n’ont, pourtant pas, comme disait Mitterrand, "le monopole du cœur", encore moins celui de l’amour pour ce pays. Où étaient-ils, lorsque cette même presse se faisait censurer, museler, interdire par le régime d’Ould Taya? Ils allaient, tous, dans son sillage et n’avaient pas la moindre idée de ce que nous endurions à l’époque. Rêvent-ils, à présent qu’ils sont au pouvoir, de nous voir baisser les bras et nous faire harakiri?
Certes, le général a tenté de faire amende honorable, en ordonnant la libération du journaliste, en rouvrant l’accès au site et en tentant de minimiser, à Aleg, la portée des mots prononcés à Akjoujt. Mais le mal était fait. La presse s’est sentie outrée de tels propos. Dans toute démocratie, un pouvoir "normal" a tout intérêt à entretenir des relations, apaisées, avec la presse. Dont la force d’entraînement, au sein de la souveraine opinion publique est une arme à double tranchant. En Mauritanie, on se refuse à l’admettre. Depuis l’avènement de la démocratie, le pouvoir a toujours considéré la presse comme son pire ennemi. Du coup, elle le lui rend bien.
Avec le nouveau régime, les choses ont pris une nouvelle tournure. En plus du refus d’aider, matériellement, la presse à accomplir sa mission, le général ne rate pas une occasion de l’épingler, elle qui ne fait, après tout, que son travail. Et n’a aucune raison de lui tresser des lauriers, pas plus qu’elle ne l’a fait à d’autres. Encore qu’elle, du moins celle qui a, toujours, refusé la moindre compromission, n’en tresse pas beaucoup. Car son rôle est, d’abord, de signaler les erreurs, les dysfonctions, les anomalies. Dès lors, il est particulièrement maladroit de considérer toute critique comme une attaque personnelle. Un pouvoir qui se prétend fort doit se situer au dessus du lot, certaines fonctions exigent un peu de hauteur et rien de tel, pour aiguiser les plumes, que de prétendre les émousser.
Le pouvoir du peuple – en grec, la demos cratos – se manifeste, naturellement, sur la place publique. L’agora, c’est le forum, permanent, où s’expriment et s’affrontent la diversité des points de vue. Et si l’Etat, émanation du peuple, doit garantir cette diversité, la presse en est un des plus indispensables relais. Voilà pourquoi celle-ci réclame, de celui-là, un soutien financier et moral, et c’est dans la mesure où celui-là assume son devoir d’assistance que celle-ci s’apaise. Muselez la presse et les pires libelles circulent sous le boubou. Arrosez-la et ses critiques, solidement argumentées, concourent à votre épanouissement. Au même titre que les partis politiques, la presse est un pilier, essentiel, de la démocratie et ne peut accomplir, correctement, sa mission, sans le soutien de l’Etat.
Au Sénégal voisin, comme en France, des subventions, importantes, sont prévues, dans le budget de l’Etat, pour aider une presse qui, pourtant, n’est guère tendre avec le pouvoir politique. En Mauritanie, serions-nous en dehors du monde? Serait-ce qu’on n’y ait pas, encore, compris le lien, organique, entre l’Etat et le peuple, que son entretien ne saurait être le fait des courtisans, mais, bien au contraire, des critiques, sérieusement outillées pour noter, en toute indépendance, ce qui ne va pas, ce qui doit être corrigé, ce dont le peuple souffre, ici et là, chaque jour? C’est à la liberté de la presse, à la puissance de ses moyens d’investigations, qu’on reconnaît un Etat fort. Et c’est la grandeur d’un chef d’Etat que de s’employer à telle noble tâche. Avis aux amateurs de postérité.
Ahmed Ould Cheikh
Le Calame n°680
Il s’est, d’abord, attaqué, par la voix de son chef, à la presse privée, qu’il a accusée de "mensonge" et de "corruption". Il a ensuite mis aux arrêts un journaliste de Taqadoumy, réprimé un sit-in organisé par des journalistes solidaires avec leur confrère et demandé, enfin, aux fournisseurs d’Internet de bloquer l’accès à ce site "subversif".
