Face à l’isolement diplomatique et l’aggravation de la situation économique, le pouvoir issu du putsch du 6 août 2008 s’affole et perd ses soutiens internes. Tel est le sentiment du professeur Lô Gourmo Abdoul, membre du directoire de l’Union des forces de progrès et du Fndd. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, cet éminent universitaire et homme du barreau dissèque la crise politique dans son pays et ses conséquences. Lô Gourmo revient, entre autres sujets, sur les états généraux de la démocratique, les sanctions prévues par la communauté internationale le 6 février prochain.
Wal Fadjri : Plus de cinq mois après le putsch en Mauritanie, comment se présente la situation politique, économique et sociale ?
Abdoul Lô GOURMO : Tout d’abord je dois vous dire, pour être honnête avec moi-même, que le système n’a pas été changé en profondeur avec l’arrivée au pouvoir du président Sidi. A mon avis, sur nombre de domaines il a essayé de rafistoler des aspects, mais par contre sur certains côtés, il a cherché à apporter des ruptures notamment sur la question de l’unité nationale. C’est-à-dire la coexistence entre les ethnies en Mauritanie. Sur le plan économique et social, l’approche a été plutôt classique, avec notamment une gestion qui a suivi les canaux des institutions de Bretton Woods et qui a valu aux dirigeants le satisfecit de ces argentiers du monde. Néanmoins, je pense aussi qu’il n’a pas eu cette politique d’audace qui aurait pu jeter les bases d’une rupture fondamentale. Mais à sa décharge, cela tient aussi au jeu d’alliances qu’il a contractées pour arriver au pouvoir. Ceci étant, il n’en demeure pas moins que si le régime de Sidi Ould Cheikh Abdallahi est intéressant, c’est parce qu’il apportait pour la première fois dans l’histoire de la Mauritanie, une fraîcheur démocratique. Ainsi, donc, pour la première fois en quinze mois de magistère, il n’y a eu aucun prisonnier politique. Et toutes les libertés d’expression étaient reconnues voire protégées.
Wal Fadjri : Voulez-vous dire que la Mauritanie aura vécu une situation inédite ?
Abdoul Lô GOURMO : Pour quelqu’un qui connaît bien ce pays, c’est quelque chose de vraiment exceptionnel. Bref l’apport principal du régime de Sidi, c’est d’avoir été une sorte de déclic démocratique car, c’est le premier président mauritanien démocratiquement élu. Et il a aussi maintenu le cap. Maintenant, au niveau économique, il avait dégagé un certain nombre d’orientations qui n’ont pu être systématiquement mises en œuvre pour diverses raisons. C’est d’ailleurs, sous ce rapport qu’il faut comprendre le départ du gouvernement technocrate et de son chef puis l’arrivée d’une équipe plus politique pour essayer de mieux répondre aux attentes sociales dans un contexte mondial très difficile, marqué par le renchérissement du prix du baril du pétrole et des produits céréaliers. Cependant, toutes ces difficultés d’ordre économique ne peuvent en rien justifier le coup d’arrêt de la démocratie perpétré par la junte aujourd’hui au pouvoir. Car, c’est un secret de polichinelle à Nouakchott que les choses ne vont guère mieux à l’heure actuelle où la pénurie de devises plonge le pays dans un marasme économique sans précédent doublé d’une impasse politique. En vérité, les putschistes ne savent maintenant quoi faire face à la résistance populaire cristallisée par le Front pour la défense de la démocratie (Fndd) et à l’isolement diplomatique…
Wal Fadjri : Pourtant, en dépit des condamnations de principe, la communauté internationale tarde à prendre de véritables sanctions contre le coup d’Etat du 6 août 2008…
Abdoul Lô GOURMO : Si l’on s’en tient rigoureusement à l’agenda international et au dispositif de sanctions contre les coups d’Etat, on est toujours dans les temps. Je vous signale qu’en ce qui concerne l’Union africaine, chef d’orchestre en la matière, c’est six mois après le coup d’Etat que les premières sanctions réelles doivent tomber. C’est le principe de la suspension immédiate de la représentation des putschistes qui a été jusqu’ici appliqué. Au niveau de l’Union européenne également, dans le cadre de l’application de l’article 96 Acp/Ue, le dispositif se réserve en temps de battement de 120 jours, hors duquel les sanctions vont tomber. C’est dire donc que c’est à partir du 6 février prochain, si les militaires ne rendent pas le pouvoir au président démocratiquement élu, que les sanctions vont être prises par la communauté internationale. Des sanctions réelles lourdes de conséquences à tous les niveaux pour la Mauritanie, un pays qui ne peut se mettre à dos la communauté internationale.
