Le 2 juillet 1999, un officier mauritanien, le Capitaine Ely Ould DAH, en stage à l'Ecole d'Administration de Montpellier a été mis en examen du chef de torture à la suite de la saisine du Procureur près le Tribunal de Grande Instance de Montpellier par la FIDH (Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'homme) et la LDH (Ligue des Droits de l'homme). Cette plainte est fondée sur les témoignages directs de deux de ses anciens collègues, ses victimes, réfugiés politiques en France, rescapés des campagnes de massacres et de tortures à caractère raciste organisées par l'actuel régime du Colonel-président Maouya Ould Sid'Ahmed Ould TAYA entre août 1986 et mars 1991.
Le 2 juillet 1999, un officier mauritanien, le Capitaine Ely Ould DAH, en stage à l'Ecole d'Administration de Montpellier a été mis en examen du chef de torture à la suite de la saisine du Procureur près le Tribunal de Grande Instance de Montpellier par la FIDH (Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'homme) et la LDH (Ligue des Droits de l'homme). Cette plainte est fondée sur les témoignages directs de deux de ses anciens collègues, ses victimes, réfugiés politiques en France, rescapés des campagnes de massacres et de tortures à caractère raciste organisées par l'actuel régime du Colonel-président Maouya Ould Sid'Ahmed Ould TAYA entre août 1986 et mars 1991.
Ces campagnes de terreur entrent dans le contexte d'une politique d'arabisation de la Mauritanie et d'ethnicisation de l'Etat qui remonte depuis l'indépendance de ce pays en 1960. Face aux résistances de plus en plus importantes des populations mauritaniennes bamana, haal pulaar, soninke et wolof qui sont non-hassanophones (parler dialectal de l'arabe en Mauritanie) contre cette politique, le régime du Colonel-président Ould TAYA est allé lui au-delà des lois, décrets d'application et autres méthodes administratives coercitives pratiquées jusque-là par ses prédécesseurs respectifs Moktar Ould DADDAH (1960-1978), Colonel Mohamed Ould SALEK (1978-1979) et Colonel Mohamed Khouna Ould HAYDALLAH (1980-1984) :
-D'abord en 1986 par des séries d'arrestations de cadres civils suite à la publication en avril 1986 du « Manifeste du Négro-Mauritanien opprimé.... » qui dénonçait le racisme des Bidanes (qui revendiquent plutôt l'appellation « Arabe ») et l'ethnicisation de l'Etat mauritanien . Entre 190 et 200 personnes furent arrêtées et torturées. Quarante six parmi ces personnes, femmes et hommes furent condamnées à des peines allant de 6 mois à 5 années de prison ferme, avec perte de citoyenneté et bannissement.
-En Octobre 1987, sous le prétexte d'une tentative de coup d'Etat, près d'un millier de militaires, gardes nationaux et gendarmes noirs furent arrêtés, torturés avant d'être jugés. Trois officiers furent condamnés à la peine capitale et exécutés le 6 décembre 1987, malgré le concert des appels à la clémence d'organisations internationales de droits humains, de représentations diplomatiques accréditées à Nouakchott (paradoxalement celle de la France n'avait pas voulu s'associer à ces démarches). Trente cinq autres furent condamnés à des peines allant de cinq années de prison ferme à la perpétuité. Des milliers d'autres militaires, gardes et gendarmes furent chassés de leurs corps respectifs après avoir subi dans des camps militaires transformés pour la circonstance en camps d'internement toutes sortes de tortures et d'humiliations.
Les prisonniers civils et militaires condamnés à des peines de prison ferme furent transférés à Walata, en plein désert près de la frontière avec le Mali, dans un ancien camp militaire colonial français vite transformé en mouroir pour les Noirs. Les conditions de traitements dépassent l'entendement humain : chaînes aux pieds et menottes aux poignées comme à l'époque de la traite négrière, humiliations racistes, travaux forcés, tortures, famine. En l'espace de trois semaines, quatre d'entre eux y succombèrent : Al Hassan Oumar BAH (adjudant-chef de gendarmerie), Tène Youssouf GUEYE (qui fut représentant de la Mauritanie aux Nations Unies dans les années 60), Tafsiru DJIGO (qui fut ministre de la Santé) et Abdoul Khouddous BAH (lieutenant du génie. Il avait été extradé en octobre 1987 par le gouvernement algérien alors qu'il faisait un stage en Algérie).
