"Je suis un sous-officier recruté le 30 octobre 1981. J'ai fait une formation d'une année à Rosso d'où je suis sorti avec le grade de brigadier de la Garde. Après ma formation, j'ai été affecté dans le même centre comme encadreur de 1983 jusqu'en 1984. Puis, je fus envoyé en stage pratique à l'Etat-major national. De là, j'ai été envoyé en stage au Centre de formation et de perfectionnement professionnel. Puis, j'ai été affecté à la section transports de la Garde. J'ai ensuite été au sous-groupement n°1 de la Garde. J'y suis resté jusqu'au 22 octobre 1987. Cette date coïncide avec le coup d'Etat militaire.
"C'est à partir de cette date que mes ennuis ont commencé. On m'a accusé de faire partie des putschistes. Je devais partir à Temcheckett pour relever les préposés à la garde de l'ancien président Ould Haïdallah. J'ai refusé de regagner mon poste d'affectation. Le jour du 22 octobre, lorsque le coup d'Etat a foiré, j'ai été à l'Etat-major d'où je devais partir en mission. Quand je suis arrivé, le commandant d'unité, le lieutenant Amel Jiddou, m'a présenté au colonel Brahim Ould Ali Ndiaye qui était le chef d'Etat-major. Ce dernier qui était parti à la présidence de la République, était revenu avec une liste de personnes qu'on devait arrêter, liste dont je faisais partie. Il a demandé au lieutenant Amel Jiddou de me conduire à l'Etat-major national.
"J'ai été arrêté avec d'autres grands responsables. C'était feu le capitaine Sy Bocar, le lieutenant Ngaïdé Ali Moctar de la Gendarmerie, le lieutenant Dia Abdarrahmane, le lieutenant Sy Saïdou de la Gendarmerie, les lieutenants Sarr et Bâ Seydi de la Marine nationale. Tous ces gens ont été arrêtés.
"J'ai été amené à l'Etat-major national où je fus présenté au capitaine Hadi, neveu de Ould Taya. Il m'a dit : "Vous les imbéciles de Sénégalais, on vous a permis de vivre dans notre pays. Maintenant, vous voulez prendre le pouvoir. J'ai répliqué que ce sont ceux-là qu'il qualifie d'imbéciles qui ont porté son oncle (Ould Taya) au pouvoir." Il a appelé un adjudant-chef accompagné de trois soldats armés de kalachnikovs qui m'ont menotté par derrière pour me mettre dans une chambre où je suis resté jusque vers 15 ou 16 h. Par la suite, ils m'ont fait sortir. Devant des officiers de renseignements, ils ont demandé ma filiation ainsi que mon itinéraire dans l'armée. Ils m'ont dit que d'après le lieutenant Bâ Seydi, je fais partie des putschistes. Alors que le lieutenant Bâ Seydi, je ne le connaissais qu'en tant qu'officier de la Marine nationale. Je leur ai fait comprendre qu'il n'y avait rien entre le lieutenant Bâ Seydi et moi. Par conséquent, le lieutenant Bâ Seydi ne pouvait pas leur dire que je fais partie de ceux qui ont formenté le coup d'Etat. Ils m'ont dit que c'est faux et que si je ne parle pas de ce qui s'est passé, ils allaient me malmener. J'ai dit que même s'ils me mettaient devant un peloton d'exécution, je ne parlerai jamais de choses dont je n'ai aucune connaissance.
"Ils m'ont torturé, m'ont mis dans une cellule et m'ont ligoté par derrière jusqu'à une heure du matin. Ensuite, ils nous ont mis dans des Land Rover de la Gendarmerie pour la base militaire de Zreida, à environ 35 km de la capitale Nouakchott. C'est dans ces véhicules que nous avons dormi jusqu'à 7 h du matin. Puis, ils nous ont fait descendre pour nous dispatcher dans les cellules. Moi, j'ai été mis dans une cellule de 90 centimètres. Vers 10 h, j'ai reçu la visite du lieutenant qui m'a fait savoir que, d'après ses renseignements, je suis l'élément moteur du coup d'Etat du 22 octobre. Par conséquent, je ne devais pas rester à cet endroit. Le lendemain, il est revenu me voir pour me répéter la même chose. Le soir, il a amené des cordes pour nous attacher. Cela était valable pour l'ensemble des détenus militaires. Le jour, nous avions des menottes avec les mains derrière, la nuit, on nous attachait avec des cordes. On ne nous donnait pas à manger. Ou, s'ils consentaient à nous en donner, ils y mettaient du sable. Une miche de pain était partagée entre 10 détenus. Pour boire, on n'a droit qu'à l'équivalent en eau d'un pot de Gloria, cela pour 24 heures. Après que nous nous en sommes plaints auprès du lieutenant, il a ordonné que l'on nous amène des bidons militaires pour notre ration en eau. Ainsi, pendant 24 heures, chacun d'entre nous avait droit à un bidon.
