L'intelligentsia mauritanienne et ses deux élites politiques
Source : Le Calame, numéro 581, le 8 mars 2007.
L'intelligentsia politique mauritanienne sait que le régime de Ould
Taya avait
perverti le processus démocratique. La situation politique était
devenue
totalement bloquée avant le 8 juin 2003 avec un régime de plus en plus
enfermé
et autoritaire. L'entêtement du régime déchu dans le verrouillage de la
situation politique était tel qu'il ne restait plus aucune raison
rationnellement convaincante pour s'attendre à une ouverture politique
sans y
contraindre le système. Le problème était cependant que l'opposition
d'alors,
toute déterminée qu'elle était, ne faisant pas le poids face à un
régime qui se
maintient par la répression et la corruption. C'est ce constat qui
explique que
l'opposition n'avait pas ou peu condamné la tentative avortée du 8 juin
2003.
Sans les soutenir explicitement, l'opposition dans sa majorité, faisait
preuve
de compréhension face à des officiers qui n'étaient pas passés loin de
la
réussite et qui disaient vouloir initier une véritable démocratisation
du pays.
La conquête et l'entretien du pouvoir par la force sont deux procédés
qui
mènent souvent l'un à l'autre et mènent tous les deux à l'instabilité
politique, mais le blocage de la situation politique dans notre pays et
l'exemple si proche du Mali autorisaient à l'opposition de parier, a
posteriori
et en dernier recours, sur la sincérité des militaires. C'est pourquoi
cette
opposition a soutenu le CMJD qui a exactement repris le discours et le
programme des cavaliers du changement. Le 3 août a, en quelque sorte,
parachevé
le travail commencé le 8 juin.
L'irruption des hommes du 8 juin dans la scène politique mauritanienne
a
toutefois révélé l'existence d'une étrange contradiction au sein de
l'intelligentsia mauritanienne locale. Il eu effectivement des acteurs
politiques et médiatiques de l'opposition qui avaient volontairement
agi, le 8
juin 2003, dans le sens de la préservation du régime déchu. Ces
opposants
devaient même par la suite prendre part à la propagande du régime
dénigrant et
diabolisant les hommes du 8 juin. Cette alliance contre-nature entre la
dictature et une partie de son opposition s'expliquerait par certaines
affinités culturelles. Une partie de l'intelligentsia mauritanienne
francophones, qui considère être, SEULE, moderne et démocratique, s'est
à tord
sentie menacer par ces arabophones inconnus.
Il y a là la preuve que l'intelligentsia mauritanienne est composée de
deux
élites culturellement différentes qui gagneraient à mieux se connaître
et se
reconnaître. Ould Hananna, Ould Cheikhna et Ould Mini avaient
simplement le
tord d'être culturellement des réformistes musulmans. Ould Mini avait
clairement expliqué dans son plaidoyer au procès de Wad Naga avoir agi
en
réformiste (Mouslih) conformément à l'éthique Musulmane. Disposant de
la force,
il considérait de son devoir de la mettre au service de la reforme
(islah).
Sans être organiquement liés aux Réformistes Centristes qui condamnent
l'usage
de la force en politique, les hommes du 8 juin n'en sont pas moins
culturellement des Réformistes Musulmans. Etant principalement des
militaires,
ils avaient cependant un autre point de vue sur l'usage exceptionnel et
maîtrisé de la force. Etant au commandement du principal bras armé de
la
tentative, Ould Mini disait, dans le même procès, s'être assuré que les
chars
étaient vides de projectiles réels. C'est cela peut-être qui amplifiait
le son
et rendait les tirs des chars assourdissants sans jamais causer
d'incendie.
