En janvier, un Espagnol, une Autrichienne, quatre Marocains, un Togolais et un Burkinabé ont été enlevés dans la zone sahélo-saharienne. Les ravisseurs envisageaient d’en vendre certains à l’Etat islamique dans le grand Sahara (EIGS).
Il s’en est fallu de peu pour qu’il finisse otage de l’Etat islamique (EI). Lundi 20 janvier, le Front de libération de l’Azawad (FLA), la rébellion indépendantiste du nord du Mali, a annoncé qu’il avait récupéré un touriste espagnol qui avait été enlevé six jours plus tôt dans le sud de l’Algérie. Selon une figure du mouvement, l’homme, qui est « en bonne santé » et « en sécurité » dans la région de Kidal, a pu « appeler sa famille » et devait être remis mardi aux services de sécurité algériens.
Ce sexagénaire, qui était parti en randonnée dans le massif algérien de l’Assekrem, avait été enlevé le 14 janvier par des hommes armés alors qu’il faisait route vers Tamanrasset. « Cinq Arabes et Touareg » maliens, affirme une source sécuritaire malienne, qui étaient ensuite parvenus à l’emmener jusqu’au Mali, dont la frontière se situe à quelque 400 km au sud. Selon des sources concordantes, les ravisseurs avaient pour objectif de revendre leur otage à l’Etat islamique dans le grand Sahara (EIGS). Mais le prix qu’ils demandaient (8 millions d’euros, d’après la source sécuritaire malienne précitée) se serait révélé trop important pour la filiale sahélienne de l’EI.
C’est alors que le FLA est entré dans l’équation. D’après l’un de ses dirigeants, ses combattants ont localisé et suivi les ravisseurs, puis les ont cernés avant qu’ils ne gagnent la région de Ménaka, fief de l’EIGS dans l’est du Mali. « Le FLA était en mission pour les Algériens, qui ont payé – probablement pour les Espagnols – une somme bien moindre que s’il avait été remis à l’EI », affirme la source sécuritaire malienne.
« Soldats du califat »
« C’est faux, nous n’agissons pour le compte de personne et aucune somme n’a été versée, assure Mohamed Elmaouloud Ramadane, porte-parole du FLA. Les ravisseurs étaient encerclés et n’avaient plus le choix. Nous avons réussi à les convaincre de nous remettre ce citoyen espagnol sans heurts, en ayant recours à la pression et à la négociation. »
Pour l’Algérie, qui tente de développer le tourisme dans son Sud saharien, cette affaire, trois mois après l’assassinat d’une touriste suisse dans un café de Djanet (sud-est), est embarrassante. Aucun Occidental n’y avait été capturé depuis plus de dix ans. En septembre 2014, Hervé Gourdel, un guide de montagne français, avait été enlevé et tué trois jours plus tard par ses ravisseurs des « Soldats du califat », un groupe djihadiste qui avait fait allégeance à l’EI, en représailles à l’opération « Chammal » menée par la France contre le « califat » en Irak.
Eva Gretzmacher n’a, elle, pas eu la chance d’être récupérée en plein désert comme le touriste espagnol. Dans la nuit du 11 au 12 janvier, cette Autrichienne de 73 ans a été enlevée à Agadez, dans le centre du Niger. Installée dans cette ville carrefour du Sahara depuis vingt-huit ans, elle a été embarquée de force dans un 4x4 par des hommes armés qui ont débarqué chez elle. Des « bandits locaux », selon plusieurs sources locales, qui l’auraient ensuite remise à l’EIGS. La filiale sahélienne de l’EI n’a depuis rien revendiqué, mais un communiqué publié le 13 janvier par sa rivale d’Al-Qaida, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), pour nier « catégoriquement » son implication, laisse peu de doutes sur son sort.
« Une précieuse monnaie d’échange »
L’ombre de l’EIGS plane sur une autre affaire de rapt d’étrangers, cette fois dans la zone dite « des trois frontières » – aux confins du Mali, du Burkina Faso et du Niger – que le groupe contrôle en bonne partie. Samedi 18 janvier, quatre chauffeurs marocains, un Togolais et un Burkinabé y ont été enlevés alors qu’ils roulaient sans escorte entre Dori, dans le nord du Burkina Faso, et Téra, dans l’ouest du Niger, à bord de leurs camions de marchandises.
Une semaine plus tôt, un convoi de ravitaillement avait été attaqué par l’EIGS sur le même axe, à quelque 25 km de Dori, faisant 34 morts, dont 27 soldats burkinabés et nigériens, selon une source sécuritaire locale. Certains médias marocains ont depuis annoncé que les camionneurs ont été retrouvés sains et saufs. Une information qui n’avait pas été officiellement confirmée par Rabat mardi à la mi-journée.
Si de nombreux Maliens, Burkinabés et Nigériens sont régulièrement enlevés dans leurs pays par les groupes djihadistes, le business des otages étrangers s’était tari au Sahel ces dernières années. Entre le milieu des années 2000 et celui des années 2010, il avait été l’un des moyens de financement des katibas liées à Al-Qaida, grâce aux rançons – s’élevant parfois à plusieurs millions d’euros – versées en échange des otages occidentaux, notamment français.
Hormis l’humanitaire allemand Jörg Lange, qu’il a libéré en 2018 après l’avoir détenu pendant quatre ans, l’EIGS ne procédait pas à de telles pratiques. Un changement de tactique pour la filiale sahélienne de l’EI, qui, après avoir étendu sa zone d’influence autour de Ménaka, dans l’est du Mali, depuis 2021, est désormais sous la pression conjuguée des armées malienne et nigérienne. « Les otages peuvent constituer une précieuse monnaie d’échange à un moment où l’EIGS est mis en difficulté dans la zone des trois frontières », conclut une source sécuritaire régionale.
