Le Calame : La Mauritanie vient de célébrer le 64ème anniversaire de son indépendance et, à l’occasion, le Président de la République a prononcé un discours traditionnel de bilan de ses réalisations. Quelle appréciation vous faites de cette allocution ?
Alassane Dia : Vous savez, depuis cinq ans qu’il est au pouvoir, on peine vraiment à recenser ses réalisations. Oui, il y a le fameux pont du carrefour Bamako, dont la pertinence est d’ailleurs très douteuse, mais à part cela, il y a très peu de choses à se mettre sous la dent. Il y a surtout ces chantiers routiers qui trainent à longueur d’années et qui n’en finissent pas. Plus sérieusement, un bilan positif, ce ne sont pas des chiffres mais l’amélioration des conditions de vie des citoyens. Il y a certes eu des augmentations de salaires mais avec l’inflation incessante, elles apparaissent comme un coup d’épée dans l’eau. Les Mauritaniens tirent le diable par la queue pour essayer de joindre les deux bouts et nombreux sont ceux qui ne peuvent même plus assurer un repas par jour à leurs familles. Il nous parle d’extension du réseau d’électricité et de celui de l’eau potable alors que dans le même temps à Nouadhibou, la capitale économique, l’eau est rationnée et n’arrive qu’au compte-gouttes une fois toutes les trois semaines pour certaines zones de la ville. Nouakchott a soif et les bidons jaunes, symboles de la pénurie en eau, sont exposés sur les chemins empruntés par le Président partout où il passe dans les villes de l’intérieur. Quant à l’électricité, elle devient une denrée rare, en particulier à Nouakchott où les coupures intempestives sont devenues monnaie courante. Alors, le Président a beau se targuer d’une croissance de 6,5% en 2023, le citoyen lambda, lui, voit plutôt un recul dans sa qualité de vie. A ce tableau sombre, il faut ajouter l’école en lambeaux qu’on veut nous vendre sous le label républicain.
Depuis 1989, une partie des Mauritaniens estiment que l’indépendance a perdu son sens de réjouissances nationales. Pire, ils la considèrent comme un moment de deuil. Partagez-vous cet avis ?
Assurément, la date symbolique du 28 novembre a été souillée par l’acte inqualifiable de la pendaison de 28 militaires négro-africains en guise de célébration du trentième anniversaire de notre indépendance nationale en 1990. La conséquence de cette ignominie est que ce jour qui devait symboliser la concorde nationale est devenu l’expression par excellence de la discorde nationale. En effet, au-delà de l’assassinat lâche et ignoble de ces braves soldats qui ont tout sacrifié au service de leur pays, c’est à l’idée même de la diversité mauritanienne que l’on a attenté. Le message était très clair : « vous autres, non arabes, vous n’êtes pas de ce pays, ou, pire encore, votre vie n’a aucune valeur. Vous êtes des moins que rien. » C’est donc le projet de pays conçu à Aleg, en 1958, qui a été « assassiné » à Inal. Aujourd’hui encore, soixante-quatre ans après, ce message ne s’est jamais démenti. Au contraire, il se traduit tous les jours en actes à travers les multiples formes d’exclusion que vivent ces populations dans le pays. Une refondation totale est donc nécessaire : le règlement juste et définitif de la question du génocide dont les tueries du 28 novembre sont une étape des plus odieuses, mais surtout une renégociation du contrat national. C’est à ces seules conditions que le 28 novembre pourrait à nouveau réunir tous les Mauritaniens.
Le Président Ghazouani tente, depuis son premier mandat, de trouver, avec les organisations de défense des intérêts des victimes des exactions extra-judiciaires commises sur les négro-mauritaniens entre 1989 et 1990, une solution au dossier dit « passif humanitaire ». Vous qui vous battez pour ce règlement pensez-vous que la démarche en cours est la bonne ? Etes-vous impliqué, vous qui vous battez depuis des décennies pour le règlement consensuel de ce dossier ? Savez-vous où en sont les démarches ?
