L'esclavage a nourri le racisme. C'est lorsqu'il s'est agi de justifier l'injustifiable que l'on a échafaudé des théories racistes. C'est-à-dire l'affirmation révoltante qu'il existerait des "races" par nature inférieures à d'autres. Le racisme, d'où qu'il vienne, est un crime du cœur et de l'esprit. Il abaisse, il salit, il détruit. Le racisme, c'est l'une des raisons pour lesquelles la mémoire de l'esclavage est une plaie encore vive pour certains de nos concitoyens.
Dans la République, nous pouvons tout nous dire sur notre histoire. C'est d'autant plus vrai que la République s'est construite avec le mouvement de l'abolition. Les premiers à combattre l'esclavage furent les esclaves eux-mêmes. Les révoltes étaient fréquentes et sévèrement réprimées. Plus tard, il y eut le commandant Delgrès, soldat de l'armée républicaine, qui proclama le 10 mai 1802 qu'il voulait "vivre libre ou mourir"; Toussaint-Louverture, qui créa les conditions de l'indépendance de Saint-Domingue, devenue Haïti; la mulâtresse Solitude, Cimendef et Dimitile, figures emblématiques des "marrons", comme on appelait alors les esclaves fugitifs. Ces noms, ces destins hors du commun, souvent tragiques, trop peu de Français les connaissent. Pourtant, ils font partie de l'histoire de France.
Très tôt, une prise de conscience avait germé. Quelques-uns, parmi les Européens, s'étaient dressés contre l'esclavage. En France, ceux qui, avant même la République, avaient l'esprit républicain firent de l'émancipation leur combat. Ce fut l'honneur de la I ère République, en 1794, d'abolir l'esclavage dans les colonies françaises. Rétabli par le Consulat en 1802, il fut définitivement aboli, par la IIe République, le 27 avril 1848, à l'initiative de Victor Schœlcher.
Il faut le dire, avec fierté : depuis l'origine, la République est incompatible avec l'esclavage. C'est dans cette tradition historique que s'est inscrite la représentation nationale, lorsque, en 2001, elle a fait de la France le premier pays au monde à inscrire, dans la loi, la reconnaissance de l'esclavage comme crime contre l'humanité.
L'abolition de 1848 est un moment décisif de notre histoire : l'un de ceux qui ont forgé l'idée que nous nous faisons de notre pays, terre des droits de l'homme. Mais, au-delà de l'abolition, c'est aujourd'hui l'ensemble de la mémoire de l'esclavage, longtemps refoulée, qui doit entrer dans notre histoire : une mémoire qui doit être véritablement partagée.
Ce travail, nous devons l'accomplir pour honorer la mémoire de toutes les victimes de ce trafic honteux. Pour leur rendre la dignité. Nous devons l'accomplir pour reconnaître pleinement l'apport des esclaves et de leurs descendants à notre pays. Car de l'histoire effroyable de l'esclavage, de ce long cortège de souffrances et de destins brisés, est née aussi une grande culture. Et une littérature qui constitue sans doute l'une des meilleures parts de la littérature française d'aujourd'hui : vous en êtes, chère Maryse Condé, cher Edouard Glissant, parmi les plus éminents représentants. Et je pense aussi, bien sûr, à Aimé Césaire.
La grandeur d'un pays, c'est d'assumer toute son histoire. Avec ses pages glorieuses, mais aussi avec sa part d'ombre. Notre histoire est celle d'une grande nation. Regardons-la avec fierté. Regardons-la telle qu'elle a été. C'est ainsi qu'un peuple se rassemble, qu'il devient plus uni et plus fort. C'est ce qui est en jeu à travers les questions de mémoire : l'unité et la cohésion nationale, l'amour de son pays et la confiance dans ce que l'on est.
C'est pourquoi je souhaite que, dès cette année, la France métropolitaine honore le souvenir des esclaves et commémore l'abolition de l'esclavage. Ce sera, comme le propose votre rapport, au terme d'un travail très approfondi, le 10 mai, date anniversaire de l'adoption à l'unanimité par le Sénat, en deuxième et dernière lecture, de la loi reconnaissant la traite et l'esclavage comme un crime contre l'humanité.
