Le chef de la division Afrique du FMI, Edward Gemayel, pointe les « graves lacunes dans le contrôle budgétaire » de la précédente présidence du pays.
Après une semaine de visite au Sénégal, le Fonds monétaire international (FMI) espérait trouver des explications aux falsifications des comptes publics sous l’administration de l’ex-président, Macky Sall, dévoilées par la Cour des comptes le 12 février. Qualifié d’exercice de « vérité » par les nouvelles autorités sénégalaises, l’audit avait permis de révéler, selon elles, « les dérives » du précédent gouvernement.
L’institution financière n’a pas obtenu l’ensemble des réponses qu’elle était venue chercher. Mais dans un entretien au Monde, mercredi 26 mars, le chef de la division Afrique du FMI, Edward Gemayel, a confirmé le montant de « 7 milliards de dollars de dettes » cachées, durant le dernier mandat de M. Sall. Dans le rapport de la Cour des comptes, la somme dissimulée devait se lire entre les lignes, en scrutant l’une des cases d’un tableau en page 44. Après avoir reconstitué l’encours de la dette sur la période allant de 2019 à fin 2023, les auditeurs rapportaient un delta de « 25,27 % » entre le montant initial transmis par l’administration sortante et le montant de la dette réelle mis à jour après vérifications.
Cet écart abyssal a eu de lourdes conséquences : la dette de l’Etat du Sénégal a bondi à 99,67 % du produit intérieur brut (PIB) du Sénégal à la fin 2023, contre 74,41 % initialement prévu par le précédent gouvernement. Depuis, l’endettement s’est encore aggravé, à en croire le FMI. « Fin 2024, la dette devrait s’établir autour de 106 % », indique M. Gemayel, qui pointe, dans un communiqué, de « graves lacunes dans le contrôle budgétaire » de la précédente administration.
Comment ces dernières ont-elles pu perdurer sur une période aussi longue ? « Il est encore trop tôt pour le dire, répond M. Gemayel. L’un des objectifs de notre visite est de comprendre comment cela a pu échapper » à tous les organes de contrôle, que sont « l’inspection générale des finances, l’inspection générale de l’Etat, la banque centrale et la commission bancaire ».
Le FMI aussi mis en cause
Le Fonds monétaire international pourrait également être cité, selon Magaye Gaye, ancien économiste à la Banque ouest-africaine de développement, qui a reproché au président du conseil d’administration de l’institution d’avoir « laissé passer cette situation anormale alors que [ses] services (…) disposent d’un système de reporting éprouvé », dans un courrier envoyé à Washington.
En septembre 2023, le gouvernement d’Amadou Ba, dernier premier ministre de Macky Sall, avait sollicité le FMI pour un « surfinancement » devant lui permettre d’« honorer les paiements au titre du service de la dette autour de l’élection présidentielle de 2024, période où les conditions financières [risquaient] d’être incertaines », d’après un document du FMI. L’institution avait alors volé alors au secours du régime en donnant son feu vert pour qu’un financement de 604 milliards de francs CFA [soit 920 millions d’euros] prévu pour le budget 2023 soit transféré sur celui de 2024.
Le Fonds avait néanmoins « posé des garde-fous », assure M. Gemayel. « On avait spécifiquement demandé un dépôt de cette somme à la banque centrale – sur un compte séquestre – pour s’assurer que l’argent soit toujours disponible lors de notre prochaine venue. On exigeait aussi que les autorités nous montrent le relevé bancaire pour vérifier que cette somme soit toujours disponible », détaille-t-il. En dépit de leurs demandes, les équipes du FMI n’ont jamais reçu les relevés bancaires attendus pour identifier comment ces fonds avaient été utilisés. Par ailleurs, la somme accordée par le FMI n’a pas servi à payer le service de la dette de l’Etat du Sénégal. La Cour des comptes n’a pu en retracer qu’une partie des décaissements.
Cette visite à Dakar a toutefois permis aux nouvelles autorités sénégalaises de partager avec le FMI leur constat de finances durablement dégradées. L’exercice de transparence place néanmoins le président, Diomaye Faye, et son premier ministre, Ousmane Sonko, dans une position délicate. Alors que le tandem au pouvoir s’est fait élire sur un discours souverainiste et des promesses de rupture, notamment avec le FMI dénoncé pour ses plans d’ajustement structurel passés, la détérioration des finances publiques a rehaussé l’intérêt pour cette institution internationale.
Cure d’austérité
Avant de décoller pour Washington, la mission du FMI a tenté d’établir de nouvelles règles du jeu avec Dakar. M. Gemayel a dessiné deux scénarios : « Soit le conseil d’administration [du FMI] va demander au gouvernement de rembourser les montants décaissés sur une base erronée, soit il va accorder une dérogation au gouvernement pour ne pas rembourser les décaissements, mais en contrepartie, Dakar s’engage dans des mesures correctrices. » Quelles seront-elles le cas échéant ? A l’issue de son entretien avec le président Faye, le directeur Afrique du FMI n’a rien dévoilé de la teneur de leurs discussions.