"C'est là-bas que nous urinions. Mais, pour aller aux toilettes, on nous sortait. Et nous le faisions sous bonne escorte. Mais, à partir de 6 h, même si on a envie d'aller aux selles, on le faisait sur place. Parce qu'ils nous refusaient formellement de sortir à partir de cette heure-là. Quand nous étions dans une chambre collective avec au minimum 80 personnes, c'est là-bas que nous faisions tout. Il arrivait qu'en plein sommeil, tu sentes les urines de ton voisin de cellule te passer dessous. C'est dans ces conditions que nous avons vécu jusqu'au début de l'interrogatoire mené par le capitaine Ndiaga Dieng. Lorsque je devais subir l'interrogatoire, le lieutenant Vayda a dit au capitaine Dieng que c'était moi le cerveau du coup d'Etat. Après quoi, des questions m'ont été posées relativement à ce coup d'Etat. J'ai réitéré mon ignorance de ce coup d'Etat. Ils ont organisé une confrontation avec un ancien camarade de sous-groupement. Celui-ci m'a accusé de l'avoir moi-même contacté pour la réalisation du coup d'Etat. "Tu mens", lui répondis-je.
"La nuit, vers 2 h du matin, ils m'ont introduit dans le bureau du capitaine. Ils ont menacé de m'obliger à parler si je n'avoue pas de moi-même. J'ai refusé. Le capitaine Ndiaga et le lieutenant ont ordonné que l'on me torture. Alors, les gendarmes m'ont amené à quelques mètres de là, m'ont déshabillé, ligoté puis, ils m'ont fait entrer dans un trou où je suis resté quelques heures. Et quand je suis sorti, je ne pouvais même pas tenir debout. Ils m'ont ramené dans le bureau du capitaine. Celui-ci croyait qu'après ces sévices, j'allais passer à table et avouer. Je lui ai fait comprendre que je ne parlerai jamais de choses dont je n'ai aucune connaissance. Sur ce, debout avec mes menottes, j'ai été giflé par le capitaine Dieng et le lieutenant Vayda. Puis, ils ont demandé aux gendarmes de m'emmener. En cours de chemin, les gendarmes m'ont demandé de parler si je ne voulais pas continuer à souffrir. Je leur ai répété ce que j'ai toujours dit. A savoir que je ne parlerai jamais de quelque chose que je ne connais pas. Pendant deux jours, c'était la même chose.
"Une nuit, ils m'ont amené à côté de la mer, les yeux bandés. Ils ont menacé de m'exécuter si je persiste dans mon refus. Je leur ai répété ce que je n'ai jamais cessé de leur dire. A savoir que je ne vais jamais parler de choses dont je n'ai aucune connaissance. Ils ont commencé à manier leurs armes pour me faire peur. C'était peine perdue. Alors, ils m'ont ramené dans ma cellule. Un jour, ils m'ont attaché et tout l'escadron est passé pour me battre. Les uns me piétinaient. Les autres me giflaient. Certains me donnaient des coups de Rangers (Ndlr : chaussures des militaires), de cravaches, de baîllonnettes. (Il montre sur son corps des cicatrices de tortures).
"Par la suite, cinquante parmi nous ont été choisis pour être jugés. J'en faisais partie. Le gouvernement nous a enjoint de prendre des avocats. Nous les sous-officiers, nous avons dit que nous ne prenions pas d'avocat. Notre religion était faite que ce que Ould Taya voulait faire, ce n'est pas un avocat qui pouvait l'en dissuader. Ainsi, nous avons refusé de prendre des avocats. Alors, nous avons été enchaînés avec des menottes et emmenés pour être jugés. Ils ont choisi la formule de la défense collective. C'est le colonel Cheikh Ould Boyda qui assurait les fonctions de procureur. Il a requis la condamnation à mort contre un premier groupe de 11 officiers. Contre le deuxième groupe - dont je faisais partie - il avait requis la perpétuité et vingt ans contre le troisième groupe.
"Le verdict devait tomber le 3 décembre. On nous a menottés et conduits dans une salle d'audience et devant un peloton d'exécution. Les Lieutenants Bâ Seydi, Sarr Amadou et Sy Saïdou furent condamnés à mort. D'autres à perpétuité, vingt ou dix ans. Moi, j'ai été condamné à dix ans avec une amende 300 mille ouguiyas (Ndlr : monnaie nationale de la Mauritanie). Les avocats ont demandé aux condamnés à mort s'ils voulaient demander pardon à Ould Taya. Ils ont répondu qu'ils n'avaient mandaté personne pour demander clémence en leur nom. Les trois officiers ont été amenés dans des cellules de 90 centimètres, puis exécutés, devant nous, le 6 décembre.
