Résurrection, projection, réactualisation de sens ou ruse infinie. ? Passer de l’ordinaire à l’exception ; de l’ostracisme au dialogue le plus ouvert augurerait alors une « nouvelle république ». L’on se met ainsi à rêver que le motif relaie et supplée le mobile, se substitue à ce qui fait corps avec l’intérêt, s’oppose au tréfonds de l’être tribal, clanique et racial. Entre l’offre de l’ultime, d’une durée qui préserve, d’une construction qui protège, de l’œuvre qui apaise, et le vécu, le jugement se décide en partie dans l’observation pratique. Perplexité de la ménagère, doute exclamatif du citoyen honnête, acclamation forcée du laudateur, voire l’hostilité directe de l’opposant sont là quelques-uns des profils qui entourent l’inclusif dialogue.
Mais l’humble, l’homme au regard silencieux, a appris, dans sa longue expérience de multiples privations, à mesurer, à scruter au rythme de ses souffrances. Il a toujours vu le même horizon sombre, la massification de la pauvreté, le recul de l’éthique. A quoi bon, s’il doit mener la même vie, se demande-t-il en héros nietzschéen. « Cette vie, telle que tu la vis maintenant et que tu l’as vécue, tu devras la vivre encore une fois et d’innombrables fois ». Acharnement de l’ordre qui provoque la résurgence des dérives dans la mémoire. La vie de banni et de soumis revient à l’esprit de milliers de personnes. Survivre, au lieu d’être, manifeste ainsi la dépossession de soi, l’accablement devant tant de misères traversées. L’Etat, par ceux qui le représentent, s’est fait plutôt contre la société, les citoyens les plus modestes à qui on donne l’illusion du choix par le vote mais qui ne décident pas véritablement de leur destinée. Monde de forces explosives qui ne sont contenues que par l’émiettement : ethnicisation de l’habitat, maintien des solidarités mécaniques, au lieu d’une rationalité institutionnelle cultivant une communauté de vie, la modernité où réalisation de soi, indépendance d’esprit, respect des diversités culturelles concourent à redéfinir l’Etat moderne comme source de libertés. Les difficiles compromis depuis l’indépendance, l’instabilité politique due à l’armée ont compliqué toute forme de dialogue.
L’entorse grave, celle d’un coup de force contre le seul pouvoir civil élu démocratiquement, celui de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, nous replonge dans le souvenir d’une réalité amère : l’intrusion de l’armée dans le jeu politique. C’est ainsi que dans une constellation contradictoire de réseaux et de niveaux de pouvoirs, l’Etat ne fut porteur d’idéal républicain dans la durée. Lieu de résurgence des tensions, l’Etat, acteur d’une réversibilité des drames, porte le mouvement de déficit de progrès humain. Etat désincarné dans un cycle de rupture du vivre-ensemble, où les valeurs de justice, d’égalité, ne sont pas à destination des plus démunis. Volonté réelle ou humeur passagère ? L’interrogation ne peut être écartée quant à la sincérité d’une démarche au moment où les formes d’exclusion, la répression des idées, avec l’emprisonnement des militants de l’IRA, sont encore une pratique consacrée. Restriction des droits et de l’expression d’un côté, libération de la parole raciste de l’autre dans une véhémence haineuse nous confirment la variabilité des règles selon les destinataires. Comment croire alors en l’Etat quand celui-ci est adepte du deux poids, deux mesures, se soustrait à une lecture juste et identique de la loi faite pour tous ? Ailleurs, dans les grandes démocraties (nous en sommes très loin) la parole présidentielle édifie, éduque, oriente, rassemble autour de valeurs. Elle amplifie une éthique d’humanité et de responsabilité morale à chaque fois que des citoyens sont attaqués parce qu’ils sont juifs, noirs ou d’origine magrébine, etc. Cela débouche sur des rituels républicains, des banquets de tolérance où les plus grandes autorités religieuses, prêtres, imams, rabbins s’expriment et condamnent les actes racistes et d’intolérance.
