Dans Difficile Liberté, évoquant le cas Spinoza, Levinas écrivait : «S’agirait-il alors de sauver l’honneur du peuple juif ?» Sans paraphraser, ni établir une comparaison, ne serait-il pas pertinent de dire que l’avènement de Barack Obama inaugure une nouvelle ère dans la longue marche des peuples dont la tragédie avait pour cause la couleur de peau, la religion ou l’identité culturelle ? Là, il s’agit d’un des fils d’une race qui a eu comme destin : la descente aux enfers, l’humiliation, l’avilissement, la mort, la négation, les massacres, l’esclavage, la colonisation, la haine, l’exclusion, la marginalisation. Le noir, à travers tous les continents y compris dans son propre continent, est un déclassé, un rejeté de l’histoire.
Les figures les plus représentatives du calvaire d’une race sont encore d’une actualité criante : Le problème du Darfour au Soudan et la question noire en Mauritanie (l’esclavage et l’exclusion des négro-africains).
Donc, saluer l’élection de Barack Obama à la tête de la plus grande démocratie du monde, celle-là même, qui, a fait subir aux noirs, parce qu’ils ont une couleur de peau sombre, la ségrégation, des sévices, des tortures et des travaux forcés, c’est prendre la mesure de la mutation décisive et extraordinaire qui s’est effectuée le mardi 4 novembre 2008 à travers tous les continents. Mais si, les peuples noirs furent particulièrement sensibles à cet événement, ce n’est pas que leur quotidien va changer, mais quelque chose a bouleversé les mentalités. Il est clair que les préjugés terribles et horribles sur les noirs en ont pris un coup fatal. Il s’est agi d’une victoire dont le symbole et la dimension historique ont une portée qui a valeur d’un événement extraordinaire et grandiose.
Il est significatif de souligner que la démocratie américaine a franchi un cap en ouvrant la perspective d’une nouvelle ère qui ne pouvait s’annoncer qu’avec l’avènement de Barack Obama, non pas, du fait de la couleur de sa peau, mais parce que sa conception de la politique digne d’une grande démocratie comme l’Amérique répondait aux attentes d’une grande nation affaiblie par une politique agressive, guerrière et dominatrice. Nation-phare, emblématique de la grandeur frisant la démesure, puissance hors norme, lieu des contrastes, convergence des contraires et unité multiple et contradictoire, l’Amérique, par les origines de sa construction pouvait rendre possible la perspective de l’élection d’un Président noir. De la grandeur naît le génie de l’originalité et, de la diversité assumée advient la singularité universelle. La spécificité américaine résulte d’une expérience fondamentale de son Union, qui, à travers les péripéties de l’Histoire ne pouvaient plus agir au nom d’une bonne conscience. Il est notoire de constater que, quand les choses sont faites pour occulter la mauvaise conscience, rien de grand n’en résulte. Or, quand un peuple vainqueur et puissant accepte de faire le deuil du particularisme et de l’universalisme de l’intention, des vœux pieux, il offre à l’humanité une expérience de réalisation de la commune appartenance.
Obama Président de la superpuissance mondiale énonce de manière définitive que le visage du monde est devenu autre. Singularité non figée dans sa couleur de peau, Obama est le citoyen américain qui, au sein du camp des démocrates, pouvait apporter la bonne nouvelle. Le monde en avait besoin, l’humanité l’attendait, les noirs en avaient faim.
Pour comprendre comment un noir est devenu Président des Etats-Unis, il est important de partir de la configuration spécifique des Etats-Unis et de la violence de l’histoire qu’ont subie les noirs.
Il n’est point d’écrit dont l’évocation de la souffrance des peuples noirs puisse dépasser les propos de Aimé Césaire quand il écrivait : « Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. […]. Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse. »
La douloureuse expérience vécue par des peuples qui ont vu leur humanité activement refusée par une méconnaissance cynique et fatale de leur droit à s’organiser en société a eu comme résultats : la vacuité, le piétinement, la destruction, la dépossession, la négation absolue de leur spiritualité, l’anéantissement de leur génie artistique et l’effacement de possibilités immenses. Comment rester humain quand toutes les modalités de notre humanité sont niées et anéanties ? Il fallait une longue et très longue marche pour renaître. En un sens Obama, en plus de son héritage américain, est l’héritier de cette lignée de héros noirs dans la diversité de leurs apports et de leur position dans la lutte pour l’émancipation des noirs du joug de la domination et de l’oppression de l’esclavage et du racisme.
