"L'inspection générale de la police nationale (IGPN) a été saisie, jeudi 9 février, à la suite de la parution d'un livre accusant des enquêteurs de la 6e division de police judiciaire d'avoir torturé, en 1995, des suspects islamistes pendant leur garde à vue.
Ces révélations ont été apportées par trois journalistes du Point, Olivia Recasens, Jean-Michel Decugis et Christophe Labbé, dans Place Beauvau, un livre paru jeudi 9 février aux éditions Robert Laffont.
Dans leur avant-dernier chapitre, intitulé "Les cadavres dans le placard", les auteurs abordent les violences physiques et psychologiques qui auraient été infligées à ces suspects dans les locaux du service régional de police judiciaire (SRPJ) de Lyon et dans ceux de la 6e division de police judiciaire, à Paris, à l'automne 1995, en pleine campagne d'attentats en France.
"J'ai été estomaqué de lire cela, affirme Claude Guéant, directeur du cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur, mais aussi directeur général de la police nationale (DGPN) au moment des faits. En 1995, nous voulions absolument trouver les responsables des attentats, mais jamais de tels moyens n'ont été envisagés par l'état-major." L'inspection générale de la police nationale a donc été saisie afin de "vérifier la réalité des propos avancés et d'interroger éventuellement les enquêteurs, ainsi que leurs responsables hiérarchiques", explique M. Guéant.
Les auteurs du livre affirment avoir recueilli les témoignages (anonymes dans l'ouvrage) de cinq ex-officiers de police judiciaire, dont la plupart ont appartenu au même groupe au sein de la 6e division de police judiciaire. Deux auraient reconnu leur participation aux tortures, les autres y auraient assisté.
Le premier épisode relaté aurait eu lieu au cours de la garde à vue de Slimane Rahmouni, le 11 septembre 1995, dans les locaux du SRPJ de Lyon. Il aurait été exhibé devant des policiers avec un sac plastique sur la tête, au bout d'une laisse. Un commissaire du SRPJ s'en serait ému, en vain. Slimane Rahmouni aurait subi un "traitement spécial" à l'électricité. "C'est avec une arme d'autodéfense achetée dans une armurerie que l'islamiste est torturé, écrivent les auteurs. De la taille d'un gros téléphone portable, l'engin est doté de deux cônes en fer qui envoient, sous faible ampérage, des décharges électriques de 180 000 volts."
Interrogés par Le Monde, les auteurs affirment connaître l'identité de l'homme qui a acheté l'objet dans une armurerie. Condamné à sept ans de prison, vivant aujourd'hui dans le sud de la France, Slimane Rahmouni n'a pas souhaité rencontrer les journalistes.
Le 27 septembre 1995, deux autres hommes, Abdelkader Maameri et Abdelkader Bouhadjar, furent arrêtés à leur tour. Tenus éveillés pendant quatre jours, privés d'eau et de nourriture, ils auraient aussi subi des chocs électriques. Le 1er octobre 1995, dans le bureau de la juge d'instruction Laurence Le Vert, Abdelkader Bouhadjar avait dit : "Un homme encagoulé est venu avec un appareil électrique avec lequel il m'a mis des décharges. On m'a fait monter sur le Coran. J'avais les menottes et des Bic coincés entre tous les doigts." Selon leur avocat, Me Jacques Debray, ils n'avaient pas "voulu déposer plainte car ils étaient trop terrorisés à l'époque". Condamnés le 15 septembre 1999 à dix ans de prison, les deux hommes sont aujourd'hui libres.
"PENDU PAR LES PIEDS"
Les auteurs parlent aussi du cas de Néji N., alors imam à la mosquée de Villeneuve-d'Ascq (Nord), transféré dans les locaux parisiens de la 6e division de police judiciaire le 3 novembre 1995. "L'imam, qui crie son innocence, est frappé et torturé toute la nuit. Il sera même pendu par les pieds à la fenêtre du cinquième étage", écrivent-ils. Après deux ans de détention provisoire, Néji N. a bénéficié d'un non-lieu. Celui-ci a déclaré aux auteurs : "Les policiers ont commis de graves exactions, ils doivent vivre avec ça sur leur conscience. Moi, j'essaie d'oublier."
Contactés par Le Monde, d'anciens cadres de la 6e division disent "tomber des nues". Certains évoquent la tension qui existait à l'époque entre le patron de la 6e, Roger Marion, et celui du SRPJ de Lyon, Bernard Trenque. "Ils étaient en guerre, le climat était lourd, se souvient l'un d'eux. Si les gars du SRPJ avaient eu connaissance de tortures, ils les auraient immédiatement dénoncées à la hiérarchie." Lors de leurs opérations à Lyon, les enquêteurs de la 6e division s'installaient dans les locaux de leurs collègues. "On travaillait ensemble, précise un proche de M. Trenque. Les gars de la 6e n'auraient pu faire ça sans qu'on soit au courant." Tous étaient soumis à un impératif de résultat. "On tournait comme des hélices, se souvient un autre ex-cadre du SRPJ. On était sous la pression d'événements gravissimes."