Aucune date ne saurait concilier tous les points de vue. Mais ce qui compte, avant tout, c'est que cette journée existe. Elle ne se substituera pas aux dates qui existent déjà dans chaque département d'outre-mer. Dès le 10 mai de cette année, des commémorations seront organisées dans les lieux de mémoire de la traite et de l'esclavage en métropole, outre-mer et, je le souhaite, sur le continent africain. Votre Comité devra y veiller.
Au-delà de cette commémoration, l'esclavage doit trouver sa juste place dans les programmes de l'école primaire, du collège et du lycée. En outre, les œuvres, objets et archives relatifs à la traite et à l'esclavage constituent un patrimoine d'une exceptionnelle richesse : il devra être préservé, valorisé et présenté au public dans nos musées.
Nous devons également développer la connaissance scientifique de cette tragédie. Même si cela ne diminue en rien la responsabilité des pays européens, la mise en place de la traite, comme l'a bien montré votre rapport, demandait une organisation, mais aussi des relais actifs dans les territoires dont étaient issus les esclaves ou dans des pays voisins. Il y eut un esclavage avant la traite. Il y en eut un après. Enrichir notre savoir, c'est le moyen d'établir la vérité et de sortir de polémiques inutiles. Un centre de recherche sera créé à cet effet.
Et, bien sûr, la mémoire de l'esclavage doit s'incarner dans un lieu ouvert à tous les chercheurs et au public. J'ai décidé de confier à Edouard Glissant, l'un de nos plus grands écrivains, homme de la mémoire et de l'universel, la présidence d'une mission de préfiguration d'un Centre national consacré à la traite, à l'esclavage et à leurs abolitions. Le Comité pour la mémoire de l'esclavage, chère Maryse Condé, sera étroitement associé à cette mission.
Enfin, le combat contre l'asservissement est un combat d'aujourd'hui. C'est un combat de la France et de la francophonie. Le travail forcé existe, sous une forme ou sous une autre, sur presque tous les continents : selon les Nations unies, plus de 20 millions de personnes en sont victimes. Comment tolérer qu'en ce début du XXIe siècle il y ait, dans le monde, des familles "enchaînées", génération après génération, dans la servitude pour dettes? Que tant d'enfants travaillent, et dans des conditions épouvantables? Que tant de jeunes filles soient vendues par leurs familles, pour devenir des domestiques sans salaire ou être livrées à la prostitution? Il y a eu des progrès. Mais la tâche reste immense : la France est au premier rang dans ce combat pour les droits de l'homme. Afin de lutter contre les survivances de l'esclavage, mais aussi contre ses résurgences dans le contexte de la compétition économique mondiale, il faut approfondir la coopération entre les pays du Nord et ceux du Sud. La croissance doit être un accélérateur du progrès social. Il faut aussi rapprocher les organisations internationales concernées, en particulier l'Organisation internationale du travail et l'Organisation mondiale du commerce. Le droit du commerce international ne saurait ignorer les principes fondamentaux des droits de l'homme.
Il nous faut enfin veiller à ce que les entreprises occidentales, lorsqu'elles investissent dans les pays pauvres ou émergents, respectent les principes fondamentaux du droit du travail tels qu'ils sont inscrits dans le droit international. C'est pourquoi je compte proposer une initiative européenne et internationale. Les entreprises qui, sciemment, auraient recouru au travail forcé doivent pouvoir être poursuivies et condamnées par les tribunaux nationaux, même pour des faits commis à l'étranger.
L'esclavage et la traite sont pour l'humanité une tache indélébile. La République peut être fière des combats qu'elle a gagnés contre cette ignominie. En commémorant cette histoire, la France montre la voie. C'est son honneur, sa grandeur et sa force.
Jacques Chirac, président de la République française.