Malcom X, William Dubois, Marcus Gavey, Martin Luther King, André Young (Premier noir ambassadeur des USA à l’ONU) ; Kwamé NKrumah, Léon Gontras Damas, Lépold Sédar Senghor (premier noir agrégé en lettres, reçu à l’Académie française), Aimé Césaire ( résistant et intellectuel hors norme), Cheick Anta Diop, Amadou Mocthar Mbow (premier noir, directeur général de l’UNESCO), Koffi Annan ( premier noir, secrétaire général de l’ONU, Nelson Mandela (Le tombeur de l’Appartheid), etc....
Cette liste n’est pas exhaustive, mais elle est très emblématique d’une lignée d’hommes qui ont fait reculer les préjugés et redonné confiance à l’homme noir, condition de l’espoir et de sa renaissance en tant que membre à part entière de l’humanité. Ces hommes, d’une manière ou d’une autre, se sont sentis investis, d’une mission humaniste d’émancipation, à partir de la possibilité, difficile, particulière, mais exaltante qui leur était offerte. C’est de la conjugaison exponentielle de ses efforts que, la possibilité exceptionnelle d’un noir Président des Etats-Unis était inscrite dans l’ordre du réalisable. Cette possibilité s’est incarnée dans la rencontre d’un homme, héritier de cette longue marche de peuples opprimés, né américain, militant démocrate convaincu, humaniste ayant surmonté la pensée binaire. C’est ainsi que Obama écrit dans l’audace d’espérer : « Je suis convaincu que chaque fois que nous donnons dans l’exagération, la diabolisation ou la simplification à l’extrême, nous perdons. Chaque fois que nous infantilisons le débat politique, nous perdons. »
Il est clair que Obama s’est mis au dessus du binarisme facile et épidermique qui oppose les Blancs et les Noirs, aux premiers la supériorité et aux seconds l’infériorité. Il n’est pas entré dans ce schématisme structurel, psychologique destructeur et retardataire. La posture d’universalité politique fondée sur un versant humaniste a été la sève nourricière de sa vision de son destin d’homme politique. Comme un invité privilégié de l’Histoire, il a su affronter l’histoire par son aspect le plus rude, mais le plus décisif, à savoir devenir un militant politique avec comme ambition de devenir Président de la nation la plus avancée du monde. Aujourd’hui, cette ambition est devenue effective, par la procédure la plus évoluée et la plus intelligente que la civilisation a offerte aux humains. La voie des urnes que l’Apartheid ne voulait pas offrir aux noirs en Afrique du Sud, a permis l’arrivée de Mandela au pouvoir après des décennies de combat, et ce fut le tour de Obama le mardi 4 novembre 2008. Une page de l’histoire a été tournée.
L’ère des possibles pour la partie la plus muselée de l’humanité est devenue possible. Il est clair que la couleur de la peau ne peut pas être le fondement de la référence humaine et intelligente de l’humanité. Les symboles sont forts parce qu’ils défoncent des issues qu’on croyait à jamais closes. Or, dès lors que l’Histoire s’est prononcée en faveur d’une perspective, les conditions objectives et subjectives se mettent en mouvement. Pour se concrétiser, cette possibilité énoncée s’incarne à travers la décision d’un homme qui expose publiquement son vouloir et le convertit en choix d’un peuple.
La convocation de l’histoire s’impose ainsi comme impérieuse nécessité qui se convertit en liberté que valide un peuple sous le mode de la procédure électorale propre à l’option démocratique. Ainsi la nécessité qui est la liberté comprise se manifeste à travers l’élan et la ferveur d’un peuple qui dit Oui au choix propulsé par le moment historique. L’élection de Obama est un moment historique authentique. Ce moment est la traduction effective de ce qui doit être effectivité concrète. D’où l’intelligence de cette nécessité comme diction de la liberté en tant que vérité de l’expérience humaine, quand celle-ci procède de la décision découlant ainsi d’une puissante vocation. Obama n’est pas un homme passionné, mais un homme lucide qui a pris conscience qu’il doit s’engager en politique pour donner à l’Amérique et au monde, à l’humanité, «une nouvelle conception de la politique américaine» ce qui ne pouvait se concrétiser que par «l’audace d’espérer.»