Maintenant, on ne peut imaginer un seul instant que l’Union africaine, à partir de cette date butoir, ne mette à exécution ces sanctions annoncées plus haut, si jamais la junte persiste dans sa position. Car, cela voudrait signifier que l’organisation panafricaine a ravalé ses principes et violé ses propres règles de fonctionnement pour piétiner les normes internationales. Et en ce moment là, cela voudrait aussi dire que l’ensemble des dispositions juridiques contraires aux coups d’Etat sont foulées au pied avec le risque de (re)légalisation des coups de force et autres voies et moyens anti-démocratiques de conquête du pouvoir. Si jamais ou par extraordinaire, on en vient à ne pas condamner de la façon la plus sévère après la date du 6 février 2009, ce serait alors un feu vert aux putschs en Afrique. Et l’on ne pourra plus comme aujourd’hui s’en prendre aux guinéens de Conakry ou demain un autre pays du continent. Mais nous n’en sommes pas encore là.
Wal Fadjri : A vous entendre, peut-on dire que la communauté internationale ‘maîtrise’ la situation en Mauritanie ?
Abdoul Lô GOURMO : Voyez-vous, il est heureux de constater que jusqu’ici l’Union africaine et la communauté internationale en général ont scrupuleusement respecté l’agenda qu’ils ont tracé. Et mieux, elles ont, à chaque étape, annoncé leurs positions par rapport à l’évolution de la situation. Et la dernière étape, c’est-à-dire celle du 6 février verra la conférence des chefs d’Etat. C’est cette tribune qui devra prendre les mesures concrètes, parce que la question n’est pas de savoir si des sanctions seront prises mais plutôt leur ampleur, leurs formes et enfin, leurs impacts. Quant au Conseil de sécurité et de paix (Csp) de l’Ua, les procédures sont déjà engagées et le transfert du dossier au conseil de sécurité des Nations unies est aussi effectif. Ceci en sus de l’invitation faite au président légitime à participer à la prochaine conférence des chefs d’Etat de l’union africaine.
Aussi, dois-je rappeler que le conseil de sécurité de l’Onu, qui a accompagné tout le processus, s’est engagé à prendre toutes ses responsabilités quant à l’application des sanctions le moment venu. Voilà où est ce qu’on en est, s’agissant des sanctions contre les acteurs du putsch contre la Mauritanie. Et nous sommes conscients qu’elles seront douloureuses. C’est pourquoi d’ailleurs, l’opposition à la forfaiture du 6 août 2008, se mobilise pour que la junte quitte le pouvoir et éviter au pays les effets dramatiques des sanctions. Nous espérons que les usurpateurs, d’un pouvoir démocratiquement élu, seront assez inspirés pour ne pas en arriver à ce scénario. Car, personne ne fera le cadeau à la Mauritanie de violer le droit tout en interdisant aux autres pays de violer ce même droit. C’est pourquoi, nous, Fndd pensons que le pouvoir des militaires en cherchant la confrontation avec la communauté internationale, installe chaque jour davantage le pays dans l’impasse totale, une voie sans issue ou toute possibilité de dialogue est exclue.
Wal Fadjri : Quelle appréciation faites-vous des états généraux de la démocratie que vient d’organiser la junte et auxquels ont pris part certaines formations politiques dont le Rfd de Ahmed Ould Daddah ?
Abdoul Lô GOURMO : Il est important pour l’opinion internationale d’apporter un certain éclairage sur ces fameux états généraux. D’abord, il faut savoir qui sont ces gens qui se sont réunis, et comment ils ont été conviés à cette rencontre pour pouvoir véritablement apprécier les décisions prises. La procédure, adoptée par les militaires pour convoquer les gens à ces journées, est digne d’être connue. Car, il s’agit, ici de personnes sélectionnées, triées à la volée pour venir pendant une semaine participer à une grosse blague. Sinon, comment comprendre que vous faites un putsch et vous voulez le légitimer en choisissant les personnes qui vont entériner vos décisions déjà prises. Il y a eu même un problème au niveau du choix parce que des bagarres ont eu lieu dans certaines régions où la sélection, imposée, ne correspondait pas aux magouilles locales. C’est pour vous dire qu’en sus de ce faux départ, même le programme préétabli a été violé par ceux qui avaient en charge de mener à bien ces états généraux.
