Ils sont tous les deux arrivés au Sénégal, il y a 23 ans, rapatriés de Mauritanie à la suite des évènements qui ont éclaté entre le Sénégal et ce pays voisin en avril 1989. L’une s’active dans l’agriculture et la teinture, l’autre est infirmier chef de poste. Mariame Mamadou Ba et Doudou Ba sont deux réfugiés mauritaniens qui ont refait leur vie au Sénégal, mais leur avenir ne semble guère converger. Portrait croisé.
MARIAME MAMADOU BA, PRESIDENTE DU GROUPEMENT DES FEMMES DE DODEL : «J’ai des appréhensions sur le retour»
«Quand je débarquais au Sénégal en 1989, explique Mariame Mamadou Ba, je n’avais qu’un seul boubou comme patrimoine». De corpulence moyenne, la dame qui tient ces propos respire l’assurance et l’aisance dans la parole. Mariame Mamadou Ba est belle, de teint clair, la lèvre inférieure finement tatouée. Jouissant d’une forte popularité dans la zone, elle est tout le temps interpellée par les autres femmes du sérail. Arrivée au Sénégal à l’âge de 23 ans, elle semble épanouie et se complait dans le rôle que lui font jouer les évènements. En son for intérieur, elle reconnaît qu’à son arrivée, il y a … 23 ans, rien de précis ne pointait à l’horizon comme perspective. «C’est ainsi que j’ai consacré mon temps à l’apprentissage de l’alphabétisation fonctionnelle et du pulaar». Aujourd’hui, mariée et mère de deux enfants, Mariame Mamadou Ba est la présidente du groupement des femmes réfugiées de Dodel (Département de Podor). Son groupement s’active dans le maraîchage grâce à l’expérience acquise en exploitant les jardins tropicaux améliorés (Jta), accompagnés d’un système d’irrigation : le goutte-à-goutte. Les différentes spéculations sont l’aubergine, le poivron, le gombo, la tomate, le melon, la citrouille. Les recettes de la vente de leurs récoltes servent à financer des activités telles que le commerce, la teinture et autres pour multiplier leurs revenus. Toutefois, ces femmes ne sont pas totalement comblées. Elles requièrent davantage de soutien de la part de l’Etat et du Haut commissariat pour les réfugiés (Hcr) pour un parfait épanouissement dans le travail.
Très active dans la zone, Mariame Mamadou Ba se dit profondément émue et touchée par l’accueil que les autochtones leur ont réservé en 1989, au moment où ils avaient tout perdu et que la situation était pratiquement sans issue. «Notre intégration à Dodel s’est faite sans difficulté. Les populations nous ont accueillis les bras grand ouverts et nous ont donné des terres à usage d’habitation, mais aussi pour la culture. Ils nous ont traités comme leurs frères, leurs sœurs. Ils ont partagé tout ce qu’ils avaient avec nous. Le Sénégal n’est pas notre pays, mais nous y sommes traités mieux que nous l’aurions été chez nous». Mariame Mamadou Ba est l’une de ces nombreuses personnes qui ont choisi de mener le reste de leur existence au Sénégal. Contrairement à nombre de ses compatriotes qui sont rentrés au bercail. «Nous étions en nombre beaucoup plus important au départ, mais certains ont préféré retourner en Mauritanie. C’est leur choix». Cependant, les nouvelles qu’elle reçoit fréquemment de ses parents retournés en Mauritanie ne l’encouragent guère à prendre le chemin du retour. «Nous avons choisi de rester parce que les échos que nous avons de nos compatriotes qui sont partis ne sont pas rassurants». D’après ses sources, dit-elle, ceux qui sont retournés volontairement en Mauritanie n’ont eu que des déceptions. «Ils habitent toujours sous des tentes et ne mangent pas à leur faim. Leurs enfants ne vont plus à l’école, faute de moyens». Suffisant pour qu’elle décide de rester au Sénégal «où l’on nous a montrés que nous étions vraiment chez nous et quand on vit dans la paix, on n’a pas besoin de partir». Elle ajoute : «C’est bon de rentrer chez soi après plus de deux décennies d’exil, mais il faut que certains préalables soient remplis.»
DOUDOU BA, INFIRMIER CHEF DE POSTE DE DAROU SALAM (DAGANA) : «Mon souhait est de rentrer chez moi, à Atar»
Il s’active dans son travail avec dextérité. Ses 37 années d’exercice révolues y sont, sans doute, pour quelque chose. Trouvé à Dagana, au poste de santé de Darou Salam où il est l’infirmier en chef, Doudou Ba consulte minutieusement son patient, âgé d’une cinquantaine d’années. Il nous rappelle qu’il fut, pendant quatorze ans, le gestionnaire de l’hôpital d’Atar, localité située à 400 kilomètres de Nouakchott (capitale de la Mauritanie). Rapatrié au Sénégal, il s’est retrouvé à Darou Salam, dans le département de Dagana où ses collègues du monde médical et paramédical et lui, s’étaient retrouvés pour créer des cases de santé dans chaque site d’accueil, en partenariat avec les Ong Médecins du monde et Médecins sans frontière. Cette initiative permettait de prendre en charge la forte colonie des rapatriés dont l’état physiologique avait fortement besoin (blessures, traumatismes, etc.). Les infirmiers étaient alors payés par le Hcr et avaient un salaire forfaitaire de 25 000 francs. Devant son bureau, de nombreux patients font le pied de grue, attendant leur tour pour entrer en consultation. La file s’allonge au fur et à mesure que les minutes s’égrènent. Doudou Ba, de teint noir et élancé, en est à sa seizième année d’exercice dans cette case de santé.