Le moment historique, par sa gravité, exigeait une politique de l’espérance, seule issue humaine à une demande d’espoir exprimée non seulement, par des millions d’Américains, mais aussi par de millions d’hommes et de femmes qui souffrent dans le monde. Obama, dans sa construction croisée, ne pouvait pas camper dans l’unilatéralisme de la sclérose, du dogmatisme et du manichéisme. Il l’avoue lui-même en considérant son vécu personnel : « i[d’enfant d’un Noir et d’une Blanche, né dans le creuset racial d’Hawaii, avec une sœur à moitié indonésienne, […] ; je n’ai jamais eu la possibilité de restreindre mes allégeances sur une base raciale ni de mesurer ma propre valeur à une aune tribale.]i » Il y a là, l’expression d’une trajectoire ouverte sur une expérience humaine qui libère du confinement racial, sectaire et tribal. La société qui s’ouvre, horizon des possibles contre la société close, structure primitive de l’humanité se constituant en sociétés. Ces passages nous parlent profondément nous autres Mauritaniens, assignés à résidence identitaire, raciale, tribale avec un sectarisme démoniaque qui défie tous les systèmes, quelle que soit leur férocité par la médiocrité et l’étroitesse de tous nos dirigeants.
Le nouveau patron de la Maison Blanche a donné un horizon universaliste à sa naissance dans un environnement issu d’une rencontre plurielle complexe et compliquée. Il a refusé la simplification et la victimisation pour s’élever à une posture pensée de la configuration composite de son pays, la plus grande puissance du monde. Il est né américain, d’un père noir Kenyan et d’une mère blanche cosmopolite, généreuse et humaniste. Il y a quelque chose d’émouvant dans ce parcours de vie où la dimension composite a sécrété la conscience de la nécessité pour Obama de s’orienter vers la « quête à la fois d’un langage et de systèmes d’action qui pourraient aider à bâtir une communauté et à instaurer la justice. » A travers un témoignage habité par un fort sentiment de reconnaissance, Obama écrit, parlant de sa mère : « Ma mère vivait heureuse en citoyenne du monde, se constituant une communauté d’amis partout où elle se trouvait, satisfaisant son besoin de sens par son travail et ses enfants. »
Puiser dans ses racines familiales, une vision articulée à des valeurs universelles, nécessite de réelles capacités de remise en cause qui confèrent à une confiance en soi cultivée par un militantisme réel et nourrit par un engagement authentique au service de la société. En un sens, faire de la politique, c’est accepter de confronter une vocation avec la demande réelle des millions d’individus qui, eux, n’ont pas la possibilité d’assumer cette mission difficile.
Une continuité historique a permis par effraction, l’ouverture des possibles que symbolise l’avènement de Barack Obama au pouvoir. Le monde a pris un nouveau visage qui n’est plus de l’ordre de la gesticulation hypocrite et médiocre. Rien ne sera plus comme avant. A la fin d’un long chemin vers la liberté, Mandela s’était livré à une profonde méditation philosophique sur la liberté qui s’applique bien au processus duquel a résulté l’avènement de Obama. De cette médiation, j’ai retenu quelques passages très significatifs de la longue marche de l’émancipation des peuples dont la « faim de liberté » est à l’aune de l’humiliation subie et de l’injustice vécue. « Peut-être faut-il ces abîmes d’oppression pour créer une telle grandeur de caractère » ? L’héritier d’une histoire empreinte d’oppression et d’injustice ne peut changer le cours de l’Histoire que par l’affirmation d’une forte personnalité dont le charisme se fonde sur la générosité et le sens du sacrifice pour l’autre. Ce qui ouvre une ère de liberté. Mais comme l’énonce Mandela : « La vérité, c’est que nous nous ne sommes pas encore libres ; nous avons seulement atteint la liberté d’être libres, le droit de ne pas être opprimés. Nous n’avons pas encore fait le dernier pas de notre voyage, nous n’avons fait que le premier sur une route plus longue et difficile. » Ce voyage est la quête d’un monde où « l’opprimé et l’oppresseur doivent être libres ».
