La divergence sémantique de ces deux mots, témoigne de la culpabilité et de l’embarras des autorités face à l’amertume des intéressés. Faut-il parler des «réfugiés» ou de «déportés?» Quoi qu’il en soit, ces deux acceptions désignent des citoyens mauritaniens qui vivent malgré eux depuis près de18ans, hors de leur territoire. Le Sénégal et la Mauritanie sont des pays unis par l’histoire, la géographie et des liens de sang. Depuis la nuit des temps, des échanges ont toujours eu lieu entre les deux peuples. Au lendemain des indépendances, ces acquis vont se cristalliser en accords d’amitié, de voisinage et de bonne coopération. De 1960 à 1989, soit prés de 30 ans, il n’y a jamais eu d’incident majeur de nature à mettre en danger les bons rapports que les deux Etats ont toujours su entretenir. Mais que s’est-il passé en Mauritanie en avril 1989 ? Est-ce un génocide ou une tentative d’épuration raciale ? Quelles qu’en soient les réponses et l’ampleur de leurs équivoques, l’histoire a retenu, que le sang a beaucoup coulé de part et d’autre, qu’il y a eu beaucoup de morts. Depuis lors, les mauritaniens qui étaient mis en rang d’oignons d’avec les sénégalais, sont pour la plus part restés hors de nos frontières. Aujourd’hui, l’Etat, conformément à sa politique en vue de promouvoir l’unité nationale, décide de tourner la page. Régler ce problème suppose d’abord une analyse impériale et sincère de la situation telle qu’elle a été vécue. Ensuite le situer dans son contexte politique. Ainsi seulement, nous pouvons espérer trouver des voix et moyens pour un règlement consensuel et unanime de la crise.
En avril 1989, en ce mois béni de Ramadan, au bord du fleuve Sénégal, dans la willaya de Guidimakha, des incidents éclatent entre agriculteurs soninkés sénégalais et éleveurs peulhs mauritaniens, entraînant des morts et des blessés. Les autorités des deux pays malgré tous leurs « efforts », n’ont pas su encadrer, ni circonscrire les événements. Au Sénégal et en Mauritanie, des affrontements meurtriers se produisent particulièrement à Dakar et à Nouakchott…
Au même moment ; les chancelleries occidentales sur instruction de leur gouvernement respectif, se concertent avec les organisations internationales concernées pour arranger le rapatriement des sénégalais et le retour des mauritaniens. Malheureusement, du côté mauritanien, les choses ont pris une autre ampleur, beaucoup plus curieuse qu’on ne pourrait l’imaginer.
Le gouvernement expulse des milliers de ses propres ressortissants, d’authentiques mauritaniens laissant derrière eux patrie et patrimoine. Le fait qu’ils pouvaient facilement se confondre avec des Sénégalais du fait de la couleur de leur peau et de leur appartenance aux mêmes groupes ethniques renforçait l’alibi. Pour l’ex régime, deux objectifs essentiels étaient visés : En première lieu, il s’agissait d’écarter certains fonctionnaires, appartenant principalement au groupe qui dénonçaient l’oppression subie par les noirs en Mauritanie au sein d’un mouvement politique clandestin appelé les Forces de Libérations des Africains de Mauritanie (FLAM).
En suite, il s’est agi de libérer des terres dans le sud du pays en expulsant les agriculteurs et éleveurs négros africains qui en avaient traditionnellement le contrôle, et en les redistribuant à de riches commerçants maures quifaisaient allégeance au régime.
Bien vrai que les frontières instaurées par la France entre le Sénégal, la Mauritanie et le Mali, dans le cadre de la colonisation restèrent toujours artificielles aux yeux des négros mauritaniens dont les anciens empires s’étendaient de part et d’autre du fleuve Sénégal, les déportations constituèrent tout de même un grand choc pour cette population. Pendant toute la période coloniale et post-coloniale, les négros mauritaniens continuèrent ainsi à cultiver des terres sur la rive opposée à celle de leur lieu de résidence, à se marier avec leurs parents sénégalais et à faire transhumer leur bétail suivant des axes perpendiculaires au fleuve.