En Mauritanie, aucune autorité morale ne s’est détachée contre la férocité de milices armées sur les habitants de Niabina. Or c’est justement dans ces situations que le verbe est premier, le silence coupable. Triste grandeur d’un Etat, d’un gouvernement, qui abandonnent ses citoyens parce que noirs, qui encouragent le non-droit et sa douloureuse expression. Etat partisan qui délègue sa propre violence, qui faillit à ses devoirs de protection et de justice. C’est ainsi que le sentiment d’impunité s’affranchit de toute limite dans une parole testamentaire de haine contre les Négro-Mauritaniens.
Là où Amadou Hampaté BÂ, dans l’inspiration d’une sagesse, choisit le récit comme interprétation ouverte pour valoriser les traits d’union entre les nations et les hommes, tel personnage politique mauritanien s’exprime à découvert dans un racisme primaire. Paul Ricœur notait que « le drame de l’histoire » est que « les mêmes haines » sont au recommencement, les mêmes couvées meurtrières encore à l’œuvre.
Mais moment salutaire, dans notre histoire commune, que celui d’un contrecoup de cette régression, qu’est cet instant d’élévation de l’âme qu’ont incarné les Hadrami Ould Khatry, le Colonel Ould Cheikh Sidya. Le premier s’aligna sur le forum démocratique contre la gerçure du règne de Taya pour dénoncer les crimes et les massacres dès que ceux-ci furent connus ; quant au second, nommé ministre de l’intérieur pour succéder à Djibril Ould Abdallah, il démissionna immédiatement répugnant à se mettre au service d’une politique de gangrène morale. Espoir renaissant parce que des justes existent encore dans les médias, les associations, certains partis. En remontant l’histoire, nos héros s’appellent Cheikh souleymane BALL amenant la Révolution Torrodo en 1776, plus avant Nasr-ALDIN, ceux qui, au nom de l’idée d’humanité, ont refusé le commerce triangulaire et défendu le principe de la OUMMA, la fraternité musulmane. Ainsi c’est dans la conscience de postures amples du registre du dialogue des cultures que se pense la cohésion républicaine sous une unité institutionnelle, dans un cadre à la fois pluriculturel et multi partisan. C’est là où la politique se présente comme un choix d’idées, de société qui assure la paix, comme élaboration, emblème pacifique des actions humaines.
Or l’ethnie n’est pas une entrée progressiste. Introduire le thème de l’ethnie c’est régresser d’un débat, c’est faire de la politique non pas un substrat contractuel des libertés mais une inquisition psychologique, le diktat du groupe sur l’individu, l’inféodation à la toute-puissance communautaire qui est synonyme de fin d’esprit critique. La dimension ethnique suppose une fusion totale, une hiérarchie quasi héréditaire des fonctions et des places, où aucune règle démocratique ne saurait prévaloir. Au regard même de l’histoire la plus récente, les questions tournant autour de l’ethnie ont été des prétextes d’affrontements sanglants et aveugles entre groupes qui parlent la même langue, ont la même religion. La fureur du nettoyage ethnique où 28 soldats furent sacrifiés à la date anniversaire de notre indépendance, le 28 novembre 1990, l’exemple tragique du Rwanda, où rivières et fleuves ont écumé du sang et de cadavres de rwandais tués par d’autres rwandais, doivent dissuader de toute utilisation politique de l’ethnie.