Au vu des marges extrêmement limitées, une cure d’austérité a été lancée, comme l’avait annoncé le secrétaire général du gouvernement. Au moins 3 000 fonctionnaires ont été congédiés depuis neuf mois, d’après le Rassemblement des travailleurs du Sénégal (RTS). Pour les autorités sénégalaises, il s’agirait d’emplois de complaisance octroyés par l’administration précédente. « La fonction publique n’est pas une crèche pour recaser une clientèle politique », dénonçait, le 27 février, le chef du gouvernement. Les personnes licenciées l’accusent de mener « une purge ».
Ces mesures pourraient s’amplifier dans les semaines à venir, alors que le FMI a appelé à « agir vite ». Parmi les décisions présentées comme prioritaires par M. Gemayel figurent « la fin des exonérations fiscales et la levée graduelle des subventions à l’énergie ». En clair, le gouvernement va devoir taxer les entreprises minières et le secteur extractif, jusqu’ici très faiblement imposés, ainsi que les secteurs de la pêche, de l’agro-industrie et des services, notamment les télécoms. Plusieurs dirigeants d’entreprise contactés par Le Monde jugent que la pression fiscale et douanière s’est clairement intensifiée.
Des décisions plus impopulaires encore sont attendues. La fin programmée des subventions à la pompe et de l’électricité risque de « transformer cette crise financière en une crise sociale », redoute Elimane Haby Kane, président du cercle de réflexion panafricain Legs Africa. Sans ces mesures « correctrices », le FMI a prévenu qu’il n’y aurait pas de nouveau prêt.
Confronté à un besoin urgent de liquidités pour financer le service de sa dette qui, d’après le budget 2025, doit représenter 58 % de ses dépenses, Dakar risque pourtant de ne pas avoir d’autre choix que de recourir au FMI. Au regard de la dégradation de sa note par les agences de notation, l’institution représente le seul partenaire à pouvoir lui prêter de l’argent à des taux plus bas que le marché. Sa dette « cachée », héritée des années de présidence de Macky Sall, laisse le Sénégal « dans une zone de dangereuses turbulences », redoute M. Kane.
Abbas Asamaan (Dakar, correspondance)
Source : Le Monde
Après une semaine de visite au Sénégal, le Fonds monétaire international (FMI) espérait trouver des explications aux falsifications des comptes publics sous l’administration de l’ex-président, Macky Sall, dévoilées par la Cour des comptes le 12 février. Qualifié d’exercice de « vérité » par les nouvelles autorités sénégalaises, l’audit avait permis de révéler, selon elles, « les dérives » du précédent gouvernement.
L’institution financière n’a pas obtenu l’ensemble des réponses qu’elle était venue chercher. Mais dans un entretien au Monde, mercredi 26 mars, le chef de la division Afrique du FMI, Edward Gemayel, a confirmé le montant de « 7 milliards de dollars de dettes » cachées, durant le dernier mandat de M. Sall. Dans le rapport de la Cour des comptes, la somme dissimulée devait se lire entre les lignes, en scrutant l’une des cases d’un tableau en page 44. Après avoir reconstitué l’encours de la dette sur la période allant de 2019 à fin 2023, les auditeurs rapportaient un delta de « 25,27 % » entre le montant initial transmis par l’administration sortante et le montant de la dette réelle mis à jour après vérifications.
Cet écart abyssal a eu de lourdes conséquences : la dette de l’Etat du Sénégal a bondi à 99,67 % du produit intérieur brut (PIB) du Sénégal à la fin 2023, contre 74,41 % initialement prévu par le précédent gouvernement. Depuis, l’endettement s’est encore aggravé, à en croire le FMI. « Fin 2024, la dette devrait s’établir autour de 106 % », indique M. Gemayel, qui pointe, dans un communiqué, de « graves lacunes dans le contrôle budgétaire » de la précédente administration.
Comment ces dernières ont-elles pu perdurer sur une période aussi longue ? « Il est encore trop tôt pour le dire, répond M. Gemayel. L’un des objectifs de notre visite est de comprendre comment cela a pu échapper » à tous les organes de contrôle, que sont « l’inspection générale des finances, l’inspection générale de l’Etat, la banque centrale et la commission bancaire ».
Le FMI aussi mis en cause
Le Fonds monétaire international pourrait également être cité, selon Magaye Gaye, ancien économiste à la Banque ouest-africaine de développement, qui a reproché au président du conseil d’administration de l’institution d’avoir « laissé passer cette situation anormale alors que [ses] services (…) disposent d’un système de reporting éprouvé », dans un courrier envoyé à Washington.