Ce chef de poste dont les patients reconnaissent et saluent le travail, envisage cependant de les quitter. Son plus grand souhait, c’est de rentrer au bercail. «Mais je n’en ai toujours pas encore la possibilité». Le refus des autorités mauritaniennes, tout au début de l’opération de rapatriement, de le ramener, dit-il, dans sa région d’origine, le confine (ou le bloque) toujours dans cette localité où il vit avec trois de ses sept enfants. Le gouvernement de la Mauritanie exigeait que tous les réfugiés fussent confinés dans la vallée du fleuve, explique-t-il. «Et moi je ne connais rien là-bas». Son refus de s’y installer est dicté par sa méconnaissance de la zone. «Je n’ai jamais eu à vivre là-bas. S’il faut encore refaire une autre vie à Rosso, ça va être compliqué. Si, au moins, on nous rapatriait à Nouakchott que je connais très bien, il n’y aurait pas de problème.
Mais, l’Etat mauritanien ne veut pas ramener les fonctionnaires». «J’ai mes droits en Mauritanie que je connais mieux et plus de relations là-bas». Doudou Ba n’a en tête que «sa» Mauritanie natale, quitte à se trouver une destination autre que celle de deux de ses enfants qui sont retournés au pays. Doudou Ba dirige cette case depuis 1996. A cette époque-là, elle était une hutte. Cette case est passée en banco en 1998, avant que le Hcr ne la reconstruise en béton en 2009. Doudou Ba a fait ses études à Kaédi. A la fin de son cycle secondaire, il intègre l’école des infirmiers et sages femmes d’Etat de Nouakchott. Son diplôme d’infirmier obtenu dans cet institut lui a valu une parfaite intégration au Sénégal. «Lorsqu’on est venu, on avait nos papiers qui authentifiaient notre statut d’agent de santé. Les autorités sanitaires ont également effectué des tests pour déceler les agents de santé. Ainsi, tous les infirmiers mauritaniens ont des postes de santé», a souligné ce père de famille dont les deux autres enfants évoluent à Dakar, dans la capitale sénégalaise.
Aïda Coumba DIOP
Source: walfgroupe
MARIAME MAMADOU BA, PRESIDENTE DU GROUPEMENT DES FEMMES DE DODEL : «J’ai des appréhensions sur le retour»
«Quand je débarquais au Sénégal en 1989, explique Mariame Mamadou Ba, je n’avais qu’un seul boubou comme patrimoine». De corpulence moyenne, la dame qui tient ces propos respire l’assurance et l’aisance dans la parole. Mariame Mamadou Ba est belle, de teint clair, la lèvre inférieure finement tatouée. Jouissant d’une forte popularité dans la zone, elle est tout le temps interpellée par les autres femmes du sérail. Arrivée au Sénégal à l’âge de 23 ans, elle semble épanouie et se complait dans le rôle que lui font jouer les évènements. En son for intérieur, elle reconnaît qu’à son arrivée, il y a … 23 ans, rien de précis ne pointait à l’horizon comme perspective. «C’est ainsi que j’ai consacré mon temps à l’apprentissage de l’alphabétisation fonctionnelle et du pulaar». Aujourd’hui, mariée et mère de deux enfants, Mariame Mamadou Ba est la présidente du groupement des femmes réfugiées de Dodel (Département de Podor). Son groupement s’active dans le maraîchage grâce à l’expérience acquise en exploitant les jardins tropicaux améliorés (Jta), accompagnés d’un système d’irrigation : le goutte-à-goutte. Les différentes spéculations sont l’aubergine, le poivron, le gombo, la tomate, le melon, la citrouille. Les recettes de la vente de leurs récoltes servent à financer des activités telles que le commerce, la teinture et autres pour multiplier leurs revenus. Toutefois, ces femmes ne sont pas totalement comblées. Elles requièrent davantage de soutien de la part de l’Etat et du Haut commissariat pour les réfugiés (Hcr) pour un parfait épanouissement dans le travail.