Je pense que la période couverte par ces douloureux événements est plus étendue que cela. La scélérate loi d’amnistie de 1993 la situe entre le 1er janvier 1989 et le 18 avril 1992. Moi, je dirais plutôt qu’elle s’étend de septembre 1986 à décembre 1992.
Pour en revenir à la question, j’ai effectivement été approché au tout début de l’initiative mais je n’y ai pas adhéré parce que j’ai compris que ça allait se faire en catimini et que, au mieux, je ne servirai que de faire-valoir. J’ai donc naturellement décliné la proposition. Je pense qu’il n’y a pas de vraie volonté politique de régler le problème. On ne peut pas se débarrasser de ce dossier en catimini. La vérité est que le Président veut limiter le règlement de la question au seul aspect financier, celui des indemnisations. Or, la première des choses est déjà de reconnaitre le caractère génocidaire des crimes en question et, ensuite, de le régler suivant les exigences de la justice transitionnelle comme cela se fait un peu partout avec les quatre dimensions que cela suppose : vérité, justice, mémoire et réparation.
A ce propos, on a vu le Président, dans le cadre de la commémoration du massacre de Thiaroye, réclamer toute la lumière sur cette affaire. Il oublie que, chez lui, l’horreur est encore plus insupportable puisque commise par l’Etat envers ses propres citoyens, puisqu’il s’agit d’actes relevant du crime de génocide, mais qu’il est surtout en position de faire la lumière sur cet épisode, pour le moins honteux de notre histoire et de réconcilier définitivement les Mauritaniens. Mais qu’au lieu de tout cela, son parti, son gouvernement, son armée et lui-même continuent non seulement à protéger mais en plus à promouvoir les présumés coupables aux plus hautes fonctions de l’Etat.
Dans son discours d’investiture, le Président réélu a proposé la tenue d’un dialogue politique inclusif en vue de trouver des solutions aux problèmes du pays (unité nationale, gouvernance, démocratie…). Comment avez-vous accueilli cette offre ? Pourrait-elle différer des autres dialogues organisés par les pouvoirs précédents ?
C’est une proposition qu’il a d’ailleurs réitérée lors de son allocution du 28 novembre dernier, mais je crains que cela ne soit un moyen d’anesthésier l’opposition, comme il l’avait fait lors de son premier mandat. On se rappelle qu’il avait alors fait miroiter à l’opposition un dialogue national inclusif dont les préparatifs sont allés jusqu’à être lancés officiellement mais qui, finalement, n’a jamais eu lieu. En lieu et place, il avait, par l’entremise de son ministre de l’Intérieur, embarqué la majorité de l’opposition dans une mascarade de dialogue électoral qui a abouti aux élections contestables et contestées de mai 2023.
Par principe, nous sommes toujours ouverts au dialogue mais encore faut-il qu’il soit véritablement sérieux et qu’il permette une fois pour toutes de poser les bonnes questions et de leur apporter des réponses définitives consensuelles. Le premier de ces points est la cohabitation entre nos différentes composantes nationales et, subséquemment, la question de la citoyenneté pleine et entière pour tous.
Pensez-vous que l’opposition pourrait profiter de ce dialogue pour se retrouver et parler d’une seule voix ?
Elle a, en tout cas, intérêt à parler d’une seule voix pour être audible à la fois auprès du pouvoir et des Mauritaniens, de manière générale. Mais pour parler d’une seule voix, encore faut-il avoir les mêmes visées, les mêmes objectifs. Mais la vérité est que ce qu’on appelle l’opposition est un fourre-tout On ne sait pas vraiment qui s’oppose à quoi et à qui. Il est donc nécessaire qu’il y ait d’abord un dialogue inter-opposition avant tout dialogue national, histoire de s’entendre sur l’essentiel, à défaut de parler d’une seule voix. Mais je ne suis pas vraiment convaincu que l’opposition puisse aller au dialogue, encore une fois s’il a lieu, en rang groupé.
Depuis le début de l’année scolaire, on assiste à des manifestations des parents d’élèves et des promoteurs des écoles privées ; ils protestent contre l’application de la loi d’orientation du système éducatif adoptée en 2022. Comprenez-vous l’action des manifestants, auraient-ils la chance d’être entendus par les pouvoirs publics ?
