Je t’écris cette missive, persuadé que tu n’y comprendras pas grand-chose tout de suite. Mais, dans quelques années, si Allah te prête vie, tu en saisiras la portée. Tu auras tout le temps d’imaginer combien les premières années de ta vie furent difficiles pour ton pays.
Tu es, en effet, né le 21 mai 2002, quelques semaines avant la visite de Ould Taya au Brakna. Le faste, le gaspillage et la bêtise étaient alors à leur apogée. Tu as d’abord connu Maaouya dont les images à la télévision ont accompagné tes premiers pas. Ensuite Ely, «qui ne ressemble pas à Maaouya», pour reprendre ton expression, lorsque tu l’as vu pour la première fois. Puis Sidi, «le vieux», comme tu l’appelles. Enfin «le général Mohamed Ould Abdel Aziz». Quatre chefs d’Etat pour un enfant de six printemps. De quoi donner le tournis, même aux têtes bien faites. Je te les montrai tour à tour et tentai de t’expliquer comment on accède ou quitte le pouvoir en Mauritanie. Mais tu n’en avais cure. Les enfants vivent dans un monde où le jeu et la fantaisie tiennent une grande place : tu as fini par te persuader que tout cela n’était qu’un jeu.
En fait, c’est moi qui avais tort. Et toi, raison. Depuis plus de trente ans, nos dirigeants successifs n’ont fait que jouer. Avec notre honneur, notre dignité, nos ressources, notre intelligence, nos valeurs, notre patience. Le malheur est qu’ils ont toujours trouvé des partenaires pour leur «tenir la main».
Les kadihines (toutes tendances confondues), les nassériens, les baathistes, les islamistes, les progressistes, les réactionnaires, les politiciens, les «indépendants», les fonctionnaires. La liste des complices est longue. Spectateur désabusé d’un jeu qui le dépasse, le peuple, lui, ne fait que collectionner les privations, les brimades et les vexations, jusqu’au jour où la coupe sera pleine.
Le 06 août 2008, tu avais alors 6 ans et deux mois, «le vieux» est parti comme il est venu. Grâce aux militaires. Contrairement au 3 août 2005, date du départ de Maaouya, le problème, cette année, est que le président renversé fut démocratiquement élu. Et la communauté internationale menace de nous mettre à sa marge. Pire : certains, comme l’Union Africaine ou les Etats-Unis, réclament le retour de Sidi. D’autres veulent un calendrier pour un retour rapide de l’ordre constitutionnel, c'est-à-dire une élection présidentielle à laquelle les militaires ne prendront pas part. La Banque Mondiale, quant à elle, n’a rien exigé et a, tout simplement, fermé les vannes du robinet.
Echaudée par l’expérience de 1992, lorsque Maaouya a rangé ses galons pour se présenter à la présidentielle, l’opposition – à Sidi, mais pas à ses tombeurs – réclame plus de garanties pour continuer à soutenir la «rectification», la nouvelle expression à la mode pour ne pas dire coup d’Etat. En 1978, on avait parlé de «redressement», en 1979, de «salut» et en 1984, de «restructuration». Mais, après une cour assidue, lors des premiers jours, pour ne pas apparaître nationalement trop isolée, la junte semble ne plus faire grand cas du soutien de cette opposition. Elle cherche même à la diviser, par la vieille technique du débauchage. Une méthode solidement éprouvée sous Ould Taya.
La guerre entre les pro et anti putsch – Oh, pardon : rectification! – se déroule, désormais, à l’extérieur du pays. La réunion des ACP, qui vient de s’achever à Accra, a été le théâtre d’un combat, épique, entre les deux camps. D’autres duels sont à prévoir, notamment à Bruxelles, où une délégation gouvernementale doit se rendre au cours du mois d’octobre pour défendre «sa» feuille de route devant l’Union Européenne, l’un de nos principaux partenaires.
A l’intérieur, le chef de la junte multiplie les sorties. Il a donné les consignes pour que les prix des produits de première nécessité connaissent une baisse significative, au moins pendant le Ramadan. Il a verrouillé les organes de presse officiels, le jour de son accession au pouvoir, et, avant même l’armée, en y plaçant des hommes «sûrs». Il a beaucoup limogé et nommé, sans jamais oublier les régions à fort potentiel d’électeurs. Il s’est rendu à l’hôpital national et dans un quartier périphérique, comme pour dire aux malades et aux pauvres qu’il ne les oubliera pas. Un air de campagne électorale avant l’heure. Une quête de voix pour un non-candidat. Le comble.
Les prochains mois risquent d’être difficiles, avec un embargo à l’horizon et qui a déjà fait plier des pays autrement plus riches que le nôtre. On aspire, peut-être, en tentant de lui résister, à devenir la Corée du Nord ou la Birmanie de l’Afrique de l’Ouest. A défaut d’autre chose.
Mais, comme, pour toi, tout ceci n’est qu’un jeu, prions qu’il finisse bien. Que ton pays redevienne exemple. Que son armée accepte de revenir dans les casernes. Que sa classe politique soit plus consistante. Que son élite soit moins pourrie.
Cela arrivera, sans doute. Un jour. Il y a des hauts et des bas dans la vie d’une nation.