S’agissant de Ahmed Ould Daddah qui avait pris acte du coup d’Etat et annoncé sa participation, il s’est rétracté quelques jours après le démarrage de cette mascarade. M. Daddah a compris (peut-être un peu tard ?) que même les conclusions auxquelles sont arrivées les participants sont foulées au pied par la junte. On est donc dans un enchaînement causal de putsch, et de mini-putsch jusqu’à la queue du processus. Il a même qualifié ces assises de ‘Hyde Park’ pour exprimer sa désapprobation au grand dam des putschistes qui misaient surtout sur sa caution pour offrir un voile de légitimité à ces journées dites de ‘concertations nationales’. En se retirant, il a délégitimé ces assises en quelque sorte et nous conforte dans notre position de boycott des états généraux. On n’est pas sorti de l’auberge malgré tout le tintamarre orchestré autour de cette rencontre qui a été un flop dans tous les sens.
Wal Fadjri : Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur l’avenir de la Mauritanie ?
Abdoul Lô GOURMO : Aujourd’hui, il faut comprendre qu’on est arrivé en Mauritanie à une situation politique sans précèdant du point de vue des mœurs. On a levé l’assignation en résidence surveillée du président élu et on a créé en même temps des mouvements spontanés pour jeter des pierres chez lui avant même qu’il ne rejoigne son domicile. On libère le président Sidi pour ensuite l’exposer à la vindicte populaire en quelque sorte. On voit bien donc que c’est une libération-provocation destinée à donner le change à l’étranger mais aussi à discréditer le président en l’exposant à la merci de voyous et de bandits soigneusement sélectionnés dans les quartiers périphériques de Nouakchott. C’est quelque chose de très grave. Cela peut mener à des dérives tribales qui risquent d’aboutir à une guerre civile si la situation actuelle perdure. La société mauritanienne est fortement tribalisée. Et les conséquences de cette opération de dégradation de l’image de Sidi, à laquelle se livrent le nouveau pouvoir et ses thuriféraires, sont très dommageables pour le pays. Sous ce rapport, nous en appelons au sens de la retenue et de la mesure pour éviter le chaos à la Mauritanie. Car, à la vérité il faut arrêter ces tentatives de diabolisation d’un homme dont la seule faute est d’avoir été le premier président élu démocratiquement dans ce pays. Les pourfendeurs, ne pouvant l’attaquer sur son bilan, fut-il de quinze mois, se sont acharnés sur sa famille et maintenant à sa dignité dans le but de l’abattre psychologiquement.
Wal Fadjri : Et sur quels leviers le Fndd va désormais s’appuyer pour réussir son combat ?
Abdoul Lô GOURMO : En tout cas, l’essentiel des forces vives du pays, éprises de paix et de démocratie, regroupées au sein du pôle de résistance populaire qu’est le Fndd, continue la lutte pour le retour à la légalité et le rétablissement de Sidi Ould Cheikh Abdallahi dans ses fonctions. D’abord, nous comptons sur nos propres forces même si cela peut apparaître très politique. Mais c’est vrai, car, si nous devons échouer, c’est parce que nous n’aurons pas su fondamentalement cristalliser l’opposition au plan intérieur contre ce putsch. Il est difficile dans le moyen et le long terme, pour une communauté internationale, de soutenir une cause si de l’intérieur, la résistance n’est pas solide, bien structurée. Nous en sommes bien conscients parce que la real politik a ses propres logiques même si on lui donne aujourd’hui une dose d’éthique et de morale. C’est pourquoi, nous ne cesserons d’alimenter le combat à l’intérieur du pays et de rendre la situation impossible à maîtriser par le pouvoir usurpateur, en nous fondant sur l’arme du droit et les soutiens moraux de l’extérieur. C’est par cette seule voie que nous gagnerons le combat, qui est celui de la restauration de la démocratie et de la sauvegarde des acquis de l’Etat de droit. En plus, nous sommes servis par la conjoncture mondiale marquée par la crise financière et la récession. La Mauritanie est un pays fortement dépendant de l’extérieur et donc très fragile. Dans un tel contexte, je vois mal comment la junte pourrait continuer à alimenter ses réseaux de souteneurs avec une pénurie de devises et une monnaie locale en chute libre dans un pays qui ne comptait jusqu’ici que sur ses exportations de fer ou de produits halieutiques.
