Samba Thiam est le président des Forces de Libération des Africains de Mauritanie (FLAM). Né en 1949 à Sélibaby (Sud de la Mauritanie), inspecteur de ‘enseignement de formation et ancien formateur à ‘Ecole Normale des Instituteurs (ENI), Samba Thiam est membre fondateur des FLAM en mars 1983.Il fut arrêté en septembre 1986 ,après la publication du " Manifeste du Negro-mauritanien Opprimé ", jugé et condamné à cinq ans d'emprisonnement ferme et envoyé au bagne de WALATA.
Il séjourna dans cette prison avec d'autres hauts cadres negro-mauritaniens, dont le grand poète Feu Tene Youssouf Guèye (mort en prison). A sa sortie de prison, il rejoint ses amis au Sénégal .Il fut élu à la tête des FLAM lors du troisième congrès, et depuis lors il dirige ‘organisation. Il vit actuellement en exil à New York.
Nouakchott Info ‘a rencontré et a bien voulu répondre à nos questions. Dans cet entretien exclusif (première interview avec un journal mauritanien, selon Kaaw Touré), le Président Samba Thiam parle du dernier congrès des FLAM, de ‘Autonomie, de sa vision de la Mauritanie, de ‘Islam, de la visite de Joseph le baron chez les réfugiés, de la transition et des conditions de retour.
Nouakchott.Info : Monsieur le Président, votre congrès organisé fin décembre 2005 aux Etats-Unis, a discuté un certain nombre de questions, dont celle de ‘autonomie. Pouvez-vous nous édifier sur les grandes orientations ayant sanctionné ce rendez-vous et le contenu du nouveau concept de ‘autonomie ?
Samba Thiam : Nous sommes sortis de notre 6ème congrès national déterminés et solidaires dans notre commune volonté de poursuivre le juste combat que nous avons engagé contre la discrimination et ‘injustice. C'est ainsi que des décisions majeures ont été prises notamment aux fins d'impulser davantage la lutte, et de faire plus de place aux jeunes et aux femmes dans les organes de direction. Mais la grande décision reste évidemment la réaffirmation déterminée de ‘Autonomie. Une autonomie qui permettrait que les communautés prennent en main la gestion de leur terroir, et modèlent leurs propres institutions tout en préservant le lien unitaire .Vous en aurez les détails dans une Charte à venir, en finition.
Mais encore une fois, il faudra situer cette option fondamentale dans le cadre d'une démarche visant à rechercher les solutions à notre épineux problème de cohabitation .En effet, lorsqu'on a mis à ‘épreuve, pendant 45 ans, un schéma qui n'a pas fonctionné- et c'est là un euphémisme, il faut se tourner vers d'autres solutions, essayer autre chose. Le bon sens le commande. Je ne comprends pas , par ailleurs , que ce concept d'autonomie draine une inquiétude , injustifiée à mes yeux , auprès de certains , car la connotation ou le risque de séparation est bien plus élevé avec le statu quo actuel ; ou encore avec le fédéralisme.
J'ajoute, par ailleurs, que nous savons tous que la Mauritanie est un pays superflu, créé pour des raisons de géopolitique du colonialisme Français. Il nous appartient dès lors, à nous classe politique éclairée, de faire en sorte qu'il devienne une nécessité, par une volonté de vivre en commun affirmée et traduite dans les faits, mais dans ‘égalité et le respect mutuel. Voilà pourquoi nous ne saurions nous accommoder davantage de cette position… inconfortable entre deux chaises: refuser de construire ce pays sur des bases justes, et continuer de s'opposer, en même temps, à toute perspective de séparation. C'est impossible et cela ne peut plus continuer. Il faut choisir.
N.I : Sur quels critères aviez-vous choisi les Etats-Unis pour le congrès et que diriez-vous à ceux qui parlent du mauvais choix au détriment de ‘Afrique ou ‘Europe, arguant que c'est une " traduction de la volonté d'un groupe de privilégiés, coupé des réalités des réfugiés et de la Mauritanie post-Taya et qui prend en otage les FLAM" ?
S.T : D'où prenez-vous ça ? Qui prend en otage qui ? Des flamistes qui prennent en otage d'autres flamistes est tout simplement un non sens. Non ! Les choses se sont passées de la manière la plus démocratique possible, croyez moi. La vérité est tout autre. Le choix des USA a été tout simplement déterminé, en réalité par deux critères : celui de la sécurité et celui du coût.
