Le sergent Diallo Sileye Beye dit à Jemal qu’il préfère rester avec ses amis les marins, étant lui-même un marin. Il est infirmier et a toujours occupé le poste de laborantin de la région, à cet effet, il est très connu dans la région aussi bien dans le milieu militaire que civil. Après une courte hésitation, Jemal dit de le retirer et de mettre quelqu’un d’autre à sa place.
Un autre soldat est choisi, le deuxième classe Diallo Abdoul Beye, le petit-frère du premier. Les prisonniers numérotés sont mis à l’écart. Ils s’attendent à embarquer dans un camion pour une destination inconnue.Nous sommes à la veille du trentième anniversaire de l’indépendance de notre pays. En temps normal, on devrait être en train de se préparer pour le défilé au flambeau et pour celui de demain matin. De notre côté, nous attendons sans trop y croire, une éventuelle intervention du Président de la République pour au moins, être fixés sur les raisons officielles de notre présence ici.
La Mauritanie aura trente ans demain, ce n’est pas un évènement banal, nous sommes donc en droit d’espérer obtenir une solution favorable de la part de celui-là même qui est le principal responsable de nos malheurs. Alors que de leur côté nos tortionnaires nous préparent leur plus sale coup depuis la création de la Mauritanie.
Vers mi-nuit, le groupe des prisonniers numérotés est placé devant le grand hangar, celui devant lequel j’ai été trainé par le camion. Khattra et d’autres soldats mettent en place des cordes, ils font un noeud avec l’un des bouts et passent l’autre par-dessus le rail qui sert de support à la toiture, à l’entrée du hangar.. Les officiers de la base passent, discutent un peu avec Jemal O/ Moilid puis s’en vont. Ce dernier s’approche du sergent chef Diallo Abdoulaye Demba, le responsible de peloton du port de La Guerra, qui porte le numéro un et lui demande s’il désire quelque chose, comme il l’a vu faire dans les anciens films western.
Diallo lui demande u tabac, on lui passe une tabatière, il aspire goulûment la fumée comme pour conserver avec lui un dernier souffle d’énergie. Deux soldats l’encadrent et le trainent vers l’une des cordes. Pendant que Khattra lui passe le noeud de la corde autour du cou, il tourne la tête vers le hangar comme pour solliciter de l’aide, la dernière image de la vie qu’il emportera avec lui sera ces sombres formes allongées ou assises étroitement ficelées et dont les yeux exorbités ne peuvent se détacher de lui. Avec l’aide d’un autre soldat, Khattra le hisse jusqu’à ce que ses pieds ne touchent plus terre.Ensuite il attache le deuxième bout au rail. D’autres prisonniers suivent.
Khattra est particulièrement excité, ils le sont tous d’ailleurs mais lui et Souleymane le sont encore plus. Non seulement ils seront tous pendus mais tout le monde doit regarder jusqu’à la fin, les bourreaux y tiennent. Mais il ne faut surtout pas manifester sa désapprobation. Entre deux pendaisons, Khattra s’assoit sur un cadavre pour siroter son verre de thé ou au pied d’un pendu en récitant des versets de Coran. Il va d’un pendu à l’autre, achevant ceux qui tardent à mourir à coups de barre de fer, s’appliquant à porter les coups dans la région du cou. Pendant ce temps, Souleymane et les autres préparent les prochaines victimes tout en veillant à respecter l’ordre des numéros. Quand arrive le tour du numéro onze, Diallo Sileye Beye ne peut s’empêcher de pousser un cri.
Il reçoit un violent coup de pied pour avoir osé perturber le déroulement de la cérémonie. Ses yeux ne se detachent plus de cet homme à qui on est en train de passer la corde au cou. Cet homme qui n’est autre que son petit-frère, le matelot Diallo Abdoul Beye, qui cessera d’exister dans moins de trois minutes et que plus jamais il ne reverra. Abdoul Beye ne proteste même pas, il est hissé au bout de la corde sous le regard ahuri de son frère. Il n’y a pas de mots pour exprimer la douleur de Diallo Sileye Beye. Quand arrive le tour de Diallo Oumar Demba et son frère le soldat Diallo Ibrahima Demba, ( le hasard a voulu qu’ils soient , tous les deux sélectionnés pour les pendaisons et que leurs numéros se suivent, ils ont toujours tenu à rester ensemble), chacun d’eux, ne voulant pas assister à la mort de l’autre, demande à passer en premier. Un tirage au sort organisé par les bourreaux les départage, Ibrahima Demba, l’ainé, passe le premier.
