Porté par l’envie d’atteindre leurs rêves et devenir les nouveaux Samuel Eto’o ou Didier Drogba, plusieurs jeunes talents Africains du ballon rond tentent leur chance sur le Vieux continent. Déjà observé dans plusieurs pays du Sud de l’Europe, comme l’Espagne, le Portugal et l’Italie, le phénomène de trafic de ces jeunes footballeurs se déplace plus à l’Est, dans des pays comme la Hongrie et la Serbie où il prend l’ampleur et inquiète le monde du sport.
Adama*, 17 ans, Malien. Diakaby*, 18 ans, Guinéen. Moussa*, 19 ans, Sénégalais, et François*, 20 ans, originaire du Cameroun. Quatre jeunes, qui ont une même passion, le football, mais aussi un point commun: être tombés dans les mains de trafiquants d’êtres humains, qui recrutent des talents du ballon rond pour les exploiter ou les laisser à la rue pour une très grande partie d’entre eux.
Leurs histoires se passent entre Belgrade et Budapest, Novi Sad et Debrecen, des villes serbe et hongroise.
La Serbie et la Hongrie, "zone oubliée" propice aux trafics
"Le football génère beaucoup d’argent, même dans ces deux pays-là qui sont loin des feux des projecteurs de la premier league anglaise, de la série A italienne et de la liga espagnole. Cela crée un terrain favorable aux trafiquants d’êtres humains, qui profitent des largesses et de l’absence d’attention portée à cette partie de l’Europe. En effet, cette "zone oubliée" rassemble toutes les conditions pour les groupes mafieux : une police corrompue, des largesses des autorités locales proches de groupes criminels, et de l’argent qui circule rapidement dans ce sport, entre les différents acteurs du milieu", explique Gabor Sczeclsny, qui travaille sur le sujet pour la Croix Rouge hongroise.
"On estime entre 300 et 500 le nombre de cas depuis deux ans environ, c’est très, très inquiétant, car ces jeunes ont été menés en bateau par des gens mal intentionnés : il faut agir, et vite, pour éviter que le phénomène devienne encore plus important", poursuit-il. Ainsi, plusieurs centaines de jeunes, venus du Sénégal, de Mali, de Guinée et du Cameroun principalement, se retrouvent pris au piège.
Travailler plutôt que jouer
Diakaby l’a vécu, depuis Conakry, d’où il est originaire. "J’ai été approché par un agent qui m’a parlé de Hongrie, de Serbie, comme tremplin pour jouer dans un grand championnat européen, et qu’il pouvait m’aider à venir en Europe. Il m'a aussi promis des tests dans plusieurs équipes de ces pays", se souvient-il. "J’étais tout heureux en arrivant à Budapest. J’ai effectué un test au bout de quinze jours, sur un terrain vague avec une dizaine d’autres joueurs, c'est tout. Au bout d'un mois, on nous a amenés en Serbie, j’y ai rencontré Moussa", raconte le jeune de 18 ans.
Mais là, avec son compagnon de galère, l’aventure tourne au vinaigre. Les trafiquants leur demandent de travailler pour gagner de l’argent, et aider aux paiements des frais de logement et de nourriture. "On était d’accord mais on a fait des nettoyages dans des résidences de personnes riches de la ville, tard dans la nuit et le week-end. Très vite, le football a disparu des discussions et on s’est rendu compte qu’on avait été bernés, pris dans les mailles d’un réseau criminel", se rappelle le jeune Sénégalais.
Payés en liquide, ils doivent remettre la moitié de leur paie à leurs trafiquants, et leur situation ne fait que se dégrader. Toujours bloqués dans la capitale Serbe depuis plus d’un an, les deux garçons sont en contact avec quelques autres jeunes talents du continent qui sont dans la même situation qu’eux. "On craignait pour nos vies car on était souvent menacé. On était retenu en enfer, et on n’en voyait pas le bout", soupire Diakaby.
"Ils nous considèrent comme du bétail, des sous-hommes"
Au nord de la Serbie, de l’autre côté de la frontière, le même genre de scénario se produit, avec les mêmes acteurs, et les mêmes réseaux. Grand pays de football dans les années 60 où Ferenc Puskas a aidé à donner ses lettres de noblesses au ballon rond magyare, la Hongrie voit également arriver le business du trafic d’êtres humains liés au football.
Adama et François, 17 et 20 ans, font partie des nombreuses victimes. Le plus jeune, venu de Bamako au Mali, a été amené par un agent serbe à Budapest, le même qui est allé recruté François à Yaoundé au Cameroun, deux ans et demi plus tôt.