Notre passé de victimes, notre actualité malheureuse nous ne le rappellent sans cesse. Instance d’une force extérieure qui nous contraint à penser de la même façon, l’ethnie est l’espace où les hommes ne séparent pas l’affirmation de leur identité de leur haine envers les autres. Se référer à l’ethnie c’est se hasarder de voir se multiplier haine et violence envers l’étranger, l’homme ou la femme qui ne parle pas la même langue que nous, n’a pas la même couleur de peau ou religion. La revendication légitime de l’égalité des droits culturels doit contribuer à la définition d’une culture politique commune où les droits des différentes nationalités sont respectés. Idéal législatif où l’autre n’est pas rendu uniforme, soumis à la domination d’une seule culture nationale. L’Etat multinational, par la démocratie, doit garantir l’existence d’une société multiculturelle. C’est en ce sens que Habermas reconnaît : « Dans les sociétés multiculturelles, une politique de la reconnaissance devient nécessaire parce que l’identité du citoyen est liée à des identités collectives et doit se stabiliser à l’intérieur d’un réseau de relations de reconnaissance réciproque ». Ainsi la symétrie des droits individuels et collectifs liés à l’expression de la citoyenneté dans une consonance démocratique ne peut que protéger l’identité personnelle intégrée dans une culture déterminée au sein d’une harmonie plurielle. Le disciple et l’élève que je suis veut rappeler ici, dans une révérence intellectuelle à Feu Saïdou Kane, que l’autonomie aidera à asseoir les droits socio-culturels des nationalités opprimées.
La nécessaire clarification du débat pour expliquer où nous nous engageons et vers où nous voulons aller ensemble ne peut contenir une connotation ethnique. C’est en ce sens que le dialogue peut trouver sa raison d’être ne serait-ce que dans une mise au point des divergences. C’est dans la conscience des conflits, de ce qui sépare, dans la réponse qui leur est donnée, que se trouvent les conditions possibles d’un dialogue. Cependant le soupçon peut être assez fort quant à sa pertinence dès lors que c’est une fin de dernier mandat qui semble dicter l’agenda. L’offre eut été sublime dans l’ampleur de la victoire électorale, le geste magnanime par l’invite d’une collaboration. La suite est connue : refus de s’ouvrir et de composer avec l’opposition, rejet du principe d’un gouvernement d’union nationale, tempo unilatéral de toute élection.
Quel contenu définir, la marge de changement escompter dans une offre minime sous le vocable de dialogue ? Vertu de la parole qui rapproche, de l’esprit nouveau qui surplombe les divergences. Ainsi la puissance des synergies réciproques envelopperait d’un nuage les difficultés récurrentes au lieu de les affronter. Comme si la transcendance des maux trouvait son terme dans la neutralisation des échecs, ceux du pouvoir et de l’opposition.
Echec d’un pouvoir qui n’a pas su assurer le développement du pays, l’existence de la sécurité économique pour le plus grand nombre, enrayer sa misère endémique, en dépit des ressources naturelles disponibles : fer, pétrole, richesse halieutique. Ce fut plus une gouvernance de la dilapidation et de la marginalisation de la majorité des citoyens avec de nouvelles formes d’exclusion par la voie du recensement. L’appauvrissement généralisé se constate aux abords de la capitale engloutie par les bidonvilles. Les défis de disparités et des écarts n’ont pas l’attention soutenue, un discours à la hauteur de leur intensité. La société n’est pas plus apaisée qu’auparavant et les questions sur sa pacification sont entières. Il est vrai que ce fut un acte symbolique important qu’il faut saluer en tant que tel quand le président Ould Abdel Aziz en reconnaissance des crimes d’Etat, demanda pardon aux familles des victimes par une prière à Kaëdi. Mais la suite de l’exercice du pouvoir ne rassura pas pour autant. Les répressions sur les manifestants expatriés, la confiscation des terres dans la vallée, l’étouffement de la liberté d’expression par l’incarcération, le dogme toujours renouvelé de l’exclusion politique, économique, culturelle de nos nationalités Peulh, Soninké et Wolof sont des signes qui tendent à prouver le durcissement du régime et sa volonté de se maintenir. Si le pouvoir se montre dans sa nature inégalitaire cela ne doit pas cacher aussi le déficit stratégique évident de l’opposition.