Ainsi, de nombreux réfugiés et déportés furent hébergés et secourus par leurs parents ou amis sénégalais et maliens, tandis que d’autres furent pris en charge par la Croix Rouge et le HCR, regroupés dans plus de 250 sites le long de la frontière sénégalo-mauritanienne et quelques uns au Mali. Combien sont-ils? Dans ce sens, les chiffres sont polémiques. Près de 20 000 au Sénégal et 6000 au Mali, selon les statistiques du Haut commissariat aux réfugiés (HCR), Fatima M´Baye, la présidente de l´Association mauritanienne des droits de l´homme (AMDH) estime que le nombre de réfugiés mauritaniens au Sénégal et au Mali est respectivement de 40 000 et 30 000, «aux dernières nouvelles ». Selon Kaaw Touré, porte-parole des Forces de libération africaines de Mauritanie (Flam), réfugié en Suède, ce nombre varie entre 80 000 et 15 000, «compte non tenu des décès et des naissances".
Aujourd’hui, aucune étude n’a encore établi le nombre de réfugiés avec exactitude, ni estimer s’ils sont plus nombreux ou moins nombreux, compte tenu des naissances, des morts, des flux migratoires et de l’intégration qui a pu s’opérer dans un espace temporel d’une vingtaine d’années. Seule certitude: les réfugiés sont moins nombreux. Certains sont en effet rentrés de leur propre gré à partir de 1992. Cette année-là, n’ayant pas pu endurer les souffrances qui vont avec l’ambition d’être d’abord reconnu, et ensuite réhabilite dans leurs droits certains d’entre eux ont opté pour le retour quelque soit la nature de l’humiliation qu’il ont du essuyer. Les déportés Mauritaniens étaient reconnus de prima faciès par gouvernement sénégalais, c’est-à-dire de manière collective et à priori, tous bénéficièrent d’une aide humanitaire et de la protection juridique du HCR. Cependant, ils ne reçurent jamais de véritables papiers d’identité du gouvernement sénégalais, attestant de leur statut. Celui-ci ne leur octroya que de simples « récépissés de demande de statut de réfugié » valables pour une durée de trois mois renouvelable. Dans le soucis de ne pas envenimer d’avantages ses relations avec la Mauritanie, le gouvernement sénégalais conserva ce flou juridique, qui ne posa pas de problèmes les premières années, qui leur donna par la suite, l’occasion de revenir sur leur décision de reconnaître les mauritaniens comme des réfugiés.
Les sites de Ndioum et d’Ari Founda Beylane sont les plus grands et constituent à cet effet des centres de luttes pour une reconnaissance, tant par l’Etat mauritanien, qui a d’ailleurs nié leur existence jusqu’après le 03-08-2005, que par la communauté internationale. Ndioum est le village de réfugiés le plus grand du département de Podor (plus de 2000 habitants en 1989), situé à 1 km de la commune sénégalaise de Ndioum, ce site forme aujourd’hui presque une seule moule avec cette ville.
L’homogénéité de ce site a fait qu’il fut au début, le départ d’un mouvement de reconnaissance tant au niveau local qu’au niveau international. Il est constitué d’une majorité d’éleveurs peulhs qui habitaient le Sud de la Mauritanie, et de fonctionnaires, enseignants, infirmiers et militaires, qui étaient en poste dans les grandes villes mauritaniennes. Dépossédés de tout, ils arrivèrent particulièrement démunis d’autant plus qu’ils n’avaient pas de parents proches dans la zone de Ndioum. Ils n’eurent pas d’autres choix que d’être pris en charge par la Croix Rouge et le HCR, et acheminés vers le camp le plus proche de leur point d’arrivée. Le peu d’entre eux qui avaient pu retrouver d’anciens liens de parentés et d’amitié ont préféré rejoindre le camp afin d’être plus visibles aux yeux de la communauté internationale et dénoncer l’ampleur du préjudice subi.
En 1995, les déportés sont devenus de moins en moins visibles d’autant plus avec la fin de l’assistance humanitaire, ils commencèrent à quitter les sites pour chercher du travail. En plus, depuis le rétablissement de ses relations diplomatiques avec la Mauritanie en 1992, le gouvernement sénégalais fait en sorte de ne pas provoquer son homologue mauritanien par un soutien trop évident aux réfugiés. En novembre 2001, 42 familles « flamistes », soit plus de 240 personnes, furent finalement réinstallées aux Etats-Unis, ces familles reçurent une assistance à l’intégration pendant six mois sous forme d’aide au logement et à l’apprentissage de l’anglais. Toutefois, ils ont su rapidement utiliser les libertés d’expression et les moyens de communication que l’Amérique leur offrait, en constituant des associations à caractère social sous couvert desquelles ils continuent jusqu’à présent à mener des activités politiques.