Benjamin Roger
Source : Le Monde
Il s’en est fallu de peu pour qu’il finisse otage de l’Etat islamique (EI). Lundi 20 janvier, le Front de libération de l’Azawad (FLA), la rébellion indépendantiste du nord du Mali, a annoncé qu’il avait récupéré un touriste espagnol qui avait été enlevé six jours plus tôt dans le sud de l’Algérie. Selon une figure du mouvement, l’homme, qui est « en bonne santé » et « en sécurité » dans la région de Kidal, a pu « appeler sa famille » et devait être remis mardi aux services de sécurité algériens.
Ce sexagénaire, qui était parti en randonnée dans le massif algérien de l’Assekrem, avait été enlevé le 14 janvier par des hommes armés alors qu’il faisait route vers Tamanrasset. « Cinq Arabes et Touareg » maliens, affirme une source sécuritaire malienne, qui étaient ensuite parvenus à l’emmener jusqu’au Mali, dont la frontière se situe à quelque 400 km au sud. Selon des sources concordantes, les ravisseurs avaient pour objectif de revendre leur otage à l’Etat islamique dans le grand Sahara (EIGS). Mais le prix qu’ils demandaient (8 millions d’euros, d’après la source sécuritaire malienne précitée) se serait révélé trop important pour la filiale sahélienne de l’EI.
C’est alors que le FLA est entré dans l’équation. D’après l’un de ses dirigeants, ses combattants ont localisé et suivi les ravisseurs, puis les ont cernés avant qu’ils ne gagnent la région de Ménaka, fief de l’EIGS dans l’est du Mali. « Le FLA était en mission pour les Algériens, qui ont payé – probablement pour les Espagnols – une somme bien moindre que s’il avait été remis à l’EI », affirme la source sécuritaire malienne.
« Soldats du califat »
« C’est faux, nous n’agissons pour le compte de personne et aucune somme n’a été versée, assure Mohamed Elmaouloud Ramadane, porte-parole du FLA. Les ravisseurs étaient encerclés et n’avaient plus le choix. Nous avons réussi à les convaincre de nous remettre ce citoyen espagnol sans heurts, en ayant recours à la pression et à la négociation. »
Pour l’Algérie, qui tente de développer le tourisme dans son Sud saharien, cette affaire, trois mois après l’assassinat d’une touriste suisse dans un café de Djanet (sud-est), est embarrassante. Aucun Occidental n’y avait été capturé depuis plus de dix ans. En septembre 2014, Hervé Gourdel, un guide de montagne français, avait été enlevé et tué trois jours plus tard par ses ravisseurs des « Soldats du califat », un groupe djihadiste qui avait fait allégeance à l’EI, en représailles à l’opération « Chammal » menée par la France contre le « califat » en Irak.
Eva Gretzmacher n’a, elle, pas eu la chance d’être récupérée en plein désert comme le touriste espagnol. Dans la nuit du 11 au 12 janvier, cette Autrichienne de 73 ans a été enlevée à Agadez, dans le centre du Niger. Installée dans cette ville carrefour du Sahara depuis vingt-huit ans, elle a été embarquée de force dans un 4x4 par des hommes armés qui ont débarqué chez elle. Des « bandits locaux », selon plusieurs sources locales, qui l’auraient ensuite remise à l’EIGS. La filiale sahélienne de l’EI n’a depuis rien revendiqué, mais un communiqué publié le 13 janvier par sa rivale d’Al-Qaida, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), pour nier « catégoriquement » son implication, laisse peu de doutes sur son sort.
« Une précieuse monnaie d’échange »
L’ombre de l’EIGS plane sur une autre affaire de rapt d’étrangers, cette fois dans la zone dite « des trois frontières » – aux confins du Mali, du Burkina Faso et du Niger – que le groupe contrôle en bonne partie. Samedi 18 janvier, quatre chauffeurs marocains, un Togolais et un Burkinabé y ont été enlevés alors qu’ils roulaient sans escorte entre Dori, dans le nord du Burkina Faso, et Téra, dans l’ouest du Niger, à bord de leurs camions de marchandises.
Une semaine plus tôt, un convoi de ravitaillement avait été attaqué par l’EIGS sur le même axe, à quelque 25 km de Dori, faisant 34 morts, dont 27 soldats burkinabés et nigériens, selon une source sécuritaire locale. Certains médias marocains ont depuis annoncé que les camionneurs ont été retrouvés sains et saufs. Une information qui n’avait pas été officiellement confirmée par Rabat mardi à la mi-journée.
Si de nombreux Maliens, Burkinabés et Nigériens sont régulièrement enlevés dans leurs pays par les groupes djihadistes, le business des otages étrangers s’était tari au Sahel ces dernières années. Entre le milieu des années 2000 et celui des années 2010, il avait été l’un des moyens de financement des katibas liées à Al-Qaida, grâce aux rançons – s’élevant parfois à plusieurs millions d’euros – versées en échange des otages occidentaux, notamment français.
Hormis l’humanitaire allemand Jörg Lange, qu’il a libéré en 2018 après l’avoir détenu pendant quatre ans, l’EIGS ne procédait pas à de telles pratiques. Un changement de tactique pour la filiale sahélienne de l’EI, qui, après avoir étendu sa zone d’influence autour de Ménaka, dans l’est du Mali, depuis 2021, est désormais sous la pression conjuguée des armées malienne et nigérienne. « Les otages peuvent constituer une précieuse monnaie d’échange à un moment où l’EIGS est mis en difficulté dans la zone des trois frontières », conclut une source sécuritaire régionale.
Benjamin Roger
Source : Le Monde