Le Républicain : Vous coordonnez le dossier sur l'affaire Hissène Habré pour le compte de Human Rights Watch. Mais qu'est ce qui est reproché à Habré ?
Me Olivier Bercault : Il est repro-ché à Hissène Habré des crimes massifs commis lorsqu'il était président du Tchad entre 1982 et 1990. Les premières années, il y a eu un contexte de guerre contre la Libye, et des crimes de guerre ont été commis en violation des conventions de Genève comme l'exécution systéma-tique des prisonniers de guerre, la torture généralisée contre les populations civiles tchadiennes, les opposants.
Il faut savoir que c'était un régime de parti unique, sans opposition, sans presse libre, la moindre velléité de contestation du régime se solde par une arrestation, des tortures et quelques fois des exécutions extra-judiciaires ou des disparitions. Il y a eu des agressions contre des groupes ethniques comme les Zaghawa, les Adjaray, les arabes tchadiens par diverses périodes de répression. Il y eut une période très dure au sud du Tchad en 1984 et 1985 où les populations civiles avaient été attaquées et brutalisées avec beaucoup de meurtres commis parce qu'il y avait une protestation des populations du sud du Tchad contre le régime de Habré. Donc ce sont des crimes massifs de natures diverses sur toute l'étendue du territoire.
Au cours de la conférence de presse que vous avez co-animée à l'ANDDH, vous avez affirmé avoir trouvé des milliers de documents de la police politique de Habré. Que disent ces documents ?
La plupart des crimes commis sous Habré, avec le contrôle de Ha-bré l'ont été par sa police politique qui s'appelle la DDS ( Direction de la Documentation et de la Sécurité) qui avait été créée sous le contrôle exclusif de Hissène Habré dont les directeurs successifs ne sont que des gens de sa propre ethnie. En 2001, alors que je visitais avec un collègue de Human Rights Watch le bâtiment de l'ex DDS qui était à l'abandon à N'Djaména, nous étions tombés par hasard sur des milliers de documents éparpillés sur le sol. Dans les mois qui ont suivi, avec l'aide de l'asso-ciation des victimes, nous les avions mis dans des caisses et analyser. Pour la plupart, ce sont des documents de la DDS ou de différents Ministères ; pour l'essentiel, les documents de la DDS sont constitués des listes des prisonniers de guerre, des prisonniers politiques, des certificats de décès de personnes mortes en détention, des rapports qui faisaient état de telle ou telle arrestation et interrogatoire, des procès verbaux d'interrogatoires, de notes de service, des états d'avancement des agents de la DDS, des affiches de propagande…Ils retracent dans les détails comment l'appareil de répres-sion avait été mis en place, comment il fonctionnait. C'est assez fascinant d'un point de vue légal parce que ça nous permet de démontrer que des crimes étaient commis par un appareil avec Hissène Habré à sa tête. Pour un tribunal, c'est de l'or.
Au cours de la même conférence de presse, vous avez souligné que le Sénégal a abandonné sa souve-raineté dans la gestion de ce dossier. Pensez vous que l'Etat séné-galais fait du dilatoire ?
Ce n'est pas une affirmation, c'est un fait. Hissène Habré étant en exil au Sénégal, des victimes tchadiennes ont déposé des plaintes contre lui en 2000 devant les tribunaux sé-négalais puisque c'est la logique même de la compétence universelle. C'est à dire que les tribunaux séné-galais étaient normalement compé-tents pour juger Habré en exil au Sénégal pour les crimes commis au Tchad. D'ailleurs un juge d'instruction sénégalais l'avait inculpé de compli-cité de crimes contre l'humanité, de tortures et d'actes de barbarie. Ha-bré a fait appel de cette décision d'in-culpation, la Cour d'appel a cassé cette décision, et la Cour de cassation a confirmé ce qu'avait décidé la Cour d'appel. La Cour de cassation a été très claire : les tribunaux sé-négalais ne sont pas compétents pour juger au Sénégal un étranger pour des crimes commis à l'étranger. Les poursuites ont été arrêtées dé-finitivement au Sénégal.
Les victimes ont cherché un autre tribunal pour porter plainte, et aucun tribunal africain ne s'est avancé pour leur donner un coup de mains. La seule possibilité qui leur restait au regard de la loi internationale et du droit belge, c'était de déposer des plaintes en Belgique puisque la loi belge était très généreuse à l'épo-que. C'est ce qui s'est passé, des plaintes ont été déposées en Belgique contre Habré. Donc il y a eu une instruction qui s'est déclenchée, un juge d'instruction belge a été désidant 5 ans. Il a interviewé des experts, interrogé des témoins, beaucoup de victimes ont déposé ; il s'est rendu lui-même au Tchad sur commission rogatoire internationale avec le procureur du Roi des belges, sa greffière et quatre officiers de police judiciaire spécialistes des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre. Ils ont saisi une partie des archives de la police politique au Tchad. Après cinq ans d'instruction, un mandat d'arrêt international a été lancé contre Hissène Habré avec une inculpation pour violations massives des droits de l'Homme, crimes contre l'humanité et crimes de tortures. Une demande d'extradition a été formulée par la Belgique au Sénégal.