"Nous avons été conduits, sous les ordres de l'actuel président de la République, Ely Ould Mohamed Vall, à Walata. Nous avons voyagé à bord de camions bâchés avec les détenus des Forces de libération africaines de Mauritanie qui étaient arrêtés depuis 1986. On a fait deux jours de route sans manger ni boire. A Kiffa, nous avons demandé à boire. Ce qu'on nous a, catégoriquement, refusé. A Néma, ils nous ont amené du pain et des pots de lait avarié que nous avons jetés. Puis, nous avons repris le chemin pour rallier Walata. Avant de rentrer dans nos cellules, le lieutenant nous a dit que si on est là, c'est pour mourir. Et que pour cela, ils n'avaient pas besoin de gaspiller leurs cartouches. La stratégie, explique-t-il, c'est de nous empêcher de boire et de manger jusqu'à ce que nous périssions.
"Ils nous ont mis des chaînes (il montre les chaînes avec lesquelles ils étaient ligotés). Moi, j'ai été enchaîné avec le commissaire de police Ly Mamadou. C'est le seul officier de police à avoir participé au premier coup d'Etat militaire. C'était en 1978. J'ai dit au commandant du camp de me mettre avec quelqu'un qui avait à peu près le même âge que moi. Parce que, du fait de son âge qui était approximativement celui de mon père, le commissaire Ly Mamadou était presque mon père. "Je m'en fiche ; vous êtes tous des hommes", me répondit-il. Ainsi, s'il faisait ses besoins, il fallait que je me mette quelque chose sur le visage pour ne pas le voir. C'est ainsi que nous avons vécu pendant un moment durant lequel tant que la chambre n'est pas ouverte, on ne peut savoir si c'est le jour ou la nuit, tellement c'était sombre. Les gardes avaient dit que tant que quelqu'un n'est pas mort, personne ne devait ouvrir la porte. Il y avait un brigadier dans le camp. Dès fois, il venait, ouvrait la porte et menaçait de nous pisser dessus. "Est-ce qu'un nègre peut prendre le pouvoir en Mauritanie", nous demandait-il.
"Du 22 octobre 1987 jusqu'en 1988, nous n'avons pas touché à de l'eau. Même pas pour nous laver les mains, a fortiori nous laver le corps. Les tenues avec lesquelles on nous avait arrêtés, étaient déchirées. Quand tu les vois, tu croirais que ce sont des habits qui sortent droit d'un fût de gas-oil.
"En 1990, Ould Taya a simulé un coup d'Etat contre son pouvoir pour éliminer les Négro-Mauritaniens qui restaient dans l'Armée, la Garde, la Gendarmerie. Pour mieux faire mal, il nous a été donné de voir des détenus dont l'un des pieds était attaché à un véhicule, l'autre pied également à un autre véhicule. Ainsi, les deux véhicules démarraient pour prendre des directions opposées, déchiquetant ainsi des corps humains. D'autres détenus ont été simplement ligotés et jetés dans du feu. Certains détenus ont été enterrés vivants. A d'autres, on a enlevé leurs yeux, coupé leur sexe, ou attaché à leur sexe une pierre qu'on laissait pendre. Certains étaient pendus. Il y a eu beaucoup d'atrocités dont je ne voudrais pas parler, par respect pour les lecteurs. L'ancien chef d'Etat-major de Ould Taya a tué, dans ces conditions, plus de trois cents Négro-Mauritaniens. Les 28 soldats pendus dans la nuit du 27 au 28 novembre 1990 au camp militaire d´Inal , c'était encore son œuvre. "C'est dans ces conditions-là que nous avons vécu sans habit, sans manger à notre soif. Nous couchions à même le sol. Du fait de la saleté, nous avions des poux partout sur le corps. Et il n'était pas rare de voir des poux sur les murs de nos cellules de détention. Pendant ce temps, certains d'entre nous étaient malades, incapables de se lever. D'autres avaient des diarrhées. Certains avaient le corps enflé comme un ballon. On n'avait pas d'infirmier. Durant tout ce temps, nos parents ne savaient même pas où nous étions détenus.