L’introduction du droit d’asile, et l’attribution du statut qui en relève à pour conséquence de rigidifier leur appartenance nationale à la Mauritanie et de restreindre leurs libertés de mouvement et de travail.
Si le pays hôte ne souhaite pas envenimer ses relations avec son pays voisin, comme c’est le cas du Sénégal vis-à-vis de la Mauritanie, tout est donc fait pour rendre les réfugiés le moins visibles possibles. Ainsi, la plupart des réfugiés mauritaniens n’ont jamais reçu de papiers d’identité (des cartes de réfugiés) les autorisant officiellement à séjourner, travailler et circuler librement au Sénégal ou leur permettant d’obtenir des « titres de voyage » pour se rendre à l’étranger. Pour le retour du réfugié dans son pays d’origine ou son intégration dans le pays hôte, il arrive très souvent que les Etats ou le HCR considèrent qu’il a atteint l’une des trois solutions durables, justifiant ainsi le retrait et la cessation de son statut. Celui-ci devient dès lors perçu comme un « faux réfugié ». En effet, si les réfugiés rentrent régulièrement dans leur pays d’origine ou obtiennent des papiers d’identité de leur pays d’accueil, cela ne veut pas dire qu’ils ne craignent plus d’être persécuté dans leur pays d’origine, et encore moins qu’ils ont retrouvé la protection juridique d’un Etat, mais seulement qu’ils sont obligés de prendre plus de risques et d’avoir recours à des faux papiers pour assurer leur existence et reconstruire un capital économique et social. Seuls les anciens fonctionnaires ont joué uniquement sur l’« hyper-visibilité » de leur statut de réfugié afin d’obtenir et de légitimer leur rôle d’intermédiaires entre le HCR et les exilés, et être rémunérés dans le cadre de l’exercice de leur fonction, au sein des sites. Les primes de motivation qu’ils recevaient à ce titre, en plus des vivres et des projets générateurs de revenus qu’ils captaient le plus souvent pour leur propre bénéfice, leur ont permis de vivre sans avoir besoin de mener d’autres activités. Grâce à leur statut, les exilés, et en particulier leurs leaders, ont aussi eu un accès direct aux organisations internationales, non gouvernementales et aux gouvernements des pays occidentaux. Outre l’assistance en vivres, ils ont pu bénéficier pendant presque dix ans d’un accès gratuit à des services tels que l’eau, l’éducation et la santé. Pour les anciens fonctionnaires en particulier, cette situation était une aubaine car leurs compétences leur ont permis de devenir des intermédiaires presque évidents entre réfugiés et administrations.
La question des réfugiés constitue l’une des points noire de l’histoire de la Mauritanie. Le gouvernement de la transition a eu la délicatesse et l’habileté de laisser cet épineux dossier qui concerne l’avenir de tout un peuple à son dauphin démocratiquement élu. Son Excellence Mr Sidi Ould Cheikh Abdallah, Président de la République, s´est engagé à régler «le problème des réfugiés en un an, voire six mois», au lendemain de son élection. Il se propose d´organiser le retour au pays des dizaines de milliers de Négro mauritaniens expulsés par le régime de Maaouiya Ould Taya, entre avril 1989 et janvier 1990.
Le 8 mai, le nouveau chef de l´Etat a annoncé la création d´une commission nationale chargée d´organiser leur retour et leur indemnisation, conformément aux doléances de la plupart des associations de défense des droits de l’homme. C’est dans ce sens que les nouvelles autorités comptent organiser en fin août, des journées nationales de concertation sur les conditions du retour des déportés et réfugiés vivant au Sénégal et au Mali, depuis 1989. Le discours du Secrétaire Général de la Présidence de la République Mr Yahya Ould Ahmed El Wakf, le vendredi 13 juillet 2007, vient à point nommé pour déclencher le processus. Selon le ministre de l’Intérieur chargé de ce dossier, Mr Yall Zakaria, toutes les forces vives du pays sont appelées à apporter une contribution positive dans le cadre de l’organisation de ces journées. D’après le responsable de la présidence, Mr Yahya Ould Ahmed El Wakf, qui s’exprimait à l’occasion d’une rencontre avec différents acteurs nationaux et les membres d’un comité interministériel chargé de préparer le retour des réfugiés ; ces journées seront suivies de la mise en place d’un plan de retour des réfugiés vers leur pays. Cette rentrée des réfugiés va concerner "exclusivement les citoyens mauritaniens réfugiés, désireux de rentrer chez eux, (…)".