Tout le monde garde encore en mémoire la nature des relations entre Ould Taya et Wade. Le contexte était tel qu'il aurait été, pour nous, suicidaire de tenir nos assises en Afrique. Le critère de sécurité excluant ‘Afrique étant réglé, il restait le choix entre ‘Europe et les USA. Et là ‘argument du coût a départagé. Plus des 3/4 des membres de notre Bureau Exécutif National et de notre Conseil National résidant aux Etats-Unis, il apparaissait, manifestement, plus économique pour nous de faire transporter la minorité en Europe vers les USA que procéder à ‘inverse. Voilà tout.
Il n'y avait, contrairement à certaines rumeurs, aucun calcul politicien ou de positionnement. La lutte pour la conservation du " pouvoir " est une fiction car il n'y avait pas de candidat provenant des Etats -unis ! Un jour, peut-être un coin du voile se lèvera qui éclairera davantage certains dessous de ce Congrès historique. Prétendre enfin que nous sommes coupés de la réalité des camps, c'est méconnaître à la fois et nos capacités et la nature de nos rapports avec les réfugiés. Sans les Flam, il y a longtemps que les réfugiés seraient rentrés clandestinement du fait des poussées et des manœuvres répétées de groupes de tous bords... Pour la réalité interne également vous vous trompez complètement à notre sujet.
N.I : Le Manifeste du négro-mauritanien opprimé publié par les Forces de Libération des Africains de Mauritanie(FLAM) en 1986, décrivait la situation dans notre pays, comme comparable à celle de ‘Apartheid en Afrique du Sud. Des blancs (Beïdanes), opprimant la composante noire de la Mauritanie. Cette description est-elle liée à la période d'un pouvoir donné et ses pratiques ou bien représenterait-elle votre vision permanente et stratégique des relations entre les communautés chez nous ?
S.T : Je pense que vous caricaturez un peu la description de ‘apartheid en Afrique du Sud de ‘époque. Et je ne crois pas non plus que les Flam ‘aient posé de manière aussi simpliste. C'est connu, en Afrique du Sud tous les blancs n'adhéraient pas à ‘apartheid. Mieux certains s'y opposèrent et d'autres le combattirent farouchement.
Poser, par analogie , que tous les Bidhanes opprimaient la composante noire serait méconnaître et ‘histoire du peuplement et le type de relations complexes , tantôt conflictuelles et tantôt conviviales qu'entretenaient certaines tribus avec des provinces du Futa et du Waalo, chose que je ne puis , malheureusement , étoffer ici pour des raisons d'espace .. Mais de ce type de relations, ‘inconscient collectif Négro-africain retient plutôt la dimension conflits et heurts, comme le rappelait Hindou mint Ainina dans son article " ‘unité en question ".
Ce que par contre nous mettions en exergue et dénoncions c'était les politiques. Entre ‘Afrique du Sud et la Mauritanie il y avait, quelque part, similarité. Le résultat de la politique menée ici et là restait identique au plan de la finalité qui était d'exclure, de dominer les Noirs. Ici cette politique était codifiée, baptisée, là elle est non inscrite mais existe de facto. Dans les deux cas Blancs et Arabo-berbères bénéficiaient, consciemment ou inconsciemment, des retombées du Système. Bien sur que ‘usage de la terminologie " Apartheid mauritanien " était, quelque part, provocatrice à dessein, et répondait à des soucis de propagande, pour un slogan fort. Mais c'était de bonne guerre !
N.I : Comme vous le savez, ‘Islam a toujours joué jusqu'à nos jours un rôle central dans ‘unité de notre pays, mais en suivant les écrits et les déclarations de certains de vos cadres, comme Ibahima Sall, ‘on ne peut que se poser des questions sur la place de notre religion commune dans vos programmes. La " négrité " d'un Samba Gualadiegui,prime t-elle pour vous sur ‘islamité d'un Souleymane Ball ?
Et que représente pour vous ‘œuvre d'hommes, comme Elhaj Omar Tall ?
S.T : Votre question appelle trois remarques. La première, je n'ai jamais entendu ou lu des propos désobligeants vis- à -vis de ‘Islam émanant du camarade Ibrahima Sall. Nulle part.
En second lieu, il est utile que vous sachiez que les propos de M. sall -homme de conviction, mais simple militant de base- n'impulsaient, ni ne déterminaient la ligne ou les positions de notre Organisation. Cela dit, je dois vous apprendre que ‘Islam n'a pas constitué, dans la naissance des Flam, le creuset de rencontre .Au sein des Flam, nous comptons des musulmans fervents comme des athées irréductibles, des communistes, des nationalistes et des Chrétiens. C'est pour dire qu'ici ‘Islam n'est pas ‘élément fédérateur qui réside plutôt, pour nous, dans cette volonté farouchement partagée de rendre au Noir mauritanien sa dignité, bafouée, et sa citoyenneté déniée.