"Un jour, nos geôliers nous ont accusés d'avoir voulu fuir. Parce qu'il y a certains d'entre nous qui avaient voulu casser leurs cadenas du fait que ceux-ci leur faisaient mal et leur avaient même occasionné des blessures. Alors, ils en ont déduit qu'on voulait fuir. Et qu'ils allaient nous tuer tous. Ils nous ont sortis tous, nous ont alignés pour nous frapper un à un, jusqu'à ce que l'individu tombe. Puis, on le met de côté pour passer à un autre.
"Le premier décès dans nos rangs, c'était l'adjudant-chef Bâ Alassane Oumar. Le deuxième, c'était Djigo Tapsir, ancien ministre de l'Hydraulique. Après, c'était Tène Youssouf Guèye, décédé entre Néma et Walata. Celui-ci était malade et devait être évacué sur Nouakchott. Ould Taya et son ministre de l'Intérieur de l'époque ont refusé. Pourtant, c'est Tène Youssouf Guèye qui a donné à Ould Taya sa première femme (décédée par électrocution, selon la version officielle). Parce que le père de la femme était très lié d'amitié avec Tène Youssouf Guèye. Le quatrième décès, c'était le lieutenant Bâ Abdoul Khoudoss. Il était gravement malade, couché avec ses chaînes. Nous avons demandé aux gardes de casser ses chaînes. Parce que, de toutes les façons, même si on le détachait, il ne pouvait pas fuir, incapable qu'il était de bouger. Ils ont refusé et ont dit qu'il n'avait qu'à mourir. Ils ont fait comprendre qu'ils n'enlèveront les chaînes que s'il décède. Finalement, c'est ce qu'ils ont fait parce qu'il est décédé.
"Lorsque les organisations de défense des Droits de l'homme comme Amnesty international ont commencé à parler du "mouroir de Walata", le gouvernement mauritanien a eu peur. Il a envoyé une délégation qui est venue nous voir avec, à sa tête, le ministre de l'Intérieur, Djibril Ould Abdallah. Dans la délégation, il y avait un médecin-capitaine. Quelques temps après, ils ont amené tous les civils à la prison d'Aïoun. Nous les y avons rejoints, plus tard. Là-bas, pour le repas, nous avions du blé sur lequel ils mettaient un peu de sauce. Nous, les militaires, nous avons refusé de manger ce plat. Nous nous sommes plaints auprès du gouverneur. Ce dernier a accepté de nous donner notre ration. Puis, il a été décidé que nous pouvions recevoir les visites de nos parents. Mais, quand nos femmes venaient nous rendre visite, on nous donnait une chambre pour 15 minutes. Mais, c'était sous l'œil vigilant d'un garde armé d'un kalachnikov et posté à la porte. Et quand nos femmes venaient nous rendre visite, ce sont les gardes eux-mêmes qui les fouillaient. Après nos plaintes, ils ont accepté d'affecter une femme à cette tâche.
"Il y a beaucoup de charniers en Mauritanie. Il y en a à Jellad, Inal, Aleg, Sorimalé, etc. Il y a plus de trois cents villages mauritaniens qui ont été déportés au Sénégal. Ces villages ont été, par la suite, occupés par des maures, puis rebaptisés par leurs nouveaux occupants. Il y a des femmes qui ont été violées. Des policiers ont été envoyés dans les villages frontaliers du Sénégal. Chaque nuit, ils demandaient qu'on leur amène des femmes. Des policiers sont entrés dans des maisons, ont violé des femmes sous le regard de leurs maris. D'autres fois, ils prennent la femme de quelqu'un, dorment avec, pour ne la ramener que le lendemain. Des femmes ont ainsi donné naissance à des bébés maures. Ces pratiques continuent jusqu'à maintenant.
"Le problème de la Mauritanie, ce n'est pas lié à la personne de Taya ou de Vall. C'est lié à un système : le système beydane. Depuis 1960 jusqu'en 1986, c'est un quota qui était réservé aux Noirs. Pendant cette période, les Négro-Mauritaniens n'avaient droit qu'à deux ministres et un directeur de cabinet. De 1990 à nos jours, c'est trois ministres et deux directeurs de cabinet.
"Parmi les Maures qui ont eu à organiser des coups d'Etat, personne d'entre eux n'a été condamné à mort. Ceux qui avaient été condamnés à perpétuité ou à temps, ont été amnistiés et ont repris leur place dans la société et leurs fonctions dans l'armée. Ce qu'on a toujours refusé aux Négro-Mauritaniens.
"Aujourd'hui, on ne constate aucun changement. Vall a gardé les mêmes ministres de Ould Taya. Son Premier ministre, c'était le Premier ministre de Taya avant qu'il ne soit nommé ambassadeur à Paris. Les gouverneurs et les préfets sont restés les mêmes. Ely Ould Vall a, par ailleurs, dit qu'il n'y aura aucune action en justice contre Ould Taya. Son Premier ministre qui tenait, dernièrement, une conférence de presse, a dit que si Ould Taya est investi par son parti aux élections présidentielles, rien ne s'oppose à ce qu'il soit candidat."
