Créés par le chef de la junte peu après son coup d’Etat, en 2022, les bataillons d’intervention rapide sont accusés de nombreuses exactions contre des civils, et particulièrement contre la communauté peule.
Des femmes laissées pour mortes, avec leurs enfants inertes dans le dos ou pleurant à leurs côtés. Des corps d’hommes empilés comme du bétail dans un triporteur. Des tueurs, parfois couteaux à la main, insultant leurs victimes et leur promettant une fin imminente… Ces vidéos macabres diffusées sur les réseaux sociaux ont été tournées dans des villages proches de Solenzo, dans l’ouest du Burkina Faso, lundi 10 et mardi 11 mars. Elles sont l’œuvre de Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des supplétifs civils de l’armée burkinabée auxquels la junte du capitaine Ibrahim Traoré a massivement recours dans la guerre contre les groupes djihadistes depuis qu’il a pris le pouvoir, en septembre 2022.
Le bilan de cet énième massacre commis par des VDP est difficile à estimer mais, selon différentes sources locales et sécuritaires, il serait d’au moins une soixantaine de morts, probablement plus d’une centaine. Une fois de plus, les victimes partagent la même caractéristique : elles sont toutes peules.
Comme ailleurs au Sahel, cette communauté est assimilée à tort par certains militaires burkinabés et VDP aux groupes djihadistes, car nombre de ses membres ont rejoint leurs rangs. « Il y a parfois une forme de bienveillance, voire de complicité, de certains Peuls avec des djihadistes par endroits. Mais ils sont ciblés sans distinction partout où l’armée et les VDP sont en situation difficile. C’est une sale guerre qui tourne à l’épuration ethnique », déplore une source sécuritaire qui suit la région.
Si le massacre de Solenzo a été commis par des VDP, une autre unité militaire y a contribué : le 18e bataillon d’intervention rapide (BIR), basé dans la zone et commandé par le capitaine Papa Parfait Kambou. Il était alors en « manœuvre » sur place et a « laissé faire les VDP », assure une source locale selon laquelle cette tuerie n’aurait jamais pu être perpétrée « sans son assentiment ».
Manque d’expérience et de formation
Depuis qu’il dirige le pays, le capitaine Traoré a fait des BIR, avec les VDP, un des piliers de sa stratégie militaire contre les groupes djihadistes. Il a créé les six premiers dès novembre 2022, peu après son coup d’Etat. Selon le décret fondateur, il s’agit de bataillons mobiles chargés d’« intervenir, le plus vite possible et le plus en avant, en privilégiant la mobilité et la puissance de feu face à toute menace », ou d’« assurer les escortes de grands convois logistiques » de l’armée ou d’autres organismes. L’idée du capitaine Traoré était alors de créer des unités à sa main capables d’appliquer sa stratégie militaire, celle d’une guerre en mouvement et offensive, faite d’opérations rapides pour aller débusquer les djihadistes sur le terrain plutôt que de subir leurs attaques.
« IB », comme le surnomment ses compatriotes, confie ces premiers BIR à des fidèles. Parmi eux, d’autres capitaines avec lesquels il a mené son putsch, tels Jean Ouiya ou Farouk Azaria Sorgho. Au fil des mois, le nombre de BIR augmente. Ils sont désormais 28, les trois derniers ayant été instaurés par un décret présidentiel le 2 janvier. Leurs commandants demeurent de jeunes officiers choisis pour leur loyauté. Tous sont sous les ordres du centre des opérations des armées et de la présidence, où ils sont en lien direct avec les aides de camp ou le directeur de cabinet d’Ibrahim Traoré.
D’importants moyens sont alloués à ces BIR, qui deviennent les unités les mieux équipées de l’armée. A raison de 200 à 300 hommes par bataillon, de nouvelles recrues sont souvent recherchées pour garnir leurs rangs. Elles ne sont pas difficiles à trouver. « Beaucoup de jeunes postulent pour rejoindre les BIR car ils sont mieux payés et mieux traités que dans les autres corps d’armée », affirme un officier burkinabé. Résultat : la plupart des soldats qui composent les BIR se retrouvent lâchés sur le terrain sans grande expérience ni formation, le tout dans un contexte de guérilla au milieu de populations civiles.
Malgré la propagande victorieuse de la junte, qui a réduit au silence toute voix discordante, le constat est difficilement contestable : deux ans et demi après l’arrivée aux affaires d’Ibrahim Traoré, la situation sécuritaire demeure alarmante et continue de se détériorer. Sa promesse de l’améliorer dans les trois mois suivant son arrivée à la tête du pays a fait long feu. L’idée initiale de bataillons mobiles et rapides, sans cesse en posture offensive, aussi.
