Les Egyptiens, habitués à ne pas être informés quand il s'agit de violences commises sur leur territoire, ont appris leur départ par la télévision, avec des reportages sur les policiers blessés, "suite à l'attaque de réfugiés ivres qui leur ont jeté des bouteilles d'alcool".
Face à cette situation, le calme et la retenue des forces de l'ordre ont été louées par toutes les chaînes nationales. Les habitants de Mohandessin qui vivaient à proximité de ce lieu insalubre et redoutaient l'apparition de "maladies épidémiques" sont soulagés. Mais le sort des familles embarquées par la police reste un mystère. "Les journalistes, les avocats, les organisations non gouvernementales font face à un blocus total de l'information, se désole Achraf Milad, avocat dédié à la cause des réfugiés. Nous sommes soumis à l'opacité la plus totale, les contacts que nous avions avec les responsables soudanais du camp ont été rompus. Il est impossible d'aider ces gens ou de savoir ce qu'ils sont devenus."
Selon plusieurs témoignages concordants d'ambulanciers et de témoins oculaires, les forces de l'ordre sont intervenues vendredi, avant la prière de l'aube. Les réfugiés encerclés et matraqués se sont repliés au centre de la place, jusqu'à y périr d'étouffement. "Au petit matin, j'ai compté beaucoup de corps inanimés, raconte Laura Maxwell, membre de l'Observatoire civil pour les droits des citoyens en Egypte. Certains étaient couverts de sang, mais la plupart gisaient sans blessure apparente. Il était impossible de savoir s'ils étaient morts ou inconscients." Ahmed Mansour, médecin en chef de l'hôpital Oum el Masriyine, explique que neuf Soudanais sont arrivés morts à son établissement, asphyxiés pour la plupart, ainsi que quelques policiers légèrement blessés.
JOURNALISTES MALVENUS
Dans tous les autres hôpitaux visités, la langue de bois règne : "nous n'avons reçu aucun Soudanais" ; "des blessés sont venus, mais sont repartis pour une destination inconnue"... De manière générale, les journalistes y sont malvenus. Seul un médecin acceptera de témoigner, sous le couvert de l'anonymat, qu'il a "accompagné des bus de réfugiés blessés à destination du camp militaire de Dachour", au sud du Caire. Selon des informations, non confirmées, d'autres Soudanais ont été transportés dans la prison de Tora, et dans plusieurs postes de police de la capitale. Difficile de comprendre pourquoi l'accès principal à la morgue centrale du Caire a été fermé à la circulation. Cinquante policiers, casqués et parés de boucliers anti-émeute barrent l'entrée de l'établissement. "Nous sommes là au cas où", explique un officier. Impossible de rencontrer le responsable de la morgue. Sous couvert de "source sécuritaire", l'officier accepte de donner le dernier bilan : 23 morts, dont 10 enfants, 7 femmes et 6 hommes, "tous anonymes". Selon lui, les corps pourront être visités par les familles en quête d'un proche disparu par le biais de l'ambassade du Soudan. Mais l'on voit mal comment les demandeurs d'asile politique iraient s'adresser aux représentants du régime de Khartoum qu'ils cherchent à fuir par tous les moyens.
"Ils finiront dans les cimetières de charité, réservés aux morts non identifiés quelle que soit leur religion, pense l'avocat Achraf Milad. Les Soudanais, présents en Egypte légalement ou illégalement, ne vont pas prendre le risque d'une confrontation, même verbale, avec la police. Quand on voit la "scène du crime", les effets personnels qui y ont été abandonnés, il est impossible d'admettre la version selon laquelle les policiers seraient intervenus après avoir essayé de négocier." "La présence des réfugiés en plein centre du Caire constituait un problème sanitaire réel pour les autorités, ajoute-t-il. Mais leur emprisonnement ne règle rien. Que deviendront-ils à leur sortie ? Désormais ils ont tout perdu. Le problème n'a été qu'amplifié."
Au milieu des détritus qui jonchent la place Moustafa Mahmoud, les orphelins du Caire n'ont laissé que les objets sans valeur à leurs yeux : les albums de photos des familles enfouis sous des couvertures humides, des lettres personnelles, des diplômes, des passeports déchirés, des lettres de demande d'asile adressées à l'Australie, aux Etats-Unis ou au Canada, pleines de leurs témoignages de torture par le régime soudanais, des cahiers couverts de notes où les réfugiés décrivent leurs difficultés — le froid, le manque de nourriture, la "nécessité de ne pas provoquer la police égyptienne".