Depuis, il y a eu un blocage de la procédure de la part du Sénégal, puisque la Cour d'appel de Dakar s'est prononcée sur l'extradition et a clairement renvoyé le dossier, comme la loi lui autorise d'ailleurs, au président Wade. C'est à lui de prendre une décision sur l'extradition. Cette position a été adoptée en novembre dernier. Et depuis lors, les victimes, les organisations de défense des droits de l'Homme attendent que le président Wade prenne une déci-sion pour extrader Habré. Elle n'a toujours pas été prise. Au lieu de cela, il a préféré prendre l'avis de ses pairs de l'Union africaine, et il voudrait inscrire cette affaire au prochain sommet de l'UA à Khartoum. Il peut demander l'avis des chefs d'Etat, mais il y a des obligations qui pèsent sur le Sénégal.
Nous estimons que le Sénégal a l'obligation d'extrader Habré, notamment en application de la Convention des Nations unies contre la torture qui oblige l'Etat sur le territoire duquel quelqu'un est suspecté d'ac-tes de torture soit de le juger soit de l'extrader. Puisque depuis 5 ans, le Sénégal n'a pas jugé Habré, et que maintenant il y a une demande de son extradition formulée par la Belgique, le Sénégal a l'obligation de l'extrader vers ce pays. Nous attendons que le président Wade fasse application de la Convention des Nations unies contre la torture de 1984 en son article 7, pour que Ha-bré soit extradé pour être entendu et poursuivi devant un tribunal indé-pendant.
Vous disiez à l'instant que la question serait posée au sommet de Khartoum. Dites moi si vous avez des raisons d'espérer ?
Encore une fois, c'est une procé-dure de courtoisie pour demander l'avis des chefs d'Etat. En quittant le Tchad, Hissène Habré est parti avec beaucoup d'argent, fruit du pillage des caisses de l'Etat. De ce fait, Ha-bré a acheté une partie de la presse sénégalaise, l'opinion publique a été manipulée, une partie de cette opinion est contre l'extradition. Et le président Wade a peur de froisser son opinion publique.
Il voudrait que l'Union africaine lui demande d'extrader Habré, et ainsi il pourrait se justifier auprès de cette opinion publique en lui disant l'avoir fait pour satisfaire une contrainte de ses pairs africains. De l'espoir ? Oui nous en avons, car j'ai du mal à croire que les chefs d'Etat optent pour l'im-punité. Si Habré n'est pas extradé vers la Belgique, il échappera à la justice et ses crimes resteront impunis jusqu'à la nuit des temps. La lutte contre l'impunité est inscrite dans la charte africaine des droits de l'Homme. Nous pensons que les chefs d'Etat africains vont conseiller au président Wade de respecter ses obligations internationales et d'ex-trader Habré vers la Belgique.
Il n y a pas longtemps , l'Etat tchadien a levé l'immunité de Habré pour être éventuellement juger par un tribunal étranger. En quoi cet acte peut-il faire avancer le dossier ?
C'est une question légale très précise. C'est un arrêt de la Cour internationale de justice qui règle les différents détails qui développent une jurisprudence sur le droit pénal international. Et la Cour pénale internationale, il y a quelques années, dans l'affaire Abdoulaye Yérodia (NDLR : il fut ministre sous Kabila en République Démocratique du Congo) avait tout à fait précisé qu'un chef d'Etat peut bénéficier d'une certaine immunité pour certains actes commis alors qu'il était en fonction. Mais il n'y a pas d'immunité pour tout ce qui concerne les crimes contre l'huma-nité, crimes de guerre, actes de tortures.
Pour les autres actes, si l'immu-nité est levée, il n'y a aucun doute il peut être poursuivi par un tribunal étranger. C'est donc pour lever toute ambiguïté sur une quelconque inter-prétation des actes commis pendant que Habré était chef d'Etat que le gouvernement tchadien a décidé de lever définitivement son immunité. Alors il peut être poursuivi devant un tribunal étranger autre que tchadien.