Ceux qui ont la chance de fréquenter à la fois les deux élites de notre
intelligentsia savent qu'elles ont bien plus de valeurs communes que de
raisons
d'adversité. Qu'elles s'expriment en arabe ou en français, ces deux
élites
aspirent toutes les deux à la démocratisation du pays. Il y a d'un coté
des
réformistes qui revendiquent la référence à l'islam et de l'autre des
réformistes dont les référents se puisent plus souvent dans la
tradition
démocratique moderne. Elles partagent beaucoup de principes communs,
qu'elles
expriment avec des référents différents, mais pas antinomiques. Elles
feraient
mieux d'explorer, dans l'intérêt du pays, l'énorme potentiel de
coopération au
lieu de s'enfermer dans une logique d'adversité contre-nature. Il faut
faire
notre petit "dialogue de civilisations" en Mauritanie entre les modérés
des
deux tendances pour couper court aux extrémistes des deux bords qui
nous
poussent vers un clash contre-productif.
La faiblesse de communication entre les bases des deux élites risque de
nous
coûter cher aux élections présidentielles. Les candidatures multiples,
dont
l'émiettement est dangereux au premier tour, risquent de perdre leur
efficacité
théorique au deuxième tour à cause de la difficulté du rabattage des
voix. La
solution passe sur le long terme par l'impulsion d'une dynamique de
rapprochement des élites mauritaniennes. Il convient dans cette
approche de
mettre fin à la campagne de diabolisation de Ould Hananna et les
Réformistes.
Ce n'est pas juste de qualifier de sanguinaire une tentative dont les
meneurs
ont préféré préserver la paix civile en se retirant alors que le
rapport de
force ne le leur imposait pas. Le putsch avait effectivement échoué car
ses
meneurs ont considéré que le prix de la victoire devenait trop élevé
pour la
population. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'un véritable échec car la
crise
d'autorité consécutive au 8 juin a abrégé la longévité du régime déchu.
Une autre injustice est de critiquer les Réformistes pour avoir soutenu
un
candidat ex militaire, alors qu'on sait parfaitement que les vieilles
démocraties sont peuplées de présidents, autrefois militaires. Rien
n'empêche
d'ailleurs l'actuel chef de l'Etat de se présenter en 2012. C'est ici
l'occasion de lui rendre hommage pour avoir finalement agi dans le sens
de la
neutralité, alors que d'autres éléments influents du CMJD s'activent
toujours
pour s'accrocher au pouvoir.
Mohamed Aly O. Louly
Source : Le Calame, numéro 581, le 8 mars 2007.
L'intelligentsia politique mauritanienne sait que le régime de Ould
Taya avait
perverti le processus démocratique. La situation politique était
devenue
totalement bloquée avant le 8 juin 2003 avec un régime de plus en plus
enfermé
et autoritaire. L'entêtement du régime déchu dans le verrouillage de la
situation politique était tel qu'il ne restait plus aucune raison
rationnellement convaincante pour s'attendre à une ouverture politique
sans y
contraindre le système. Le problème était cependant que l'opposition
d'alors,
toute déterminée qu'elle était, ne faisant pas le poids face à un
régime qui se
maintient par la répression et la corruption. C'est ce constat qui
explique que
l'opposition n'avait pas ou peu condamné la tentative avortée du 8 juin
2003.
Sans les soutenir explicitement, l'opposition dans sa majorité, faisait
preuve
de compréhension face à des officiers qui n'étaient pas passés loin de
la
réussite et qui disaient vouloir initier une véritable démocratisation
du pays.
La conquête et l'entretien du pouvoir par la force sont deux procédés
qui
mènent souvent l'un à l'autre et mènent tous les deux à l'instabilité
politique, mais le blocage de la situation politique dans notre pays et
l'exemple si proche du Mali autorisaient à l'opposition de parier, a
posteriori
et en dernier recours, sur la sincérité des militaires. C'est pourquoi
cette
opposition a soutenu le CMJD qui a exactement repris le discours et le
programme des cavaliers du changement. Le 3 août a, en quelque sorte,
parachevé
le travail commencé le 8 juin.
