Journée AVOMM à Bruxelles
Dans le cadre de la plainte déposée contre l'ancien dictateur mauritanien Ould Taya, AVOMM organise cette journée pour sensibiliser l'opinion internationale sur l'exigence de justice, condition sine qua none de toute perspective de réconciliation nationale en Mauritanie.
Il est important de rappeler que le combat en faveur des victimes, des veuves et des orphelins est le pilier de cette organisation de la défense des droits humains qui ne cesse de persévérer dans cette optique. AVOMM concilie ainsi la revendication de l'exigence de justice et du devoir de mémoire. Ces deux aspects constituent les fondamentaux du combat des mauritaniens victimes de ce que nous considérons comme relevant du crime contre l'humanité.
Au moment où des victimes militaires et civiles sont auditionnées par la police fédérale belge dans le but de constituer des éléments du dossier de la plainte contre Ould Taya, il est important d'apporter des précisions sur l'enjeu de cette plainte et ses conséquences sur la caractérisation des violations graves des droits humains qui ont marqué le régime de l'ancien dictateur comme étape significative de la logique de l'oppression, de domination et d'exclusion des populations africaines noires de Mauritanie. Ces violations, de par leur ampleur et leur férocité, ont résulté d'une volonté préméditée d'éradication d'un ensemble humain, composante à part entière de la communauté nationale.
Je voudrais, à travers ce propos, montrer qu'il y a bien eu un génocide qui a été perpétré contre la communauté africaine de Mauritanie. Ce n'est un secret pour personne que la Mauritanie est gouvernée depuis l'avènement de ould Taya par une élite dirigeante dont l'option idéologique, politique, culturelle, sociale et économique est l'éradication de la présence africaine en Mauritanie.
I- Bref rappel historique
Sans entrer dans le détail, le désengagement de l'Etat mauritanien par rapport aux organisations africaines, notamment sous-régionales est symptomatique de cette option. Certains remontent plus loin dans l'histoire politique de la Mauritanie, précisément en 1958, le congrès d'Aleg qui a scellé le choix d'une Mauritanie exclusivement arabe. Ce n'est pas pour faire le travail des historiens, mais il importe de prendre cet événement historique et politique que fut le congrès d'Aleg dans la construction d'une « nation « mauritanienne « trait d'union entre l'Afrique blanche et l'Afrique noire » comme étant le point de départ de la logique d'exclusion de toute une composante du pays.
En effet, l'histoire politique de la Mauritanie a vu, depuis l'indépendance, une ligne de clivage instaurer une fracture béante entre les deux composantes dont le marquage idéologique est le nationalisme arabiste étroit, chauviniste et radicalement agressif pour aboutir à un racisme sans concession. C'est avec le régime de Ould Taya que ce système s'est déclaré dans son idéologie, et surtout dans ses pratiques ouvertement raciste.
Les masques sont tombés parce qu'il fallait faire avancer le processus de dénégrification de la Mauritanie pour répondre au principe de cohérence dans le but de construire une Mauritanie qui se veut exclusivement arabe. Ce principe de cohérence va déterminer la radicalité du système et expliquer le choix de la mise en pratique d'une entreprise d'éradication d'une partie des populations noires de Mauritanie.
Ce bref rappel permet de souligner l'objectif que s'était fixé le régime de Taya d'en finir avec les tergiversations des différents régimes mauritaniens qui se sont succédés dans leur volonté de faire de notre pays, une nation exclusivement arabe.
II- Génocide ou crime contre l'humanité
Pour caractériser de manière claire le calvaire vécu par la communauté africaine de 1987 à 1992 comme étant un génocide, il est important de rappeler la définition du crime contre l'humanité énoncée dans l'article 7 du statut de Rome de la Cour pénale en 1998. Cet article énumère onze actes constitutifs de crimes contre l'humanité:
« Le meutre, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation ou le transfert de population, l'emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international; la torture; le viol; l'esclavage sexuel, la prostitution, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle comparable; la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste, ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour; la disparition forcée de personnes; le crime d'apartheid; d'autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale; »
Quelle liste d'actes, de faits peut être plus exhaustive et plus significative quant à l'ampleur de l'entreprise criminelle commise en Mauritanie sur les populations noires, négro-africaines de Mauritanie.