Le rôle d’une opposition est de préparer l’alternance même si le dialogue est possible sur les grandes questions, menace sur la souveraineté nationale, lutte contre le terrorisme, débat sur les formes d’Etat (fédération, gestion du pouvoir entre les différentes composantes nationales, etc.), solidarité dans les grandes catastrophes. C’est à se demander quels stratèges la conduisent quand une partie boycotte les élections législatives et municipales alors qu’elle a la possibilité de gagner d’importantes villes, ne serait que la première d’entre elles, Nouakchott, d’avoir des députés. Toute élection, même fausse, est un tremplin pédagogique pour l’idéal de société. Elle permet de mesurer les idées, de les confronter au réel, à l’assentiment populaire, de passer du concept à sa réalité pratique. Le drame de l’opposition est de ne pas être parvenu à se doter d’un projet politique autonome, visible.
Elle n’est pas aidée par la structure mentale du pays. Se défaire des loyautés de village, de famille, de dynastie et de tribu, pour un idéal qui nous excède comme individu n’est pas encore totalement un principe acquis de liberté individuelle. En effet ces phénomènes sociétaux détournent les convictions et font qu’âmes et corps sont emportés, en partie, dans le mouvement du pouvoir, en dépit ou à cause d’un racisme d’Etat très présent. Se pose vraiment la question de la mobilisation des masses. C’est pourquoi la puissance affirmative de l’idée, du projet d’alternance impliquent ce que Gramsci désigne dans ses Cahiers de prison par le terme « L’hégémonie ». Il ne s’agit pas d’une hégémonie comme domination ou exploitation mais d’une hégémonie d’un type particulier en ce qu’elle comporte une dimension culturelle, celle d’inclure en appui par des idées le consentement des masses asservies. En Mauritanie cette hégémonie peut se construire à partir d’une élite progressiste qui prend en charge les questions nationale et sociale. Fonder ainsi une alternance c’est constituer une force dans la masse, dans le mouvement social naissant avec la grève des travailleurs de la SNIM. C’est ramener au centre les opprimés, Harratines, forgerons dont Ould Mkhteir paye quelque part la stigmatisation malgré ses regrets exprimés pour une pensée qui semble écrite au fil de la plume, les nationalités opprimées, le grand nombre des sans-voix, les silencieux de l’ombre toujours écrasés par la mainmise étatique d’un groupe, défendre la manifestation égale de nos cultures dans l’espace public.
Source: BA Kassoum Sidiki
Mais l’humble, l’homme au regard silencieux, a appris, dans sa longue expérience de multiples privations, à mesurer, à scruter au rythme de ses souffrances. Il a toujours vu le même horizon sombre, la massification de la pauvreté, le recul de l’éthique. A quoi bon, s’il doit mener la même vie, se demande-t-il en héros nietzschéen. « Cette vie, telle que tu la vis maintenant et que tu l’as vécue, tu devras la vivre encore une fois et d’innombrables fois ». Acharnement de l’ordre qui provoque la résurgence des dérives dans la mémoire. La vie de banni et de soumis revient à l’esprit de milliers de personnes. Survivre, au lieu d’être, manifeste ainsi la dépossession de soi, l’accablement devant tant de misères traversées. L’Etat, par ceux qui le représentent, s’est fait plutôt contre la société, les citoyens les plus modestes à qui on donne l’illusion du choix par le vote mais qui ne décident pas véritablement de leur destinée. Monde de forces explosives qui ne sont contenues que par l’émiettement : ethnicisation de l’habitat, maintien des solidarités mécaniques, au lieu d’une rationalité institutionnelle cultivant une communauté de vie, la modernité où réalisation de soi, indépendance d’esprit, respect des diversités culturelles concourent à redéfinir l’Etat moderne comme source de libertés. Les difficiles compromis depuis l’indépendance, l’instabilité politique due à l’armée ont compliqué toute forme de dialogue.