Mandela hier, Obama aujourd’hui, tous les deux symbolisent « un long chemin vers la liberté », un combat pour l’avènement d’un monde libéré de la malheureuse opposition Noirs/ Blancs, inférieurs / supérieurs. Le règne de la liberté pour une société ouverte, moins sectaire est désormais possible. La ségrégation raciale et l’apartheid ont constitué les deux puissants modèles d’oppression et de domination des Blancs sur les Noirs. Mandela et Obama ont dit non, de façon différente et dans des contextes différents et des conjonctures historiques autres. Mandela a inauguré une façon authentiquement humaniste de dire non à un ordre injuste et inhumain. En ce sens, Mandela a fécondé l’Américain Obama. Le sud-africain noir a inspiré l’afro-américain. Vérité et Justice ont rythmé la cadence de la marche des peuples noirs se délivrant de leurs chaînes. La bonne nouvelle est venue de l’Afrique du Sud et de l’Amérique. La construction d’un monde pleinement libre ne peut faire l’économie de la concrétisation de l’exigence de liberté au profit de la promotion de la dignité humaine pour tous. Une étape décisive d’émancipation de l’humanité a été franchie. Il en ressort qu’une politique de la civilisation universelle est énoncée dans la mesure où un projet de société peut remporter sur la couleur de peau.
L’événement du mardi 04 novembre 08 est une manifestation de ce que peut offrir une exigence d’humanité et de civilisation.
Le défi de notre siècle sera de poursuivre dans le sens du message envoyé par le pays de l’Oncle Sam, par l’élection à la tête de la plus grande puissance du monde, d’un citoyen américain démocrate et noir. Le fils de l’indigène, de la race proscrite, a ouvert la brèche, en incarnant « l’audace d’espérer » pour redonner à la civilisation son sens authentique.
Les sceptiques, les cyniques, les racistes, les xénophobes et les partisans d’un monde binaire, fondé sur l’exclusion, la domination, la discrimination, l’oppression et le racisme en ont pris un coup dur. La justice a triomphé, le rêve est plus que jamais permis. L’improbable est devenu effectivité.
SY Hamdou Rabby
Pour avomm.com
____________________
-Emmanuel Levinas, Difficile liberté, Paris, Albin Michel, 1963, 1976, p. 164.
-Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, suivi de Discours sur la négritude, Paris, Présence africaine, 1955 et 2004, p. 24- 25.
-Barack Obama, L’audace d’espérer, une nouvelle conception de la politique américaine, traduit de l’anglais par Jacques Martinache, Paris, Presses de la Cite, 2007, p. 48.
-Obama, op.cit, p. 236.
-Obama, op.cit., p. 211.
Obama, op.cit, p. 212.
-Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté, Autobiographie traduite de l’Anglais par Jean Guiloineau, Fayard, 1995, p. 755.
Les figures les plus représentatives du calvaire d’une race sont encore d’une actualité criante : Le problème du Darfour au Soudan et la question noire en Mauritanie (l’esclavage et l’exclusion des négro-africains).
Donc, saluer l’élection de Barack Obama à la tête de la plus grande démocratie du monde, celle-là même, qui, a fait subir aux noirs, parce qu’ils ont une couleur de peau sombre, la ségrégation, des sévices, des tortures et des travaux forcés, c’est prendre la mesure de la mutation décisive et extraordinaire qui s’est effectuée le mardi 4 novembre 2008 à travers tous les continents. Mais si, les peuples noirs furent particulièrement sensibles à cet événement, ce n’est pas que leur quotidien va changer, mais quelque chose a bouleversé les mentalités. Il est clair que les préjugés terribles et horribles sur les noirs en ont pris un coup fatal. Il s’est agi d’une victoire dont le symbole et la dimension historique ont une portée qui a valeur d’un événement extraordinaire et grandiose.
Il est significatif de souligner que la démocratie américaine a franchi un cap en ouvrant la perspective d’une nouvelle ère qui ne pouvait s’annoncer qu’avec l’avènement de Barack Obama, non pas, du fait de la couleur de sa peau, mais parce que sa conception de la politique digne d’une grande démocratie comme l’Amérique répondait aux attentes d’une grande nation affaiblie par une politique agressive, guerrière et dominatrice. Nation-phare, emblématique de la grandeur frisant la démesure, puissance hors norme, lieu des contrastes, convergence des contraires et unité multiple et contradictoire, l’Amérique, par les origines de sa construction pouvait rendre possible la perspective de l’élection d’un Président noir. De la grandeur naît le génie de l’originalité et, de la diversité assumée advient la singularité universelle. La spécificité américaine résulte d’une expérience fondamentale de son Union, qui, à travers les péripéties de l’Histoire ne pouvaient plus agir au nom d’une bonne conscience. Il est notoire de constater que, quand les choses sont faites pour occulter la mauvaise conscience, rien de grand n’en résulte. Or, quand un peuple vainqueur et puissant accepte de faire le deuil du particularisme et de l’universalisme de l’intention, des vœux pieux, il offre à l’humanité une expérience de réalisation de la commune appartenance.