Non seulement je comprends leur action mais j’y adhère totalement. Je dois cependant dire qu’ils ont mis beaucoup de temps pour comprendre la nocivité de ce fameux concept d’école républicaine puisqu’ils ont attendu que la réforme en soit à sa troisième année d’application pour se réveiller. Cette école républicaine est un leurre. Derrière l’école républicaine, ce qui est visé c’est le parachèvement de l’arabisation du système éducatif et, au-delà, l’arabisation en profondeur de toute la société mauritanienne. Ainsi faisant, la classe dirigeante consacre l’exclusion définitive de la communauté négro-africaine, à défaut de l’assimiler à l’arabité ambiante. Mais elle exclut du même coup la masse arabe, caressée dans le sens du poil du fait de son désir de se rattacher au monde arabe mais dont les enfants, mal formés dans une école totalement arabisée, pléthorique en termes d’élèves mais déficitaire en enseignants et en qualité, sont condamnés à jouer les seconds rôles. Comment comprendre autrement que ceux-là mêmes qui nous imposent cette loi ne se l’appliquent pas à eux-mêmes ? Leurs enfants sont tous inscrits dans des écoles à programme français, américains ou même turc, jamais dans des écoles à programme mauritanien. Les autres, ceux qui peuvent se le permettre, contournent tous la loi en envoyant leurs enfants dans ces mêmes écoles à programme étranger, s’ils ne les envoient pas carrément à l’étranger. Combien de familles mauritaniennes ont dû déménager pour s’installer au Sénégal, au Maroc, en Tunisie, et même au Mali, en guerre, pour assurer l’avenir scolaire de leurs enfants. On connaissait jusque-là les exilés politiques, ou les exilés économiques, maintenant on a une nouvelle catégorie d’exilés : les « exilés scolaires » à cause l’école républicaine.
Vous me direz qu’elle a eu le mérite de réintroduire les langues nationales pulaar, sooninke et wolof dans le système éducatif. Mais tout cela n’est pas sérieux, ce n’est qu’un prétexte pour la généralisation de l’enseignement en langue arabe. C’est tout le sens de l’expérimentation qui a été décidée pour quelque chose qui avait déjà été expérimenté pendant près de 20 ans. Et puis que vaut le retour de ces langues à l’école s’il ne s’accompagne pas de leur officialisation, comme le réclame OLAN depuis que la loi en était encore à l’état de projet ?
Quelle appréciation vous faites de l’annonce par le président de la République de l’augmentation des indemnités et l’amélioration des conditions des retraités ?
C’est une bonne chose que d’améliorer les conditions des retraités et d’augmenter les indemnités. Mais il faut toujours se méfier des effets d’annonce. Si l’on souhaite véritablement améliorer les conditions de vie des retraités, et de tous les travailleurs d’ailleurs, ce n’est pas seulement sur les indemnités qu’il faut agir. Il faut surtout des augmentations substantielles des salaires de base puisque les pensions sont calculées sur cette base-là. Je rappelle, que de tous les pays qui nous environnent, nous sommes les moins bien payés.
Quelle appréciation vous avez faite de la réaction du gouvernement et des hommes d’affaires du pays face aux populations victimes des inondations dans la vallée du fleuve ?
Les victimes des inondations dans la vallée du fleuve ont été abandonnées à elles-mêmes dans l’ensemble. La réaction très tardive des autorités et celle des homme d’affaires n’a pas été à la hauteur des souffrances vécues. Mais cela ne peut surprendre tout observateur averti. Cela va dans la droite ligne de ce que je disais plus haut. Ces populations ont toujours été considérées comme des citoyens de seconde zone. En résumé, je reprendrai une formule qui a eu pignon sur rue sur les réseaux sociaux pendant ces inondations, formule selon laquelle « Tethiane n’est pas Tintane ». Ce que je retiens surtout de la réaction des autorités, c’est ce discours arrogant, insultant, du gouverneur du Gorgol qui conditionnait le relogement de victimes à la renonciation de ces dernières à leurs habitats qui, selon ses dires seraient transformés en terres de cultures, dans une vidéo qui a largement circulé.