L’entorse grave, celle d’un coup de force contre le seul pouvoir civil élu démocratiquement, celui de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, nous replonge dans le souvenir d’une réalité amère : l’intrusion de l’armée dans le jeu politique. C’est ainsi que dans une constellation contradictoire de réseaux et de niveaux de pouvoirs, l’Etat ne fut porteur d’idéal républicain dans la durée. Lieu de résurgence des tensions, l’Etat, acteur d’une réversibilité des drames, porte le mouvement de déficit de progrès humain. Etat désincarné dans un cycle de rupture du vivre-ensemble, où les valeurs de justice, d’égalité, ne sont pas à destination des plus démunis. Volonté réelle ou humeur passagère ? L’interrogation ne peut être écartée quant à la sincérité d’une démarche au moment où les formes d’exclusion, la répression des idées, avec l’emprisonnement des militants de l’IRA, sont encore une pratique consacrée. Restriction des droits et de l’expression d’un côté, libération de la parole raciste de l’autre dans une véhémence haineuse nous confirment la variabilité des règles selon les destinataires. Comment croire alors en l’Etat quand celui-ci est adepte du deux poids, deux mesures, se soustrait à une lecture juste et identique de la loi faite pour tous ? Ailleurs, dans les grandes démocraties (nous en sommes très loin) la parole présidentielle édifie, éduque, oriente, rassemble autour de valeurs. Elle amplifie une éthique d’humanité et de responsabilité morale à chaque fois que des citoyens sont attaqués parce qu’ils sont juifs, noirs ou d’origine magrébine, etc. Cela débouche sur des rituels républicains, des banquets de tolérance où les plus grandes autorités religieuses, prêtres, imams, rabbins s’expriment et condamnent les actes racistes et d’intolérance.
En Mauritanie, aucune autorité morale ne s’est détachée contre la férocité de milices armées sur les habitants de Niabina. Or c’est justement dans ces situations que le verbe est premier, le silence coupable. Triste grandeur d’un Etat, d’un gouvernement, qui abandonnent ses citoyens parce que noirs, qui encouragent le non-droit et sa douloureuse expression. Etat partisan qui délègue sa propre violence, qui faillit à ses devoirs de protection et de justice. C’est ainsi que le sentiment d’impunité s’affranchit de toute limite dans une parole testamentaire de haine contre les Négro-Mauritaniens.
Là où Amadou Hampaté BÂ, dans l’inspiration d’une sagesse, choisit le récit comme interprétation ouverte pour valoriser les traits d’union entre les nations et les hommes, tel personnage politique mauritanien s’exprime à découvert dans un racisme primaire. Paul Ricœur notait que « le drame de l’histoire » est que « les mêmes haines » sont au recommencement, les mêmes couvées meurtrières encore à l’œuvre.
Mais moment salutaire, dans notre histoire commune, que celui d’un contrecoup de cette régression, qu’est cet instant d’élévation de l’âme qu’ont incarné les Hadrami Ould Khatry, le Colonel Ould Cheikh Sidya. Le premier s’aligna sur le forum démocratique contre la gerçure du règne de Taya pour dénoncer les crimes et les massacres dès que ceux-ci furent connus ; quant au second, nommé ministre de l’intérieur pour succéder à Djibril Ould Abdallah, il démissionna immédiatement répugnant à se mettre au service d’une politique de gangrène morale. Espoir renaissant parce que des justes existent encore dans les médias, les associations, certains partis. En remontant l’histoire, nos héros s’appellent Cheikh souleymane BALL amenant la Révolution Torrodo en 1776, plus avant Nasr-ALDIN, ceux qui, au nom de l’idée d’humanité, ont refusé le commerce triangulaire et défendu le principe de la OUMMA, la fraternité musulmane. Ainsi c’est dans la conscience de postures amples du registre du dialogue des cultures que se pense la cohésion républicaine sous une unité institutionnelle, dans un cadre à la fois pluriculturel et multi partisan. C’est là où la politique se présente comme un choix d’idées, de société qui assure la paix, comme élaboration, emblème pacifique des actions humaines.