Par une volonté politique mise en pratique par des décisions et des ordres donnés à tous les niveaux de l'administration et des corps de l'Armée, de la police, de la gendarmerie, de la garde nationale, de la douane, de la marine, le projet d'extermination s'est concrétisé par des massacres, des exécutions sommaires, des exterminations, des disparitions, des emprisonnements des militaires, des hommes, des femmes, des enfants tous membres des trois composantes de la communauté africaine mauritanienne: Peuls, Wolofs et Soninkés. Ces humains étaient visés du fait de la couleur de leur peau, de leur langue, de leur identité culturelle. Le déni d'humanité mis en pratique avait une cible particulière, les noirs africains de Mauritanie. Les bases militaires du pays, furent transformées, à cette occasion, en camp de concentration et de mouroirs. Le règne absolu de mort fut sans commune mesure et sans retenue durant cette période d'exception.
Dans le principe et dans sa réalisation, s'il ne s'est pas agi d'un génocide, comment nommer autrement cette entreprise d'extermination et d'élimination d'une entité humaine en tant que peuple, ethnie dans sa totalité? Est-ce un fait divers? Une bavure d'envergure nationale? Un crime par négligence? Y-aurait-il une humanité pleine et entière et une autre catégorie qui ne recouperait pas l'acception de l'humain dans son sens fort? Fallait-il atteindre une quantité non identifiable et incommensurable pour que le crime de génocide soit reconnu? La logique de la quantité est elle pertinente quand il est question des vies humaines?
Relisons ensemble quelques définitions du génocide:
« Extermination systématique d'un groupe humain, national, ethnique, racial ou religieux »
« Le concept de génocide définit l'extermination de groupes entiers comme tels »
Il n'est pas nécessaire de s'attarder sur les définitions tant l'énormité des faits commis est parlante. La négation de l'humanité de l'autre est le principe même de la mise en exécution d'une telle barbarie. Dans notre pays, la Mauritanie, la communauté africaine, les négro-africains ou négro-mauritaniens furent victimes de crime de génocide dans toute l'ampleur des faits. Des vies innocentes, qui n'ont pas levé le petit doigt furent éliminées, détruites, humiliées, persécutées par leurs compatriotes sans scrupules. La cohérence idéologique a prévalu sur le principe d'humanité. Il n'y a pas eu de remords, ni de regrets quant à la reconnaissance par l'Etat mauritanien du caractère barbare et inhumain du régime qui a accompli cette ignoble tâche perçue plutôt comme un service rendu à la cause de l'arabité de la Mauritanie. Des fonctionnaires furent même décorés pour services rendus à la nation, entendez par l'excès de zèle dont ils ont fait preuve durant les années de répression, de torture, de massacres et de déportations.
III- De Sidi Ould Cheikh Abdellah à Mohamed Ould Abdel Aziz
L'avènement de Sidi Ould Cheick Abdellah en 2007, avait suscité des espoirs quant à la reprise en charge politique de la dimension de ce crime contre l'humanité avec une timide reconnaissance de la réalité qui a fait l'objet de dénégation durant le règne de Taya et de Ely à sa suite, sanguinaire Directeur de la Sûreté sous le régime cynique de ce même Ould Taya. Sidi, à peine a t-il commencé l'opération de rapatriement des déportés qu'un coup d'Etat militaire a été organisé par l'actuel Président qui s'est débrouillé avec la communauté internationale pour gagner le statut de Président démocratiquement élu.
Cette élection avait remis au goût du jour l'espoir des mauritaniens habitués à nourrir des illusions à la place de l'espoir, tant mieux, comme disait Nietzsche, « la vie a besoin d'illusions ».
Ould Adel Aziz comme Ould Sidi ont tenté chacun dans son style de tenir le discours de la pitié, exaltant la fibre de la résignation et du fatalisme des populations africaines de Mauritanie pour présenter des excuses en leur demandant de pardonner. Des pressions, pour ne pas dire des harcèlements furent exercés sur les fonctionnaires, cadres, notables africains noirs pour qu'après les indemnisations et le retour de quelques déportés, le pardon soit prononcé, voire la plainte retirée.