Cécile Hennion
Article paru dans l'édition du 01.01.06
Face à cette situation, le calme et la retenue des forces de l'ordre ont été louées par toutes les chaînes nationales. Les habitants de Mohandessin qui vivaient à proximité de ce lieu insalubre et redoutaient l'apparition de "maladies épidémiques" sont soulagés. Mais le sort des familles embarquées par la police reste un mystère. "Les journalistes, les avocats, les organisations non gouvernementales font face à un blocus total de l'information, se désole Achraf Milad, avocat dédié à la cause des réfugiés. Nous sommes soumis à l'opacité la plus totale, les contacts que nous avions avec les responsables soudanais du camp ont été rompus. Il est impossible d'aider ces gens ou de savoir ce qu'ils sont devenus."
Selon plusieurs témoignages concordants d'ambulanciers et de témoins oculaires, les forces de l'ordre sont intervenues vendredi, avant la prière de l'aube. Les réfugiés encerclés et matraqués se sont repliés au centre de la place, jusqu'à y périr d'étouffement. "Au petit matin, j'ai compté beaucoup de corps inanimés, raconte Laura Maxwell, membre de l'Observatoire civil pour les droits des citoyens en Egypte. Certains étaient couverts de sang, mais la plupart gisaient sans blessure apparente. Il était impossible de savoir s'ils étaient morts ou inconscients." Ahmed Mansour, médecin en chef de l'hôpital Oum el Masriyine, explique que neuf Soudanais sont arrivés morts à son établissement, asphyxiés pour la plupart, ainsi que quelques policiers légèrement blessés.
JOURNALISTES MALVENUS
Dans tous les autres hôpitaux visités, la langue de bois règne : "nous n'avons reçu aucun Soudanais" ; "des blessés sont venus, mais sont repartis pour une destination inconnue"... De manière générale, les journalistes y sont malvenus. Seul un médecin acceptera de témoigner, sous le couvert de l'anonymat, qu'il a "accompagné des bus de réfugiés blessés à destination du camp militaire de Dachour", au sud du Caire. Selon des informations, non confirmées, d'autres Soudanais ont été transportés dans la prison de Tora, et dans plusieurs postes de police de la capitale. Difficile de comprendre pourquoi l'accès principal à la morgue centrale du Caire a été fermé à la circulation. Cinquante policiers, casqués et parés de boucliers anti-émeute barrent l'entrée de l'établissement. "Nous sommes là au cas où", explique un officier. Impossible de rencontrer le responsable de la morgue. Sous couvert de "source sécuritaire", l'officier accepte de donner le dernier bilan : 23 morts, dont 10 enfants, 7 femmes et 6 hommes, "tous anonymes". Selon lui, les corps pourront être visités par les familles en quête d'un proche disparu par le biais de l'ambassade du Soudan. Mais l'on voit mal comment les demandeurs d'asile politique iraient s'adresser aux représentants du régime de Khartoum qu'ils cherchent à fuir par tous les moyens.
"Ils finiront dans les cimetières de charité, réservés aux morts non identifiés quelle que soit leur religion, pense l'avocat Achraf Milad. Les Soudanais, présents en Egypte légalement ou illégalement, ne vont pas prendre le risque d'une confrontation, même verbale, avec la police. Quand on voit la "scène du crime", les effets personnels qui y ont été abandonnés, il est impossible d'admettre la version selon laquelle les policiers seraient intervenus après avoir essayé de négocier." "La présence des réfugiés en plein centre du Caire constituait un problème sanitaire réel pour les autorités, ajoute-t-il. Mais leur emprisonnement ne règle rien. Que deviendront-ils à leur sortie ? Désormais ils ont tout perdu. Le problème n'a été qu'amplifié."
Au milieu des détritus qui jonchent la place Moustafa Mahmoud, les orphelins du Caire n'ont laissé que les objets sans valeur à leurs yeux : les albums de photos des familles enfouis sous des couvertures humides, des lettres personnelles, des diplômes, des passeports déchirés, des lettres de demande d'asile adressées à l'Australie, aux Etats-Unis ou au Canada, pleines de leurs témoignages de torture par le régime soudanais, des cahiers couverts de notes où les réfugiés décrivent leurs difficultés — le froid, le manque de nourriture, la "nécessité de ne pas provoquer la police égyptienne".
Cécile Hennion
Article paru dans l'édition du 01.01.06