Propos recueillis par Ibrahima ANNE -Walfadjri du 01-12-2005
"C'est à partir de cette date que mes ennuis ont commencé. On m'a accusé de faire partie des putschistes. Je devais partir à Temcheckett pour relever les préposés à la garde de l'ancien président Ould Haïdallah. J'ai refusé de regagner mon poste d'affectation. Le jour du 22 octobre, lorsque le coup d'Etat a foiré, j'ai été à l'Etat-major d'où je devais partir en mission. Quand je suis arrivé, le commandant d'unité, le lieutenant Amel Jiddou, m'a présenté au colonel Brahim Ould Ali Ndiaye qui était le chef d'Etat-major. Ce dernier qui était parti à la présidence de la République, était revenu avec une liste de personnes qu'on devait arrêter, liste dont je faisais partie. Il a demandé au lieutenant Amel Jiddou de me conduire à l'Etat-major national.
"J'ai été arrêté avec d'autres grands responsables. C'était feu le capitaine Sy Bocar, le lieutenant Ngaïdé Ali Moctar de la Gendarmerie, le lieutenant Dia Abdarrahmane, le lieutenant Sy Saïdou de la Gendarmerie, les lieutenants Sarr et Bâ Seydi de la Marine nationale. Tous ces gens ont été arrêtés.
"J'ai été amené à l'Etat-major national où je fus présenté au capitaine Hadi, neveu de Ould Taya. Il m'a dit : "Vous les imbéciles de Sénégalais, on vous a permis de vivre dans notre pays. Maintenant, vous voulez prendre le pouvoir. J'ai répliqué que ce sont ceux-là qu'il qualifie d'imbéciles qui ont porté son oncle (Ould Taya) au pouvoir." Il a appelé un adjudant-chef accompagné de trois soldats armés de kalachnikovs qui m'ont menotté par derrière pour me mettre dans une chambre où je suis resté jusque vers 15 ou 16 h. Par la suite, ils m'ont fait sortir. Devant des officiers de renseignements, ils ont demandé ma filiation ainsi que mon itinéraire dans l'armée. Ils m'ont dit que d'après le lieutenant Bâ Seydi, je fais partie des putschistes. Alors que le lieutenant Bâ Seydi, je ne le connaissais qu'en tant qu'officier de la Marine nationale. Je leur ai fait comprendre qu'il n'y avait rien entre le lieutenant Bâ Seydi et moi. Par conséquent, le lieutenant Bâ Seydi ne pouvait pas leur dire que je fais partie de ceux qui ont formenté le coup d'Etat. Ils m'ont dit que c'est faux et que si je ne parle pas de ce qui s'est passé, ils allaient me malmener. J'ai dit que même s'ils me mettaient devant un peloton d'exécution, je ne parlerai jamais de choses dont je n'ai aucune connaissance.
"Ils m'ont torturé, m'ont mis dans une cellule et m'ont ligoté par derrière jusqu'à une heure du matin. Ensuite, ils nous ont mis dans des Land Rover de la Gendarmerie pour la base militaire de Zreida, à environ 35 km de la capitale Nouakchott. C'est dans ces véhicules que nous avons dormi jusqu'à 7 h du matin. Puis, ils nous ont fait descendre pour nous dispatcher dans les cellules. Moi, j'ai été mis dans une cellule de 90 centimètres. Vers 10 h, j'ai reçu la visite du lieutenant qui m'a fait savoir que, d'après ses renseignements, je suis l'élément moteur du coup d'Etat du 22 octobre. Par conséquent, je ne devais pas rester à cet endroit. Le lendemain, il est revenu me voir pour me répéter la même chose. Le soir, il a amené des cordes pour nous attacher. Cela était valable pour l'ensemble des détenus militaires. Le jour, nous avions des menottes avec les mains derrière, la nuit, on nous attachait avec des cordes. On ne nous donnait pas à manger. Ou, s'ils consentaient à nous en donner, ils y mettaient du sable. Une miche de pain était partagée entre 10 détenus. Pour boire, on n'a droit qu'à l'équivalent en eau d'un pot de Gloria, cela pour 24 heures. Après que nous nous en sommes plaints auprès du lieutenant, il a ordonné que l'on nous amène des bidons militaires pour notre ration en eau. Ainsi, pendant 24 heures, chacun d'entre nous avait droit à un bidon.