Propos recueillis par Abou KANE
Source: walfad
Wal Fadjri : Plus de cinq mois après le putsch en Mauritanie, comment se présente la situation politique, économique et sociale ?
Abdoul Lô GOURMO : Tout d’abord je dois vous dire, pour être honnête avec moi-même, que le système n’a pas été changé en profondeur avec l’arrivée au pouvoir du président Sidi. A mon avis, sur nombre de domaines il a essayé de rafistoler des aspects, mais par contre sur certains côtés, il a cherché à apporter des ruptures notamment sur la question de l’unité nationale. C’est-à-dire la coexistence entre les ethnies en Mauritanie. Sur le plan économique et social, l’approche a été plutôt classique, avec notamment une gestion qui a suivi les canaux des institutions de Bretton Woods et qui a valu aux dirigeants le satisfecit de ces argentiers du monde. Néanmoins, je pense aussi qu’il n’a pas eu cette politique d’audace qui aurait pu jeter les bases d’une rupture fondamentale. Mais à sa décharge, cela tient aussi au jeu d’alliances qu’il a contractées pour arriver au pouvoir. Ceci étant, il n’en demeure pas moins que si le régime de Sidi Ould Cheikh Abdallahi est intéressant, c’est parce qu’il apportait pour la première fois dans l’histoire de la Mauritanie, une fraîcheur démocratique. Ainsi, donc, pour la première fois en quinze mois de magistère, il n’y a eu aucun prisonnier politique. Et toutes les libertés d’expression étaient reconnues voire protégées.
Wal Fadjri : Voulez-vous dire que la Mauritanie aura vécu une situation inédite ?
Abdoul Lô GOURMO : Pour quelqu’un qui connaît bien ce pays, c’est quelque chose de vraiment exceptionnel. Bref l’apport principal du régime de Sidi, c’est d’avoir été une sorte de déclic démocratique car, c’est le premier président mauritanien démocratiquement élu. Et il a aussi maintenu le cap. Maintenant, au niveau économique, il avait dégagé un certain nombre d’orientations qui n’ont pu être systématiquement mises en œuvre pour diverses raisons. C’est d’ailleurs, sous ce rapport qu’il faut comprendre le départ du gouvernement technocrate et de son chef puis l’arrivée d’une équipe plus politique pour essayer de mieux répondre aux attentes sociales dans un contexte mondial très difficile, marqué par le renchérissement du prix du baril du pétrole et des produits céréaliers. Cependant, toutes ces difficultés d’ordre économique ne peuvent en rien justifier le coup d’arrêt de la démocratie perpétré par la junte aujourd’hui au pouvoir. Car, c’est un secret de polichinelle à Nouakchott que les choses ne vont guère mieux à l’heure actuelle où la pénurie de devises plonge le pays dans un marasme économique sans précédent doublé d’une impasse politique. En vérité, les putschistes ne savent maintenant quoi faire face à la résistance populaire cristallisée par le Front pour la défense de la démocratie (Fndd) et à l’isolement diplomatique…
Wal Fadjri : Pourtant, en dépit des condamnations de principe, la communauté internationale tarde à prendre de véritables sanctions contre le coup d’Etat du 6 août 2008…
Abdoul Lô GOURMO : Si l’on s’en tient rigoureusement à l’agenda international et au dispositif de sanctions contre les coups d’Etat, on est toujours dans les temps. Je vous signale qu’en ce qui concerne l’Union africaine, chef d’orchestre en la matière, c’est six mois après le coup d’Etat que les premières sanctions réelles doivent tomber. C’est le principe de la suspension immédiate de la représentation des putschistes qui a été jusqu’ici appliqué. Au niveau de l’Union européenne également, dans le cadre de l’application de l’article 96 Acp/Ue, le dispositif se réserve en temps de battement de 120 jours, hors duquel les sanctions vont tomber. C’est dire donc que c’est à partir du 6 février prochain, si les militaires ne rendent pas le pouvoir au président démocratiquement élu, que les sanctions vont être prises par la communauté internationale. Des sanctions réelles lourdes de conséquences à tous les niveaux pour la Mauritanie, un pays qui ne peut se mettre à dos la communauté internationale.