Il est étonnant de constater comment les victimes sont culpabilisées dès lors qu'elles n'adhèrent pas à l'injonction pour un pardon imposé, une réconciliation manipulée et des retrouvailles sans la paix des coeurs et des esprits comme si nous vivions dans un monde où la notion de règle de droit ne devrait pas concerner les victimes africaines de Mauritanie. Il y aurait ainsi une humanité qui jouirait de la qualité essentielle d'être humain et qui bénéficierait du respect de la vie et de la considération de la dignité humaine et l'autre partie qui ne serait pas à considérer comme étant digne d'humanité.
D'où l'importance pour nous de la mobilisation pour que ce crime contre l'humanité puisse faire son chemin auprès des tribunaux belges dans le but de faire aboutir, à travers la plainte l'organisation du procès contre l'ancien dictateur, premier et principal responsable du crime de génocide perpétré contre la communauté africaine de Mauritanie. Dans l'état actuel des choses, ce sont les instances de justice de l'Europe, particulièrement de la Belgique au nom de la compétence universelle qui nous donnent l'espoir de mener jusqu'au bout la poursuite de notre plainte contre l'ancien dictateur mauritanien.
En Mauritanie, il est indéniable que l'humanité des africains mauritaniens, Peuls, Soninkés et Wolofs a été systématiquement niée par un système raciste dont l'ambition d'annuler et d'effacer leur présence humaine physique et vivante a été mise en exécution. Le crime contre l'humanité au nom du racisme, de l'intolérance, de la haine et du rejet a été opéré avec une légitimation idéologique en mobilisant toutes les institutions et les ressources de l'Etat. Le service public et les corps chargés de la préservation de l'intérêt de tous et garants de la sécurité de tous les citoyens furent utilisés au service de l'extermination d'une partie constitutive du pays. Citoyens niés, méprisés, exclus de leur appartenance à la communauté citoyenne, à leur propre pays, les africains de Mauritanie furent déportés vers des pays voisins au motif de la ressemblance de la couleur de peau, de la langue et de la culture, les désignant ainsi comme Sénégalais pour entériner la négation de leur citoyenneté mauritanienne. Ne pas reconnaître ces faits et ces pratiques comme relevant du crime de génocide et comme tel crime contre l'humanité, s'est manifestement faire preuve de négationnisme. Sans entrer dans l'évocation du délit de non-assistance de personnes en danger puni par la loi dans les pays où règne l'Etat de droit, le négationnisme devrait un jour être criminalisé dans notre pays.
Pour le moment, nous ne pensons pas que les juridictions nationales, sous-régionales et africaines soient en capacité de répondre à notre exigence de justice pour que l'humanité des Africains mauritaniens soit rétablie. Tel est le sens que nous donnons et toute l'importance que nous accordons à l'organisation d'un procès contre le dictateur mauritanien ould Taya.
En Mauritanie, les victimes des années de Terreur ont le sentiment que le drame qu'elles ont vécu n'a rien à voir avec les tragédies des autres peuples qui ont été soumis à des destins similaires. Il ne s'agit pas de procéder au comparatif des malheurs des peuples, mais de reconnaître une bonne fois pour toutes qu'une seule vie exterminée au nom de la négation de la différence qu'elle qu'en soit la motivation, c'est l'humanité entière qui est atteinte dans son essence même.
C'est en ce sens que la compétence universelle est une conquête qu'il faut saluer dans le processus de la défense des humains et de l'obligation des Etats ou des dirigeants à faire attention à l'usage aveugle de la puissance de l'arbitraire et des pratiques criminelles et de négation de la dignité humaine. L'ère de l'impunité doit être révolue afin que règne universellement la règle de droit, garante du respect de la vie et de la reconnaissance de la dignité humaine pour tous les humains en tant qu'ils sont humains et non ceci ou cela. La communauté d'appartenance à une même humanité ne peut faire l'objet de spécification ou de particularisation. Partant toute vie piétinée, exterminée concerne l'humanité entière, y compris le bourreau.
Certes, des réticences existent et persistent, mais le processus fait son chemin pour ouvrir une nouvelle ère dans la prise en charge des crimes imprescriptibles auxquels ne doivent plus s'accommoder les humains autant qu'ils se représentent et assument leur humanité. Ce sens de l'humain et de l'humanité n'a pas été au rendez-vous dans le vécu des populations africaines, noires et mauritaniennes. Contre la logique de l'arbitraire d'une politique de la négation de la vie au motif que l'autre, en l'occurrence, le noir africain mauritanien n'a pas le droit de vivre dans son propre pays, la terre de ses ancêtres, ni simplement le droit à la vie, nous devons nous mobiliser constamment afin que la communauté internationale et les organisations de défenses des droits humains sachent ce qui s'est réellement passé dans notre pays.