"C'est là-bas que nous urinions. Mais, pour aller aux toilettes, on nous sortait. Et nous le faisions sous bonne escorte. Mais, à partir de 6 h, même si on a envie d'aller aux selles, on le faisait sur place. Parce qu'ils nous refusaient formellement de sortir à partir de cette heure-là. Quand nous étions dans une chambre collective avec au minimum 80 personnes, c'est là-bas que nous faisions tout. Il arrivait qu'en plein sommeil, tu sentes les urines de ton voisin de cellule te passer dessous. C'est dans ces conditions que nous avons vécu jusqu'au début de l'interrogatoire mené par le capitaine Ndiaga Dieng. Lorsque je devais subir l'interrogatoire, le lieutenant Vayda a dit au capitaine Dieng que c'était moi le cerveau du coup d'Etat. Après quoi, des questions m'ont été posées relativement à ce coup d'Etat. J'ai réitéré mon ignorance de ce coup d'Etat. Ils ont organisé une confrontation avec un ancien camarade de sous-groupement. Celui-ci m'a accusé de l'avoir moi-même contacté pour la réalisation du coup d'Etat. "Tu mens", lui répondis-je.
"La nuit, vers 2 h du matin, ils m'ont introduit dans le bureau du capitaine. Ils ont menacé de m'obliger à parler si je n'avoue pas de moi-même. J'ai refusé. Le capitaine Ndiaga et le lieutenant ont ordonné que l'on me torture. Alors, les gendarmes m'ont amené à quelques mètres de là, m'ont déshabillé, ligoté puis, ils m'ont fait entrer dans un trou où je suis resté quelques heures. Et quand je suis sorti, je ne pouvais même pas tenir debout. Ils m'ont ramené dans le bureau du capitaine. Celui-ci croyait qu'après ces sévices, j'allais passer à table et avouer. Je lui ai fait comprendre que je ne parlerai jamais de choses dont je n'ai aucune connaissance. Sur ce, debout avec mes menottes, j'ai été giflé par le capitaine Dieng et le lieutenant Vayda. Puis, ils ont demandé aux gendarmes de m'emmener. En cours de chemin, les gendarmes m'ont demandé de parler si je ne voulais pas continuer à souffrir. Je leur ai répété ce que j'ai toujours dit. A savoir que je ne parlerai jamais de quelque chose que je ne connais pas. Pendant deux jours, c'était la même chose.
"Une nuit, ils m'ont amené à côté de la mer, les yeux bandés. Ils ont menacé de m'exécuter si je persiste dans mon refus. Je leur ai répété ce que je n'ai jamais cessé de leur dire. A savoir que je ne vais jamais parler de choses dont je n'ai aucune connaissance. Ils ont commencé à manier leurs armes pour me faire peur. C'était peine perdue. Alors, ils m'ont ramené dans ma cellule. Un jour, ils m'ont attaché et tout l'escadron est passé pour me battre. Les uns me piétinaient. Les autres me giflaient. Certains me donnaient des coups de Rangers (Ndlr : chaussures des militaires), de cravaches, de baîllonnettes. (Il montre sur son corps des cicatrices de tortures).
"Par la suite, cinquante parmi nous ont été choisis pour être jugés. J'en faisais partie. Le gouvernement nous a enjoint de prendre des avocats. Nous les sous-officiers, nous avons dit que nous ne prenions pas d'avocat. Notre religion était faite que ce que Ould Taya voulait faire, ce n'est pas un avocat qui pouvait l'en dissuader. Ainsi, nous avons refusé de prendre des avocats. Alors, nous avons été enchaînés avec des menottes et emmenés pour être jugés. Ils ont choisi la formule de la défense collective. C'est le colonel Cheikh Ould Boyda qui assurait les fonctions de procureur. Il a requis la condamnation à mort contre un premier groupe de 11 officiers. Contre le deuxième groupe - dont je faisais partie - il avait requis la perpétuité et vingt ans contre le troisième groupe.
"Le verdict devait tomber le 3 décembre. On nous a menottés et conduits dans une salle d'audience et devant un peloton d'exécution. Les Lieutenants Bâ Seydi, Sarr Amadou et Sy Saïdou furent condamnés à mort. D'autres à perpétuité, vingt ou dix ans. Moi, j'ai été condamné à dix ans avec une amende 300 mille ouguiyas (Ndlr : monnaie nationale de la Mauritanie). Les avocats ont demandé aux condamnés à mort s'ils voulaient demander pardon à Ould Taya. Ils ont répondu qu'ils n'avaient mandaté personne pour demander clémence en leur nom. Les trois officiers ont été amenés dans des cellules de 90 centimètres, puis exécutés, devant nous, le 6 décembre.