Maintenant, on ne peut imaginer un seul instant que l’Union africaine, à partir de cette date butoir, ne mette à exécution ces sanctions annoncées plus haut, si jamais la junte persiste dans sa position. Car, cela voudrait signifier que l’organisation panafricaine a ravalé ses principes et violé ses propres règles de fonctionnement pour piétiner les normes internationales. Et en ce moment là, cela voudrait aussi dire que l’ensemble des dispositions juridiques contraires aux coups d’Etat sont foulées au pied avec le risque de (re)légalisation des coups de force et autres voies et moyens anti-démocratiques de conquête du pouvoir. Si jamais ou par extraordinaire, on en vient à ne pas condamner de la façon la plus sévère après la date du 6 février 2009, ce serait alors un feu vert aux putschs en Afrique. Et l’on ne pourra plus comme aujourd’hui s’en prendre aux guinéens de Conakry ou demain un autre pays du continent. Mais nous n’en sommes pas encore là.
Wal Fadjri : A vous entendre, peut-on dire que la communauté internationale ‘maîtrise’ la situation en Mauritanie ?
Abdoul Lô GOURMO : Voyez-vous, il est heureux de constater que jusqu’ici l’Union africaine et la communauté internationale en général ont scrupuleusement respecté l’agenda qu’ils ont tracé. Et mieux, elles ont, à chaque étape, annoncé leurs positions par rapport à l’évolution de la situation. Et la dernière étape, c’est-à-dire celle du 6 février verra la conférence des chefs d’Etat. C’est cette tribune qui devra prendre les mesures concrètes, parce que la question n’est pas de savoir si des sanctions seront prises mais plutôt leur ampleur, leurs formes et enfin, leurs impacts. Quant au Conseil de sécurité et de paix (Csp) de l’Ua, les procédures sont déjà engagées et le transfert du dossier au conseil de sécurité des Nations unies est aussi effectif. Ceci en sus de l’invitation faite au président légitime à participer à la prochaine conférence des chefs d’Etat de l’union africaine.
Aussi, dois-je rappeler que le conseil de sécurité de l’Onu, qui a accompagné tout le processus, s’est engagé à prendre toutes ses responsabilités quant à l’application des sanctions le moment venu. Voilà où est ce qu’on en est, s’agissant des sanctions contre les acteurs du putsch contre la Mauritanie. Et nous sommes conscients qu’elles seront douloureuses. C’est pourquoi d’ailleurs, l’opposition à la forfaiture du 6 août 2008, se mobilise pour que la junte quitte le pouvoir et éviter au pays les effets dramatiques des sanctions. Nous espérons que les usurpateurs, d’un pouvoir démocratiquement élu, seront assez inspirés pour ne pas en arriver à ce scénario. Car, personne ne fera le cadeau à la Mauritanie de violer le droit tout en interdisant aux autres pays de violer ce même droit. C’est pourquoi, nous, Fndd pensons que le pouvoir des militaires en cherchant la confrontation avec la communauté internationale, installe chaque jour davantage le pays dans l’impasse totale, une voie sans issue ou toute possibilité de dialogue est exclue.
Wal Fadjri : Quelle appréciation faites-vous des états généraux de la démocratie que vient d’organiser la junte et auxquels ont pris part certaines formations politiques dont le Rfd de Ahmed Ould Daddah ?
Abdoul Lô GOURMO : Il est important pour l’opinion internationale d’apporter un certain éclairage sur ces fameux états généraux. D’abord, il faut savoir qui sont ces gens qui se sont réunis, et comment ils ont été conviés à cette rencontre pour pouvoir véritablement apprécier les décisions prises. La procédure, adoptée par les militaires pour convoquer les gens à ces journées, est digne d’être connue. Car, il s’agit, ici de personnes sélectionnées, triées à la volée pour venir pendant une semaine participer à une grosse blague. Sinon, comment comprendre que vous faites un putsch et vous voulez le légitimer en choisissant les personnes qui vont entériner vos décisions déjà prises. Il y a eu même un problème au niveau du choix parce que des bagarres ont eu lieu dans certaines régions où la sélection, imposée, ne correspondait pas aux magouilles locales. C’est pour vous dire qu’en sus de ce faux départ, même le programme préétabli a été violé par ceux qui avaient en charge de mener à bien ces états généraux.