Enfin, je ne comprends pas que souvent, on ne convoque ‘Islam que lorsque ‘Unité est menacée ou ‘Arabité remise en cause. Si historiquement ‘Islam a servi de ciment et de creuset de rencontres des peuples de la sous -région et en Mauritanie en particulier, dans la naissance et le rayonnement de certains mouvements religieux, ce n'est plus le cas aujourd'hui, car je ne retrouve plus ces musulmans d'antan. Je perçois ‘Islam comme une croyance fondée sur la droiture, ‘honnêteté, ‘amour du prochain. Or ce que j'observe autour de moi c'est la roublardise, ‘indifférence au malheur du voisin, une mentalité enfin, pour laquelle, ‘honnêteté est perçue comme un délit ou est synonyme de marginalité. Alors une République islamique c'est peut-être bien, mais où sont les musulmans?
Enfin cessons de faire ‘amalgame entre Islamité et Arabité ; ‘une réfère un message divin et ‘autre renvoie à une culture... Par rapport à Samba Gueladjegui et à Souleymane Ball, je crains que nous n'ayons pas la même lecture sur le sens de la symbolique que vous leur prêtez. Si Gueladjegui reste d'un courage légendaire, il incarne aussi et surtout, à mes yeux, cette soif négative du pouvoir pouvant conduire jusqu'à la lutte fratricide. Souleymane Ball représente, à mon avis, plus le symbole du nationalisme résistant du futa, qu'autre chose. Quant à Elhadj Omar, son oeuvre spirituelle demeure un legs de portée internationale.
Mais si on pouvait rattraper le temps , le petit- fils aurait aimé dire au vénérable grand-père - il parait qu'il est un de mes lointains grand-pères par la lignée maternelle- qu'il aurait mieux fait de tourner ses armes contre le colonialisme Français à nos portes, plutôt que vers ‘esprit vaillant et chaleureux des Bambaras. C'est donc pour dire que je ne partageais pas tout à fait le caractère conquérant de ‘Islam de Cheikh OUMAR. En ‘Islam, j'ai toujours perçu la conciliation plutôt que la colère, la compréhension plutôt que la contrainte.
N.I : Votre organisation connaît ces jours des dissidences et des exclusions au niveau de la direction. Quelle réaction vous inspire ces événements, qui, pour certains observateurs représenteraient le début de ‘installation des FLAM dans un cycle d'instabilité aux contours indéterminés ?
S.T: Cette question appelle trois remarques : la première, c'est qu'il n y a là rien de dramatique, car bien souvent les crises et les secousses, et même les ruptures, se situent dans le cours normal et naturel des Organisations en lutte. Elles sont parfois utiles, voire souhaitables pour permettre des bons qualitatifs.
En second lieu, vous ne devez pas perdre de vue que depuis toujours le pouvoir travaille à nous diviser, et c'est de bonne guerre. Nous ‘avions toujours fait échouer, cette fois il a réussi .On ne gagne pas toujours toutes les batailles ; c'est aussi simple que ça ! Mais un jour le voile se lèvera, là aussi, sur les vraies motivations de ce groupe ultra-minoritaire. A chaud, ici et maintenant, tout ce que je dirai pourrait être interprété comme un dénigrement. Une chose est sûre, ils voulaient rentrer. La voie est ouverte et nous leur souhaitons bonne chance et beaucoup de courage.
N.I : ‘ambassadeur des Etats-Unis à Nouakchott Mr. Joseph Le baron, vient d'effectuer une visite dans les camps des réfugiés mauritaniens au Sénégal, un déplacement qui a eu, selon nos sources, ‘aval des autorités mauritaniennes. Vous a-t-il transmis un message de Nouakchott et comment évaluez-vous les résultats de cette mission plus politique qu'humanitaire?
S.T : Non, nous ne sommes pas en relation avec Monsieur ‘Ambassadeur. Nous sommes plutôt tournés vers la maison blanche. Cela dit, la mission du diplomate peut être perçue comme un regain d'intérêt pour le dossier des réfugiés. Il faut espérer qu'elle ne s'inscrive pas dans le sillage de celle de Mme Sampas , parce qu'alors nous la ferions échouer , comme nous ‘avions toujours fait quand les intérêts des réfugiés étaient menacés .
N.I : La visite de ‘ambassadeur américain, conjuguée aux efforts de plusieurs formations politiques nationales -ayant une approche opposée à la votre sur les réfugiés-, ‘action de lobbyistes et la volonté du gouvernement sénégalais de trouver une solution urgente à ce dossier , ne risquent-elles pas d'affaiblir votre position et partant hériter d'un fauteuil inconfortable au tour de la table d'un probable règlement de la question avant la fin de la transition ?