Le point culminant de cette politique dans son effectuation n'a pas fait l'économie du soubassement idéologique raciste dans ses multiples déclinaisons. Une entreprise génocidaire a bien été exécutée en Mauritanie contre les populations africaines mauritaniennes du fait de la différence de couleur de peau, de l'identité culturelle pour être en adéquation avec l'impératif de cohésion idéologique dont la caractéristique fondamentale est l'épuration de la composante africaine noire.
La transcription des témoignages du vécu des victimes, civiles et militaires est en attente, voire différée par le ressenti fortement émotionnel et traumatique produit par la violence et la cruauté des pratiques de torture, de mise à mort. Le récit des souffrances est insoutenable au point que le doute persiste et la pudeur continue à voiler des souffrances psychologiques caractérisées par l'humiliation, une méchanceté absurde et cruelle. La Mauritanie sous la gouvernance de Ould Abdoul Aziz n'a pas encore pris la décision politique de la prise en charge du crime contre l'humanité perpétré au nom d'une volonté politique raciste dont le seul credo est de donner la mort aux populations noires africaines. Ould Taya est encore présent dans la réalité vivante du système et dans sa continuation politique, à travers la gouvernance actuelle de Ould Abdoul Aziz.
L'enjeu politique des dirigeants actuels est d'exercer des pressions sur les victimes pour les contraindre à renoncer à l'exigence de justice et au combat pour l'avènement d'une Mauritanie qui renoue avec les valeurs fondamentales de la dignité humaine. Il ne s'agit pas de faire de la démagogie en évoquant le socle de la religion qui a été bafoué durant les années de Terreur, d'extermination où l'africain noir mauritanien fut ciblé comme un être dépouillé de son humanité et réduit à une proie à éliminer et à exterminer.
Contre l'impunité, le crime contre l'humanité, l'exigence absolue et radicale de justice. Le premier acte dans ce sens est la mobilisation pour l'organisation du procès contre Ould Taya maître d'oeuvre devant une juridiction compétente pour que l'ancien dictateur réponde devant les crimes perpétrés contre l'humanité. Il n'est pas concevable que des crimes de mort et de négation de l'humanité de l'autre soit réduits à une simple question de pardon comme si la règle de droit pouvait être une affaire traitée entre des fonctionnaires issus du système dirigé par les bourreaux et des membres de la communauté victime.
Il ne revient pas aux survivants de négocier à l'amiable, ce qui relève de l'exigence humaine et universelle de l'application de la règle droit. A travers la plainte déposée contre le dictateur raciste Ould Taya devant les tribunaux belges en référence à la compétence universelle, nous exprimons notre espoir de voir un jour surgir une ère nouvelle où l'impunité ne sera pas tolérée dans un monde qui se veut civilisé et porteur des valeurs de justice, de respect du droit des personnes à vivre dignes et libres dans leur propre pays.
Le devoir de mémoire et de respect pour nos morts qui n'ont pas encore bénéficié d'une sépulture respectant la dignité humaine, la bienveillance pour les victimes, la considération pour toute la composante africaine encore humiliée nous impose et nous oblige à résister jusqu'au jour où la Mauritanie officielle acceptera de prendre son courage en main, par la reconnaissance qu'elle a perpétré un génocide contre ses propres citoyens africains noirs.
Il n'y a pas de demi-mesure, la reconnaissance de ce crime exige que justice soit rendue, seule condition pour l'avènement d'une société mauritanienne réconciliée avec elle-même. La Mauritanie officielle ne pourra retrouver sa place dans le concert des nations garantes de la dignité humaine que par la résolution juste et équitable du crime de génocide et de crime contre l'humanité commis contre la communauté africaine noire. Autrement, le déni officiel de ce crime la maintiendra dans la liste des pays qui doivent être bannis par les nations civilisées du monde. Au lieu d'imposer ou de forcer le pardon, les dirigeants actuels feraient mieux de coopérer à l'exigence de justice afin de tourner dignement et humainement cette période sombre et barbare de notre histoire.