Or l’ethnie n’est pas une entrée progressiste. Introduire le thème de l’ethnie c’est régresser d’un débat, c’est faire de la politique non pas un substrat contractuel des libertés mais une inquisition psychologique, le diktat du groupe sur l’individu, l’inféodation à la toute-puissance communautaire qui est synonyme de fin d’esprit critique. La dimension ethnique suppose une fusion totale, une hiérarchie quasi héréditaire des fonctions et des places, où aucune règle démocratique ne saurait prévaloir. Au regard même de l’histoire la plus récente, les questions tournant autour de l’ethnie ont été des prétextes d’affrontements sanglants et aveugles entre groupes qui parlent la même langue, ont la même religion. La fureur du nettoyage ethnique où 28 soldats furent sacrifiés à la date anniversaire de notre indépendance, le 28 novembre 1990, l’exemple tragique du Rwanda, où rivières et fleuves ont écumé du sang et de cadavres de rwandais tués par d’autres rwandais, doivent dissuader de toute utilisation politique de l’ethnie.
Notre passé de victimes, notre actualité malheureuse nous ne le rappellent sans cesse. Instance d’une force extérieure qui nous contraint à penser de la même façon, l’ethnie est l’espace où les hommes ne séparent pas l’affirmation de leur identité de leur haine envers les autres. Se référer à l’ethnie c’est se hasarder de voir se multiplier haine et violence envers l’étranger, l’homme ou la femme qui ne parle pas la même langue que nous, n’a pas la même couleur de peau ou religion. La revendication légitime de l’égalité des droits culturels doit contribuer à la définition d’une culture politique commune où les droits des différentes nationalités sont respectés. Idéal législatif où l’autre n’est pas rendu uniforme, soumis à la domination d’une seule culture nationale. L’Etat multinational, par la démocratie, doit garantir l’existence d’une société multiculturelle. C’est en ce sens que Habermas reconnaît : « Dans les sociétés multiculturelles, une politique de la reconnaissance devient nécessaire parce que l’identité du citoyen est liée à des identités collectives et doit se stabiliser à l’intérieur d’un réseau de relations de reconnaissance réciproque ». Ainsi la symétrie des droits individuels et collectifs liés à l’expression de la citoyenneté dans une consonance démocratique ne peut que protéger l’identité personnelle intégrée dans une culture déterminée au sein d’une harmonie plurielle. Le disciple et l’élève que je suis veut rappeler ici, dans une révérence intellectuelle à Feu Saïdou Kane, que l’autonomie aidera à asseoir les droits socio-culturels des nationalités opprimées.
La nécessaire clarification du débat pour expliquer où nous nous engageons et vers où nous voulons aller ensemble ne peut contenir une connotation ethnique. C’est en ce sens que le dialogue peut trouver sa raison d’être ne serait-ce que dans une mise au point des divergences. C’est dans la conscience des conflits, de ce qui sépare, dans la réponse qui leur est donnée, que se trouvent les conditions possibles d’un dialogue. Cependant le soupçon peut être assez fort quant à sa pertinence dès lors que c’est une fin de dernier mandat qui semble dicter l’agenda. L’offre eut été sublime dans l’ampleur de la victoire électorale, le geste magnanime par l’invite d’une collaboration. La suite est connue : refus de s’ouvrir et de composer avec l’opposition, rejet du principe d’un gouvernement d’union nationale, tempo unilatéral de toute élection.
Quel contenu définir, la marge de changement escompter dans une offre minime sous le vocable de dialogue ? Vertu de la parole qui rapproche, de l’esprit nouveau qui surplombe les divergences. Ainsi la puissance des synergies réciproques envelopperait d’un nuage les difficultés récurrentes au lieu de les affronter. Comme si la transcendance des maux trouvait son terme dans la neutralisation des échecs, ceux du pouvoir et de l’opposition.