Propos recueillis par Dalay Lam
Source : Le Calame - (Le 03 décembre 2024)
Alassane Dia : Vous savez, depuis cinq ans qu’il est au pouvoir, on peine vraiment à recenser ses réalisations. Oui, il y a le fameux pont du carrefour Bamako, dont la pertinence est d’ailleurs très douteuse, mais à part cela, il y a très peu de choses à se mettre sous la dent. Il y a surtout ces chantiers routiers qui trainent à longueur d’années et qui n’en finissent pas. Plus sérieusement, un bilan positif, ce ne sont pas des chiffres mais l’amélioration des conditions de vie des citoyens. Il y a certes eu des augmentations de salaires mais avec l’inflation incessante, elles apparaissent comme un coup d’épée dans l’eau. Les Mauritaniens tirent le diable par la queue pour essayer de joindre les deux bouts et nombreux sont ceux qui ne peuvent même plus assurer un repas par jour à leurs familles. Il nous parle d’extension du réseau d’électricité et de celui de l’eau potable alors que dans le même temps à Nouadhibou, la capitale économique, l’eau est rationnée et n’arrive qu’au compte-gouttes une fois toutes les trois semaines pour certaines zones de la ville. Nouakchott a soif et les bidons jaunes, symboles de la pénurie en eau, sont exposés sur les chemins empruntés par le Président partout où il passe dans les villes de l’intérieur. Quant à l’électricité, elle devient une denrée rare, en particulier à Nouakchott où les coupures intempestives sont devenues monnaie courante. Alors, le Président a beau se targuer d’une croissance de 6,5% en 2023, le citoyen lambda, lui, voit plutôt un recul dans sa qualité de vie. A ce tableau sombre, il faut ajouter l’école en lambeaux qu’on veut nous vendre sous le label républicain.
Depuis 1989, une partie des Mauritaniens estiment que l’indépendance a perdu son sens de réjouissances nationales. Pire, ils la considèrent comme un moment de deuil. Partagez-vous cet avis ?
Assurément, la date symbolique du 28 novembre a été souillée par l’acte inqualifiable de la pendaison de 28 militaires négro-africains en guise de célébration du trentième anniversaire de notre indépendance nationale en 1990. La conséquence de cette ignominie est que ce jour qui devait symboliser la concorde nationale est devenu l’expression par excellence de la discorde nationale. En effet, au-delà de l’assassinat lâche et ignoble de ces braves soldats qui ont tout sacrifié au service de leur pays, c’est à l’idée même de la diversité mauritanienne que l’on a attenté. Le message était très clair : « vous autres, non arabes, vous n’êtes pas de ce pays, ou, pire encore, votre vie n’a aucune valeur. Vous êtes des moins que rien. » C’est donc le projet de pays conçu à Aleg, en 1958, qui a été « assassiné » à Inal. Aujourd’hui encore, soixante-quatre ans après, ce message ne s’est jamais démenti. Au contraire, il se traduit tous les jours en actes à travers les multiples formes d’exclusion que vivent ces populations dans le pays. Une refondation totale est donc nécessaire : le règlement juste et définitif de la question du génocide dont les tueries du 28 novembre sont une étape des plus odieuses, mais surtout une renégociation du contrat national. C’est à ces seules conditions que le 28 novembre pourrait à nouveau réunir tous les Mauritaniens.
Le Président Ghazouani tente, depuis son premier mandat, de trouver, avec les organisations de défense des intérêts des victimes des exactions extra-judiciaires commises sur les négro-mauritaniens entre 1989 et 1990, une solution au dossier dit « passif humanitaire ». Vous qui vous battez pour ce règlement pensez-vous que la démarche en cours est la bonne ? Etes-vous impliqué, vous qui vous battez depuis des décennies pour le règlement consensuel de ce dossier ? Savez-vous où en sont les démarches ?
Je pense que la période couverte par ces douloureux événements est plus étendue que cela. La scélérate loi d’amnistie de 1993 la situe entre le 1er janvier 1989 et le 18 avril 1992. Moi, je dirais plutôt qu’elle s’étend de septembre 1986 à décembre 1992.