Bruxelles le 31 juillet 2010
SY Hamdou Rabby
Conseiller de l'AVOMM
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avomm.com
Dans le cadre de la plainte déposée contre l'ancien dictateur mauritanien Ould Taya, AVOMM organise cette journée pour sensibiliser l'opinion internationale sur l'exigence de justice, condition sine qua none de toute perspective de réconciliation nationale en Mauritanie.
Il est important de rappeler que le combat en faveur des victimes, des veuves et des orphelins est le pilier de cette organisation de la défense des droits humains qui ne cesse de persévérer dans cette optique. AVOMM concilie ainsi la revendication de l'exigence de justice et du devoir de mémoire. Ces deux aspects constituent les fondamentaux du combat des mauritaniens victimes de ce que nous considérons comme relevant du crime contre l'humanité.
Au moment où des victimes militaires et civiles sont auditionnées par la police fédérale belge dans le but de constituer des éléments du dossier de la plainte contre Ould Taya, il est important d'apporter des précisions sur l'enjeu de cette plainte et ses conséquences sur la caractérisation des violations graves des droits humains qui ont marqué le régime de l'ancien dictateur comme étape significative de la logique de l'oppression, de domination et d'exclusion des populations africaines noires de Mauritanie. Ces violations, de par leur ampleur et leur férocité, ont résulté d'une volonté préméditée d'éradication d'un ensemble humain, composante à part entière de la communauté nationale.
Je voudrais, à travers ce propos, montrer qu'il y a bien eu un génocide qui a été perpétré contre la communauté africaine de Mauritanie. Ce n'est un secret pour personne que la Mauritanie est gouvernée depuis l'avènement de ould Taya par une élite dirigeante dont l'option idéologique, politique, culturelle, sociale et économique est l'éradication de la présence africaine en Mauritanie.
I- Bref rappel historique
Sans entrer dans le détail, le désengagement de l'Etat mauritanien par rapport aux organisations africaines, notamment sous-régionales est symptomatique de cette option. Certains remontent plus loin dans l'histoire politique de la Mauritanie, précisément en 1958, le congrès d'Aleg qui a scellé le choix d'une Mauritanie exclusivement arabe. Ce n'est pas pour faire le travail des historiens, mais il importe de prendre cet événement historique et politique que fut le congrès d'Aleg dans la construction d'une « nation « mauritanienne « trait d'union entre l'Afrique blanche et l'Afrique noire » comme étant le point de départ de la logique d'exclusion de toute une composante du pays.
En effet, l'histoire politique de la Mauritanie a vu, depuis l'indépendance, une ligne de clivage instaurer une fracture béante entre les deux composantes dont le marquage idéologique est le nationalisme arabiste étroit, chauviniste et radicalement agressif pour aboutir à un racisme sans concession. C'est avec le régime de Ould Taya que ce système s'est déclaré dans son idéologie, et surtout dans ses pratiques ouvertement raciste.
Les masques sont tombés parce qu'il fallait faire avancer le processus de dénégrification de la Mauritanie pour répondre au principe de cohérence dans le but de construire une Mauritanie qui se veut exclusivement arabe. Ce principe de cohérence va déterminer la radicalité du système et expliquer le choix de la mise en pratique d'une entreprise d'éradication d'une partie des populations noires de Mauritanie.
Ce bref rappel permet de souligner l'objectif que s'était fixé le régime de Taya d'en finir avec les tergiversations des différents régimes mauritaniens qui se sont succédés dans leur volonté de faire de notre pays, une nation exclusivement arabe.
II- Génocide ou crime contre l'humanité
Pour caractériser de manière claire le calvaire vécu par la communauté africaine de 1987 à 1992 comme étant un génocide, il est important de rappeler la définition du crime contre l'humanité énoncée dans l'article 7 du statut de Rome de la Cour pénale en 1998. Cet article énumère onze actes constitutifs de crimes contre l'humanité:
« Le meutre, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation ou le transfert de population, l'emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international; la torture; le viol; l'esclavage sexuel, la prostitution, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle comparable; la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste, ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour; la disparition forcée de personnes; le crime d'apartheid; d'autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale; »
Quelle liste d'actes, de faits peut être plus exhaustive et plus significative quant à l'ampleur de l'entreprise criminelle commise en Mauritanie sur les populations noires, négro-africaines de Mauritanie.