"Nous avons été conduits, sous les ordres de l'actuel président de la République, Ely Ould Mohamed Vall, à Walata. Nous avons voyagé à bord de camions bâchés avec les détenus des Forces de libération africaines de Mauritanie qui étaient arrêtés depuis 1986. On a fait deux jours de route sans manger ni boire. A Kiffa, nous avons demandé à boire. Ce qu'on nous a, catégoriquement, refusé. A Néma, ils nous ont amené du pain et des pots de lait avarié que nous avons jetés. Puis, nous avons repris le chemin pour rallier Walata. Avant de rentrer dans nos cellules, le lieutenant nous a dit que si on est là, c'est pour mourir. Et que pour cela, ils n'avaient pas besoin de gaspiller leurs cartouches. La stratégie, explique-t-il, c'est de nous empêcher de boire et de manger jusqu'à ce que nous périssions.
"Ils nous ont mis des chaînes (il montre les chaînes avec lesquelles ils étaient ligotés). Moi, j'ai été enchaîné avec le commissaire de police Ly Mamadou. C'est le seul officier de police à avoir participé au premier coup d'Etat militaire. C'était en 1978. J'ai dit au commandant du camp de me mettre avec quelqu'un qui avait à peu près le même âge que moi. Parce que, du fait de son âge qui était approximativement celui de mon père, le commissaire Ly Mamadou était presque mon père. "Je m'en fiche ; vous êtes tous des hommes", me répondit-il. Ainsi, s'il faisait ses besoins, il fallait que je me mette quelque chose sur le visage pour ne pas le voir. C'est ainsi que nous avons vécu pendant un moment durant lequel tant que la chambre n'est pas ouverte, on ne peut savoir si c'est le jour ou la nuit, tellement c'était sombre. Les gardes avaient dit que tant que quelqu'un n'est pas mort, personne ne devait ouvrir la porte. Il y avait un brigadier dans le camp. Dès fois, il venait, ouvrait la porte et menaçait de nous pisser dessus. "Est-ce qu'un nègre peut prendre le pouvoir en Mauritanie", nous demandait-il.
"Du 22 octobre 1987 jusqu'en 1988, nous n'avons pas touché à de l'eau. Même pas pour nous laver les mains, a fortiori nous laver le corps. Les tenues avec lesquelles on nous avait arrêtés, étaient déchirées. Quand tu les vois, tu croirais que ce sont des habits qui sortent droit d'un fût de gas-oil.
"En 1990, Ould Taya a simulé un coup d'Etat contre son pouvoir pour éliminer les Négro-Mauritaniens qui restaient dans l'Armée, la Garde, la Gendarmerie. Pour mieux faire mal, il nous a été donné de voir des détenus dont l'un des pieds était attaché à un véhicule, l'autre pied également à un autre véhicule. Ainsi, les deux véhicules démarraient pour prendre des directions opposées, déchiquetant ainsi des corps humains. D'autres détenus ont été simplement ligotés et jetés dans du feu. Certains détenus ont été enterrés vivants. A d'autres, on a enlevé leurs yeux, coupé leur sexe, ou attaché à leur sexe une pierre qu'on laissait pendre. Certains étaient pendus. Il y a eu beaucoup d'atrocités dont je ne voudrais pas parler, par respect pour les lecteurs. L'ancien chef d'Etat-major de Ould Taya a tué, dans ces conditions, plus de trois cents Négro-Mauritaniens. Les 28 soldats pendus dans la nuit du 27 au 28 novembre 1990 au camp militaire d´Inal , c'était encore son œuvre. "C'est dans ces conditions-là que nous avons vécu sans habit, sans manger à notre soif. Nous couchions à même le sol. Du fait de la saleté, nous avions des poux partout sur le corps. Et il n'était pas rare de voir des poux sur les murs de nos cellules de détention. Pendant ce temps, certains d'entre nous étaient malades, incapables de se lever. D'autres avaient des diarrhées. Certains avaient le corps enflé comme un ballon. On n'avait pas d'infirmier. Durant tout ce temps, nos parents ne savaient même pas où nous étions détenus.
"Un jour, nos geôliers nous ont accusés d'avoir voulu fuir. Parce qu'il y a certains d'entre nous qui avaient voulu casser leurs cadenas du fait que ceux-ci leur faisaient mal et leur avaient même occasionné des blessures. Alors, ils en ont déduit qu'on voulait fuir. Et qu'ils allaient nous tuer tous. Ils nous ont sortis tous, nous ont alignés pour nous frapper un à un, jusqu'à ce que l'individu tombe. Puis, on le met de côté pour passer à un autre.