Pour l’accueil au retour, un plan de réinsertion, avec la création d’emplois et le financement d’activités génératrices de revenus, sera mis en chantier avec l’appui des partenaires au développement.
Réfugiés ou déportés, leur identification ne sera pas forcément chose aisée. «On dit qu´avec la découverte du pétrole (dont l´exploitation a commencé en février 2006), certains Sénégalais rêvent de venir en Mauritanie», raconte un observateur. «Faux, cette rumeur est orchestrée par certains nationalistes arabes hostiles au retour», rétorque un autre. Djigo Moussa s´efforce de recadrer le débat : « La Mauritanie est peu peuplée, tout le monde se connait, explique-t-il. Il faut associer à l´opération les maires et les notables des villages concernés. Eux savent très bien qui est qui.» Qu´il s´agisse des Flam, de Flam Rénovation, leur aile «dissidente», dont les membres ont accepté de regagner le pays pendant la transition, ou de l´AMDH, tout le monde est d´accord pour recourir aux «liens sociaux traditionnels», tant pour l´identification des réfugiés que pour l´évaluation du patrimoine dont ils ont été spoliés. «Tout le monde sait bien combien tel ou tel avait de vaches, où il habitait et comment était sa maison», estime un ancien réfugié. Et après? Comment réparer l´injustice? Là, les solutions divergent. «Il est impossible à certains déportés de ne pas vivre sur la terre de leurs ancêtres, soutient Ibrahima Sarr, candidat à la présidentielle et coauteur du Manifeste du Négro-mauritanien opprimé. L´État a l´obligation d´expulser ceux qui ont pris leur place, puis de les reloger.» Le son de cloche est le même chez les militants de l´AMDH et des Flam. «Il faut identifier des sites fixes et les viabiliser», estime un autre observateur. Le risque est en effet de régler un problème en en créant un autre. Dans les cas où les terres sont devenues propriétés de l´Etat, la restitution ne devrait pas, en revanche, poser trop de problèmes... Concernant l’indemnisation, tous la réclament, mais les voies discordent sur les formes qu´elle pourrait prendre.
Pour certains, les fonctionnaires qui ont constitué la première vague de départ, encore en âge de travailler, doivent être réintégrés dans leur ancien poste et être dédommagés pour leurs années d´exil forcé. Pour d´autres, le paiement des arriérés de salaires et de la retraite suffit. Quant aux salariés du privé, Flam Rénovation propose qu´ils soient eux aussi réintégrés. Dans les cas où l´opération se révélerait impossible, l´organisation suggère la mise en place de «programmes de formation». Frappées au coin du bon sens, les solutions préconisées pêchent souvent par manque de précision. « Pour les problèmes techniques, ce n´est pas aux organisations, mais au gouvernement de les régler», plaide Kaaw Touré. Ces «détails» sont pourtant capitaux. Négliger de les régler serait le meilleur moyen de susciter des frustrations. « Il s´agit d´aider une population à reconstruire son existence, cela se chiffrera forcément en millions de dollars», annonce Didier Layé, sans plus de précisions. «Ce que nous voulons, c´est d´abord que l´Etat reconnaisse officiellement ce qu´il a fait, confie un journaliste. Dans notre société, le pardon compte beaucoup.» Même si, comme le dit Ibrahima Sarr, «l´aspect matériel est essentiel». Loin de remuer le couteau dans la plaie, l’étude de la question des réfugiés dans un sens large du terme suppose un historique et une mise en contexte. La bonne volonté de régler ce problème exige que les réalités de ce sujet ne soient nullement occultées. L’existence des certains groupes ethniques de part et d'autre de la frontière Sénégalo-mauritanienne, dont les liaisons transcendent de loin les statuts géopolitiques que nous avons hérité de la colonisation, ne pouvait servir d’alibi pour en léser notre unité nationale. Trois éléments clés retiendront finalement notre attention. Tout d’abord, les attitudes d’un régime, qui par ses agissements, à rendu le feu de paille de l’île de Doundé Hooré un problème purement national. Ensuite, le refus total de ce régime de reconnaître ses citoyens qu’il appelait de déguerpisses comme réfugiés et imposant le gouvernement sénégalais de ne pas les accorder cet statut sous menace de représailles même après le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays. Et enfin, les luttes d’une frange de ces réfugiés pour le rétablissement dans leurs droits, celles des ONG et les Association de défense des droits de l’homme sont rejoints par le feu sacré de son excellence Mr le Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et son gouvernement de restaurer et de consolider l’unité nationale avec toutes ces composantes.