En septembre 2023, le gouvernement d’Amadou Ba, dernier premier ministre de Macky Sall, avait sollicité le FMI pour un « surfinancement » devant lui permettre d’« honorer les paiements au titre du service de la dette autour de l’élection présidentielle de 2024, période où les conditions financières [risquaient] d’être incertaines », d’après un document du FMI. L’institution avait alors volé alors au secours du régime en donnant son feu vert pour qu’un financement de 604 milliards de francs CFA [soit 920 millions d’euros] prévu pour le budget 2023 soit transféré sur celui de 2024.
Le Fonds avait néanmoins « posé des garde-fous », assure M. Gemayel. « On avait spécifiquement demandé un dépôt de cette somme à la banque centrale – sur un compte séquestre – pour s’assurer que l’argent soit toujours disponible lors de notre prochaine venue. On exigeait aussi que les autorités nous montrent le relevé bancaire pour vérifier que cette somme soit toujours disponible », détaille-t-il. En dépit de leurs demandes, les équipes du FMI n’ont jamais reçu les relevés bancaires attendus pour identifier comment ces fonds avaient été utilisés. Par ailleurs, la somme accordée par le FMI n’a pas servi à payer le service de la dette de l’Etat du Sénégal. La Cour des comptes n’a pu en retracer qu’une partie des décaissements.
Cette visite à Dakar a toutefois permis aux nouvelles autorités sénégalaises de partager avec le FMI leur constat de finances durablement dégradées. L’exercice de transparence place néanmoins le président, Diomaye Faye, et son premier ministre, Ousmane Sonko, dans une position délicate. Alors que le tandem au pouvoir s’est fait élire sur un discours souverainiste et des promesses de rupture, notamment avec le FMI dénoncé pour ses plans d’ajustement structurel passés, la détérioration des finances publiques a rehaussé l’intérêt pour cette institution internationale.
Cure d’austérité
Avant de décoller pour Washington, la mission du FMI a tenté d’établir de nouvelles règles du jeu avec Dakar. M. Gemayel a dessiné deux scénarios : « Soit le conseil d’administration [du FMI] va demander au gouvernement de rembourser les montants décaissés sur une base erronée, soit il va accorder une dérogation au gouvernement pour ne pas rembourser les décaissements, mais en contrepartie, Dakar s’engage dans des mesures correctrices. » Quelles seront-elles le cas échéant ? A l’issue de son entretien avec le président Faye, le directeur Afrique du FMI n’a rien dévoilé de la teneur de leurs discussions.
Au vu des marges extrêmement limitées, une cure d’austérité a été lancée, comme l’avait annoncé le secrétaire général du gouvernement. Au moins 3 000 fonctionnaires ont été congédiés depuis neuf mois, d’après le Rassemblement des travailleurs du Sénégal (RTS). Pour les autorités sénégalaises, il s’agirait d’emplois de complaisance octroyés par l’administration précédente. « La fonction publique n’est pas une crèche pour recaser une clientèle politique », dénonçait, le 27 février, le chef du gouvernement. Les personnes licenciées l’accusent de mener « une purge ».
Ces mesures pourraient s’amplifier dans les semaines à venir, alors que le FMI a appelé à « agir vite ». Parmi les décisions présentées comme prioritaires par M. Gemayel figurent « la fin des exonérations fiscales et la levée graduelle des subventions à l’énergie ». En clair, le gouvernement va devoir taxer les entreprises minières et le secteur extractif, jusqu’ici très faiblement imposés, ainsi que les secteurs de la pêche, de l’agro-industrie et des services, notamment les télécoms. Plusieurs dirigeants d’entreprise contactés par Le Monde jugent que la pression fiscale et douanière s’est clairement intensifiée.
Des décisions plus impopulaires encore sont attendues. La fin programmée des subventions à la pompe et de l’électricité risque de « transformer cette crise financière en une crise sociale », redoute Elimane Haby Kane, président du cercle de réflexion panafricain Legs Africa. Sans ces mesures « correctrices », le FMI a prévenu qu’il n’y aurait pas de nouveau prêt.
Confronté à un besoin urgent de liquidités pour financer le service de sa dette qui, d’après le budget 2025, doit représenter 58 % de ses dépenses, Dakar risque pourtant de ne pas avoir d’autre choix que de recourir au FMI. Au regard de la dégradation de sa note par les agences de notation, l’institution représente le seul partenaire à pouvoir lui prêter de l’argent à des taux plus bas que le marché. Sa dette « cachée », héritée des années de présidence de Macky Sall, laisse le Sénégal « dans une zone de dangereuses turbulences », redoute M. Kane.
Abbas Asamaan (Dakar, correspondance)
Source : Le Monde