"Le premier décès dans nos rangs, c'était l'adjudant-chef Bâ Alassane Oumar. Le deuxième, c'était Djigo Tapsir, ancien ministre de l'Hydraulique. Après, c'était Tène Youssouf Guèye, décédé entre Néma et Walata. Celui-ci était malade et devait être évacué sur Nouakchott. Ould Taya et son ministre de l'Intérieur de l'époque ont refusé. Pourtant, c'est Tène Youssouf Guèye qui a donné à Ould Taya sa première femme (décédée par électrocution, selon la version officielle). Parce que le père de la femme était très lié d'amitié avec Tène Youssouf Guèye. Le quatrième décès, c'était le lieutenant Bâ Abdoul Khoudoss. Il était gravement malade, couché avec ses chaînes. Nous avons demandé aux gardes de casser ses chaînes. Parce que, de toutes les façons, même si on le détachait, il ne pouvait pas fuir, incapable qu'il était de bouger. Ils ont refusé et ont dit qu'il n'avait qu'à mourir. Ils ont fait comprendre qu'ils n'enlèveront les chaînes que s'il décède. Finalement, c'est ce qu'ils ont fait parce qu'il est décédé.
"Lorsque les organisations de défense des Droits de l'homme comme Amnesty international ont commencé à parler du "mouroir de Walata", le gouvernement mauritanien a eu peur. Il a envoyé une délégation qui est venue nous voir avec, à sa tête, le ministre de l'Intérieur, Djibril Ould Abdallah. Dans la délégation, il y avait un médecin-capitaine. Quelques temps après, ils ont amené tous les civils à la prison d'Aïoun. Nous les y avons rejoints, plus tard. Là-bas, pour le repas, nous avions du blé sur lequel ils mettaient un peu de sauce. Nous, les militaires, nous avons refusé de manger ce plat. Nous nous sommes plaints auprès du gouverneur. Ce dernier a accepté de nous donner notre ration. Puis, il a été décidé que nous pouvions recevoir les visites de nos parents. Mais, quand nos femmes venaient nous rendre visite, on nous donnait une chambre pour 15 minutes. Mais, c'était sous l'œil vigilant d'un garde armé d'un kalachnikov et posté à la porte. Et quand nos femmes venaient nous rendre visite, ce sont les gardes eux-mêmes qui les fouillaient. Après nos plaintes, ils ont accepté d'affecter une femme à cette tâche.
"Il y a beaucoup de charniers en Mauritanie. Il y en a à Jellad, Inal, Aleg, Sorimalé, etc. Il y a plus de trois cents villages mauritaniens qui ont été déportés au Sénégal. Ces villages ont été, par la suite, occupés par des maures, puis rebaptisés par leurs nouveaux occupants. Il y a des femmes qui ont été violées. Des policiers ont été envoyés dans les villages frontaliers du Sénégal. Chaque nuit, ils demandaient qu'on leur amène des femmes. Des policiers sont entrés dans des maisons, ont violé des femmes sous le regard de leurs maris. D'autres fois, ils prennent la femme de quelqu'un, dorment avec, pour ne la ramener que le lendemain. Des femmes ont ainsi donné naissance à des bébés maures. Ces pratiques continuent jusqu'à maintenant.
"Le problème de la Mauritanie, ce n'est pas lié à la personne de Taya ou de Vall. C'est lié à un système : le système beydane. Depuis 1960 jusqu'en 1986, c'est un quota qui était réservé aux Noirs. Pendant cette période, les Négro-Mauritaniens n'avaient droit qu'à deux ministres et un directeur de cabinet. De 1990 à nos jours, c'est trois ministres et deux directeurs de cabinet.
"Parmi les Maures qui ont eu à organiser des coups d'Etat, personne d'entre eux n'a été condamné à mort. Ceux qui avaient été condamnés à perpétuité ou à temps, ont été amnistiés et ont repris leur place dans la société et leurs fonctions dans l'armée. Ce qu'on a toujours refusé aux Négro-Mauritaniens.
"Aujourd'hui, on ne constate aucun changement. Vall a gardé les mêmes ministres de Ould Taya. Son Premier ministre, c'était le Premier ministre de Taya avant qu'il ne soit nommé ambassadeur à Paris. Les gouverneurs et les préfets sont restés les mêmes. Ely Ould Vall a, par ailleurs, dit qu'il n'y aura aucune action en justice contre Ould Taya. Son Premier ministre qui tenait, dernièrement, une conférence de presse, a dit que si Ould Taya est investi par son parti aux élections présidentielles, rien ne s'oppose à ce qu'il soit candidat."
Propos recueillis par Ibrahima ANNE -Walfadjri du 01-12-2005