Par une volonté politique mise en pratique par des décisions et des ordres donnés à tous les niveaux de l'administration et des corps de l'Armée, de la police, de la gendarmerie, de la garde nationale, de la douane, de la marine, le projet d'extermination s'est concrétisé par des massacres, des exécutions sommaires, des exterminations, des disparitions, des emprisonnements des militaires, des hommes, des femmes, des enfants tous membres des trois composantes de la communauté africaine mauritanienne: Peuls, Wolofs et Soninkés. Ces humains étaient visés du fait de la couleur de leur peau, de leur langue, de leur identité culturelle. Le déni d'humanité mis en pratique avait une cible particulière, les noirs africains de Mauritanie. Les bases militaires du pays, furent transformées, à cette occasion, en camp de concentration et de mouroirs. Le règne absolu de mort fut sans commune mesure et sans retenue durant cette période d'exception.
Dans le principe et dans sa réalisation, s'il ne s'est pas agi d'un génocide, comment nommer autrement cette entreprise d'extermination et d'élimination d'une entité humaine en tant que peuple, ethnie dans sa totalité? Est-ce un fait divers? Une bavure d'envergure nationale? Un crime par négligence? Y-aurait-il une humanité pleine et entière et une autre catégorie qui ne recouperait pas l'acception de l'humain dans son sens fort? Fallait-il atteindre une quantité non identifiable et incommensurable pour que le crime de génocide soit reconnu? La logique de la quantité est elle pertinente quand il est question des vies humaines?
Relisons ensemble quelques définitions du génocide:
« Extermination systématique d'un groupe humain, national, ethnique, racial ou religieux »
« Le concept de génocide définit l'extermination de groupes entiers comme tels »
Il n'est pas nécessaire de s'attarder sur les définitions tant l'énormité des faits commis est parlante. La négation de l'humanité de l'autre est le principe même de la mise en exécution d'une telle barbarie. Dans notre pays, la Mauritanie, la communauté africaine, les négro-africains ou négro-mauritaniens furent victimes de crime de génocide dans toute l'ampleur des faits. Des vies innocentes, qui n'ont pas levé le petit doigt furent éliminées, détruites, humiliées, persécutées par leurs compatriotes sans scrupules. La cohérence idéologique a prévalu sur le principe d'humanité. Il n'y a pas eu de remords, ni de regrets quant à la reconnaissance par l'Etat mauritanien du caractère barbare et inhumain du régime qui a accompli cette ignoble tâche perçue plutôt comme un service rendu à la cause de l'arabité de la Mauritanie. Des fonctionnaires furent même décorés pour services rendus à la nation, entendez par l'excès de zèle dont ils ont fait preuve durant les années de répression, de torture, de massacres et de déportations.
III- De Sidi Ould Cheikh Abdellah à Mohamed Ould Abdel Aziz
L'avènement de Sidi Ould Cheick Abdellah en 2007, avait suscité des espoirs quant à la reprise en charge politique de la dimension de ce crime contre l'humanité avec une timide reconnaissance de la réalité qui a fait l'objet de dénégation durant le règne de Taya et de Ely à sa suite, sanguinaire Directeur de la Sûreté sous le régime cynique de ce même Ould Taya. Sidi, à peine a t-il commencé l'opération de rapatriement des déportés qu'un coup d'Etat militaire a été organisé par l'actuel Président qui s'est débrouillé avec la communauté internationale pour gagner le statut de Président démocratiquement élu.
Cette élection avait remis au goût du jour l'espoir des mauritaniens habitués à nourrir des illusions à la place de l'espoir, tant mieux, comme disait Nietzsche, « la vie a besoin d'illusions ».
Ould Adel Aziz comme Ould Sidi ont tenté chacun dans son style de tenir le discours de la pitié, exaltant la fibre de la résignation et du fatalisme des populations africaines de Mauritanie pour présenter des excuses en leur demandant de pardonner. Des pressions, pour ne pas dire des harcèlements furent exercés sur les fonctionnaires, cadres, notables africains noirs pour qu'après les indemnisations et le retour de quelques déportés, le pardon soit prononcé, voire la plainte retirée.