"Je voyais que des étoiles et je suis tombé dans le panneau", souligne le jeune ailier malien. Le parcours des deux Africains est similaire à ceux bloqués à Belgrade, des essais peu nombreux, sans résultat car bidons. "On nous a pris pour des pigeons. Aujourd’hui, on paye les conséquences. Ces personnes nous considèrent comme du bétail, comme des sous-hommes", s’énerve François.
Adama vit actuellement dans un appartement avec six autres jeunes de son âge, dans l’espoir que les choses s’arrangent. Après l'avoir fait venir en Europe, les trafiquants lui ont confisqué son passeport. Sa situation a empiré après avoir tenté de réunir plusieurs autres jeunes pour s’échapper : les trafiquants le mettent à la rue. Il tente alors de quitter le pays avec l’aide d’une association religieuse de la capitale. "J'ai été agressé à plusieurs reprises, j’ai été pris à partie par des groupes de skinheads et de militants d’extrême droite, j'ai cru mourir ici", explique-t-il.
"Puis une religieuse m'a recueilli et m'a sorti de la rue. Je suis logé et nourri dans son église. Je suis en situation irrégulière car mon visa est expiré. Je vis dans la peur, même lorsque je vais me promener pour prendre l’air, j'ai peur de la police hongroise qui est très sévère et des personnes anti-migrants", raconte-t-il à InfoMigrants.
De nombreux jeunes jetés à la rue
Pour Lazslo M*., travailleur social pour une ONG locale d’aide aux migrants, les cas d’exploitations des jeunes talents africains est en forte croissance. "Un jeune est recruté en Afrique, et amené à Budapest ou à Belgrade. Ils ratissent large en mettant la main sur des centaines de jeunes. Mais ils veulent des résultats rapides, ils veulent que ces jeunes soient pris en centre de formation et deviennent professionnels pour devenir l’une de leurs poules aux œufs d’or. Le peu d’entre eux qui ont signé en pro doivent verser une partie de leur salaire à ces agents, généralement la moitié, ce qui est illégal", explique-t-il.
"Ce n’est pas si facile, et les joueurs sont parfois "passés" d’un côté à l’autre de la frontière, et si cela ne marche pas pour se faire une place dans un centre de formation, ces jeunes sont gardés pour travailler dans ces réseaux criminels, sans le savoir, dans les multiples entreprises de services qu’ils dirigent", poursuit-il. "Une bonne partie d'entre eux est considérée comme inutile par les groupes mafieux qui les jettent tout simplement à la rue. On a donc, chaque semaine, dans les quatre coins de Hongrie et de Serbie, des jeunes Africains qui nous contactent pour être aidés."
*Les prénoms ont été changé pour raison de sécurité
Source : Info Migrants (France)
Adama*, 17 ans, Malien. Diakaby*, 18 ans, Guinéen. Moussa*, 19 ans, Sénégalais, et François*, 20 ans, originaire du Cameroun. Quatre jeunes, qui ont une même passion, le football, mais aussi un point commun: être tombés dans les mains de trafiquants d’êtres humains, qui recrutent des talents du ballon rond pour les exploiter ou les laisser à la rue pour une très grande partie d’entre eux.
Leurs histoires se passent entre Belgrade et Budapest, Novi Sad et Debrecen, des villes serbe et hongroise.
La Serbie et la Hongrie, "zone oubliée" propice aux trafics
"Le football génère beaucoup d’argent, même dans ces deux pays-là qui sont loin des feux des projecteurs de la premier league anglaise, de la série A italienne et de la liga espagnole. Cela crée un terrain favorable aux trafiquants d’êtres humains, qui profitent des largesses et de l’absence d’attention portée à cette partie de l’Europe. En effet, cette "zone oubliée" rassemble toutes les conditions pour les groupes mafieux : une police corrompue, des largesses des autorités locales proches de groupes criminels, et de l’argent qui circule rapidement dans ce sport, entre les différents acteurs du milieu", explique Gabor Sczeclsny, qui travaille sur le sujet pour la Croix Rouge hongroise.
"On estime entre 300 et 500 le nombre de cas depuis deux ans environ, c’est très, très inquiétant, car ces jeunes ont été menés en bateau par des gens mal intentionnés : il faut agir, et vite, pour éviter que le phénomène devienne encore plus important", poursuit-il. Ainsi, plusieurs centaines de jeunes, venus du Sénégal, de Mali, de Guinée et du Cameroun principalement, se retrouvent pris au piège.
Travailler plutôt que jouer
Diakaby l’a vécu, depuis Conakry, d’où il est originaire. "J’ai été approché par un agent qui m’a parlé de Hongrie, de Serbie, comme tremplin pour jouer dans un grand championnat européen, et qu’il pouvait m’aider à venir en Europe. Il m'a aussi promis des tests dans plusieurs équipes de ces pays", se souvient-il. "J’étais tout heureux en arrivant à Budapest. J’ai effectué un test au bout de quinze jours, sur un terrain vague avec une dizaine d’autres joueurs, c'est tout. Au bout d'un mois, on nous a amenés en Serbie, j’y ai rencontré Moussa", raconte le jeune de 18 ans.