S.T : Que des formations politiques nationales fussent opposées à notre démarche, c'est vous qui me ‘apprenez ! En ce qui nous concerne, notre position a toujours été et demeure pour un règlement correct de cette question des déportés, c'est -à -dire par leur retour organisé, leur réhabilitation dans tous leurs droits légitimes. Si des formations s'opposent à une telle démarche, il appartiendra aux réfugiés d'en tirer toutes les conséquences. Maintenant ‘hypothèse que vous faites me semble mauvaise car elle ne saurait se présenter. Nous serons à la table de négociation lorsque nous aurons ‘assurance que les droits essentiels des réfugiés seront pris en compte, sinon nous n'y serons pas. C'est clair.
N.I : Quel bilan faites-vous de la transition mauritanienne après six mois ?
S.T : Confusion, hésitation, atermoiements qui conduisent à des demi-mesures et aux ratés observés .Tout cela donne ‘impression que le CMJD, sous la pression tribale et des milieux mafieux, se cherche encore un difficile équilibre. Et c'est dommage, car ils sont entrain de rater le coche. C'était une occasion, en or, donnée à Ely de se rattraper, et de fort belle manière. Mais hélas !
N.I : Votre mouvement est le seul groupe qui n'a pas encore pris une décision relative au retour en Mauritanie. Une position qui pousse certains observateurs à se poser des questions sur le pourquoi de cette particularité dans le jeu politique mauritanien. Avez-vous des conditions minimales pour la réalisation de ce retour ou est-ce seulement la peur du jeu démocratique, comme le notent des observateurs intéressés, qui vous pousse à tergiverser ?
S.T : Oui, nous avons des conditions. Nous avons besoin d'être rassurés qu'une volonté existe de rompre avec le passé et de prendre en charge les problèmes de fond, en particulier la question de Cohabitation. Ces problèmes devant être répertoriés dans une plate- forme, publiquement et officiellement annoncée. Nous avions du reste proposé un schéma en trois phases à ‘époque, et qui reste toujours applicable. Il s'agira de décrisper le climat social par un train de mesures destinées à apaiser les cours et les esprits, en premier lieu. Il faudra ensuite débattre de la question de cohabitation et de ‘esclavage, et enfin seulement passer aux élections.
‘Organisation des Etats généraux de ‘Education, de ‘Economie, de ‘Administration et de la justice, de ‘Armée pourrait se faire avant ou après ces élections. C'est selon. Peur du jeu démocratique ? Je dirai oui, peur de la "démocratie mauritanienne "; au vu des conditions actuelles de notre dépossession totale, dans ce contexte du racisme structurel de ‘Etat, où le contrôle de la réalité du pouvoir reste aux mains d'une seule ethnie, il est évident que cette démocratie n'offre pas des chances égales pour tous. Les victimes du déni de citoyenneté ne sauraient être au même niveau que les citoyens à part entière.
Voilà pourquoi nous pensons que dans ce nouvel attelage nous avons mis la charrue avant les bœufs ; les élections devront suivre et non précéder le règlement de ces questions de fond .Les élections, ça n'est pas la priorité! Notre démocratie se traduira toujours par un vrai faux jeu démocratique tant que la question de cohabitation et de ‘esclavage n'aura pas été résolue. Lorsque les conditions actuelles auront changé ou qu'elles seront devenues un peu plus équilibrées, alors vous verrez de quoi nous sommes capables !
N.I : Lesquels des partis politiques dirigés par des négro-mauritaniens (PLEJ ; AJD) est le plus proche à votre mouvement?
S.T : Question bien vicieuse, n'est-ce pas ? Pour parler franc je me sens à égale distance des deux. Je communique avec les deux comme je le fais, du reste, avec d'autres à ‘intérieur.
N.I : A quand le voyage pour Nouakchott du Président Samba Thiam ?
S.T : Mon retour se fera quand certaines conditions seront réunies. J'ai, comme beaucoup de mes camarades, le mal du pays. On ne remplace pas son pays en changeant de nationalité, du moins ce ne sera pas mon choix. Croyez- moi ‘exil, ça n'est pas pour un patriote, et ‘exil doré relève du fantasme .Mais si la nécessité du combat pour notre dignité y oblige encore. Je serai prêt à rester encore 20 ans. Mais, pour être juste, ‘exil offre aussi d'immenses possibilités pour la lutte dans le long terme, et notre lutte risque d'être longue.
Nous avons des ambitions pour ce pays. Nous demeurons optimistes quant à ses immenses possibilités. Il suffira de vouloir. Il suffira de quelques hommes intègres et propres, détachés, peu assoiffés de pouvoir, des hommes sérieux, rigoureux et sensibles à ‘ordre pour faire de notre pays un Eldorado sous-régional. Trois millions de mauritaniens, avouez que c'est loin de la surpopulation, au regard de nos immenses ressources et de nos potentialités. Tout le monde devrait normalement pouvoir être à ‘aise, les rancœurs et frustrations disparues.