Il est étonnant de constater comment les victimes sont culpabilisées dès lors qu'elles n'adhèrent pas à l'injonction pour un pardon imposé, une réconciliation manipulée et des retrouvailles sans la paix des coeurs et des esprits comme si nous vivions dans un monde où la notion de règle de droit ne devrait pas concerner les victimes africaines de Mauritanie. Il y aurait ainsi une humanité qui jouirait de la qualité essentielle d'être humain et qui bénéficierait du respect de la vie et de la considération de la dignité humaine et l'autre partie qui ne serait pas à considérer comme étant digne d'humanité.
D'où l'importance pour nous de la mobilisation pour que ce crime contre l'humanité puisse faire son chemin auprès des tribunaux belges dans le but de faire aboutir, à travers la plainte l'organisation du procès contre l'ancien dictateur, premier et principal responsable du crime de génocide perpétré contre la communauté africaine de Mauritanie. Dans l'état actuel des choses, ce sont les instances de justice de l'Europe, particulièrement de la Belgique au nom de la compétence universelle qui nous donnent l'espoir de mener jusqu'au bout la poursuite de notre plainte contre l'ancien dictateur mauritanien.
En Mauritanie, il est indéniable que l'humanité des africains mauritaniens, Peuls, Soninkés et Wolofs a été systématiquement niée par un système raciste dont l'ambition d'annuler et d'effacer leur présence humaine physique et vivante a été mise en exécution. Le crime contre l'humanité au nom du racisme, de l'intolérance, de la haine et du rejet a été opéré avec une légitimation idéologique en mobilisant toutes les institutions et les ressources de l'Etat. Le service public et les corps chargés de la préservation de l'intérêt de tous et garants de la sécurité de tous les citoyens furent utilisés au service de l'extermination d'une partie constitutive du pays. Citoyens niés, méprisés, exclus de leur appartenance à la communauté citoyenne, à leur propre pays, les africains de Mauritanie furent déportés vers des pays voisins au motif de la ressemblance de la couleur de peau, de la langue et de la culture, les désignant ainsi comme Sénégalais pour entériner la négation de leur citoyenneté mauritanienne. Ne pas reconnaître ces faits et ces pratiques comme relevant du crime de génocide et comme tel crime contre l'humanité, s'est manifestement faire preuve de négationnisme. Sans entrer dans l'évocation du délit de non-assistance de personnes en danger puni par la loi dans les pays où règne l'Etat de droit, le négationnisme devrait un jour être criminalisé dans notre pays.
Pour le moment, nous ne pensons pas que les juridictions nationales, sous-régionales et africaines soient en capacité de répondre à notre exigence de justice pour que l'humanité des Africains mauritaniens soit rétablie. Tel est le sens que nous donnons et toute l'importance que nous accordons à l'organisation d'un procès contre le dictateur mauritanien ould Taya.
En Mauritanie, les victimes des années de Terreur ont le sentiment que le drame qu'elles ont vécu n'a rien à voir avec les tragédies des autres peuples qui ont été soumis à des destins similaires. Il ne s'agit pas de procéder au comparatif des malheurs des peuples, mais de reconnaître une bonne fois pour toutes qu'une seule vie exterminée au nom de la négation de la différence qu'elle qu'en soit la motivation, c'est l'humanité entière qui est atteinte dans son essence même.
C'est en ce sens que la compétence universelle est une conquête qu'il faut saluer dans le processus de la défense des humains et de l'obligation des Etats ou des dirigeants à faire attention à l'usage aveugle de la puissance de l'arbitraire et des pratiques criminelles et de négation de la dignité humaine. L'ère de l'impunité doit être révolue afin que règne universellement la règle de droit, garante du respect de la vie et de la reconnaissance de la dignité humaine pour tous les humains en tant qu'ils sont humains et non ceci ou cela. La communauté d'appartenance à une même humanité ne peut faire l'objet de spécification ou de particularisation. Partant toute vie piétinée, exterminée concerne l'humanité entière, y compris le bourreau.
Certes, des réticences existent et persistent, mais le processus fait son chemin pour ouvrir une nouvelle ère dans la prise en charge des crimes imprescriptibles auxquels ne doivent plus s'accommoder les humains autant qu'ils se représentent et assument leur humanité. Ce sens de l'humain et de l'humanité n'a pas été au rendez-vous dans le vécu des populations africaines, noires et mauritaniennes. Contre la logique de l'arbitraire d'une politique de la négation de la vie au motif que l'autre, en l'occurrence, le noir africain mauritanien n'a pas le droit de vivre dans son propre pays, la terre de ses ancêtres, ni simplement le droit à la vie, nous devons nous mobiliser constamment afin que la communauté internationale et les organisations de défenses des droits humains sachent ce qui s'est réellement passé dans notre pays.
