Me Amadou Ali KANE
"Il n'est pas imaginable que Hissène Habré puisse êtr
Le Sénégal a décidé de porter devant l'Union africaine l'affaire Hissène Habré. A quelques semaines de cette importante réunion, nous avons discuté avec Me Amadou Ali Kane de ce qui pourrait être décidé au cours du conclave de Khartoum relativement à l'affaire Habré. Me Kane est, en plus de sa qualité d'avocat, le conseiller juridique de la Rencontre africaine des Droits de l'homme (Raddho). Il est, également, chargé du Point focal Afrique de l'Ouest de la Coalition des Ong pour la mise en place d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples.
Wal Fadjri : Quels sont les mécanismes juridictionnels qui s'offrent pour attraire Hissène Habré devant une juridiction africaine ?
Me Amadou Ali Kane : Au niveau de l'Union africaine, il n'existe pas, à ce jour, une juridiction opérationnelle devant laquelle Hissène Habré pourrait être traduit. Ce qui existe aujourd'hui, c'est une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples ; plus exactement, une Cour africaine de justice et des Droits de l'homme. Au départ, les Africains avaient conçu un système régional de protection et de sauvegarde des Droits de l'homme basé sur l'existence de la Commission africaine des Droits de l'homme. Plutard, on avait décidé de mettre en place une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples qui viendrait compléter la fonction de protection des Droits de l'homme auparavant exercée par la Commission. Ce protocole sur la Cour a été adopté en 1998 au sommet de l'Oua de Ouagadougou. Il fallait 15 ratifications pour que le protocole puisse entrer en vigueur. La quinzième ratification a été obtenue au mois de décembre 2003. C'était la ratification des Comores. Un mois après cette ratification, le protocole est entré en vigueur. C'est-à-dire, le 25 janvier 2004. Mais, la Cour elle-même n'était pas encore installée. Parce qu'il fallait choisir un lieu, nommer des juges. Tout cela n'avait pas été fait et n'est pas encore fait à ce jour. On espère qu'au prochain sommet de l'Union africaine à Khartoum, les juges seront nommés et le lieu choisi. La même année 2004 à Abuja, le président Obasanjo a proposé que l'on fusionne la Cour africaine des Droits de l'homme et la Cour africaine de justice qui étaient conçues de manière séparée pour pallier au manque de moyens. Or, le problème, c'est que la Cour africaine des Droits de l'homme était déjà entrée en vigueur tandis que la Cour africaine de justice n'avait pas encore obtenu le nombre de ratifications nécessaires pour entrer en vigueur.
Wal Fadjri : Et quelle est la conséquence ?
Me Amadou Ali Kane : La conséquence, c'est qu'il y a eu un retard dans la mise en place de la cour. Parce qu'on ne pouvait plus la mettre en place à partir du moment où elle a été fusionnée avec une autre cour qui n'était pas encore entrée en vigueur. En plus, il fallait élaborer un traité de fusion, un protocole qui fusionnerait les deux cours. Les Algériens, en la personne de Mohamed Bedjaoui (Ndlr : ancien juge à la Cour internationale de La Haye), se sont engagés à aider dans ce sens. J'ai appris récemment qu'effectivement le Pr Bedjaoui a élaboré un traité qui consacre cette fusion entre les deux cours. Pour faciliter la mise en place de la nouvelle instance, il a été décidé que tous les Etats qui avaient ratifié le protocole sur la cour, dès lors qu'ils signent le nouveau traité, cette signature a valeur de ratification. A partir de là, on peut espérer que la nouvelle juridiction pourra être installée assez rapidement.
Wal Fadjri : Que peut-on retenir de tout cela ?
Me Amadou Ali Kane : On peut retenir qu'au moment où nous parlons, il n'y a pas encore de juridiction africaine en place. Les juges ne sont pas encore nommés. Il n'y a ni locaux ni personnel ni budget de fonctionnement. Ça, c'est le premier problème. Le deuxième, c'est que la section de la cour qui a vocation à connaître des problèmes de Droits de l'homme ne peut connaître que des actions dirigées contre les Etats. En d'autres termes, elle ne peut connaître que des violations de Droits de l'homme commises par les Etats et non par des individus. C'est ce qui la différencie d'une cour pénale. Elle n'a pas vocation à connaître de la responsabilité pénale individuelle. Le deuxième problème, c'est que sa compétence s'exerce sur des violations commises après son entrée en vigueur. On comprend alors que les faits qui se sont passés au Tchad avant 1990 ne puissent entrer dans le champ d'application de la cour. D'abord, parce que c'est la responsabilité pénale individuelle d'Hissène Habré qui est recherchée. D'autre part, parce que ce sont des faits qui sont antérieurs à l'entrée en vigueur de la cour.
