Rose Dieng
Elle porte un bien joli prénom, Rose Dieng. De ceux qui éclairent une vie, la font s'épanouir. La vie, c'est vrai, a souri à la gamine de Dakar, première Africaine reçue à l'X, chef de projet à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), lauréate 2005 du prix Irène Joliot-Curie décerné par le ministère de la recherche et la Fondation EADS à "la scientifique de l'année". Des épreuves, elle en a sans doute connu. Des blessures, que l'on devine à un regard parfois rêveur, une question éludée.
Elle qui a grandi au Sénégal au milieu de sept frères et soeurs n'a pas d'enfants à qui communiquer son optimisme. De ce qui fait que la vie n'est pas toujours rose, elle préfère ne pas parler. Pudeur, ou coquetterie, comme son hésitation à avouer ses 49 ans, dissimulés derrière un rire et un froncement de nez de petite fille sous une savante coiffure de tresses cuivrées et de mèches permanentées. Elle veut voir, Rose, le bon côté des choses.
"Je crois, dit-elle d'une voix douce, à la force des symboles." Si elle raconte son histoire, c'est pour "témoigner qu'une femme noire peut s'épanouir dans la recherche scientifique, dans une France terre d'accueil, y assurer des responsabilités et transmettre sa passion à des jeunes, en particulier à des jeunes filles".
Son parcours, elle le sait, n'est pas commun. Peu d'Africains s'y reconnaîtront. Beaucoup d'immigrés le trouveront décalé. Rose n'a pas la prétention d'être un exemple. Elle pense, simplement, que son itinéraire est porteur de "valeurs qui dépassent la couleur de la peau, la religion ou l'origine sociale", comme "le partage des connaissances, le goût de la découverte, l'ouverture à d'autres cultures, la tolérance".
Ces valeurs, ce sont celles que lui a inculquées son père, auquel elle dédie le prix Irène Joliot-Curie. "Il venait d'une famille très pauvre, explique-t-elle. Sa mère, analphabète, élevait seule ses deux enfants. L'école était la seule façon de s'en sortir. Il n'a jamais oublié cette leçon." Il lui enseigne, comme à chacun de ses frères et soeurs, "le sens du travail et de l'effort, l'honnêteté, la loyauté". Une éducation "sévère" dont elle lui sait gré. Elle se souvient, aussi, de cette pique d'une institutrice à l'école primaire : "Vous, les Africains, êtes moins intelligents que les Blancs. Vous feriez mieux d'écouter !" Et de sa réaction : "Avec tous mes camarades sénégalais, nous avons travaillé encore plus dur."
Au lycée Van-Vollenhoven, l'un des plus cotés de Dakar, elle collectionne les prix d'excellence, rafle le 1er prix au concours général en mathématiques, français et latin et le 2e prix en grec, décroche la mention très bien avec félicitations du jury au baccalauréat. Dans un pays dont le président, Léopold Sédar Senghor, fait de la lutte contre l'analphabétisme la clé du développement, elle devient une star.
Lettres, sciences ? Elle n'a que l'embarras du choix. Elle rêve d'être écrivain, mais "un professeur de physique extraordinaire" et une bourse de coopération décident de son orientation. Ce sera maths sup et maths spé au lycée Fénelon de Paris. Puis, à 20 ans, Polytechnique, où elle est la première représentante du continent africain. Suit une thèse en informatique sur "la spécification du parallélisme". Sa voie est trouvée : la recherche, à l'Inria de Sophia-Antipolis, pôle technologique de la région niçoise. Elle y est la première femme à monter et à piloter un programme, Acacia, exotique acronyme pour "acquisition des connaissances pour l'assistance à la conception par interaction entre agents". L'objectif est de mettre au point des méthodes et des outils logiciels permettant à une communauté, entreprise ou institution, de "capitaliser et partager des savoirs" fondateurs d'une "mémoire" collective. Savoir, mémoire, partage...