Le point culminant de cette politique dans son effectuation n'a pas fait l'économie du soubassement idéologique raciste dans ses multiples déclinaisons. Une entreprise génocidaire a bien été exécutée en Mauritanie contre les populations africaines mauritaniennes du fait de la différence de couleur de peau, de l'identité culturelle pour être en adéquation avec l'impératif de cohésion idéologique dont la caractéristique fondamentale est l'épuration de la composante africaine noire.
La transcription des témoignages du vécu des victimes, civiles et militaires est en attente, voire différée par le ressenti fortement émotionnel et traumatique produit par la violence et la cruauté des pratiques de torture, de mise à mort. Le récit des souffrances est insoutenable au point que le doute persiste et la pudeur continue à voiler des souffrances psychologiques caractérisées par l'humiliation, une méchanceté absurde et cruelle. La Mauritanie sous la gouvernance de Ould Abdoul Aziz n'a pas encore pris la décision politique de la prise en charge du crime contre l'humanité perpétré au nom d'une volonté politique raciste dont le seul credo est de donner la mort aux populations noires africaines. Ould Taya est encore présent dans la réalité vivante du système et dans sa continuation politique, à travers la gouvernance actuelle de Ould Abdoul Aziz.
L'enjeu politique des dirigeants actuels est d'exercer des pressions sur les victimes pour les contraindre à renoncer à l'exigence de justice et au combat pour l'avènement d'une Mauritanie qui renoue avec les valeurs fondamentales de la dignité humaine. Il ne s'agit pas de faire de la démagogie en évoquant le socle de la religion qui a été bafoué durant les années de Terreur, d'extermination où l'africain noir mauritanien fut ciblé comme un être dépouillé de son humanité et réduit à une proie à éliminer et à exterminer.
Contre l'impunité, le crime contre l'humanité, l'exigence absolue et radicale de justice. Le premier acte dans ce sens est la mobilisation pour l'organisation du procès contre Ould Taya maître d'oeuvre devant une juridiction compétente pour que l'ancien dictateur réponde devant les crimes perpétrés contre l'humanité. Il n'est pas concevable que des crimes de mort et de négation de l'humanité de l'autre soit réduits à une simple question de pardon comme si la règle de droit pouvait être une affaire traitée entre des fonctionnaires issus du système dirigé par les bourreaux et des membres de la communauté victime.
Il ne revient pas aux survivants de négocier à l'amiable, ce qui relève de l'exigence humaine et universelle de l'application de la règle droit. A travers la plainte déposée contre le dictateur raciste Ould Taya devant les tribunaux belges en référence à la compétence universelle, nous exprimons notre espoir de voir un jour surgir une ère nouvelle où l'impunité ne sera pas tolérée dans un monde qui se veut civilisé et porteur des valeurs de justice, de respect du droit des personnes à vivre dignes et libres dans leur propre pays.
Le devoir de mémoire et de respect pour nos morts qui n'ont pas encore bénéficié d'une sépulture respectant la dignité humaine, la bienveillance pour les victimes, la considération pour toute la composante africaine encore humiliée nous impose et nous oblige à résister jusqu'au jour où la Mauritanie officielle acceptera de prendre son courage en main, par la reconnaissance qu'elle a perpétré un génocide contre ses propres citoyens africains noirs.
Il n'y a pas de demi-mesure, la reconnaissance de ce crime exige que justice soit rendue, seule condition pour l'avènement d'une société mauritanienne réconciliée avec elle-même. La Mauritanie officielle ne pourra retrouver sa place dans le concert des nations garantes de la dignité humaine que par la résolution juste et équitable du crime de génocide et de crime contre l'humanité commis contre la communauté africaine noire. Autrement, le déni officiel de ce crime la maintiendra dans la liste des pays qui doivent être bannis par les nations civilisées du monde. Au lieu d'imposer ou de forcer le pardon, les dirigeants actuels feraient mieux de coopérer à l'exigence de justice afin de tourner dignement et humainement cette période sombre et barbare de notre histoire.
Bruxelles le 31 juillet 2010
SY Hamdou Rabby
Conseiller de l'AVOMM
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