Propos recueillis par Cheikhna ould Nenni…
Il séjourna dans cette prison avec d'autres hauts cadres negro-mauritaniens, dont le grand poète Feu Tene Youssouf Guèye (mort en prison). A sa sortie de prison, il rejoint ses amis au Sénégal .Il fut élu à la tête des FLAM lors du troisième congrès, et depuis lors il dirige ‘organisation. Il vit actuellement en exil à New York.
Nouakchott Info ‘a rencontré et a bien voulu répondre à nos questions. Dans cet entretien exclusif (première interview avec un journal mauritanien, selon Kaaw Touré), le Président Samba Thiam parle du dernier congrès des FLAM, de ‘Autonomie, de sa vision de la Mauritanie, de ‘Islam, de la visite de Joseph le baron chez les réfugiés, de la transition et des conditions de retour.
Nouakchott.Info : Monsieur le Président, votre congrès organisé fin décembre 2005 aux Etats-Unis, a discuté un certain nombre de questions, dont celle de ‘autonomie. Pouvez-vous nous édifier sur les grandes orientations ayant sanctionné ce rendez-vous et le contenu du nouveau concept de ‘autonomie ?
Samba Thiam : Nous sommes sortis de notre 6ème congrès national déterminés et solidaires dans notre commune volonté de poursuivre le juste combat que nous avons engagé contre la discrimination et ‘injustice. C'est ainsi que des décisions majeures ont été prises notamment aux fins d'impulser davantage la lutte, et de faire plus de place aux jeunes et aux femmes dans les organes de direction. Mais la grande décision reste évidemment la réaffirmation déterminée de ‘Autonomie. Une autonomie qui permettrait que les communautés prennent en main la gestion de leur terroir, et modèlent leurs propres institutions tout en préservant le lien unitaire .Vous en aurez les détails dans une Charte à venir, en finition.
Mais encore une fois, il faudra situer cette option fondamentale dans le cadre d'une démarche visant à rechercher les solutions à notre épineux problème de cohabitation .En effet, lorsqu'on a mis à ‘épreuve, pendant 45 ans, un schéma qui n'a pas fonctionné- et c'est là un euphémisme, il faut se tourner vers d'autres solutions, essayer autre chose. Le bon sens le commande. Je ne comprends pas , par ailleurs , que ce concept d'autonomie draine une inquiétude , injustifiée à mes yeux , auprès de certains , car la connotation ou le risque de séparation est bien plus élevé avec le statu quo actuel ; ou encore avec le fédéralisme.
J'ajoute, par ailleurs, que nous savons tous que la Mauritanie est un pays superflu, créé pour des raisons de géopolitique du colonialisme Français. Il nous appartient dès lors, à nous classe politique éclairée, de faire en sorte qu'il devienne une nécessité, par une volonté de vivre en commun affirmée et traduite dans les faits, mais dans ‘égalité et le respect mutuel. Voilà pourquoi nous ne saurions nous accommoder davantage de cette position… inconfortable entre deux chaises: refuser de construire ce pays sur des bases justes, et continuer de s'opposer, en même temps, à toute perspective de séparation. C'est impossible et cela ne peut plus continuer. Il faut choisir.
N.I : Sur quels critères aviez-vous choisi les Etats-Unis pour le congrès et que diriez-vous à ceux qui parlent du mauvais choix au détriment de ‘Afrique ou ‘Europe, arguant que c'est une " traduction de la volonté d'un groupe de privilégiés, coupé des réalités des réfugiés et de la Mauritanie post-Taya et qui prend en otage les FLAM" ?
S.T : D'où prenez-vous ça ? Qui prend en otage qui ? Des flamistes qui prennent en otage d'autres flamistes est tout simplement un non sens. Non ! Les choses se sont passées de la manière la plus démocratique possible, croyez moi. La vérité est tout autre. Le choix des USA a été tout simplement déterminé, en réalité par deux critères : celui de la sécurité et celui du coût.
Tout le monde garde encore en mémoire la nature des relations entre Ould Taya et Wade. Le contexte était tel qu'il aurait été, pour nous, suicidaire de tenir nos assises en Afrique. Le critère de sécurité excluant ‘Afrique étant réglé, il restait le choix entre ‘Europe et les USA. Et là ‘argument du coût a départagé. Plus des 3/4 des membres de notre Bureau Exécutif National et de notre Conseil National résidant aux Etats-Unis, il apparaissait, manifestement, plus économique pour nous de faire transporter la minorité en Europe vers les USA que procéder à ‘inverse. Voilà tout.