Le soldat de premiére classe, Ndiaye Samba Oumar, le chauffeur qui conduisait le véhicule le jour de mon arrestation, fait partie du lot. Le deuxième classe Samba Coulibaly, un soldat de mon escadron, qui porte le numéro 28 ferme cette macabre liste.
Les pendaisons durent plus d’une heure. Après cela, tel des bêtes excitées par l’odeur du sang, le groupe de bourreaux , pris d’une euphorie collective, s’acharne sur les autres prisonniers et tape sur tout ce qui bouge. Conséquences de cette folie collective, cinq morts supplémentaires. Parmi eux, le soldat de première classe Ly Mamadou Ousmane, le seul spécialiste de l’arme antiaérienne de calibre 14.5 mm de toute la région militaire. C’est lui qui assurait les stages de formation sur cette arme-là à tout le personnel, hommes de troupe, sous-officiers comme officiers…..L’adjudant Diop Bocar Bayal, le responsable du magasin fourrier régional, fait aussi parti de ces cinq victimes. Ce sous-officier jovial s’entendait avec tout le monde, tous grades confondus.
La démence a été poussée jusqu’à symboliser la date du trentième anniversaire du pays par 28 pendus. Vingt-huit vies humaines sacrifiées sur l’autel de la bétise humaine. Plus jamais cette date du 28 Novembre n’aura la même signification pour tous les Mauritaniens. Quand certains sortiront dans la rue des villes ou les campagnes brandissant fièrement les couleurs nationales sous les youyous des Mauritaniennes, pour d’autres, ce sera un jour de deuil et de recueillement à la mémoire de ces 28 militaires pendus….
Les corps sont ensuite trainés près d’un camion. Quelques minutes plus tard, ils seront enterrés derrière le terrain de sport. Inal vient de fêter à sa façon le 30e anniversaire de la Mauritanie.
MOUHAMADOU SY- L´auteur
L´ENFER D´INAL :L´HORREUR DES CAMPS.
source: flamnet
Un autre soldat est choisi, le deuxième classe Diallo Abdoul Beye, le petit-frère du premier. Les prisonniers numérotés sont mis à l’écart. Ils s’attendent à embarquer dans un camion pour une destination inconnue.Nous sommes à la veille du trentième anniversaire de l’indépendance de notre pays. En temps normal, on devrait être en train de se préparer pour le défilé au flambeau et pour celui de demain matin. De notre côté, nous attendons sans trop y croire, une éventuelle intervention du Président de la République pour au moins, être fixés sur les raisons officielles de notre présence ici.
La Mauritanie aura trente ans demain, ce n’est pas un évènement banal, nous sommes donc en droit d’espérer obtenir une solution favorable de la part de celui-là même qui est le principal responsable de nos malheurs. Alors que de leur côté nos tortionnaires nous préparent leur plus sale coup depuis la création de la Mauritanie.
Vers mi-nuit, le groupe des prisonniers numérotés est placé devant le grand hangar, celui devant lequel j’ai été trainé par le camion. Khattra et d’autres soldats mettent en place des cordes, ils font un noeud avec l’un des bouts et passent l’autre par-dessus le rail qui sert de support à la toiture, à l’entrée du hangar.. Les officiers de la base passent, discutent un peu avec Jemal O/ Moilid puis s’en vont. Ce dernier s’approche du sergent chef Diallo Abdoulaye Demba, le responsible de peloton du port de La Guerra, qui porte le numéro un et lui demande s’il désire quelque chose, comme il l’a vu faire dans les anciens films western.