Quand on touche le fond de l’abîme, on ne peut que remonter, mon fils.
Ahmed Ould Cheikh
_________________
Source: lecalame
(M) avomm
Tu es, en effet, né le 21 mai 2002, quelques semaines avant la visite de Ould Taya au Brakna. Le faste, le gaspillage et la bêtise étaient alors à leur apogée. Tu as d’abord connu Maaouya dont les images à la télévision ont accompagné tes premiers pas. Ensuite Ely, «qui ne ressemble pas à Maaouya», pour reprendre ton expression, lorsque tu l’as vu pour la première fois. Puis Sidi, «le vieux», comme tu l’appelles. Enfin «le général Mohamed Ould Abdel Aziz». Quatre chefs d’Etat pour un enfant de six printemps. De quoi donner le tournis, même aux têtes bien faites. Je te les montrai tour à tour et tentai de t’expliquer comment on accède ou quitte le pouvoir en Mauritanie. Mais tu n’en avais cure. Les enfants vivent dans un monde où le jeu et la fantaisie tiennent une grande place : tu as fini par te persuader que tout cela n’était qu’un jeu.
En fait, c’est moi qui avais tort. Et toi, raison. Depuis plus de trente ans, nos dirigeants successifs n’ont fait que jouer. Avec notre honneur, notre dignité, nos ressources, notre intelligence, nos valeurs, notre patience. Le malheur est qu’ils ont toujours trouvé des partenaires pour leur «tenir la main».
Les kadihines (toutes tendances confondues), les nassériens, les baathistes, les islamistes, les progressistes, les réactionnaires, les politiciens, les «indépendants», les fonctionnaires. La liste des complices est longue. Spectateur désabusé d’un jeu qui le dépasse, le peuple, lui, ne fait que collectionner les privations, les brimades et les vexations, jusqu’au jour où la coupe sera pleine.
Le 06 août 2008, tu avais alors 6 ans et deux mois, «le vieux» est parti comme il est venu. Grâce aux militaires. Contrairement au 3 août 2005, date du départ de Maaouya, le problème, cette année, est que le président renversé fut démocratiquement élu. Et la communauté internationale menace de nous mettre à sa marge. Pire : certains, comme l’Union Africaine ou les Etats-Unis, réclament le retour de Sidi. D’autres veulent un calendrier pour un retour rapide de l’ordre constitutionnel, c'est-à-dire une élection présidentielle à laquelle les militaires ne prendront pas part. La Banque Mondiale, quant à elle, n’a rien exigé et a, tout simplement, fermé les vannes du robinet.
Echaudée par l’expérience de 1992, lorsque Maaouya a rangé ses galons pour se présenter à la présidentielle, l’opposition – à Sidi, mais pas à ses tombeurs – réclame plus de garanties pour continuer à soutenir la «rectification», la nouvelle expression à la mode pour ne pas dire coup d’Etat. En 1978, on avait parlé de «redressement», en 1979, de «salut» et en 1984, de «restructuration». Mais, après une cour assidue, lors des premiers jours, pour ne pas apparaître nationalement trop isolée, la junte semble ne plus faire grand cas du soutien de cette opposition. Elle cherche même à la diviser, par la vieille technique du débauchage. Une méthode solidement éprouvée sous Ould Taya.
La guerre entre les pro et anti putsch – Oh, pardon : rectification! – se déroule, désormais, à l’extérieur du pays. La réunion des ACP, qui vient de s’achever à Accra, a été le théâtre d’un combat, épique, entre les deux camps. D’autres duels sont à prévoir, notamment à Bruxelles, où une délégation gouvernementale doit se rendre au cours du mois d’octobre pour défendre «sa» feuille de route devant l’Union Européenne, l’un de nos principaux partenaires.
A l’intérieur, le chef de la junte multiplie les sorties. Il a donné les consignes pour que les prix des produits de première nécessité connaissent une baisse significative, au moins pendant le Ramadan. Il a verrouillé les organes de presse officiels, le jour de son accession au pouvoir, et, avant même l’armée, en y plaçant des hommes «sûrs». Il a beaucoup limogé et nommé, sans jamais oublier les régions à fort potentiel d’électeurs. Il s’est rendu à l’hôpital national et dans un quartier périphérique, comme pour dire aux malades et aux pauvres qu’il ne les oubliera pas. Un air de campagne électorale avant l’heure. Une quête de voix pour un non-candidat. Le comble.
Les prochains mois risquent d’être difficiles, avec un embargo à l’horizon et qui a déjà fait plier des pays autrement plus riches que le nôtre. On aspire, peut-être, en tentant de lui résister, à devenir la Corée du Nord ou la Birmanie de l’Afrique de l’Ouest. A défaut d’autre chose.
Mais, comme, pour toi, tout ceci n’est qu’un jeu, prions qu’il finisse bien. Que ton pays redevienne exemple. Que son armée accepte de revenir dans les casernes. Que sa classe politique soit plus consistante. Que son élite soit moins pourrie.
Cela arrivera, sans doute. Un jour. Il y a des hauts et des bas dans la vie d’une nation.
Quand on touche le fond de l’abîme, on ne peut que remonter, mon fils.
Ahmed Ould Cheikh
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Source: lecalame
(M) avomm