Piotr Smolar
Ces révélations ont été apportées par trois journalistes du Point, Olivia Recasens, Jean-Michel Decugis et Christophe Labbé, dans Place Beauvau, un livre paru jeudi 9 février aux éditions Robert Laffont.
Dans leur avant-dernier chapitre, intitulé "Les cadavres dans le placard", les auteurs abordent les violences physiques et psychologiques qui auraient été infligées à ces suspects dans les locaux du service régional de police judiciaire (SRPJ) de Lyon et dans ceux de la 6e division de police judiciaire, à Paris, à l'automne 1995, en pleine campagne d'attentats en France.
"J'ai été estomaqué de lire cela, affirme Claude Guéant, directeur du cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur, mais aussi directeur général de la police nationale (DGPN) au moment des faits. En 1995, nous voulions absolument trouver les responsables des attentats, mais jamais de tels moyens n'ont été envisagés par l'état-major." L'inspection générale de la police nationale a donc été saisie afin de "vérifier la réalité des propos avancés et d'interroger éventuellement les enquêteurs, ainsi que leurs responsables hiérarchiques", explique M. Guéant.
Les auteurs du livre affirment avoir recueilli les témoignages (anonymes dans l'ouvrage) de cinq ex-officiers de police judiciaire, dont la plupart ont appartenu au même groupe au sein de la 6e division de police judiciaire. Deux auraient reconnu leur participation aux tortures, les autres y auraient assisté.
Le premier épisode relaté aurait eu lieu au cours de la garde à vue de Slimane Rahmouni, le 11 septembre 1995, dans les locaux du SRPJ de Lyon. Il aurait été exhibé devant des policiers avec un sac plastique sur la tête, au bout d'une laisse. Un commissaire du SRPJ s'en serait ému, en vain. Slimane Rahmouni aurait subi un "traitement spécial" à l'électricité. "C'est avec une arme d'autodéfense achetée dans une armurerie que l'islamiste est torturé, écrivent les auteurs. De la taille d'un gros téléphone portable, l'engin est doté de deux cônes en fer qui envoient, sous faible ampérage, des décharges électriques de 180 000 volts."
Interrogés par Le Monde, les auteurs affirment connaître l'identité de l'homme qui a acheté l'objet dans une armurerie. Condamné à sept ans de prison, vivant aujourd'hui dans le sud de la France, Slimane Rahmouni n'a pas souhaité rencontrer les journalistes.
Le 27 septembre 1995, deux autres hommes, Abdelkader Maameri et Abdelkader Bouhadjar, furent arrêtés à leur tour. Tenus éveillés pendant quatre jours, privés d'eau et de nourriture, ils auraient aussi subi des chocs électriques. Le 1er octobre 1995, dans le bureau de la juge d'instruction Laurence Le Vert, Abdelkader Bouhadjar avait dit : "Un homme encagoulé est venu avec un appareil électrique avec lequel il m'a mis des décharges. On m'a fait monter sur le Coran. J'avais les menottes et des Bic coincés entre tous les doigts." Selon leur avocat, Me Jacques Debray, ils n'avaient pas "voulu déposer plainte car ils étaient trop terrorisés à l'époque". Condamnés le 15 septembre 1999 à dix ans de prison, les deux hommes sont aujourd'hui libres.
"PENDU PAR LES PIEDS"
Les auteurs parlent aussi du cas de Néji N., alors imam à la mosquée de Villeneuve-d'Ascq (Nord), transféré dans les locaux parisiens de la 6e division de police judiciaire le 3 novembre 1995. "L'imam, qui crie son innocence, est frappé et torturé toute la nuit. Il sera même pendu par les pieds à la fenêtre du cinquième étage", écrivent-ils. Après deux ans de détention provisoire, Néji N. a bénéficié d'un non-lieu. Celui-ci a déclaré aux auteurs : "Les policiers ont commis de graves exactions, ils doivent vivre avec ça sur leur conscience. Moi, j'essaie d'oublier."
Contactés par Le Monde, d'anciens cadres de la 6e division disent "tomber des nues". Certains évoquent la tension qui existait à l'époque entre le patron de la 6e, Roger Marion, et celui du SRPJ de Lyon, Bernard Trenque. "Ils étaient en guerre, le climat était lourd, se souvient l'un d'eux. Si les gars du SRPJ avaient eu connaissance de tortures, ils les auraient immédiatement dénoncées à la hiérarchie." Lors de leurs opérations à Lyon, les enquêteurs de la 6e division s'installaient dans les locaux de leurs collègues. "On travaillait ensemble, précise un proche de M. Trenque. Les gars de la 6e n'auraient pu faire ça sans qu'on soit au courant." Tous étaient soumis à un impératif de résultat. "On tournait comme des hélices, se souvient un autre ex-cadre du SRPJ. On était sous la pression d'événements gravissimes."
Piotr Smolar