Obama Président de la superpuissance mondiale énonce de manière définitive que le visage du monde est devenu autre. Singularité non figée dans sa couleur de peau, Obama est le citoyen américain qui, au sein du camp des démocrates, pouvait apporter la bonne nouvelle. Le monde en avait besoin, l’humanité l’attendait, les noirs en avaient faim.
Pour comprendre comment un noir est devenu Président des Etats-Unis, il est important de partir de la configuration spécifique des Etats-Unis et de la violence de l’histoire qu’ont subie les noirs.
Il n’est point d’écrit dont l’évocation de la souffrance des peuples noirs puisse dépasser les propos de Aimé Césaire quand il écrivait : « Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. […]. Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse. »
La douloureuse expérience vécue par des peuples qui ont vu leur humanité activement refusée par une méconnaissance cynique et fatale de leur droit à s’organiser en société a eu comme résultats : la vacuité, le piétinement, la destruction, la dépossession, la négation absolue de leur spiritualité, l’anéantissement de leur génie artistique et l’effacement de possibilités immenses. Comment rester humain quand toutes les modalités de notre humanité sont niées et anéanties ? Il fallait une longue et très longue marche pour renaître. En un sens Obama, en plus de son héritage américain, est l’héritier de cette lignée de héros noirs dans la diversité de leurs apports et de leur position dans la lutte pour l’émancipation des noirs du joug de la domination et de l’oppression de l’esclavage et du racisme.
Malcom X, William Dubois, Marcus Gavey, Martin Luther King, André Young (Premier noir ambassadeur des USA à l’ONU) ; Kwamé NKrumah, Léon Gontras Damas, Lépold Sédar Senghor (premier noir agrégé en lettres, reçu à l’Académie française), Aimé Césaire ( résistant et intellectuel hors norme), Cheick Anta Diop, Amadou Mocthar Mbow (premier noir, directeur général de l’UNESCO), Koffi Annan ( premier noir, secrétaire général de l’ONU, Nelson Mandela (Le tombeur de l’Appartheid), etc....
Cette liste n’est pas exhaustive, mais elle est très emblématique d’une lignée d’hommes qui ont fait reculer les préjugés et redonné confiance à l’homme noir, condition de l’espoir et de sa renaissance en tant que membre à part entière de l’humanité. Ces hommes, d’une manière ou d’une autre, se sont sentis investis, d’une mission humaniste d’émancipation, à partir de la possibilité, difficile, particulière, mais exaltante qui leur était offerte. C’est de la conjugaison exponentielle de ses efforts que, la possibilité exceptionnelle d’un noir Président des Etats-Unis était inscrite dans l’ordre du réalisable. Cette possibilité s’est incarnée dans la rencontre d’un homme, héritier de cette longue marche de peuples opprimés, né américain, militant démocrate convaincu, humaniste ayant surmonté la pensée binaire. C’est ainsi que Obama écrit dans l’audace d’espérer : « Je suis convaincu que chaque fois que nous donnons dans l’exagération, la diabolisation ou la simplification à l’extrême, nous perdons. Chaque fois que nous infantilisons le débat politique, nous perdons. »
Il est clair que Obama s’est mis au dessus du binarisme facile et épidermique qui oppose les Blancs et les Noirs, aux premiers la supériorité et aux seconds l’infériorité. Il n’est pas entré dans ce schématisme structurel, psychologique destructeur et retardataire. La posture d’universalité politique fondée sur un versant humaniste a été la sève nourricière de sa vision de son destin d’homme politique. Comme un invité privilégié de l’Histoire, il a su affronter l’histoire par son aspect le plus rude, mais le plus décisif, à savoir devenir un militant politique avec comme ambition de devenir Président de la nation la plus avancée du monde. Aujourd’hui, cette ambition est devenue effective, par la procédure la plus évoluée et la plus intelligente que la civilisation a offerte aux humains. La voie des urnes que l’Apartheid ne voulait pas offrir aux noirs en Afrique du Sud, a permis l’arrivée de Mandela au pouvoir après des décennies de combat, et ce fut le tour de Obama le mardi 4 novembre 2008. Une page de l’histoire a été tournée.