Souleymane Bachir NDIAYE
Source: POINTS CHAUDS
(M)
En avril 1989, en ce mois béni de Ramadan, au bord du fleuve Sénégal, dans la willaya de Guidimakha, des incidents éclatent entre agriculteurs soninkés sénégalais et éleveurs peulhs mauritaniens, entraînant des morts et des blessés. Les autorités des deux pays malgré tous leurs « efforts », n’ont pas su encadrer, ni circonscrire les événements. Au Sénégal et en Mauritanie, des affrontements meurtriers se produisent particulièrement à Dakar et à Nouakchott…
Au même moment ; les chancelleries occidentales sur instruction de leur gouvernement respectif, se concertent avec les organisations internationales concernées pour arranger le rapatriement des sénégalais et le retour des mauritaniens. Malheureusement, du côté mauritanien, les choses ont pris une autre ampleur, beaucoup plus curieuse qu’on ne pourrait l’imaginer.
Le gouvernement expulse des milliers de ses propres ressortissants, d’authentiques mauritaniens laissant derrière eux patrie et patrimoine. Le fait qu’ils pouvaient facilement se confondre avec des Sénégalais du fait de la couleur de leur peau et de leur appartenance aux mêmes groupes ethniques renforçait l’alibi. Pour l’ex régime, deux objectifs essentiels étaient visés : En première lieu, il s’agissait d’écarter certains fonctionnaires, appartenant principalement au groupe qui dénonçaient l’oppression subie par les noirs en Mauritanie au sein d’un mouvement politique clandestin appelé les Forces de Libérations des Africains de Mauritanie (FLAM).
En suite, il s’est agi de libérer des terres dans le sud du pays en expulsant les agriculteurs et éleveurs négros africains qui en avaient traditionnellement le contrôle, et en les redistribuant à de riches commerçants maures quifaisaient allégeance au régime.
Bien vrai que les frontières instaurées par la France entre le Sénégal, la Mauritanie et le Mali, dans le cadre de la colonisation restèrent toujours artificielles aux yeux des négros mauritaniens dont les anciens empires s’étendaient de part et d’autre du fleuve Sénégal, les déportations constituèrent tout de même un grand choc pour cette population. Pendant toute la période coloniale et post-coloniale, les négros mauritaniens continuèrent ainsi à cultiver des terres sur la rive opposée à celle de leur lieu de résidence, à se marier avec leurs parents sénégalais et à faire transhumer leur bétail suivant des axes perpendiculaires au fleuve.
Ainsi, de nombreux réfugiés et déportés furent hébergés et secourus par leurs parents ou amis sénégalais et maliens, tandis que d’autres furent pris en charge par la Croix Rouge et le HCR, regroupés dans plus de 250 sites le long de la frontière sénégalo-mauritanienne et quelques uns au Mali. Combien sont-ils? Dans ce sens, les chiffres sont polémiques. Près de 20 000 au Sénégal et 6000 au Mali, selon les statistiques du Haut commissariat aux réfugiés (HCR), Fatima M´Baye, la présidente de l´Association mauritanienne des droits de l´homme (AMDH) estime que le nombre de réfugiés mauritaniens au Sénégal et au Mali est respectivement de 40 000 et 30 000, «aux dernières nouvelles ». Selon Kaaw Touré, porte-parole des Forces de libération africaines de Mauritanie (Flam), réfugié en Suède, ce nombre varie entre 80 000 et 15 000, «compte non tenu des décès et des naissances".