Wal Fadjri : Est-ce à dire que Hissène Habré échappe définitivement à la compétence de cette cour ?
Me Amadou Ali Kane : En l'état, c'est-à-dire avec les dispositions juridiques qui régissent cette cour, cette dernière n'a pas vocation à connaître de l'affaire Habré.
Wal Fadjri : Donc, quelle solution pourrait être adoptée à l'issue du sommet de Khartoum ?
Me Amadou Ali Kane : Bien malin celui qui pourra le savoir. Toutefois, on peut envisager plusieurs scénarii. C'est d'abord la création d'un tribunal ad hoc à l'instar de ce que les Nations-Unies ont fait en Yougoslavie, au Rwanda ou en Sierra Leone. Est-ce que l'Afrique a les moyens de faire fonctionner une telle juridiction ? Je ne le crois pas. Les chefs d'Etat peuvent demander aux Nations-Unies de mettre en place une telle juridiction pour connaître des infractions commises au Tchad.
Wal Fadjri : Mais, là aussi, est-ce que cela ne risque pas d'ouvrir la boîte de Pandore ?
Me Amadou Ali Kane : C'est cela le risque. Parce que des victimes de violations de Droits de l'homme perpétrées dans d'autres pays pourraient demander à bénéficier des mêmes faveurs.
Wal Fadjri : Quelle autre solution peut-on envisager ?
Me Amadou Ali Kane : On peut envisager que Hissène Habré puisse revenir au Sénégal pour y être jugé. Les chefs d'Etat peuvent dire au Sénégal que si les juridictions sénégalaises se sont déclarées incompétentes pour juger Hissène Habré, c'est parce que le Sénégal n'a pas pris les mesures nécessaires pour transposer en droit interne les dispositions procédurales de la Convention sur la torture.
Wal Fadjri : Mais, est-ce que ce scénario ne postule pas un discrédit des juridictions sénégalaises qui, s'étant déclarées incompétentes une première fois, reviennent, comme si de rien n'était, reconnaître leur compétence ?
Me Amadou Ali Kane : En apparence seulement ! Parce qu'au moment où ces institutions se prononçaient, elles devaient effectivement se déclarer incompétentes. Mais, à partir du moment où la législation a changé, l'on pourra comprendre aussi que la jurisprudence puisse changer et qu'elle puisse décider autre chose. Je ne pense pas que ce soit un problème du point de vue de la crédibilité de nos institutions judiciaires. Ce qui est aujourd'hui envisageable, c'est que l'on puisse aller vers l'adoption d'une sorte de "compétence universelle" à la sénégalaise. Rien ne l'interdit. On peut bien, nous Sénégalais, prendre des mesures dans notre législation interne qui nous permettraient de connaître des infractions commises partout ailleurs et de pouvoir les juger chez nous.
Wal Fadjri : Mais, en installant des filtres...
Me Amadou Ali Kane : Oui. Il suffit de restreindre le champ d'application à l'instar de ce qu'a fait la Belgique pour éviter d'être en mal avec un certain nombre de pays. Les critères peuvent être les suivants : il faut que les victimes résident dans le pays, que la personne à juger réside au Sénégal, que la personne poursuivie ne soit pas un chef d'Etat en exercice, plus un certain nombre de restrictions par rapport à la mise en œuvre de la compétence universelle qu'on aura intégrée dans notre droit. Cela pour éviter de faire de notre pays le lieu où tout le monde viendrait porter plainte contre tout le monde. Ce qui est impossible. Parce que, d'abord, on n'a pas les moyens humains nécessaires pour connaître de telles infractions. Ensuite, on n'a pas les moyens matériels. Imaginez que l'on doive envoyer des équipes d'enquêteurs au Tchad ou je ne sais dans quel autre pays. C'est impossible.
Wal Fadjri : En résumé, est-il aujourd'hui possible que Hissène Habré soit jugé par une juridiction africaine ?