S’agissant de Ahmed Ould Daddah qui avait pris acte du coup d’Etat et annoncé sa participation, il s’est rétracté quelques jours après le démarrage de cette mascarade. M. Daddah a compris (peut-être un peu tard ?) que même les conclusions auxquelles sont arrivées les participants sont foulées au pied par la junte. On est donc dans un enchaînement causal de putsch, et de mini-putsch jusqu’à la queue du processus. Il a même qualifié ces assises de ‘Hyde Park’ pour exprimer sa désapprobation au grand dam des putschistes qui misaient surtout sur sa caution pour offrir un voile de légitimité à ces journées dites de ‘concertations nationales’. En se retirant, il a délégitimé ces assises en quelque sorte et nous conforte dans notre position de boycott des états généraux. On n’est pas sorti de l’auberge malgré tout le tintamarre orchestré autour de cette rencontre qui a été un flop dans tous les sens.
Wal Fadjri : Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur l’avenir de la Mauritanie ?
Abdoul Lô GOURMO : Aujourd’hui, il faut comprendre qu’on est arrivé en Mauritanie à une situation politique sans précèdant du point de vue des mœurs. On a levé l’assignation en résidence surveillée du président élu et on a créé en même temps des mouvements spontanés pour jeter des pierres chez lui avant même qu’il ne rejoigne son domicile. On libère le président Sidi pour ensuite l’exposer à la vindicte populaire en quelque sorte. On voit bien donc que c’est une libération-provocation destinée à donner le change à l’étranger mais aussi à discréditer le président en l’exposant à la merci de voyous et de bandits soigneusement sélectionnés dans les quartiers périphériques de Nouakchott. C’est quelque chose de très grave. Cela peut mener à des dérives tribales qui risquent d’aboutir à une guerre civile si la situation actuelle perdure. La société mauritanienne est fortement tribalisée. Et les conséquences de cette opération de dégradation de l’image de Sidi, à laquelle se livrent le nouveau pouvoir et ses thuriféraires, sont très dommageables pour le pays. Sous ce rapport, nous en appelons au sens de la retenue et de la mesure pour éviter le chaos à la Mauritanie. Car, à la vérité il faut arrêter ces tentatives de diabolisation d’un homme dont la seule faute est d’avoir été le premier président élu démocratiquement dans ce pays. Les pourfendeurs, ne pouvant l’attaquer sur son bilan, fut-il de quinze mois, se sont acharnés sur sa famille et maintenant à sa dignité dans le but de l’abattre psychologiquement.
Wal Fadjri : Et sur quels leviers le Fndd va désormais s’appuyer pour réussir son combat ?
Abdoul Lô GOURMO : En tout cas, l’essentiel des forces vives du pays, éprises de paix et de démocratie, regroupées au sein du pôle de résistance populaire qu’est le Fndd, continue la lutte pour le retour à la légalité et le rétablissement de Sidi Ould Cheikh Abdallahi dans ses fonctions. D’abord, nous comptons sur nos propres forces même si cela peut apparaître très politique. Mais c’est vrai, car, si nous devons échouer, c’est parce que nous n’aurons pas su fondamentalement cristalliser l’opposition au plan intérieur contre ce putsch. Il est difficile dans le moyen et le long terme, pour une communauté internationale, de soutenir une cause si de l’intérieur, la résistance n’est pas solide, bien structurée. Nous en sommes bien conscients parce que la real politik a ses propres logiques même si on lui donne aujourd’hui une dose d’éthique et de morale. C’est pourquoi, nous ne cesserons d’alimenter le combat à l’intérieur du pays et de rendre la situation impossible à maîtriser par le pouvoir usurpateur, en nous fondant sur l’arme du droit et les soutiens moraux de l’extérieur. C’est par cette seule voie que nous gagnerons le combat, qui est celui de la restauration de la démocratie et de la sauvegarde des acquis de l’Etat de droit. En plus, nous sommes servis par la conjoncture mondiale marquée par la crise financière et la récession. La Mauritanie est un pays fortement dépendant de l’extérieur et donc très fragile. Dans un tel contexte, je vois mal comment la junte pourrait continuer à alimenter ses réseaux de souteneurs avec une pénurie de devises et une monnaie locale en chute libre dans un pays qui ne comptait jusqu’ici que sur ses exportations de fer ou de produits halieutiques.
Propos recueillis par Abou KANE
Source: walfad