Aujourd’hui, aucune étude n’a encore établi le nombre de réfugiés avec exactitude, ni estimer s’ils sont plus nombreux ou moins nombreux, compte tenu des naissances, des morts, des flux migratoires et de l’intégration qui a pu s’opérer dans un espace temporel d’une vingtaine d’années. Seule certitude: les réfugiés sont moins nombreux. Certains sont en effet rentrés de leur propre gré à partir de 1992. Cette année-là, n’ayant pas pu endurer les souffrances qui vont avec l’ambition d’être d’abord reconnu, et ensuite réhabilite dans leurs droits certains d’entre eux ont opté pour le retour quelque soit la nature de l’humiliation qu’il ont du essuyer. Les déportés Mauritaniens étaient reconnus de prima faciès par gouvernement sénégalais, c’est-à-dire de manière collective et à priori, tous bénéficièrent d’une aide humanitaire et de la protection juridique du HCR. Cependant, ils ne reçurent jamais de véritables papiers d’identité du gouvernement sénégalais, attestant de leur statut. Celui-ci ne leur octroya que de simples « récépissés de demande de statut de réfugié » valables pour une durée de trois mois renouvelable. Dans le soucis de ne pas envenimer d’avantages ses relations avec la Mauritanie, le gouvernement sénégalais conserva ce flou juridique, qui ne posa pas de problèmes les premières années, qui leur donna par la suite, l’occasion de revenir sur leur décision de reconnaître les mauritaniens comme des réfugiés.
Les sites de Ndioum et d’Ari Founda Beylane sont les plus grands et constituent à cet effet des centres de luttes pour une reconnaissance, tant par l’Etat mauritanien, qui a d’ailleurs nié leur existence jusqu’après le 03-08-2005, que par la communauté internationale. Ndioum est le village de réfugiés le plus grand du département de Podor (plus de 2000 habitants en 1989), situé à 1 km de la commune sénégalaise de Ndioum, ce site forme aujourd’hui presque une seule moule avec cette ville.
L’homogénéité de ce site a fait qu’il fut au début, le départ d’un mouvement de reconnaissance tant au niveau local qu’au niveau international. Il est constitué d’une majorité d’éleveurs peulhs qui habitaient le Sud de la Mauritanie, et de fonctionnaires, enseignants, infirmiers et militaires, qui étaient en poste dans les grandes villes mauritaniennes. Dépossédés de tout, ils arrivèrent particulièrement démunis d’autant plus qu’ils n’avaient pas de parents proches dans la zone de Ndioum. Ils n’eurent pas d’autres choix que d’être pris en charge par la Croix Rouge et le HCR, et acheminés vers le camp le plus proche de leur point d’arrivée. Le peu d’entre eux qui avaient pu retrouver d’anciens liens de parentés et d’amitié ont préféré rejoindre le camp afin d’être plus visibles aux yeux de la communauté internationale et dénoncer l’ampleur du préjudice subi.
En 1995, les déportés sont devenus de moins en moins visibles d’autant plus avec la fin de l’assistance humanitaire, ils commencèrent à quitter les sites pour chercher du travail. En plus, depuis le rétablissement de ses relations diplomatiques avec la Mauritanie en 1992, le gouvernement sénégalais fait en sorte de ne pas provoquer son homologue mauritanien par un soutien trop évident aux réfugiés. En novembre 2001, 42 familles « flamistes », soit plus de 240 personnes, furent finalement réinstallées aux Etats-Unis, ces familles reçurent une assistance à l’intégration pendant six mois sous forme d’aide au logement et à l’apprentissage de l’anglais. Toutefois, ils ont su rapidement utiliser les libertés d’expression et les moyens de communication que l’Amérique leur offrait, en constituant des associations à caractère social sous couvert desquelles ils continuent jusqu’à présent à mener des activités politiques.
L’introduction du droit d’asile, et l’attribution du statut qui en relève à pour conséquence de rigidifier leur appartenance nationale à la Mauritanie et de restreindre leurs libertés de mouvement et de travail.