L’ère des possibles pour la partie la plus muselée de l’humanité est devenue possible. Il est clair que la couleur de la peau ne peut pas être le fondement de la référence humaine et intelligente de l’humanité. Les symboles sont forts parce qu’ils défoncent des issues qu’on croyait à jamais closes. Or, dès lors que l’Histoire s’est prononcée en faveur d’une perspective, les conditions objectives et subjectives se mettent en mouvement. Pour se concrétiser, cette possibilité énoncée s’incarne à travers la décision d’un homme qui expose publiquement son vouloir et le convertit en choix d’un peuple.
La convocation de l’histoire s’impose ainsi comme impérieuse nécessité qui se convertit en liberté que valide un peuple sous le mode de la procédure électorale propre à l’option démocratique. Ainsi la nécessité qui est la liberté comprise se manifeste à travers l’élan et la ferveur d’un peuple qui dit Oui au choix propulsé par le moment historique. L’élection de Obama est un moment historique authentique. Ce moment est la traduction effective de ce qui doit être effectivité concrète. D’où l’intelligence de cette nécessité comme diction de la liberté en tant que vérité de l’expérience humaine, quand celle-ci procède de la décision découlant ainsi d’une puissante vocation. Obama n’est pas un homme passionné, mais un homme lucide qui a pris conscience qu’il doit s’engager en politique pour donner à l’Amérique et au monde, à l’humanité, «une nouvelle conception de la politique américaine» ce qui ne pouvait se concrétiser que par «l’audace d’espérer.»
Le moment historique, par sa gravité, exigeait une politique de l’espérance, seule issue humaine à une demande d’espoir exprimée non seulement, par des millions d’Américains, mais aussi par de millions d’hommes et de femmes qui souffrent dans le monde. Obama, dans sa construction croisée, ne pouvait pas camper dans l’unilatéralisme de la sclérose, du dogmatisme et du manichéisme. Il l’avoue lui-même en considérant son vécu personnel : « i[d’enfant d’un Noir et d’une Blanche, né dans le creuset racial d’Hawaii, avec une sœur à moitié indonésienne, […] ; je n’ai jamais eu la possibilité de restreindre mes allégeances sur une base raciale ni de mesurer ma propre valeur à une aune tribale.]i » Il y a là, l’expression d’une trajectoire ouverte sur une expérience humaine qui libère du confinement racial, sectaire et tribal. La société qui s’ouvre, horizon des possibles contre la société close, structure primitive de l’humanité se constituant en sociétés. Ces passages nous parlent profondément nous autres Mauritaniens, assignés à résidence identitaire, raciale, tribale avec un sectarisme démoniaque qui défie tous les systèmes, quelle que soit leur férocité par la médiocrité et l’étroitesse de tous nos dirigeants.
Le nouveau patron de la Maison Blanche a donné un horizon universaliste à sa naissance dans un environnement issu d’une rencontre plurielle complexe et compliquée. Il a refusé la simplification et la victimisation pour s’élever à une posture pensée de la configuration composite de son pays, la plus grande puissance du monde. Il est né américain, d’un père noir Kenyan et d’une mère blanche cosmopolite, généreuse et humaniste. Il y a quelque chose d’émouvant dans ce parcours de vie où la dimension composite a sécrété la conscience de la nécessité pour Obama de s’orienter vers la « quête à la fois d’un langage et de systèmes d’action qui pourraient aider à bâtir une communauté et à instaurer la justice. » A travers un témoignage habité par un fort sentiment de reconnaissance, Obama écrit, parlant de sa mère : « Ma mère vivait heureuse en citoyenne du monde, se constituant une communauté d’amis partout où elle se trouvait, satisfaisant son besoin de sens par son travail et ses enfants. »
Puiser dans ses racines familiales, une vision articulée à des valeurs universelles, nécessite de réelles capacités de remise en cause qui confèrent à une confiance en soi cultivée par un militantisme réel et nourrit par un engagement authentique au service de la société. En un sens, faire de la politique, c’est accepter de confronter une vocation avec la demande réelle des millions d’individus qui, eux, n’ont pas la possibilité d’assumer cette mission difficile.