C'est un acte unique, car en ma connaissance il n'y a pas un autre pays au monde qui ait levé l'immu-nité de l'un de ses anciens prési-dents pour être juger par une juridiction étrangère. Il faut donc saluer cet acte courageux du gouvernement tchadien
Me Olivier Bercault : Il est repro-ché à Hissène Habré des crimes massifs commis lorsqu'il était président du Tchad entre 1982 et 1990. Les premières années, il y a eu un contexte de guerre contre la Libye, et des crimes de guerre ont été commis en violation des conventions de Genève comme l'exécution systéma-tique des prisonniers de guerre, la torture généralisée contre les populations civiles tchadiennes, les opposants.
Il faut savoir que c'était un régime de parti unique, sans opposition, sans presse libre, la moindre velléité de contestation du régime se solde par une arrestation, des tortures et quelques fois des exécutions extra-judiciaires ou des disparitions. Il y a eu des agressions contre des groupes ethniques comme les Zaghawa, les Adjaray, les arabes tchadiens par diverses périodes de répression. Il y eut une période très dure au sud du Tchad en 1984 et 1985 où les populations civiles avaient été attaquées et brutalisées avec beaucoup de meurtres commis parce qu'il y avait une protestation des populations du sud du Tchad contre le régime de Habré. Donc ce sont des crimes massifs de natures diverses sur toute l'étendue du territoire.
Au cours de la conférence de presse que vous avez co-animée à l'ANDDH, vous avez affirmé avoir trouvé des milliers de documents de la police politique de Habré. Que disent ces documents ?
La plupart des crimes commis sous Habré, avec le contrôle de Ha-bré l'ont été par sa police politique qui s'appelle la DDS ( Direction de la Documentation et de la Sécurité) qui avait été créée sous le contrôle exclusif de Hissène Habré dont les directeurs successifs ne sont que des gens de sa propre ethnie. En 2001, alors que je visitais avec un collègue de Human Rights Watch le bâtiment de l'ex DDS qui était à l'abandon à N'Djaména, nous étions tombés par hasard sur des milliers de documents éparpillés sur le sol. Dans les mois qui ont suivi, avec l'aide de l'asso-ciation des victimes, nous les avions mis dans des caisses et analyser. Pour la plupart, ce sont des documents de la DDS ou de différents Ministères ; pour l'essentiel, les documents de la DDS sont constitués des listes des prisonniers de guerre, des prisonniers politiques, des certificats de décès de personnes mortes en détention, des rapports qui faisaient état de telle ou telle arrestation et interrogatoire, des procès verbaux d'interrogatoires, de notes de service, des états d'avancement des agents de la DDS, des affiches de propagande…Ils retracent dans les détails comment l'appareil de répres-sion avait été mis en place, comment il fonctionnait. C'est assez fascinant d'un point de vue légal parce que ça nous permet de démontrer que des crimes étaient commis par un appareil avec Hissène Habré à sa tête. Pour un tribunal, c'est de l'or.
Au cours de la même conférence de presse, vous avez souligné que le Sénégal a abandonné sa souve-raineté dans la gestion de ce dossier. Pensez vous que l'Etat séné-galais fait du dilatoire ?
Ce n'est pas une affirmation, c'est un fait. Hissène Habré étant en exil au Sénégal, des victimes tchadiennes ont déposé des plaintes contre lui en 2000 devant les tribunaux sé-négalais puisque c'est la logique même de la compétence universelle. C'est à dire que les tribunaux séné-galais étaient normalement compé-tents pour juger Habré en exil au Sénégal pour les crimes commis au Tchad. D'ailleurs un juge d'instruction sénégalais l'avait inculpé de compli-cité de crimes contre l'humanité, de tortures et d'actes de barbarie. Ha-bré a fait appel de cette décision d'in-culpation, la Cour d'appel a cassé cette décision, et la Cour de cassation a confirmé ce qu'avait décidé la Cour d'appel. La Cour de cassation a été très claire : les tribunaux sé-négalais ne sont pas compétents pour juger au Sénégal un étranger pour des crimes commis à l'étranger. Les poursuites ont été arrêtées dé-finitivement au Sénégal.
Les victimes ont cherché un autre tribunal pour porter plainte, et aucun tribunal africain ne s'est avancé pour leur donner un coup de mains. La seule possibilité qui leur restait au regard de la loi internationale et du droit belge, c'était de déposer des plaintes en Belgique puisque la loi belge était très généreuse à l'épo-que. C'est ce qui s'est passé, des plaintes ont été déposées en Belgique contre Habré. Donc il y a eu une instruction qui s'est déclenchée, un juge d'instruction belge a été désidant 5 ans. Il a interviewé des experts, interrogé des témoins, beaucoup de victimes ont déposé ; il s'est rendu lui-même au Tchad sur commission rogatoire internationale avec le procureur du Roi des belges, sa greffière et quatre officiers de police judiciaire spécialistes des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre. Ils ont saisi une partie des archives de la police politique au Tchad. Après cinq ans d'instruction, un mandat d'arrêt international a été lancé contre Hissène Habré avec une inculpation pour violations massives des droits de l'Homme, crimes contre l'humanité et crimes de tortures. Une demande d'extradition a été formulée par la Belgique au Sénégal.