Une sortie et trois mesures malheureuses qui marquent un net raidissement de la position officielle, face à la presse dont certains titres, affichant, ouvertement, leur indépendance, se battent, obstinément, contre l’arbitraire et pour l’enracinement de la démocratie. Une démarche que ne semblent comprendre ni le pouvoir, ni ses soutiens pour lesquels "qui n’est pas avec le général est contre... la Mauritanie". Ils n’ont, pourtant pas, comme disait Mitterrand, "le monopole du cœur", encore moins celui de l’amour pour ce pays. Où étaient-ils, lorsque cette même presse se faisait censurer, museler, interdire par le régime d’Ould Taya? Ils allaient, tous, dans son sillage et n’avaient pas la moindre idée de ce que nous endurions à l’époque. Rêvent-ils, à présent qu’ils sont au pouvoir, de nous voir baisser les bras et nous faire harakiri?
Certes, le général a tenté de faire amende honorable, en ordonnant la libération du journaliste, en rouvrant l’accès au site et en tentant de minimiser, à Aleg, la portée des mots prononcés à Akjoujt. Mais le mal était fait. La presse s’est sentie outrée de tels propos. Dans toute démocratie, un pouvoir "normal" a tout intérêt à entretenir des relations, apaisées, avec la presse. Dont la force d’entraînement, au sein de la souveraine opinion publique est une arme à double tranchant. En Mauritanie, on se refuse à l’admettre. Depuis l’avènement de la démocratie, le pouvoir a toujours considéré la presse comme son pire ennemi. Du coup, elle le lui rend bien.
Avec le nouveau régime, les choses ont pris une nouvelle tournure. En plus du refus d’aider, matériellement, la presse à accomplir sa mission, le général ne rate pas une occasion de l’épingler, elle qui ne fait, après tout, que son travail. Et n’a aucune raison de lui tresser des lauriers, pas plus qu’elle ne l’a fait à d’autres. Encore qu’elle, du moins celle qui a, toujours, refusé la moindre compromission, n’en tresse pas beaucoup. Car son rôle est, d’abord, de signaler les erreurs, les dysfonctions, les anomalies. Dès lors, il est particulièrement maladroit de considérer toute critique comme une attaque personnelle. Un pouvoir qui se prétend fort doit se situer au dessus du lot, certaines fonctions exigent un peu de hauteur et rien de tel, pour aiguiser les plumes, que de prétendre les émousser.
Le pouvoir du peuple – en grec, la demos cratos – se manifeste, naturellement, sur la place publique. L’agora, c’est le forum, permanent, où s’expriment et s’affrontent la diversité des points de vue. Et si l’Etat, émanation du peuple, doit garantir cette diversité, la presse en est un des plus indispensables relais. Voilà pourquoi celle-ci réclame, de celui-là, un soutien financier et moral, et c’est dans la mesure où celui-là assume son devoir d’assistance que celle-ci s’apaise. Muselez la presse et les pires libelles circulent sous le boubou. Arrosez-la et ses critiques, solidement argumentées, concourent à votre épanouissement. Au même titre que les partis politiques, la presse est un pilier, essentiel, de la démocratie et ne peut accomplir, correctement, sa mission, sans le soutien de l’Etat.
Au Sénégal voisin, comme en France, des subventions, importantes, sont prévues, dans le budget de l’Etat, pour aider une presse qui, pourtant, n’est guère tendre avec le pouvoir politique. En Mauritanie, serions-nous en dehors du monde? Serait-ce qu’on n’y ait pas, encore, compris le lien, organique, entre l’Etat et le peuple, que son entretien ne saurait être le fait des courtisans, mais, bien au contraire, des critiques, sérieusement outillées pour noter, en toute indépendance, ce qui ne va pas, ce qui doit être corrigé, ce dont le peuple souffre, ici et là, chaque jour? C’est à la liberté de la presse, à la puissance de ses moyens d’investigations, qu’on reconnaît un Etat fort. Et c’est la grandeur d’un chef d’Etat que de s’employer à telle noble tâche. Avis aux amateurs de postérité.
Ahmed Ould Cheikh
Le Calame n°680