Pour en revenir à la question, j’ai effectivement été approché au tout début de l’initiative mais je n’y ai pas adhéré parce que j’ai compris que ça allait se faire en catimini et que, au mieux, je ne servirai que de faire-valoir. J’ai donc naturellement décliné la proposition. Je pense qu’il n’y a pas de vraie volonté politique de régler le problème. On ne peut pas se débarrasser de ce dossier en catimini. La vérité est que le Président veut limiter le règlement de la question au seul aspect financier, celui des indemnisations. Or, la première des choses est déjà de reconnaitre le caractère génocidaire des crimes en question et, ensuite, de le régler suivant les exigences de la justice transitionnelle comme cela se fait un peu partout avec les quatre dimensions que cela suppose : vérité, justice, mémoire et réparation.
A ce propos, on a vu le Président, dans le cadre de la commémoration du massacre de Thiaroye, réclamer toute la lumière sur cette affaire. Il oublie que, chez lui, l’horreur est encore plus insupportable puisque commise par l’Etat envers ses propres citoyens, puisqu’il s’agit d’actes relevant du crime de génocide, mais qu’il est surtout en position de faire la lumière sur cet épisode, pour le moins honteux de notre histoire et de réconcilier définitivement les Mauritaniens. Mais qu’au lieu de tout cela, son parti, son gouvernement, son armée et lui-même continuent non seulement à protéger mais en plus à promouvoir les présumés coupables aux plus hautes fonctions de l’Etat.
Dans son discours d’investiture, le Président réélu a proposé la tenue d’un dialogue politique inclusif en vue de trouver des solutions aux problèmes du pays (unité nationale, gouvernance, démocratie…). Comment avez-vous accueilli cette offre ? Pourrait-elle différer des autres dialogues organisés par les pouvoirs précédents ?
C’est une proposition qu’il a d’ailleurs réitérée lors de son allocution du 28 novembre dernier, mais je crains que cela ne soit un moyen d’anesthésier l’opposition, comme il l’avait fait lors de son premier mandat. On se rappelle qu’il avait alors fait miroiter à l’opposition un dialogue national inclusif dont les préparatifs sont allés jusqu’à être lancés officiellement mais qui, finalement, n’a jamais eu lieu. En lieu et place, il avait, par l’entremise de son ministre de l’Intérieur, embarqué la majorité de l’opposition dans une mascarade de dialogue électoral qui a abouti aux élections contestables et contestées de mai 2023.
Par principe, nous sommes toujours ouverts au dialogue mais encore faut-il qu’il soit véritablement sérieux et qu’il permette une fois pour toutes de poser les bonnes questions et de leur apporter des réponses définitives consensuelles. Le premier de ces points est la cohabitation entre nos différentes composantes nationales et, subséquemment, la question de la citoyenneté pleine et entière pour tous.
Pensez-vous que l’opposition pourrait profiter de ce dialogue pour se retrouver et parler d’une seule voix ?
Elle a, en tout cas, intérêt à parler d’une seule voix pour être audible à la fois auprès du pouvoir et des Mauritaniens, de manière générale. Mais pour parler d’une seule voix, encore faut-il avoir les mêmes visées, les mêmes objectifs. Mais la vérité est que ce qu’on appelle l’opposition est un fourre-tout On ne sait pas vraiment qui s’oppose à quoi et à qui. Il est donc nécessaire qu’il y ait d’abord un dialogue inter-opposition avant tout dialogue national, histoire de s’entendre sur l’essentiel, à défaut de parler d’une seule voix. Mais je ne suis pas vraiment convaincu que l’opposition puisse aller au dialogue, encore une fois s’il a lieu, en rang groupé.
Depuis le début de l’année scolaire, on assiste à des manifestations des parents d’élèves et des promoteurs des écoles privées ; ils protestent contre l’application de la loi d’orientation du système éducatif adoptée en 2022. Comprenez-vous l’action des manifestants, auraient-ils la chance d’être entendus par les pouvoirs publics ?