« Ils se défoulent contre les civils »
Difficile, pour n’importe quelle unité à travers le monde, d’être en opération permanente. A mesure que leur nombre grossissait, les BIR se sont stabilisés dans des garnisons à travers le territoire. Avec, pour chacun, un réseau de VDP dans les villages alentour. « IB l’a conceptualisé : il veut que les BIR travaillent main dans la main avec les VDP », explique un autre gradé burkinabé. Sur le terrain, BIR et VDP opèrent donc souvent ensemble.
Dans cette guerre qui s’enlise, les exactions et les opérations de vengeance contre les civils se multiplient, avec des niveaux de violence sans cesse dépassés. Les VDP, majoritairement issus des communautés mossi ou dogon, sont souvent accusés de massacrer les Peuls. Les BIR également. Depuis leur création, nombreux sont les cas où, en raison d’un engin explosif improvisé ou d’une embuscade sur leur passage, ils effectuent des descentes meurtrières dans les villages des environs, estimant que leurs habitants sont forcément complices des djihadistes, d’une manière ou d’une autre. « Ils se défoulent contre les civils. Certains sont devenus des chiens de guerre », déplore la source sécuritaire précitée.
Lire le reportage | Des réfugiés burkinabés témoignent : « Terroristes, soldats, miliciens… Tout le monde veut nous tuer »
Fin février 2024, à Nondin et Soro, deux villages du nord-ouest du pays, des membres de BIR sont accusés d’avoir participé au massacre d’au moins 223 civils, selon l’ONG Human Rights Watch. Deux mois plus tard, d’autres BIR, qui accompagnaient un convoi de ravitaillement entre Dori et Mansila (nord-est), ont essuyé différentes attaques sur leur trajet. Plusieurs villages à proximité ont subi leurs représailles. Bilan : au moins 150 civils tués. Plus récemment, une semaine avant le massacre de Solenzo, les localités de Notou et Pougoumbel (nord-est) ont à leur tour été ratissées par un BIR qui accompagnait un convoi entre Sebba et Dori. Selon des sources locales, au moins 70 personnes auraient été tuées.
De nouveaux crimes de guerre passés sous silence, aucune vidéo n’ayant cette fois émergé sur les réseaux sociaux. Face à la multiplication de fuites embarrassantes montrant des cas d’exactions, l’état-major a interdit en avril 2023 l’utilisation des smartphones « en opération et dans les postes de garde » pour les militaires et les VDP. Une consigne globalement respectée par les premiers, moins par les seconds.
Benjamin Roger
Source : Le Molnde
Des femmes laissées pour mortes, avec leurs enfants inertes dans le dos ou pleurant à leurs côtés. Des corps d’hommes empilés comme du bétail dans un triporteur. Des tueurs, parfois couteaux à la main, insultant leurs victimes et leur promettant une fin imminente… Ces vidéos macabres diffusées sur les réseaux sociaux ont été tournées dans des villages proches de Solenzo, dans l’ouest du Burkina Faso, lundi 10 et mardi 11 mars. Elles sont l’œuvre de Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des supplétifs civils de l’armée burkinabée auxquels la junte du capitaine Ibrahim Traoré a massivement recours dans la guerre contre les groupes djihadistes depuis qu’il a pris le pouvoir, en septembre 2022.
Le bilan de cet énième massacre commis par des VDP est difficile à estimer mais, selon différentes sources locales et sécuritaires, il serait d’au moins une soixantaine de morts, probablement plus d’une centaine. Une fois de plus, les victimes partagent la même caractéristique : elles sont toutes peules.
Comme ailleurs au Sahel, cette communauté est assimilée à tort par certains militaires burkinabés et VDP aux groupes djihadistes, car nombre de ses membres ont rejoint leurs rangs. « Il y a parfois une forme de bienveillance, voire de complicité, de certains Peuls avec des djihadistes par endroits. Mais ils sont ciblés sans distinction partout où l’armée et les VDP sont en situation difficile. C’est une sale guerre qui tourne à l’épuration ethnique », déplore une source sécuritaire qui suit la région.
Si le massacre de Solenzo a été commis par des VDP, une autre unité militaire y a contribué : le 18e bataillon d’intervention rapide (BIR), basé dans la zone et commandé par le capitaine Papa Parfait Kambou. Il était alors en « manœuvre » sur place et a « laissé faire les VDP », assure une source locale selon laquelle cette tuerie n’aurait jamais pu être perpétrée « sans son assentiment ».