Il n'y avait, contrairement à certaines rumeurs, aucun calcul politicien ou de positionnement. La lutte pour la conservation du " pouvoir " est une fiction car il n'y avait pas de candidat provenant des Etats -unis ! Un jour, peut-être un coin du voile se lèvera qui éclairera davantage certains dessous de ce Congrès historique. Prétendre enfin que nous sommes coupés de la réalité des camps, c'est méconnaître à la fois et nos capacités et la nature de nos rapports avec les réfugiés. Sans les Flam, il y a longtemps que les réfugiés seraient rentrés clandestinement du fait des poussées et des manœuvres répétées de groupes de tous bords... Pour la réalité interne également vous vous trompez complètement à notre sujet.
N.I : Le Manifeste du négro-mauritanien opprimé publié par les Forces de Libération des Africains de Mauritanie(FLAM) en 1986, décrivait la situation dans notre pays, comme comparable à celle de ‘Apartheid en Afrique du Sud. Des blancs (Beïdanes), opprimant la composante noire de la Mauritanie. Cette description est-elle liée à la période d'un pouvoir donné et ses pratiques ou bien représenterait-elle votre vision permanente et stratégique des relations entre les communautés chez nous ?
S.T : Je pense que vous caricaturez un peu la description de ‘apartheid en Afrique du Sud de ‘époque. Et je ne crois pas non plus que les Flam ‘aient posé de manière aussi simpliste. C'est connu, en Afrique du Sud tous les blancs n'adhéraient pas à ‘apartheid. Mieux certains s'y opposèrent et d'autres le combattirent farouchement.
Poser, par analogie , que tous les Bidhanes opprimaient la composante noire serait méconnaître et ‘histoire du peuplement et le type de relations complexes , tantôt conflictuelles et tantôt conviviales qu'entretenaient certaines tribus avec des provinces du Futa et du Waalo, chose que je ne puis , malheureusement , étoffer ici pour des raisons d'espace .. Mais de ce type de relations, ‘inconscient collectif Négro-africain retient plutôt la dimension conflits et heurts, comme le rappelait Hindou mint Ainina dans son article " ‘unité en question ".
Ce que par contre nous mettions en exergue et dénoncions c'était les politiques. Entre ‘Afrique du Sud et la Mauritanie il y avait, quelque part, similarité. Le résultat de la politique menée ici et là restait identique au plan de la finalité qui était d'exclure, de dominer les Noirs. Ici cette politique était codifiée, baptisée, là elle est non inscrite mais existe de facto. Dans les deux cas Blancs et Arabo-berbères bénéficiaient, consciemment ou inconsciemment, des retombées du Système. Bien sur que ‘usage de la terminologie " Apartheid mauritanien " était, quelque part, provocatrice à dessein, et répondait à des soucis de propagande, pour un slogan fort. Mais c'était de bonne guerre !
N.I : Comme vous le savez, ‘Islam a toujours joué jusqu'à nos jours un rôle central dans ‘unité de notre pays, mais en suivant les écrits et les déclarations de certains de vos cadres, comme Ibahima Sall, ‘on ne peut que se poser des questions sur la place de notre religion commune dans vos programmes. La " négrité " d'un Samba Gualadiegui,prime t-elle pour vous sur ‘islamité d'un Souleymane Ball ?
Et que représente pour vous ‘œuvre d'hommes, comme Elhaj Omar Tall ?
S.T : Votre question appelle trois remarques. La première, je n'ai jamais entendu ou lu des propos désobligeants vis- à -vis de ‘Islam émanant du camarade Ibrahima Sall. Nulle part.
En second lieu, il est utile que vous sachiez que les propos de M. sall -homme de conviction, mais simple militant de base- n'impulsaient, ni ne déterminaient la ligne ou les positions de notre Organisation. Cela dit, je dois vous apprendre que ‘Islam n'a pas constitué, dans la naissance des Flam, le creuset de rencontre .Au sein des Flam, nous comptons des musulmans fervents comme des athées irréductibles, des communistes, des nationalistes et des Chrétiens. C'est pour dire qu'ici ‘Islam n'est pas ‘élément fédérateur qui réside plutôt, pour nous, dans cette volonté farouchement partagée de rendre au Noir mauritanien sa dignité, bafouée, et sa citoyenneté déniée.