En 1989, le régime de Ould TAYA saisit une occasion inespérée, pour atteindre un objectif que les nationalistes bidanes de Mauritanie avaient toujours rêvé de réaliser : dépeupler la Mauritanie de sa composante négro-africaine non arabophone pour faire de cette république islamique un pays exclusivement arabe. Profitant donc de ce qu'on qualifie d'« événements sénégalo-mauritaniens » survenus en avril 1989, suite à un conflit transfrontalier entre des paysans sénégalais et des gardes forestiers mauritaniens, le régime de Ould TAYA inaugura la nouvelle politique d'extermination et d'épuration ethnique par des déportations vers le Sénégal et le Mali de près de 120 000 Wolof, Haal pulaar'en, Bamana, Soninke (selon les recensements du HCR). Des régions entières furent dépeuplées de leurs villages dont certains avaient été fondés plusieurs générations avant même la création coloniale de la Mauritanie. Des centaines de fonctionnaires de l'administration furent déportés sur la base de listes préétablies par les services du personnel. Avant d'être déportée, la victime était dépossédée de tous ses biens et de ses pièces d'état civil. Des pratiques qui rappellent étrangement une douloureuse époque encore récente de l'histoire de l'Europe.
Depuis cette année des déportations, le Sud de la Mauritanie, correspondant à la vallée du fleuve Sénégal, se trouve comme dans un pays d'occupation par des hordes sauvages. Aujourd'hui, plus qu'hier encore, dans cette partie du pays, être un Noir et non-arabe constitue un handicap douloureux. A tout moment, à n'importe quel lieu, un être humain est menacé d'arrestation, de tortures, de disparition du seul fait de la couleur de sa peau noire et de son appartenance à une nationalité non arabo-berbère. Car en Mauritanie, la vie d'un Noir, à plus forte raison celle d'un Noir non arabe, ne représente rien pour le régime de Ould TAYA et le système qu'il défend. Des centaines de civils ont disparu. Femmes, hommes, enfants, jeunes et vieux, personne n'échappe à cette campagne de terreur. L'armée, la Garde nationale, la police, la gendarmerie tuent, humilient en toute légalité.
Dans les villages, on abuse des femmes sans que personne n'ose lever le petit doigt. De ces viols sont nés des enfants, devenus des symboles permanents des humiliations subies par leurs mères et leurs familles.
Les troupeaux de dromadaires appartenant aux tribus bidanes détruisent les cultures sans que personne n'ose lever le doigt. Car toute égratignure faite sur un de ces animaux peut apporter les plus graves complications policières aux agro-pasteurs noirs qui pourtant imposent à leurs bestiaux (bovins, ovins, caprins et assins) une réglementation traditionnelle de transhumance respectueuse des activités agricoles et pastorales dans les terres de cultures de décrue de la vallée du Sénégal.
Les terrains familiaux de cultures de décrue sont confisqués par l'Etat au profit d'une clientèle militaro-administrative et affairiste qui les transforme en terrains de cultures rentières.
Pour faire l'exemple, l'Armée ou la Garde nationale torture, humilie devant ses semblables toute personne qui proteste contre ces pratiques. Des milliers de civils ont disparu depuis des années sans laisser des traces. Seules les fosses communes de Sori Malé et de Wothi dans le pays du Fouta Toro découvertes en 1992 avaient commencé à révéler les horreurs subies par les victimes. Malgré la médiatisation faite autour de ces découvertes et de celles d'autres restes d'humains retrouvés au hasard dans la nature, et qui montrent que les suppliciés avaient subi des tortures effroyables avant d'être exécutées par balles, le régime du Colonel-président Ould TAYA continue d'afficher un mépris total.