Une continuité historique a permis par effraction, l’ouverture des possibles que symbolise l’avènement de Barack Obama au pouvoir. Le monde a pris un nouveau visage qui n’est plus de l’ordre de la gesticulation hypocrite et médiocre. Rien ne sera plus comme avant. A la fin d’un long chemin vers la liberté, Mandela s’était livré à une profonde méditation philosophique sur la liberté qui s’applique bien au processus duquel a résulté l’avènement de Obama. De cette médiation, j’ai retenu quelques passages très significatifs de la longue marche de l’émancipation des peuples dont la « faim de liberté » est à l’aune de l’humiliation subie et de l’injustice vécue. « Peut-être faut-il ces abîmes d’oppression pour créer une telle grandeur de caractère » ? L’héritier d’une histoire empreinte d’oppression et d’injustice ne peut changer le cours de l’Histoire que par l’affirmation d’une forte personnalité dont le charisme se fonde sur la générosité et le sens du sacrifice pour l’autre. Ce qui ouvre une ère de liberté. Mais comme l’énonce Mandela : « La vérité, c’est que nous nous ne sommes pas encore libres ; nous avons seulement atteint la liberté d’être libres, le droit de ne pas être opprimés. Nous n’avons pas encore fait le dernier pas de notre voyage, nous n’avons fait que le premier sur une route plus longue et difficile. » Ce voyage est la quête d’un monde où « l’opprimé et l’oppresseur doivent être libres ».
Mandela hier, Obama aujourd’hui, tous les deux symbolisent « un long chemin vers la liberté », un combat pour l’avènement d’un monde libéré de la malheureuse opposition Noirs/ Blancs, inférieurs / supérieurs. Le règne de la liberté pour une société ouverte, moins sectaire est désormais possible. La ségrégation raciale et l’apartheid ont constitué les deux puissants modèles d’oppression et de domination des Blancs sur les Noirs. Mandela et Obama ont dit non, de façon différente et dans des contextes différents et des conjonctures historiques autres. Mandela a inauguré une façon authentiquement humaniste de dire non à un ordre injuste et inhumain. En ce sens, Mandela a fécondé l’Américain Obama. Le sud-africain noir a inspiré l’afro-américain. Vérité et Justice ont rythmé la cadence de la marche des peuples noirs se délivrant de leurs chaînes. La bonne nouvelle est venue de l’Afrique du Sud et de l’Amérique. La construction d’un monde pleinement libre ne peut faire l’économie de la concrétisation de l’exigence de liberté au profit de la promotion de la dignité humaine pour tous. Une étape décisive d’émancipation de l’humanité a été franchie. Il en ressort qu’une politique de la civilisation universelle est énoncée dans la mesure où un projet de société peut remporter sur la couleur de peau.
L’événement du mardi 04 novembre 08 est une manifestation de ce que peut offrir une exigence d’humanité et de civilisation.
Le défi de notre siècle sera de poursuivre dans le sens du message envoyé par le pays de l’Oncle Sam, par l’élection à la tête de la plus grande puissance du monde, d’un citoyen américain démocrate et noir. Le fils de l’indigène, de la race proscrite, a ouvert la brèche, en incarnant « l’audace d’espérer » pour redonner à la civilisation son sens authentique.
Les sceptiques, les cyniques, les racistes, les xénophobes et les partisans d’un monde binaire, fondé sur l’exclusion, la domination, la discrimination, l’oppression et le racisme en ont pris un coup dur. La justice a triomphé, le rêve est plus que jamais permis. L’improbable est devenu effectivité.
SY Hamdou Rabby
Pour avomm.com
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-Emmanuel Levinas, Difficile liberté, Paris, Albin Michel, 1963, 1976, p. 164.
-Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, suivi de Discours sur la négritude, Paris, Présence africaine, 1955 et 2004, p. 24- 25.
-Barack Obama, L’audace d’espérer, une nouvelle conception de la politique américaine, traduit de l’anglais par Jacques Martinache, Paris, Presses de la Cite, 2007, p. 48.
-Obama, op.cit, p. 236.
-Obama, op.cit., p. 211.
Obama, op.cit, p. 212.
-Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté, Autobiographie traduite de l’Anglais par Jean Guiloineau, Fayard, 1995, p. 755.