Mais là, avec son compagnon de galère, l’aventure tourne au vinaigre. Les trafiquants leur demandent de travailler pour gagner de l’argent, et aider aux paiements des frais de logement et de nourriture. "On était d’accord mais on a fait des nettoyages dans des résidences de personnes riches de la ville, tard dans la nuit et le week-end. Très vite, le football a disparu des discussions et on s’est rendu compte qu’on avait été bernés, pris dans les mailles d’un réseau criminel", se rappelle le jeune Sénégalais.
Payés en liquide, ils doivent remettre la moitié de leur paie à leurs trafiquants, et leur situation ne fait que se dégrader. Toujours bloqués dans la capitale Serbe depuis plus d’un an, les deux garçons sont en contact avec quelques autres jeunes talents du continent qui sont dans la même situation qu’eux. "On craignait pour nos vies car on était souvent menacé. On était retenu en enfer, et on n’en voyait pas le bout", soupire Diakaby.
"Ils nous considèrent comme du bétail, des sous-hommes"
Au nord de la Serbie, de l’autre côté de la frontière, le même genre de scénario se produit, avec les mêmes acteurs, et les mêmes réseaux. Grand pays de football dans les années 60 où Ferenc Puskas a aidé à donner ses lettres de noblesses au ballon rond magyare, la Hongrie voit également arriver le business du trafic d’êtres humains liés au football.
Adama et François, 17 et 20 ans, font partie des nombreuses victimes. Le plus jeune, venu de Bamako au Mali, a été amené par un agent serbe à Budapest, le même qui est allé recruté François à Yaoundé au Cameroun, deux ans et demi plus tôt.
"Je voyais que des étoiles et je suis tombé dans le panneau", souligne le jeune ailier malien. Le parcours des deux Africains est similaire à ceux bloqués à Belgrade, des essais peu nombreux, sans résultat car bidons. "On nous a pris pour des pigeons. Aujourd’hui, on paye les conséquences. Ces personnes nous considèrent comme du bétail, comme des sous-hommes", s’énerve François.
Adama vit actuellement dans un appartement avec six autres jeunes de son âge, dans l’espoir que les choses s’arrangent. Après l'avoir fait venir en Europe, les trafiquants lui ont confisqué son passeport. Sa situation a empiré après avoir tenté de réunir plusieurs autres jeunes pour s’échapper : les trafiquants le mettent à la rue. Il tente alors de quitter le pays avec l’aide d’une association religieuse de la capitale. "J'ai été agressé à plusieurs reprises, j’ai été pris à partie par des groupes de skinheads et de militants d’extrême droite, j'ai cru mourir ici", explique-t-il.
"Puis une religieuse m'a recueilli et m'a sorti de la rue. Je suis logé et nourri dans son église. Je suis en situation irrégulière car mon visa est expiré. Je vis dans la peur, même lorsque je vais me promener pour prendre l’air, j'ai peur de la police hongroise qui est très sévère et des personnes anti-migrants", raconte-t-il à InfoMigrants.
De nombreux jeunes jetés à la rue
Pour Lazslo M*., travailleur social pour une ONG locale d’aide aux migrants, les cas d’exploitations des jeunes talents africains est en forte croissance. "Un jeune est recruté en Afrique, et amené à Budapest ou à Belgrade. Ils ratissent large en mettant la main sur des centaines de jeunes. Mais ils veulent des résultats rapides, ils veulent que ces jeunes soient pris en centre de formation et deviennent professionnels pour devenir l’une de leurs poules aux œufs d’or. Le peu d’entre eux qui ont signé en pro doivent verser une partie de leur salaire à ces agents, généralement la moitié, ce qui est illégal", explique-t-il.
"Ce n’est pas si facile, et les joueurs sont parfois "passés" d’un côté à l’autre de la frontière, et si cela ne marche pas pour se faire une place dans un centre de formation, ces jeunes sont gardés pour travailler dans ces réseaux criminels, sans le savoir, dans les multiples entreprises de services qu’ils dirigent", poursuit-il. "Une bonne partie d'entre eux est considérée comme inutile par les groupes mafieux qui les jettent tout simplement à la rue. On a donc, chaque semaine, dans les quatre coins de Hongrie et de Serbie, des jeunes Africains qui nous contactent pour être aidés."
*Les prénoms ont été changé pour raison de sécurité
Source : Info Migrants (France)