Très active dans la zone, Mariame Mamadou Ba se dit profondément émue et touchée par l’accueil que les autochtones leur ont réservé en 1989, au moment où ils avaient tout perdu et que la situation était pratiquement sans issue. «Notre intégration à Dodel s’est faite sans difficulté. Les populations nous ont accueillis les bras grand ouverts et nous ont donné des terres à usage d’habitation, mais aussi pour la culture. Ils nous ont traités comme leurs frères, leurs sœurs. Ils ont partagé tout ce qu’ils avaient avec nous. Le Sénégal n’est pas notre pays, mais nous y sommes traités mieux que nous l’aurions été chez nous». Mariame Mamadou Ba est l’une de ces nombreuses personnes qui ont choisi de mener le reste de leur existence au Sénégal. Contrairement à nombre de ses compatriotes qui sont rentrés au bercail. «Nous étions en nombre beaucoup plus important au départ, mais certains ont préféré retourner en Mauritanie. C’est leur choix». Cependant, les nouvelles qu’elle reçoit fréquemment de ses parents retournés en Mauritanie ne l’encouragent guère à prendre le chemin du retour. «Nous avons choisi de rester parce que les échos que nous avons de nos compatriotes qui sont partis ne sont pas rassurants». D’après ses sources, dit-elle, ceux qui sont retournés volontairement en Mauritanie n’ont eu que des déceptions. «Ils habitent toujours sous des tentes et ne mangent pas à leur faim. Leurs enfants ne vont plus à l’école, faute de moyens». Suffisant pour qu’elle décide de rester au Sénégal «où l’on nous a montrés que nous étions vraiment chez nous et quand on vit dans la paix, on n’a pas besoin de partir». Elle ajoute : «C’est bon de rentrer chez soi après plus de deux décennies d’exil, mais il faut que certains préalables soient remplis.»
DOUDOU BA, INFIRMIER CHEF DE POSTE DE DAROU SALAM (DAGANA) : «Mon souhait est de rentrer chez moi, à Atar»
Il s’active dans son travail avec dextérité. Ses 37 années d’exercice révolues y sont, sans doute, pour quelque chose. Trouvé à Dagana, au poste de santé de Darou Salam où il est l’infirmier en chef, Doudou Ba consulte minutieusement son patient, âgé d’une cinquantaine d’années. Il nous rappelle qu’il fut, pendant quatorze ans, le gestionnaire de l’hôpital d’Atar, localité située à 400 kilomètres de Nouakchott (capitale de la Mauritanie). Rapatrié au Sénégal, il s’est retrouvé à Darou Salam, dans le département de Dagana où ses collègues du monde médical et paramédical et lui, s’étaient retrouvés pour créer des cases de santé dans chaque site d’accueil, en partenariat avec les Ong Médecins du monde et Médecins sans frontière. Cette initiative permettait de prendre en charge la forte colonie des rapatriés dont l’état physiologique avait fortement besoin (blessures, traumatismes, etc.). Les infirmiers étaient alors payés par le Hcr et avaient un salaire forfaitaire de 25 000 francs. Devant son bureau, de nombreux patients font le pied de grue, attendant leur tour pour entrer en consultation. La file s’allonge au fur et à mesure que les minutes s’égrènent. Doudou Ba, de teint noir et élancé, en est à sa seizième année d’exercice dans cette case de santé.
Ce chef de poste dont les patients reconnaissent et saluent le travail, envisage cependant de les quitter. Son plus grand souhait, c’est de rentrer au bercail. «Mais je n’en ai toujours pas encore la possibilité». Le refus des autorités mauritaniennes, tout au début de l’opération de rapatriement, de le ramener, dit-il, dans sa région d’origine, le confine (ou le bloque) toujours dans cette localité où il vit avec trois de ses sept enfants. Le gouvernement de la Mauritanie exigeait que tous les réfugiés fussent confinés dans la vallée du fleuve, explique-t-il. «Et moi je ne connais rien là-bas». Son refus de s’y installer est dicté par sa méconnaissance de la zone. «Je n’ai jamais eu à vivre là-bas. S’il faut encore refaire une autre vie à Rosso, ça va être compliqué. Si, au moins, on nous rapatriait à Nouakchott que je connais très bien, il n’y aurait pas de problème.
Mais, l’Etat mauritanien ne veut pas ramener les fonctionnaires». «J’ai mes droits en Mauritanie que je connais mieux et plus de relations là-bas». Doudou Ba n’a en tête que «sa» Mauritanie natale, quitte à se trouver une destination autre que celle de deux de ses enfants qui sont retournés au pays. Doudou Ba dirige cette case depuis 1996. A cette époque-là, elle était une hutte. Cette case est passée en banco en 1998, avant que le Hcr ne la reconstruise en béton en 2009. Doudou Ba a fait ses études à Kaédi. A la fin de son cycle secondaire, il intègre l’école des infirmiers et sages femmes d’Etat de Nouakchott. Son diplôme d’infirmier obtenu dans cet institut lui a valu une parfaite intégration au Sénégal. «Lorsqu’on est venu, on avait nos papiers qui authentifiaient notre statut d’agent de santé. Les autorités sanitaires ont également effectué des tests pour déceler les agents de santé. Ainsi, tous les infirmiers mauritaniens ont des postes de santé», a souligné ce père de famille dont les deux autres enfants évoluent à Dakar, dans la capitale sénégalaise.
Aïda Coumba DIOP
Source: walfgroupe