Me Amadou Ali Kane : Personnellement, je pense qu'en l'état actuel du droit international africain, il n'est pas imaginable que Hissène Habré puisse être jugé par une juridiction africaine. Tout simplement parce que la cour africaine n'est pas encore installée. Ensuite, sa compétence ne rentre pas dans le champ qui est, aujourd'hui, celui de l'affaire Habré. Est-ce que les chefs d'Etat vont imaginer une solution particulière dans le cas Habré ? Je ne le sais pas ! J'en doute parce que cela demandera des moyens. En plus, ce sera un précédent qui, probablement, ne sera pas apprécié par tous. Vont-ils décider de renvoyer Habré en Belgique ? Je ne l'imagine pas, non plus ! Parce que les mêmes raisons qui ont conduit le Sénégal à renvoyer le cas Habré devant l'Union africaine, ces mêmes raisons de nationalisme africain vont faire en sorte que les chefs d'Etat africains ne décident pas d'autoriser son extradition dans une puissance étrangère.
Wal Fadjri : Alors, quelle solution peut-on espérer du sommet de l'Ua de Khartoum ?
Me Amadou Ali Kane : La solution la plus probable serait que Habré soit traduit devant les juridictions d'un pays africain qui incorporerait dans son droit interne les dispositions de la Convention sur la torture.
Wal Fadjri : Le Tchad y compris
Me Amadou Ali Kane : Y compris le Tchad ou le Sénégal. Au Tchad, ce sera difficile. Parce qu'il n'y réside pas. Il est difficile qu'il puisse être extradé au Tchad dans la mesure où il risque sa vie. Normalement, on n'extrade pas quelqu'un dans un pays où sa vie serait en danger. De mon point de vue, la solution la plus sage serait que le Sénégal prenne les dispositions procédurales nécessaires pour permettre à Hissène Habré d'être jugé ici. Ce serait même dans son intérêt à lui. Si on n'avait pas arrêté les poursuites initiées en 2000, aujourd'hui le débat aurait peut-être porté sur la question de savoir s'il faut amnistier Habré ou pas. Maintenant, qu'est-ce que les chefs d'Etat vont décider ? Bien malin celui qui pourrait répondre à cette question.
Propos recueillis par Ibrahima ANNE
Le Sénégal a décidé de porter devant l'Union africaine l'affaire Hissène Habré. A quelques semaines de cette importante réunion, nous avons discuté avec Me Amadou Ali Kane de ce qui pourrait être décidé au cours du conclave de Khartoum relativement à l'affaire Habré. Me Kane est, en plus de sa qualité d'avocat, le conseiller juridique de la Rencontre africaine des Droits de l'homme (Raddho). Il est, également, chargé du Point focal Afrique de l'Ouest de la Coalition des Ong pour la mise en place d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples.
Wal Fadjri : Quels sont les mécanismes juridictionnels qui s'offrent pour attraire Hissène Habré devant une juridiction africaine ?
Me Amadou Ali Kane : Au niveau de l'Union africaine, il n'existe pas, à ce jour, une juridiction opérationnelle devant laquelle Hissène Habré pourrait être traduit. Ce qui existe aujourd'hui, c'est une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples ; plus exactement, une Cour africaine de justice et des Droits de l'homme. Au départ, les Africains avaient conçu un système régional de protection et de sauvegarde des Droits de l'homme basé sur l'existence de la Commission africaine des Droits de l'homme. Plutard, on avait décidé de mettre en place une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples qui viendrait compléter la fonction de protection des Droits de l'homme auparavant exercée par la Commission. Ce protocole sur la Cour a été adopté en 1998 au sommet de l'Oua de Ouagadougou. Il fallait 15 ratifications pour que le protocole puisse entrer en vigueur. La quinzième ratification a été obtenue au mois de décembre 2003. C'était la ratification des Comores. Un mois après cette ratification, le protocole est entré en vigueur. C'est-à-dire, le 25 janvier 2004. Mais, la Cour elle-même n'était pas encore installée. Parce qu'il fallait choisir un lieu, nommer des juges. Tout cela n'avait pas été fait et n'est pas encore fait à ce jour. On espère qu'au prochain sommet de l'Union africaine à Khartoum, les juges seront nommés et le lieu choisi. La même année 2004 à Abuja, le président Obasanjo a proposé que l'on fusionne la Cour africaine des Droits de l'homme et la Cour africaine de justice qui étaient conçues de manière séparée pour pallier au manque de moyens. Or, le problème, c'est que la Cour africaine des Droits de l'homme était déjà entrée en vigueur tandis que la Cour africaine de justice n'avait pas encore obtenu le nombre de ratifications nécessaires pour entrer en vigueur.