Depuis, il y a eu un blocage de la procédure de la part du Sénégal, puisque la Cour d'appel de Dakar s'est prononcée sur l'extradition et a clairement renvoyé le dossier, comme la loi lui autorise d'ailleurs, au président Wade. C'est à lui de prendre une décision sur l'extradition. Cette position a été adoptée en novembre dernier. Et depuis lors, les victimes, les organisations de défense des droits de l'Homme attendent que le président Wade prenne une déci-sion pour extrader Habré. Elle n'a toujours pas été prise. Au lieu de cela, il a préféré prendre l'avis de ses pairs de l'Union africaine, et il voudrait inscrire cette affaire au prochain sommet de l'UA à Khartoum. Il peut demander l'avis des chefs d'Etat, mais il y a des obligations qui pèsent sur le Sénégal.
Nous estimons que le Sénégal a l'obligation d'extrader Habré, notamment en application de la Convention des Nations unies contre la torture qui oblige l'Etat sur le territoire duquel quelqu'un est suspecté d'ac-tes de torture soit de le juger soit de l'extrader. Puisque depuis 5 ans, le Sénégal n'a pas jugé Habré, et que maintenant il y a une demande de son extradition formulée par la Belgique, le Sénégal a l'obligation de l'extrader vers ce pays. Nous attendons que le président Wade fasse application de la Convention des Nations unies contre la torture de 1984 en son article 7, pour que Ha-bré soit extradé pour être entendu et poursuivi devant un tribunal indé-pendant.
Vous disiez à l'instant que la question serait posée au sommet de Khartoum. Dites moi si vous avez des raisons d'espérer ?
Encore une fois, c'est une procé-dure de courtoisie pour demander l'avis des chefs d'Etat. En quittant le Tchad, Hissène Habré est parti avec beaucoup d'argent, fruit du pillage des caisses de l'Etat. De ce fait, Ha-bré a acheté une partie de la presse sénégalaise, l'opinion publique a été manipulée, une partie de cette opinion est contre l'extradition. Et le président Wade a peur de froisser son opinion publique.
Il voudrait que l'Union africaine lui demande d'extrader Habré, et ainsi il pourrait se justifier auprès de cette opinion publique en lui disant l'avoir fait pour satisfaire une contrainte de ses pairs africains. De l'espoir ? Oui nous en avons, car j'ai du mal à croire que les chefs d'Etat optent pour l'im-punité. Si Habré n'est pas extradé vers la Belgique, il échappera à la justice et ses crimes resteront impunis jusqu'à la nuit des temps. La lutte contre l'impunité est inscrite dans la charte africaine des droits de l'Homme. Nous pensons que les chefs d'Etat africains vont conseiller au président Wade de respecter ses obligations internationales et d'ex-trader Habré vers la Belgique.
Il n y a pas longtemps , l'Etat tchadien a levé l'immunité de Habré pour être éventuellement juger par un tribunal étranger. En quoi cet acte peut-il faire avancer le dossier ?
C'est une question légale très précise. C'est un arrêt de la Cour internationale de justice qui règle les différents détails qui développent une jurisprudence sur le droit pénal international. Et la Cour pénale internationale, il y a quelques années, dans l'affaire Abdoulaye Yérodia (NDLR : il fut ministre sous Kabila en République Démocratique du Congo) avait tout à fait précisé qu'un chef d'Etat peut bénéficier d'une certaine immunité pour certains actes commis alors qu'il était en fonction. Mais il n'y a pas d'immunité pour tout ce qui concerne les crimes contre l'huma-nité, crimes de guerre, actes de tortures.
Pour les autres actes, si l'immu-nité est levée, il n'y a aucun doute il peut être poursuivi par un tribunal étranger. C'est donc pour lever toute ambiguïté sur une quelconque inter-prétation des actes commis pendant que Habré était chef d'Etat que le gouvernement tchadien a décidé de lever définitivement son immunité. Alors il peut être poursuivi devant un tribunal étranger autre que tchadien.
C'est un acte unique, car en ma connaissance il n'y a pas un autre pays au monde qui ait levé l'immu-nité de l'un de ses anciens prési-dents pour être juger par une juridiction étrangère. Il faut donc saluer cet acte courageux du gouvernement tchadien