Les vertus cardinales pour cette idéaliste, qui imagine "un Web de connaissances reliant individus, organisations, pays et continents". A la fin de ses études, confesse-t-elle, s'est posé "un dilemme difficile" : retourner en Afrique où la recherche en informatique était inexistante, ou rester en France pour mener une carrière scientifique au meilleur niveau. Elle a choisi la France et conservé la nationalité sénégalaise, comme "une attache symbolique très forte". "Femme, noire, spécialiste d'intelligence artificielle : je me suis retrouvée au carrefour de beaucoup de minorités.
On m'a traitée de masochiste, sourit-elle. Mais je n'en ai pas souffert dans mon travail." Même si elle s'est "très vite aperçue que, pour les responsabilités confiées aux hommes et aux femmes, la France n'est pas encore la patrie de l'égalité". Privilégiée - elle le reconnaît volontiers -, elle a échappé aux discriminations sociales, raciales, économiques, qui sont à ses yeux au coeur de la récente flambée des banlieues. "Je n'ai pas vécu en cité. Et j'ai eu la chance d'avoir un père qui incarnait pour moi un modèle. Mais je comprends le désespoir de ces jeunes qui ne se voient aucun avenir", reconnaît-elle.
Elle déplore pourtant "le basculement dans la violence" à laquelle, admiratrice depuis son plus jeune âge de Gandhi et de Martin Luther King, elle est "viscéralement opposée". Son combat à elle, son "message", comme elle préfère le nommer, c'est "celui de l'éducation, des études, de la science".
Face à la polémique sur le passé colonial de la France, elle adopte la même posture. "C'est une histoire faite de beaucoup de souffrances, pense-t-elle. Ma génération, qui n'a pas connu la colonisation, doit en garder la mémoire. C'est quelque chose d'essentiel, dans la vie d'une nation et dans la vie d'un homme. Ce qui blesse, ce qui détruit, c'est l'absence de mémoire. Je le sais aussi pour travailler sur la mémoire des entreprises." Rose Dieng, qui n'a pas oublié ses rêves d'écriture, caresse aujourd'hui le projet de rédiger ses propres Mémoires. Un roman autobiographique. Ce serait celui d'une petite Sénégalaise au nom de fleur, éprise de l'"humanisme" et de la "civilisation de l'universel" chantés, avec la "négritude", par Senghor, et devenue, grâce à la science, "citoyenne du monde".
Elle qui a grandi au Sénégal au milieu de sept frères et soeurs n'a pas d'enfants à qui communiquer son optimisme. De ce qui fait que la vie n'est pas toujours rose, elle préfère ne pas parler. Pudeur, ou coquetterie, comme son hésitation à avouer ses 49 ans, dissimulés derrière un rire et un froncement de nez de petite fille sous une savante coiffure de tresses cuivrées et de mèches permanentées. Elle veut voir, Rose, le bon côté des choses.
"Je crois, dit-elle d'une voix douce, à la force des symboles." Si elle raconte son histoire, c'est pour "témoigner qu'une femme noire peut s'épanouir dans la recherche scientifique, dans une France terre d'accueil, y assurer des responsabilités et transmettre sa passion à des jeunes, en particulier à des jeunes filles".
Son parcours, elle le sait, n'est pas commun. Peu d'Africains s'y reconnaîtront. Beaucoup d'immigrés le trouveront décalé. Rose n'a pas la prétention d'être un exemple. Elle pense, simplement, que son itinéraire est porteur de "valeurs qui dépassent la couleur de la peau, la religion ou l'origine sociale", comme "le partage des connaissances, le goût de la découverte, l'ouverture à d'autres cultures, la tolérance".
Ces valeurs, ce sont celles que lui a inculquées son père, auquel elle dédie le prix Irène Joliot-Curie. "Il venait d'une famille très pauvre, explique-t-elle. Sa mère, analphabète, élevait seule ses deux enfants. L'école était la seule façon de s'en sortir. Il n'a jamais oublié cette leçon." Il lui enseigne, comme à chacun de ses frères et soeurs, "le sens du travail et de l'effort, l'honnêteté, la loyauté". Une éducation "sévère" dont elle lui sait gré. Elle se souvient, aussi, de cette pique d'une institutrice à l'école primaire : "Vous, les Africains, êtes moins intelligents que les Blancs. Vous feriez mieux d'écouter !" Et de sa réaction : "Avec tous mes camarades sénégalais, nous avons travaillé encore plus dur."