Wal Fadjri : Et quelle est la conséquence ?
Me Amadou Ali Kane : La conséquence, c'est qu'il y a eu un retard dans la mise en place de la cour. Parce qu'on ne pouvait plus la mettre en place à partir du moment où elle a été fusionnée avec une autre cour qui n'était pas encore entrée en vigueur. En plus, il fallait élaborer un traité de fusion, un protocole qui fusionnerait les deux cours. Les Algériens, en la personne de Mohamed Bedjaoui (Ndlr : ancien juge à la Cour internationale de La Haye), se sont engagés à aider dans ce sens. J'ai appris récemment qu'effectivement le Pr Bedjaoui a élaboré un traité qui consacre cette fusion entre les deux cours. Pour faciliter la mise en place de la nouvelle instance, il a été décidé que tous les Etats qui avaient ratifié le protocole sur la cour, dès lors qu'ils signent le nouveau traité, cette signature a valeur de ratification. A partir de là, on peut espérer que la nouvelle juridiction pourra être installée assez rapidement.
Wal Fadjri : Que peut-on retenir de tout cela ?
Me Amadou Ali Kane : On peut retenir qu'au moment où nous parlons, il n'y a pas encore de juridiction africaine en place. Les juges ne sont pas encore nommés. Il n'y a ni locaux ni personnel ni budget de fonctionnement. Ça, c'est le premier problème. Le deuxième, c'est que la section de la cour qui a vocation à connaître des problèmes de Droits de l'homme ne peut connaître que des actions dirigées contre les Etats. En d'autres termes, elle ne peut connaître que des violations de Droits de l'homme commises par les Etats et non par des individus. C'est ce qui la différencie d'une cour pénale. Elle n'a pas vocation à connaître de la responsabilité pénale individuelle. Le deuxième problème, c'est que sa compétence s'exerce sur des violations commises après son entrée en vigueur. On comprend alors que les faits qui se sont passés au Tchad avant 1990 ne puissent entrer dans le champ d'application de la cour. D'abord, parce que c'est la responsabilité pénale individuelle d'Hissène Habré qui est recherchée. D'autre part, parce que ce sont des faits qui sont antérieurs à l'entrée en vigueur de la cour.
Wal Fadjri : Est-ce à dire que Hissène Habré échappe définitivement à la compétence de cette cour ?
Me Amadou Ali Kane : En l'état, c'est-à-dire avec les dispositions juridiques qui régissent cette cour, cette dernière n'a pas vocation à connaître de l'affaire Habré.
Wal Fadjri : Donc, quelle solution pourrait être adoptée à l'issue du sommet de Khartoum ?
Me Amadou Ali Kane : Bien malin celui qui pourra le savoir. Toutefois, on peut envisager plusieurs scénarii. C'est d'abord la création d'un tribunal ad hoc à l'instar de ce que les Nations-Unies ont fait en Yougoslavie, au Rwanda ou en Sierra Leone. Est-ce que l'Afrique a les moyens de faire fonctionner une telle juridiction ? Je ne le crois pas. Les chefs d'Etat peuvent demander aux Nations-Unies de mettre en place une telle juridiction pour connaître des infractions commises au Tchad.
Wal Fadjri : Mais, là aussi, est-ce que cela ne risque pas d'ouvrir la boîte de Pandore ?
Me Amadou Ali Kane : C'est cela le risque. Parce que des victimes de violations de Droits de l'homme perpétrées dans d'autres pays pourraient demander à bénéficier des mêmes faveurs.
Wal Fadjri : Quelle autre solution peut-on envisager ?
Me Amadou Ali Kane : On peut envisager que Hissène Habré puisse revenir au Sénégal pour y être jugé. Les chefs d'Etat peuvent dire au Sénégal que si les juridictions sénégalaises se sont déclarées incompétentes pour juger Hissène Habré, c'est parce que le Sénégal n'a pas pris les mesures nécessaires pour transposer en droit interne les dispositions procédurales de la Convention sur la torture.