Si le pays hôte ne souhaite pas envenimer ses relations avec son pays voisin, comme c’est le cas du Sénégal vis-à-vis de la Mauritanie, tout est donc fait pour rendre les réfugiés le moins visibles possibles. Ainsi, la plupart des réfugiés mauritaniens n’ont jamais reçu de papiers d’identité (des cartes de réfugiés) les autorisant officiellement à séjourner, travailler et circuler librement au Sénégal ou leur permettant d’obtenir des « titres de voyage » pour se rendre à l’étranger. Pour le retour du réfugié dans son pays d’origine ou son intégration dans le pays hôte, il arrive très souvent que les Etats ou le HCR considèrent qu’il a atteint l’une des trois solutions durables, justifiant ainsi le retrait et la cessation de son statut. Celui-ci devient dès lors perçu comme un « faux réfugié ». En effet, si les réfugiés rentrent régulièrement dans leur pays d’origine ou obtiennent des papiers d’identité de leur pays d’accueil, cela ne veut pas dire qu’ils ne craignent plus d’être persécuté dans leur pays d’origine, et encore moins qu’ils ont retrouvé la protection juridique d’un Etat, mais seulement qu’ils sont obligés de prendre plus de risques et d’avoir recours à des faux papiers pour assurer leur existence et reconstruire un capital économique et social. Seuls les anciens fonctionnaires ont joué uniquement sur l’« hyper-visibilité » de leur statut de réfugié afin d’obtenir et de légitimer leur rôle d’intermédiaires entre le HCR et les exilés, et être rémunérés dans le cadre de l’exercice de leur fonction, au sein des sites. Les primes de motivation qu’ils recevaient à ce titre, en plus des vivres et des projets générateurs de revenus qu’ils captaient le plus souvent pour leur propre bénéfice, leur ont permis de vivre sans avoir besoin de mener d’autres activités. Grâce à leur statut, les exilés, et en particulier leurs leaders, ont aussi eu un accès direct aux organisations internationales, non gouvernementales et aux gouvernements des pays occidentaux. Outre l’assistance en vivres, ils ont pu bénéficier pendant presque dix ans d’un accès gratuit à des services tels que l’eau, l’éducation et la santé. Pour les anciens fonctionnaires en particulier, cette situation était une aubaine car leurs compétences leur ont permis de devenir des intermédiaires presque évidents entre réfugiés et administrations.
La question des réfugiés constitue l’une des points noire de l’histoire de la Mauritanie. Le gouvernement de la transition a eu la délicatesse et l’habileté de laisser cet épineux dossier qui concerne l’avenir de tout un peuple à son dauphin démocratiquement élu. Son Excellence Mr Sidi Ould Cheikh Abdallah, Président de la République, s´est engagé à régler «le problème des réfugiés en un an, voire six mois», au lendemain de son élection. Il se propose d´organiser le retour au pays des dizaines de milliers de Négro mauritaniens expulsés par le régime de Maaouiya Ould Taya, entre avril 1989 et janvier 1990.
Le 8 mai, le nouveau chef de l´Etat a annoncé la création d´une commission nationale chargée d´organiser leur retour et leur indemnisation, conformément aux doléances de la plupart des associations de défense des droits de l’homme. C’est dans ce sens que les nouvelles autorités comptent organiser en fin août, des journées nationales de concertation sur les conditions du retour des déportés et réfugiés vivant au Sénégal et au Mali, depuis 1989. Le discours du Secrétaire Général de la Présidence de la République Mr Yahya Ould Ahmed El Wakf, le vendredi 13 juillet 2007, vient à point nommé pour déclencher le processus. Selon le ministre de l’Intérieur chargé de ce dossier, Mr Yall Zakaria, toutes les forces vives du pays sont appelées à apporter une contribution positive dans le cadre de l’organisation de ces journées. D’après le responsable de la présidence, Mr Yahya Ould Ahmed El Wakf, qui s’exprimait à l’occasion d’une rencontre avec différents acteurs nationaux et les membres d’un comité interministériel chargé de préparer le retour des réfugiés ; ces journées seront suivies de la mise en place d’un plan de retour des réfugiés vers leur pays. Cette rentrée des réfugiés va concerner "exclusivement les citoyens mauritaniens réfugiés, désireux de rentrer chez eux, (…)".
Pour l’accueil au retour, un plan de réinsertion, avec la création d’emplois et le financement d’activités génératrices de revenus, sera mis en chantier avec l’appui des partenaires au développement.