Non seulement je comprends leur action mais j’y adhère totalement. Je dois cependant dire qu’ils ont mis beaucoup de temps pour comprendre la nocivité de ce fameux concept d’école républicaine puisqu’ils ont attendu que la réforme en soit à sa troisième année d’application pour se réveiller. Cette école républicaine est un leurre. Derrière l’école républicaine, ce qui est visé c’est le parachèvement de l’arabisation du système éducatif et, au-delà, l’arabisation en profondeur de toute la société mauritanienne. Ainsi faisant, la classe dirigeante consacre l’exclusion définitive de la communauté négro-africaine, à défaut de l’assimiler à l’arabité ambiante. Mais elle exclut du même coup la masse arabe, caressée dans le sens du poil du fait de son désir de se rattacher au monde arabe mais dont les enfants, mal formés dans une école totalement arabisée, pléthorique en termes d’élèves mais déficitaire en enseignants et en qualité, sont condamnés à jouer les seconds rôles. Comment comprendre autrement que ceux-là mêmes qui nous imposent cette loi ne se l’appliquent pas à eux-mêmes ? Leurs enfants sont tous inscrits dans des écoles à programme français, américains ou même turc, jamais dans des écoles à programme mauritanien. Les autres, ceux qui peuvent se le permettre, contournent tous la loi en envoyant leurs enfants dans ces mêmes écoles à programme étranger, s’ils ne les envoient pas carrément à l’étranger. Combien de familles mauritaniennes ont dû déménager pour s’installer au Sénégal, au Maroc, en Tunisie, et même au Mali, en guerre, pour assurer l’avenir scolaire de leurs enfants. On connaissait jusque-là les exilés politiques, ou les exilés économiques, maintenant on a une nouvelle catégorie d’exilés : les « exilés scolaires » à cause l’école républicaine.
Vous me direz qu’elle a eu le mérite de réintroduire les langues nationales pulaar, sooninke et wolof dans le système éducatif. Mais tout cela n’est pas sérieux, ce n’est qu’un prétexte pour la généralisation de l’enseignement en langue arabe. C’est tout le sens de l’expérimentation qui a été décidée pour quelque chose qui avait déjà été expérimenté pendant près de 20 ans. Et puis que vaut le retour de ces langues à l’école s’il ne s’accompagne pas de leur officialisation, comme le réclame OLAN depuis que la loi en était encore à l’état de projet ?
Quelle appréciation vous faites de l’annonce par le président de la République de l’augmentation des indemnités et l’amélioration des conditions des retraités ?
C’est une bonne chose que d’améliorer les conditions des retraités et d’augmenter les indemnités. Mais il faut toujours se méfier des effets d’annonce. Si l’on souhaite véritablement améliorer les conditions de vie des retraités, et de tous les travailleurs d’ailleurs, ce n’est pas seulement sur les indemnités qu’il faut agir. Il faut surtout des augmentations substantielles des salaires de base puisque les pensions sont calculées sur cette base-là. Je rappelle, que de tous les pays qui nous environnent, nous sommes les moins bien payés.
Quelle appréciation vous avez faite de la réaction du gouvernement et des hommes d’affaires du pays face aux populations victimes des inondations dans la vallée du fleuve ?
Les victimes des inondations dans la vallée du fleuve ont été abandonnées à elles-mêmes dans l’ensemble. La réaction très tardive des autorités et celle des homme d’affaires n’a pas été à la hauteur des souffrances vécues. Mais cela ne peut surprendre tout observateur averti. Cela va dans la droite ligne de ce que je disais plus haut. Ces populations ont toujours été considérées comme des citoyens de seconde zone. En résumé, je reprendrai une formule qui a eu pignon sur rue sur les réseaux sociaux pendant ces inondations, formule selon laquelle « Tethiane n’est pas Tintane ». Ce que je retiens surtout de la réaction des autorités, c’est ce discours arrogant, insultant, du gouverneur du Gorgol qui conditionnait le relogement de victimes à la renonciation de ces dernières à leurs habitats qui, selon ses dires seraient transformés en terres de cultures, dans une vidéo qui a largement circulé.
Propos recueillis par Dalay Lam
Source : Le Calame - (Le 03 décembre 2024)