Wal Fadjri : Mais, est-ce que ce scénario ne postule pas un discrédit des juridictions sénégalaises qui, s'étant déclarées incompétentes une première fois, reviennent, comme si de rien n'était, reconnaître leur compétence ?
Me Amadou Ali Kane : En apparence seulement ! Parce qu'au moment où ces institutions se prononçaient, elles devaient effectivement se déclarer incompétentes. Mais, à partir du moment où la législation a changé, l'on pourra comprendre aussi que la jurisprudence puisse changer et qu'elle puisse décider autre chose. Je ne pense pas que ce soit un problème du point de vue de la crédibilité de nos institutions judiciaires. Ce qui est aujourd'hui envisageable, c'est que l'on puisse aller vers l'adoption d'une sorte de "compétence universelle" à la sénégalaise. Rien ne l'interdit. On peut bien, nous Sénégalais, prendre des mesures dans notre législation interne qui nous permettraient de connaître des infractions commises partout ailleurs et de pouvoir les juger chez nous.
Wal Fadjri : Mais, en installant des filtres...
Me Amadou Ali Kane : Oui. Il suffit de restreindre le champ d'application à l'instar de ce qu'a fait la Belgique pour éviter d'être en mal avec un certain nombre de pays. Les critères peuvent être les suivants : il faut que les victimes résident dans le pays, que la personne à juger réside au Sénégal, que la personne poursuivie ne soit pas un chef d'Etat en exercice, plus un certain nombre de restrictions par rapport à la mise en œuvre de la compétence universelle qu'on aura intégrée dans notre droit. Cela pour éviter de faire de notre pays le lieu où tout le monde viendrait porter plainte contre tout le monde. Ce qui est impossible. Parce que, d'abord, on n'a pas les moyens humains nécessaires pour connaître de telles infractions. Ensuite, on n'a pas les moyens matériels. Imaginez que l'on doive envoyer des équipes d'enquêteurs au Tchad ou je ne sais dans quel autre pays. C'est impossible.
Wal Fadjri : En résumé, est-il aujourd'hui possible que Hissène Habré soit jugé par une juridiction africaine ?
Me Amadou Ali Kane : Personnellement, je pense qu'en l'état actuel du droit international africain, il n'est pas imaginable que Hissène Habré puisse être jugé par une juridiction africaine. Tout simplement parce que la cour africaine n'est pas encore installée. Ensuite, sa compétence ne rentre pas dans le champ qui est, aujourd'hui, celui de l'affaire Habré. Est-ce que les chefs d'Etat vont imaginer une solution particulière dans le cas Habré ? Je ne le sais pas ! J'en doute parce que cela demandera des moyens. En plus, ce sera un précédent qui, probablement, ne sera pas apprécié par tous. Vont-ils décider de renvoyer Habré en Belgique ? Je ne l'imagine pas, non plus ! Parce que les mêmes raisons qui ont conduit le Sénégal à renvoyer le cas Habré devant l'Union africaine, ces mêmes raisons de nationalisme africain vont faire en sorte que les chefs d'Etat africains ne décident pas d'autoriser son extradition dans une puissance étrangère.
Wal Fadjri : Alors, quelle solution peut-on espérer du sommet de l'Ua de Khartoum ?
Me Amadou Ali Kane : La solution la plus probable serait que Habré soit traduit devant les juridictions d'un pays africain qui incorporerait dans son droit interne les dispositions de la Convention sur la torture.
Wal Fadjri : Le Tchad y compris
Me Amadou Ali Kane : Y compris le Tchad ou le Sénégal. Au Tchad, ce sera difficile. Parce qu'il n'y réside pas. Il est difficile qu'il puisse être extradé au Tchad dans la mesure où il risque sa vie. Normalement, on n'extrade pas quelqu'un dans un pays où sa vie serait en danger. De mon point de vue, la solution la plus sage serait que le Sénégal prenne les dispositions procédurales nécessaires pour permettre à Hissène Habré d'être jugé ici. Ce serait même dans son intérêt à lui. Si on n'avait pas arrêté les poursuites initiées en 2000, aujourd'hui le débat aurait peut-être porté sur la question de savoir s'il faut amnistier Habré ou pas. Maintenant, qu'est-ce que les chefs d'Etat vont décider ? Bien malin celui qui pourrait répondre à cette question.
Propos recueillis par Ibrahima ANNE