Diallo lui demande u tabac, on lui passe une tabatière, il aspire goulûment la fumée comme pour conserver avec lui un dernier souffle d’énergie. Deux soldats l’encadrent et le trainent vers l’une des cordes. Pendant que Khattra lui passe le noeud de la corde autour du cou, il tourne la tête vers le hangar comme pour solliciter de l’aide, la dernière image de la vie qu’il emportera avec lui sera ces sombres formes allongées ou assises étroitement ficelées et dont les yeux exorbités ne peuvent se détacher de lui. Avec l’aide d’un autre soldat, Khattra le hisse jusqu’à ce que ses pieds ne touchent plus terre.Ensuite il attache le deuxième bout au rail. D’autres prisonniers suivent.
Khattra est particulièrement excité, ils le sont tous d’ailleurs mais lui et Souleymane le sont encore plus. Non seulement ils seront tous pendus mais tout le monde doit regarder jusqu’à la fin, les bourreaux y tiennent. Mais il ne faut surtout pas manifester sa désapprobation. Entre deux pendaisons, Khattra s’assoit sur un cadavre pour siroter son verre de thé ou au pied d’un pendu en récitant des versets de Coran. Il va d’un pendu à l’autre, achevant ceux qui tardent à mourir à coups de barre de fer, s’appliquant à porter les coups dans la région du cou. Pendant ce temps, Souleymane et les autres préparent les prochaines victimes tout en veillant à respecter l’ordre des numéros. Quand arrive le tour du numéro onze, Diallo Sileye Beye ne peut s’empêcher de pousser un cri.
Il reçoit un violent coup de pied pour avoir osé perturber le déroulement de la cérémonie. Ses yeux ne se detachent plus de cet homme à qui on est en train de passer la corde au cou. Cet homme qui n’est autre que son petit-frère, le matelot Diallo Abdoul Beye, qui cessera d’exister dans moins de trois minutes et que plus jamais il ne reverra. Abdoul Beye ne proteste même pas, il est hissé au bout de la corde sous le regard ahuri de son frère. Il n’y a pas de mots pour exprimer la douleur de Diallo Sileye Beye. Quand arrive le tour de Diallo Oumar Demba et son frère le soldat Diallo Ibrahima Demba, ( le hasard a voulu qu’ils soient , tous les deux sélectionnés pour les pendaisons et que leurs numéros se suivent, ils ont toujours tenu à rester ensemble), chacun d’eux, ne voulant pas assister à la mort de l’autre, demande à passer en premier. Un tirage au sort organisé par les bourreaux les départage, Ibrahima Demba, l’ainé, passe le premier.
Le soldat de premiére classe, Ndiaye Samba Oumar, le chauffeur qui conduisait le véhicule le jour de mon arrestation, fait partie du lot. Le deuxième classe Samba Coulibaly, un soldat de mon escadron, qui porte le numéro 28 ferme cette macabre liste.
Les pendaisons durent plus d’une heure. Après cela, tel des bêtes excitées par l’odeur du sang, le groupe de bourreaux , pris d’une euphorie collective, s’acharne sur les autres prisonniers et tape sur tout ce qui bouge. Conséquences de cette folie collective, cinq morts supplémentaires. Parmi eux, le soldat de première classe Ly Mamadou Ousmane, le seul spécialiste de l’arme antiaérienne de calibre 14.5 mm de toute la région militaire. C’est lui qui assurait les stages de formation sur cette arme-là à tout le personnel, hommes de troupe, sous-officiers comme officiers…..L’adjudant Diop Bocar Bayal, le responsable du magasin fourrier régional, fait aussi parti de ces cinq victimes. Ce sous-officier jovial s’entendait avec tout le monde, tous grades confondus.
La démence a été poussée jusqu’à symboliser la date du trentième anniversaire du pays par 28 pendus. Vingt-huit vies humaines sacrifiées sur l’autel de la bétise humaine. Plus jamais cette date du 28 Novembre n’aura la même signification pour tous les Mauritaniens. Quand certains sortiront dans la rue des villes ou les campagnes brandissant fièrement les couleurs nationales sous les youyous des Mauritaniennes, pour d’autres, ce sera un jour de deuil et de recueillement à la mémoire de ces 28 militaires pendus….
Les corps sont ensuite trainés près d’un camion. Quelques minutes plus tard, ils seront enterrés derrière le terrain de sport. Inal vient de fêter à sa façon le 30e anniversaire de la Mauritanie.
MOUHAMADOU SY- L´auteur
L´ENFER D´INAL :L´HORREUR DES CAMPS.
source: flamnet