Enfin, je ne comprends pas que souvent, on ne convoque ‘Islam que lorsque ‘Unité est menacée ou ‘Arabité remise en cause. Si historiquement ‘Islam a servi de ciment et de creuset de rencontres des peuples de la sous -région et en Mauritanie en particulier, dans la naissance et le rayonnement de certains mouvements religieux, ce n'est plus le cas aujourd'hui, car je ne retrouve plus ces musulmans d'antan. Je perçois ‘Islam comme une croyance fondée sur la droiture, ‘honnêteté, ‘amour du prochain. Or ce que j'observe autour de moi c'est la roublardise, ‘indifférence au malheur du voisin, une mentalité enfin, pour laquelle, ‘honnêteté est perçue comme un délit ou est synonyme de marginalité. Alors une République islamique c'est peut-être bien, mais où sont les musulmans?
Enfin cessons de faire ‘amalgame entre Islamité et Arabité ; ‘une réfère un message divin et ‘autre renvoie à une culture... Par rapport à Samba Gueladjegui et à Souleymane Ball, je crains que nous n'ayons pas la même lecture sur le sens de la symbolique que vous leur prêtez. Si Gueladjegui reste d'un courage légendaire, il incarne aussi et surtout, à mes yeux, cette soif négative du pouvoir pouvant conduire jusqu'à la lutte fratricide. Souleymane Ball représente, à mon avis, plus le symbole du nationalisme résistant du futa, qu'autre chose. Quant à Elhadj Omar, son oeuvre spirituelle demeure un legs de portée internationale.
Mais si on pouvait rattraper le temps , le petit- fils aurait aimé dire au vénérable grand-père - il parait qu'il est un de mes lointains grand-pères par la lignée maternelle- qu'il aurait mieux fait de tourner ses armes contre le colonialisme Français à nos portes, plutôt que vers ‘esprit vaillant et chaleureux des Bambaras. C'est donc pour dire que je ne partageais pas tout à fait le caractère conquérant de ‘Islam de Cheikh OUMAR. En ‘Islam, j'ai toujours perçu la conciliation plutôt que la colère, la compréhension plutôt que la contrainte.
N.I : Votre organisation connaît ces jours des dissidences et des exclusions au niveau de la direction. Quelle réaction vous inspire ces événements, qui, pour certains observateurs représenteraient le début de ‘installation des FLAM dans un cycle d'instabilité aux contours indéterminés ?
S.T: Cette question appelle trois remarques : la première, c'est qu'il n y a là rien de dramatique, car bien souvent les crises et les secousses, et même les ruptures, se situent dans le cours normal et naturel des Organisations en lutte. Elles sont parfois utiles, voire souhaitables pour permettre des bons qualitatifs.
En second lieu, vous ne devez pas perdre de vue que depuis toujours le pouvoir travaille à nous diviser, et c'est de bonne guerre. Nous ‘avions toujours fait échouer, cette fois il a réussi .On ne gagne pas toujours toutes les batailles ; c'est aussi simple que ça ! Mais un jour le voile se lèvera, là aussi, sur les vraies motivations de ce groupe ultra-minoritaire. A chaud, ici et maintenant, tout ce que je dirai pourrait être interprété comme un dénigrement. Une chose est sûre, ils voulaient rentrer. La voie est ouverte et nous leur souhaitons bonne chance et beaucoup de courage.
N.I : ‘ambassadeur des Etats-Unis à Nouakchott Mr. Joseph Le baron, vient d'effectuer une visite dans les camps des réfugiés mauritaniens au Sénégal, un déplacement qui a eu, selon nos sources, ‘aval des autorités mauritaniennes. Vous a-t-il transmis un message de Nouakchott et comment évaluez-vous les résultats de cette mission plus politique qu'humanitaire?
S.T : Non, nous ne sommes pas en relation avec Monsieur ‘Ambassadeur. Nous sommes plutôt tournés vers la maison blanche. Cela dit, la mission du diplomate peut être perçue comme un regain d'intérêt pour le dossier des réfugiés. Il faut espérer qu'elle ne s'inscrive pas dans le sillage de celle de Mme Sampas , parce qu'alors nous la ferions échouer , comme nous ‘avions toujours fait quand les intérêts des réfugiés étaient menacés .
N.I : La visite de ‘ambassadeur américain, conjuguée aux efforts de plusieurs formations politiques nationales -ayant une approche opposée à la votre sur les réfugiés-, ‘action de lobbyistes et la volonté du gouvernement sénégalais de trouver une solution urgente à ce dossier , ne risquent-elles pas d'affaiblir votre position et partant hériter d'un fauteuil inconfortable au tour de la table d'un probable règlement de la question avant la fin de la transition ?