Echec d’un pouvoir qui n’a pas su assurer le développement du pays, l’existence de la sécurité économique pour le plus grand nombre, enrayer sa misère endémique, en dépit des ressources naturelles disponibles : fer, pétrole, richesse halieutique. Ce fut plus une gouvernance de la dilapidation et de la marginalisation de la majorité des citoyens avec de nouvelles formes d’exclusion par la voie du recensement. L’appauvrissement généralisé se constate aux abords de la capitale engloutie par les bidonvilles. Les défis de disparités et des écarts n’ont pas l’attention soutenue, un discours à la hauteur de leur intensité. La société n’est pas plus apaisée qu’auparavant et les questions sur sa pacification sont entières. Il est vrai que ce fut un acte symbolique important qu’il faut saluer en tant que tel quand le président Ould Abdel Aziz en reconnaissance des crimes d’Etat, demanda pardon aux familles des victimes par une prière à Kaëdi. Mais la suite de l’exercice du pouvoir ne rassura pas pour autant. Les répressions sur les manifestants expatriés, la confiscation des terres dans la vallée, l’étouffement de la liberté d’expression par l’incarcération, le dogme toujours renouvelé de l’exclusion politique, économique, culturelle de nos nationalités Peulh, Soninké et Wolof sont des signes qui tendent à prouver le durcissement du régime et sa volonté de se maintenir. Si le pouvoir se montre dans sa nature inégalitaire cela ne doit pas cacher aussi le déficit stratégique évident de l’opposition.
Le rôle d’une opposition est de préparer l’alternance même si le dialogue est possible sur les grandes questions, menace sur la souveraineté nationale, lutte contre le terrorisme, débat sur les formes d’Etat (fédération, gestion du pouvoir entre les différentes composantes nationales, etc.), solidarité dans les grandes catastrophes. C’est à se demander quels stratèges la conduisent quand une partie boycotte les élections législatives et municipales alors qu’elle a la possibilité de gagner d’importantes villes, ne serait que la première d’entre elles, Nouakchott, d’avoir des députés. Toute élection, même fausse, est un tremplin pédagogique pour l’idéal de société. Elle permet de mesurer les idées, de les confronter au réel, à l’assentiment populaire, de passer du concept à sa réalité pratique. Le drame de l’opposition est de ne pas être parvenu à se doter d’un projet politique autonome, visible.
Elle n’est pas aidée par la structure mentale du pays. Se défaire des loyautés de village, de famille, de dynastie et de tribu, pour un idéal qui nous excède comme individu n’est pas encore totalement un principe acquis de liberté individuelle. En effet ces phénomènes sociétaux détournent les convictions et font qu’âmes et corps sont emportés, en partie, dans le mouvement du pouvoir, en dépit ou à cause d’un racisme d’Etat très présent. Se pose vraiment la question de la mobilisation des masses. C’est pourquoi la puissance affirmative de l’idée, du projet d’alternance impliquent ce que Gramsci désigne dans ses Cahiers de prison par le terme « L’hégémonie ». Il ne s’agit pas d’une hégémonie comme domination ou exploitation mais d’une hégémonie d’un type particulier en ce qu’elle comporte une dimension culturelle, celle d’inclure en appui par des idées le consentement des masses asservies. En Mauritanie cette hégémonie peut se construire à partir d’une élite progressiste qui prend en charge les questions nationale et sociale. Fonder ainsi une alternance c’est constituer une force dans la masse, dans le mouvement social naissant avec la grève des travailleurs de la SNIM. C’est ramener au centre les opprimés, Harratines, forgerons dont Ould Mkhteir paye quelque part la stigmatisation malgré ses regrets exprimés pour une pensée qui semble écrite au fil de la plume, les nationalités opprimées, le grand nombre des sans-voix, les silencieux de l’ombre toujours écrasés par la mainmise étatique d’un groupe, défendre la manifestation égale de nos cultures dans l’espace public.
Source: BA Kassoum Sidiki