Comité contre l'esclavage moderne - CCEM - 31 rue des Lilas - 75019 Paris - France – tel +33 (0)1 44 52 88 90
fax +33 (0)1 44 52 89 09 - infoccem@wanadoo.fr - www.esclavagemoderne.org
Dans la République, nous pouvons tout nous dire sur notre histoire. C'est d'autant plus vrai que la République s'est construite avec le mouvement de l'abolition. Les premiers à combattre l'esclavage furent les esclaves eux-mêmes. Les révoltes étaient fréquentes et sévèrement réprimées. Plus tard, il y eut le commandant Delgrès, soldat de l'armée républicaine, qui proclama le 10 mai 1802 qu'il voulait "vivre libre ou mourir"; Toussaint-Louverture, qui créa les conditions de l'indépendance de Saint-Domingue, devenue Haïti; la mulâtresse Solitude, Cimendef et Dimitile, figures emblématiques des "marrons", comme on appelait alors les esclaves fugitifs. Ces noms, ces destins hors du commun, souvent tragiques, trop peu de Français les connaissent. Pourtant, ils font partie de l'histoire de France.
Très tôt, une prise de conscience avait germé. Quelques-uns, parmi les Européens, s'étaient dressés contre l'esclavage. En France, ceux qui, avant même la République, avaient l'esprit républicain firent de l'émancipation leur combat. Ce fut l'honneur de la I ère République, en 1794, d'abolir l'esclavage dans les colonies françaises. Rétabli par le Consulat en 1802, il fut définitivement aboli, par la IIe République, le 27 avril 1848, à l'initiative de Victor Schœlcher.
Il faut le dire, avec fierté : depuis l'origine, la République est incompatible avec l'esclavage. C'est dans cette tradition historique que s'est inscrite la représentation nationale, lorsque, en 2001, elle a fait de la France le premier pays au monde à inscrire, dans la loi, la reconnaissance de l'esclavage comme crime contre l'humanité.
L'abolition de 1848 est un moment décisif de notre histoire : l'un de ceux qui ont forgé l'idée que nous nous faisons de notre pays, terre des droits de l'homme. Mais, au-delà de l'abolition, c'est aujourd'hui l'ensemble de la mémoire de l'esclavage, longtemps refoulée, qui doit entrer dans notre histoire : une mémoire qui doit être véritablement partagée.
Ce travail, nous devons l'accomplir pour honorer la mémoire de toutes les victimes de ce trafic honteux. Pour leur rendre la dignité. Nous devons l'accomplir pour reconnaître pleinement l'apport des esclaves et de leurs descendants à notre pays. Car de l'histoire effroyable de l'esclavage, de ce long cortège de souffrances et de destins brisés, est née aussi une grande culture. Et une littérature qui constitue sans doute l'une des meilleures parts de la littérature française d'aujourd'hui : vous en êtes, chère Maryse Condé, cher Edouard Glissant, parmi les plus éminents représentants. Et je pense aussi, bien sûr, à Aimé Césaire.
La grandeur d'un pays, c'est d'assumer toute son histoire. Avec ses pages glorieuses, mais aussi avec sa part d'ombre. Notre histoire est celle d'une grande nation. Regardons-la avec fierté. Regardons-la telle qu'elle a été. C'est ainsi qu'un peuple se rassemble, qu'il devient plus uni et plus fort. C'est ce qui est en jeu à travers les questions de mémoire : l'unité et la cohésion nationale, l'amour de son pays et la confiance dans ce que l'on est.
C'est pourquoi je souhaite que, dès cette année, la France métropolitaine honore le souvenir des esclaves et commémore l'abolition de l'esclavage. Ce sera, comme le propose votre rapport, au terme d'un travail très approfondi, le 10 mai, date anniversaire de l'adoption à l'unanimité par le Sénat, en deuxième et dernière lecture, de la loi reconnaissant la traite et l'esclavage comme un crime contre l'humanité.