Manque d’expérience et de formation
Depuis qu’il dirige le pays, le capitaine Traoré a fait des BIR, avec les VDP, un des piliers de sa stratégie militaire contre les groupes djihadistes. Il a créé les six premiers dès novembre 2022, peu après son coup d’Etat. Selon le décret fondateur, il s’agit de bataillons mobiles chargés d’« intervenir, le plus vite possible et le plus en avant, en privilégiant la mobilité et la puissance de feu face à toute menace », ou d’« assurer les escortes de grands convois logistiques » de l’armée ou d’autres organismes. L’idée du capitaine Traoré était alors de créer des unités à sa main capables d’appliquer sa stratégie militaire, celle d’une guerre en mouvement et offensive, faite d’opérations rapides pour aller débusquer les djihadistes sur le terrain plutôt que de subir leurs attaques.
« IB », comme le surnomment ses compatriotes, confie ces premiers BIR à des fidèles. Parmi eux, d’autres capitaines avec lesquels il a mené son putsch, tels Jean Ouiya ou Farouk Azaria Sorgho. Au fil des mois, le nombre de BIR augmente. Ils sont désormais 28, les trois derniers ayant été instaurés par un décret présidentiel le 2 janvier. Leurs commandants demeurent de jeunes officiers choisis pour leur loyauté. Tous sont sous les ordres du centre des opérations des armées et de la présidence, où ils sont en lien direct avec les aides de camp ou le directeur de cabinet d’Ibrahim Traoré.
D’importants moyens sont alloués à ces BIR, qui deviennent les unités les mieux équipées de l’armée. A raison de 200 à 300 hommes par bataillon, de nouvelles recrues sont souvent recherchées pour garnir leurs rangs. Elles ne sont pas difficiles à trouver. « Beaucoup de jeunes postulent pour rejoindre les BIR car ils sont mieux payés et mieux traités que dans les autres corps d’armée », affirme un officier burkinabé. Résultat : la plupart des soldats qui composent les BIR se retrouvent lâchés sur le terrain sans grande expérience ni formation, le tout dans un contexte de guérilla au milieu de populations civiles.
Malgré la propagande victorieuse de la junte, qui a réduit au silence toute voix discordante, le constat est difficilement contestable : deux ans et demi après l’arrivée aux affaires d’Ibrahim Traoré, la situation sécuritaire demeure alarmante et continue de se détériorer. Sa promesse de l’améliorer dans les trois mois suivant son arrivée à la tête du pays a fait long feu. L’idée initiale de bataillons mobiles et rapides, sans cesse en posture offensive, aussi.
« Ils se défoulent contre les civils »
Difficile, pour n’importe quelle unité à travers le monde, d’être en opération permanente. A mesure que leur nombre grossissait, les BIR se sont stabilisés dans des garnisons à travers le territoire. Avec, pour chacun, un réseau de VDP dans les villages alentour. « IB l’a conceptualisé : il veut que les BIR travaillent main dans la main avec les VDP », explique un autre gradé burkinabé. Sur le terrain, BIR et VDP opèrent donc souvent ensemble.
Dans cette guerre qui s’enlise, les exactions et les opérations de vengeance contre les civils se multiplient, avec des niveaux de violence sans cesse dépassés. Les VDP, majoritairement issus des communautés mossi ou dogon, sont souvent accusés de massacrer les Peuls. Les BIR également. Depuis leur création, nombreux sont les cas où, en raison d’un engin explosif improvisé ou d’une embuscade sur leur passage, ils effectuent des descentes meurtrières dans les villages des environs, estimant que leurs habitants sont forcément complices des djihadistes, d’une manière ou d’une autre. « Ils se défoulent contre les civils. Certains sont devenus des chiens de guerre », déplore la source sécuritaire précitée.
Lire le reportage | Des réfugiés burkinabés témoignent : « Terroristes, soldats, miliciens… Tout le monde veut nous tuer »
Fin février 2024, à Nondin et Soro, deux villages du nord-ouest du pays, des membres de BIR sont accusés d’avoir participé au massacre d’au moins 223 civils, selon l’ONG Human Rights Watch. Deux mois plus tard, d’autres BIR, qui accompagnaient un convoi de ravitaillement entre Dori et Mansila (nord-est), ont essuyé différentes attaques sur leur trajet. Plusieurs villages à proximité ont subi leurs représailles. Bilan : au moins 150 civils tués. Plus récemment, une semaine avant le massacre de Solenzo, les localités de Notou et Pougoumbel (nord-est) ont à leur tour été ratissées par un BIR qui accompagnait un convoi entre Sebba et Dori. Selon des sources locales, au moins 70 personnes auraient été tuées.
De nouveaux crimes de guerre passés sous silence, aucune vidéo n’ayant cette fois émergé sur les réseaux sociaux. Face à la multiplication de fuites embarrassantes montrant des cas d’exactions, l’état-major a interdit en avril 2023 l’utilisation des smartphones « en opération et dans les postes de garde » pour les militaires et les VDP. Une consigne globalement respectée par les premiers, moins par les seconds.
Benjamin Roger
Source : Le Molnde