Au lycée Van-Vollenhoven, l'un des plus cotés de Dakar, elle collectionne les prix d'excellence, rafle le 1er prix au concours général en mathématiques, français et latin et le 2e prix en grec, décroche la mention très bien avec félicitations du jury au baccalauréat. Dans un pays dont le président, Léopold Sédar Senghor, fait de la lutte contre l'analphabétisme la clé du développement, elle devient une star.
Lettres, sciences ? Elle n'a que l'embarras du choix. Elle rêve d'être écrivain, mais "un professeur de physique extraordinaire" et une bourse de coopération décident de son orientation. Ce sera maths sup et maths spé au lycée Fénelon de Paris. Puis, à 20 ans, Polytechnique, où elle est la première représentante du continent africain. Suit une thèse en informatique sur "la spécification du parallélisme". Sa voie est trouvée : la recherche, à l'Inria de Sophia-Antipolis, pôle technologique de la région niçoise. Elle y est la première femme à monter et à piloter un programme, Acacia, exotique acronyme pour "acquisition des connaissances pour l'assistance à la conception par interaction entre agents". L'objectif est de mettre au point des méthodes et des outils logiciels permettant à une communauté, entreprise ou institution, de "capitaliser et partager des savoirs" fondateurs d'une "mémoire" collective. Savoir, mémoire, partage...
Les vertus cardinales pour cette idéaliste, qui imagine "un Web de connaissances reliant individus, organisations, pays et continents". A la fin de ses études, confesse-t-elle, s'est posé "un dilemme difficile" : retourner en Afrique où la recherche en informatique était inexistante, ou rester en France pour mener une carrière scientifique au meilleur niveau. Elle a choisi la France et conservé la nationalité sénégalaise, comme "une attache symbolique très forte". "Femme, noire, spécialiste d'intelligence artificielle : je me suis retrouvée au carrefour de beaucoup de minorités.
On m'a traitée de masochiste, sourit-elle. Mais je n'en ai pas souffert dans mon travail." Même si elle s'est "très vite aperçue que, pour les responsabilités confiées aux hommes et aux femmes, la France n'est pas encore la patrie de l'égalité". Privilégiée - elle le reconnaît volontiers -, elle a échappé aux discriminations sociales, raciales, économiques, qui sont à ses yeux au coeur de la récente flambée des banlieues. "Je n'ai pas vécu en cité. Et j'ai eu la chance d'avoir un père qui incarnait pour moi un modèle. Mais je comprends le désespoir de ces jeunes qui ne se voient aucun avenir", reconnaît-elle.
Elle déplore pourtant "le basculement dans la violence" à laquelle, admiratrice depuis son plus jeune âge de Gandhi et de Martin Luther King, elle est "viscéralement opposée". Son combat à elle, son "message", comme elle préfère le nommer, c'est "celui de l'éducation, des études, de la science".
Face à la polémique sur le passé colonial de la France, elle adopte la même posture. "C'est une histoire faite de beaucoup de souffrances, pense-t-elle. Ma génération, qui n'a pas connu la colonisation, doit en garder la mémoire. C'est quelque chose d'essentiel, dans la vie d'une nation et dans la vie d'un homme. Ce qui blesse, ce qui détruit, c'est l'absence de mémoire. Je le sais aussi pour travailler sur la mémoire des entreprises." Rose Dieng, qui n'a pas oublié ses rêves d'écriture, caresse aujourd'hui le projet de rédiger ses propres Mémoires. Un roman autobiographique. Ce serait celui d'une petite Sénégalaise au nom de fleur, éprise de l'"humanisme" et de la "civilisation de l'universel" chantés, avec la "négritude", par Senghor, et devenue, grâce à la science, "citoyenne du monde".