Aucune date ne saurait concilier tous les points de vue. Mais ce qui compte, avant tout, c'est que cette journée existe. Elle ne se substituera pas aux dates qui existent déjà dans chaque département d'outre-mer. Dès le 10 mai de cette année, des commémorations seront organisées dans les lieux de mémoire de la traite et de l'esclavage en métropole, outre-mer et, je le souhaite, sur le continent africain. Votre Comité devra y veiller.
Au-delà de cette commémoration, l'esclavage doit trouver sa juste place dans les programmes de l'école primaire, du collège et du lycée. En outre, les œuvres, objets et archives relatifs à la traite et à l'esclavage constituent un patrimoine d'une exceptionnelle richesse : il devra être préservé, valorisé et présenté au public dans nos musées.
Nous devons également développer la connaissance scientifique de cette tragédie. Même si cela ne diminue en rien la responsabilité des pays européens, la mise en place de la traite, comme l'a bien montré votre rapport, demandait une organisation, mais aussi des relais actifs dans les territoires dont étaient issus les esclaves ou dans des pays voisins. Il y eut un esclavage avant la traite. Il y en eut un après. Enrichir notre savoir, c'est le moyen d'établir la vérité et de sortir de polémiques inutiles. Un centre de recherche sera créé à cet effet.
Et, bien sûr, la mémoire de l'esclavage doit s'incarner dans un lieu ouvert à tous les chercheurs et au public. J'ai décidé de confier à Edouard Glissant, l'un de nos plus grands écrivains, homme de la mémoire et de l'universel, la présidence d'une mission de préfiguration d'un Centre national consacré à la traite, à l'esclavage et à leurs abolitions. Le Comité pour la mémoire de l'esclavage, chère Maryse Condé, sera étroitement associé à cette mission.
Enfin, le combat contre l'asservissement est un combat d'aujourd'hui. C'est un combat de la France et de la francophonie. Le travail forcé existe, sous une forme ou sous une autre, sur presque tous les continents : selon les Nations unies, plus de 20 millions de personnes en sont victimes. Comment tolérer qu'en ce début du XXIe siècle il y ait, dans le monde, des familles "enchaînées", génération après génération, dans la servitude pour dettes? Que tant d'enfants travaillent, et dans des conditions épouvantables? Que tant de jeunes filles soient vendues par leurs familles, pour devenir des domestiques sans salaire ou être livrées à la prostitution? Il y a eu des progrès. Mais la tâche reste immense : la France est au premier rang dans ce combat pour les droits de l'homme. Afin de lutter contre les survivances de l'esclavage, mais aussi contre ses résurgences dans le contexte de la compétition économique mondiale, il faut approfondir la coopération entre les pays du Nord et ceux du Sud. La croissance doit être un accélérateur du progrès social. Il faut aussi rapprocher les organisations internationales concernées, en particulier l'Organisation internationale du travail et l'Organisation mondiale du commerce. Le droit du commerce international ne saurait ignorer les principes fondamentaux des droits de l'homme.
Il nous faut enfin veiller à ce que les entreprises occidentales, lorsqu'elles investissent dans les pays pauvres ou émergents, respectent les principes fondamentaux du droit du travail tels qu'ils sont inscrits dans le droit international. C'est pourquoi je compte proposer une initiative européenne et internationale. Les entreprises qui, sciemment, auraient recouru au travail forcé doivent pouvoir être poursuivies et condamnées par les tribunaux nationaux, même pour des faits commis à l'étranger.
L'esclavage et la traite sont pour l'humanité une tache indélébile. La République peut être fière des combats qu'elle a gagnés contre cette ignominie. En commémorant cette histoire, la France montre la voie. C'est son honneur, sa grandeur et sa force.
Jacques Chirac, président de la République française.
Comité contre l'esclavage moderne - CCEM - 31 rue des Lilas - 75019 Paris - France – tel +33 (0)1 44 52 88 90
fax +33 (0)1 44 52 89 09 - infoccem@wanadoo.fr - www.esclavagemoderne.org