L'irruption des hommes du 8 juin dans la scène politique mauritanienne
a
toutefois révélé l'existence d'une étrange contradiction au sein de
l'intelligentsia mauritanienne locale. Il eu effectivement des acteurs
politiques et médiatiques de l'opposition qui avaient volontairement
agi, le 8
juin 2003, dans le sens de la préservation du régime déchu. Ces
opposants
devaient même par la suite prendre part à la propagande du régime
dénigrant et
diabolisant les hommes du 8 juin. Cette alliance contre-nature entre la
dictature et une partie de son opposition s'expliquerait par certaines
affinités culturelles. Une partie de l'intelligentsia mauritanienne
francophones, qui considère être, SEULE, moderne et démocratique, s'est
à tord
sentie menacer par ces arabophones inconnus.
Il y a là la preuve que l'intelligentsia mauritanienne est composée de
deux
élites culturellement différentes qui gagneraient à mieux se connaître
et se
reconnaître. Ould Hananna, Ould Cheikhna et Ould Mini avaient
simplement le
tord d'être culturellement des réformistes musulmans. Ould Mini avait
clairement expliqué dans son plaidoyer au procès de Wad Naga avoir agi
en
réformiste (Mouslih) conformément à l'éthique Musulmane. Disposant de
la force,
il considérait de son devoir de la mettre au service de la reforme
(islah).
Sans être organiquement liés aux Réformistes Centristes qui condamnent
l'usage
de la force en politique, les hommes du 8 juin n'en sont pas moins
culturellement des Réformistes Musulmans. Etant principalement des
militaires,
ils avaient cependant un autre point de vue sur l'usage exceptionnel et
maîtrisé de la force. Etant au commandement du principal bras armé de
la
tentative, Ould Mini disait, dans le même procès, s'être assuré que les
chars
étaient vides de projectiles réels. C'est cela peut-être qui amplifiait
le son
et rendait les tirs des chars assourdissants sans jamais causer
d'incendie.
Ceux qui ont la chance de fréquenter à la fois les deux élites de notre
intelligentsia savent qu'elles ont bien plus de valeurs communes que de
raisons
d'adversité. Qu'elles s'expriment en arabe ou en français, ces deux
élites
aspirent toutes les deux à la démocratisation du pays. Il y a d'un coté
des
réformistes qui revendiquent la référence à l'islam et de l'autre des
réformistes dont les référents se puisent plus souvent dans la
tradition
démocratique moderne. Elles partagent beaucoup de principes communs,
qu'elles
expriment avec des référents différents, mais pas antinomiques. Elles
feraient
mieux d'explorer, dans l'intérêt du pays, l'énorme potentiel de
coopération au
lieu de s'enfermer dans une logique d'adversité contre-nature. Il faut
faire
notre petit "dialogue de civilisations" en Mauritanie entre les modérés
des
deux tendances pour couper court aux extrémistes des deux bords qui
nous
poussent vers un clash contre-productif.
La faiblesse de communication entre les bases des deux élites risque de
nous
coûter cher aux élections présidentielles. Les candidatures multiples,
dont
l'émiettement est dangereux au premier tour, risquent de perdre leur
efficacité
théorique au deuxième tour à cause de la difficulté du rabattage des
voix. La
solution passe sur le long terme par l'impulsion d'une dynamique de
rapprochement des élites mauritaniennes. Il convient dans cette
approche de
mettre fin à la campagne de diabolisation de Ould Hananna et les
Réformistes.
Ce n'est pas juste de qualifier de sanguinaire une tentative dont les
meneurs
ont préféré préserver la paix civile en se retirant alors que le
rapport de
force ne le leur imposait pas. Le putsch avait effectivement échoué car
ses
meneurs ont considéré que le prix de la victoire devenait trop élevé
pour la
population. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'un véritable échec car la
crise
d'autorité consécutive au 8 juin a abrégé la longévité du régime déchu.
Une autre injustice est de critiquer les Réformistes pour avoir soutenu
un
candidat ex militaire, alors qu'on sait parfaitement que les vieilles
démocraties sont peuplées de présidents, autrefois militaires. Rien
n'empêche
d'ailleurs l'actuel chef de l'Etat de se présenter en 2012. C'est ici
l'occasion de lui rendre hommage pour avoir finalement agi dans le sens
de la
neutralité, alors que d'autres éléments influents du CMJD s'activent
toujours
pour s'accrocher au pouvoir.
Mohamed Aly O. Louly