Réfugiés ou déportés, leur identification ne sera pas forcément chose aisée. «On dit qu´avec la découverte du pétrole (dont l´exploitation a commencé en février 2006), certains Sénégalais rêvent de venir en Mauritanie», raconte un observateur. «Faux, cette rumeur est orchestrée par certains nationalistes arabes hostiles au retour», rétorque un autre. Djigo Moussa s´efforce de recadrer le débat : « La Mauritanie est peu peuplée, tout le monde se connait, explique-t-il. Il faut associer à l´opération les maires et les notables des villages concernés. Eux savent très bien qui est qui.» Qu´il s´agisse des Flam, de Flam Rénovation, leur aile «dissidente», dont les membres ont accepté de regagner le pays pendant la transition, ou de l´AMDH, tout le monde est d´accord pour recourir aux «liens sociaux traditionnels», tant pour l´identification des réfugiés que pour l´évaluation du patrimoine dont ils ont été spoliés. «Tout le monde sait bien combien tel ou tel avait de vaches, où il habitait et comment était sa maison», estime un ancien réfugié. Et après? Comment réparer l´injustice? Là, les solutions divergent. «Il est impossible à certains déportés de ne pas vivre sur la terre de leurs ancêtres, soutient Ibrahima Sarr, candidat à la présidentielle et coauteur du Manifeste du Négro-mauritanien opprimé. L´État a l´obligation d´expulser ceux qui ont pris leur place, puis de les reloger.» Le son de cloche est le même chez les militants de l´AMDH et des Flam. «Il faut identifier des sites fixes et les viabiliser», estime un autre observateur. Le risque est en effet de régler un problème en en créant un autre. Dans les cas où les terres sont devenues propriétés de l´Etat, la restitution ne devrait pas, en revanche, poser trop de problèmes... Concernant l’indemnisation, tous la réclament, mais les voies discordent sur les formes qu´elle pourrait prendre.
Pour certains, les fonctionnaires qui ont constitué la première vague de départ, encore en âge de travailler, doivent être réintégrés dans leur ancien poste et être dédommagés pour leurs années d´exil forcé. Pour d´autres, le paiement des arriérés de salaires et de la retraite suffit. Quant aux salariés du privé, Flam Rénovation propose qu´ils soient eux aussi réintégrés. Dans les cas où l´opération se révélerait impossible, l´organisation suggère la mise en place de «programmes de formation». Frappées au coin du bon sens, les solutions préconisées pêchent souvent par manque de précision. « Pour les problèmes techniques, ce n´est pas aux organisations, mais au gouvernement de les régler», plaide Kaaw Touré. Ces «détails» sont pourtant capitaux. Négliger de les régler serait le meilleur moyen de susciter des frustrations. « Il s´agit d´aider une population à reconstruire son existence, cela se chiffrera forcément en millions de dollars», annonce Didier Layé, sans plus de précisions. «Ce que nous voulons, c´est d´abord que l´Etat reconnaisse officiellement ce qu´il a fait, confie un journaliste. Dans notre société, le pardon compte beaucoup.» Même si, comme le dit Ibrahima Sarr, «l´aspect matériel est essentiel». Loin de remuer le couteau dans la plaie, l’étude de la question des réfugiés dans un sens large du terme suppose un historique et une mise en contexte. La bonne volonté de régler ce problème exige que les réalités de ce sujet ne soient nullement occultées. L’existence des certains groupes ethniques de part et d'autre de la frontière Sénégalo-mauritanienne, dont les liaisons transcendent de loin les statuts géopolitiques que nous avons hérité de la colonisation, ne pouvait servir d’alibi pour en léser notre unité nationale. Trois éléments clés retiendront finalement notre attention. Tout d’abord, les attitudes d’un régime, qui par ses agissements, à rendu le feu de paille de l’île de Doundé Hooré un problème purement national. Ensuite, le refus total de ce régime de reconnaître ses citoyens qu’il appelait de déguerpisses comme réfugiés et imposant le gouvernement sénégalais de ne pas les accorder cet statut sous menace de représailles même après le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays. Et enfin, les luttes d’une frange de ces réfugiés pour le rétablissement dans leurs droits, celles des ONG et les Association de défense des droits de l’homme sont rejoints par le feu sacré de son excellence Mr le Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et son gouvernement de restaurer et de consolider l’unité nationale avec toutes ces composantes.
Souleymane Bachir NDIAYE
Source: POINTS CHAUDS
(M)