S.T : Que des formations politiques nationales fussent opposées à notre démarche, c'est vous qui me ‘apprenez ! En ce qui nous concerne, notre position a toujours été et demeure pour un règlement correct de cette question des déportés, c'est -à -dire par leur retour organisé, leur réhabilitation dans tous leurs droits légitimes. Si des formations s'opposent à une telle démarche, il appartiendra aux réfugiés d'en tirer toutes les conséquences. Maintenant ‘hypothèse que vous faites me semble mauvaise car elle ne saurait se présenter. Nous serons à la table de négociation lorsque nous aurons ‘assurance que les droits essentiels des réfugiés seront pris en compte, sinon nous n'y serons pas. C'est clair.
N.I : Quel bilan faites-vous de la transition mauritanienne après six mois ?
S.T : Confusion, hésitation, atermoiements qui conduisent à des demi-mesures et aux ratés observés .Tout cela donne ‘impression que le CMJD, sous la pression tribale et des milieux mafieux, se cherche encore un difficile équilibre. Et c'est dommage, car ils sont entrain de rater le coche. C'était une occasion, en or, donnée à Ely de se rattraper, et de fort belle manière. Mais hélas !
N.I : Votre mouvement est le seul groupe qui n'a pas encore pris une décision relative au retour en Mauritanie. Une position qui pousse certains observateurs à se poser des questions sur le pourquoi de cette particularité dans le jeu politique mauritanien. Avez-vous des conditions minimales pour la réalisation de ce retour ou est-ce seulement la peur du jeu démocratique, comme le notent des observateurs intéressés, qui vous pousse à tergiverser ?
S.T : Oui, nous avons des conditions. Nous avons besoin d'être rassurés qu'une volonté existe de rompre avec le passé et de prendre en charge les problèmes de fond, en particulier la question de Cohabitation. Ces problèmes devant être répertoriés dans une plate- forme, publiquement et officiellement annoncée. Nous avions du reste proposé un schéma en trois phases à ‘époque, et qui reste toujours applicable. Il s'agira de décrisper le climat social par un train de mesures destinées à apaiser les cours et les esprits, en premier lieu. Il faudra ensuite débattre de la question de cohabitation et de ‘esclavage, et enfin seulement passer aux élections.
‘Organisation des Etats généraux de ‘Education, de ‘Economie, de ‘Administration et de la justice, de ‘Armée pourrait se faire avant ou après ces élections. C'est selon. Peur du jeu démocratique ? Je dirai oui, peur de la "démocratie mauritanienne "; au vu des conditions actuelles de notre dépossession totale, dans ce contexte du racisme structurel de ‘Etat, où le contrôle de la réalité du pouvoir reste aux mains d'une seule ethnie, il est évident que cette démocratie n'offre pas des chances égales pour tous. Les victimes du déni de citoyenneté ne sauraient être au même niveau que les citoyens à part entière.
Voilà pourquoi nous pensons que dans ce nouvel attelage nous avons mis la charrue avant les bœufs ; les élections devront suivre et non précéder le règlement de ces questions de fond .Les élections, ça n'est pas la priorité! Notre démocratie se traduira toujours par un vrai faux jeu démocratique tant que la question de cohabitation et de ‘esclavage n'aura pas été résolue. Lorsque les conditions actuelles auront changé ou qu'elles seront devenues un peu plus équilibrées, alors vous verrez de quoi nous sommes capables !
N.I : Lesquels des partis politiques dirigés par des négro-mauritaniens (PLEJ ; AJD) est le plus proche à votre mouvement?
S.T : Question bien vicieuse, n'est-ce pas ? Pour parler franc je me sens à égale distance des deux. Je communique avec les deux comme je le fais, du reste, avec d'autres à ‘intérieur.
N.I : A quand le voyage pour Nouakchott du Président Samba Thiam ?
S.T : Mon retour se fera quand certaines conditions seront réunies. J'ai, comme beaucoup de mes camarades, le mal du pays. On ne remplace pas son pays en changeant de nationalité, du moins ce ne sera pas mon choix. Croyez- moi ‘exil, ça n'est pas pour un patriote, et ‘exil doré relève du fantasme .Mais si la nécessité du combat pour notre dignité y oblige encore. Je serai prêt à rester encore 20 ans. Mais, pour être juste, ‘exil offre aussi d'immenses possibilités pour la lutte dans le long terme, et notre lutte risque d'être longue.
Nous avons des ambitions pour ce pays. Nous demeurons optimistes quant à ses immenses possibilités. Il suffira de vouloir. Il suffira de quelques hommes intègres et propres, détachés, peu assoiffés de pouvoir, des hommes sérieux, rigoureux et sensibles à ‘ordre pour faire de notre pays un Eldorado sous-régional. Trois millions de mauritaniens, avouez que c'est loin de la surpopulation, au regard de nos immenses ressources et de nos potentialités. Tout le monde devrait normalement pouvoir être à ‘aise, les rancœurs et frustrations disparues.
Propos recueillis par Cheikhna ould Nenni…