Peut-on imaginer dans une République islamique, un imam de mosquée, un maître d'enseignement coranique, un chef ou un doyen de village exposé nu devant les siens ?. Peut-on imaginer dans une République islamique le Coran, des ouvrages théologiques, des tablettes de Coran brûlés devant le maître religieux et ses disciples qui parce que leurs propriétaires sont des Noirs. Ils furent déportés ensuite vers le Sénégal après avoir été dépouillés de tous leurs biens.
-Et le cauchemar continue pour les populations noires. En 1990, pour justifier un nouveau projet de massacres, le régime du Colonel-président Ould TAYA accusa encore une fois des militaires, des gardes nationaux, des gendarmes et des douaniers noirs de « tentative de coup d'état visant à renverser son régime et qui mettait par la même occasion en danger l'unité nationale du pays » ! !. Entre octobre et décembre 1990, près de deux mille d'entre eux furent arrêtés. Certains ont été écartelés, d'autres enterrés vivants, d'autres brûlés vifs après avoir été ligotés puis aspergés d'essence, d'autres pendus. Pour commémorer la journée du 28 novembre 1990, date du 30ème anniversaire de l'indépendance de la République Islamique de Mauritanie, 28 prisonniers furent pendus sur ordre du Colonel Sid'Ahmed Ould BOILIL, alors commandant de la base d'Inal, près de Nouadhibou.
Grâce à la pression de l'opinion internationale, le gouvernement de Ould TAYA fit libérer ses prisonniers le 17 avril 1991. Mais le mal était déjà fait. 513 parmi eux avaient été massacrés. Leurs corps n'ont jamais été rendus aux familles qui continuent de porter le deuil. Parmi les prisonniers libérés, plusieurs sont handicapés à vie : certains ont été castrés, d'autres sont devenus sourds à cause des brûlures de la cendre chaude de cigarettes qu'on mettait dans leurs oreilles, d'autres sont devenus mal voyants à cause des mêmes pratiques dans leurs yeux. Sans compter les traces psychologiques ineffaçables à jamais dans leurs mémoires.
A leur libération, les rescapés et les familles des disparus réclamèrent justice. Ils se sont organisés en association, épaulés par un collectif d'avocats mauritaniens issus de toutes les composantes nationales du pays.
Le régime du Colonel-président Ould TAYA n'a jamais voulu répondre à leurs demandes légitimes et a opposé une fin de non- recevoir à leurs dépôts de plaintes. Plus grave, il s'est précipité pour faire voter le 29 mai 1993 par son assemblée une loi d'amnistie en faveur de tous ceux qui ont participé de près ou de loin à l'organisation des crimes commis entre 1989 et 1991. Comme au Chili du Général Augusto PINOCHET
Malgré tous les obstacles aménagés pour imposer l'impunité et l'oubli, les populations noires de Mauritanie et tous ceux qui les soutiennent à l'intérieur comme à l'extérieur du pays continuent de lutter pour que cette impunité et cet oubli ne soient jamais une règle établie par le régime de Ould TAYA et son système animé par une idéologie qui nie tout droit à la différence en Mauritanie.
Des organisations des droits de l'homme telles que l'AMDH (Association mauritanienne des droits de l'homme), la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Amnesty International, Africa Watch, la FIDH, la LDH, Agir ensemble pour les droits de l'homme (AEDH), le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'Amitié entre les peuples) n'ont jamais cessé d'attirer l'opinion internationale sur la gravité des conditions de traitements inhumains dont sont victimes les populations non hassanophones.
Mais certains gouvernements du « Nord » (français notamment) alliés et soutiens politiques et financiers du régime de Nouakchott restent impassibles à ces appels. C'est la raison pour laquelle il est de plus en plus difficile d'accepter les déclarations démagogiques de ces gouvernements qui ne cessent de proclamer dans des conférences internationales leurs intentions de lier les aides économiques de leurs pays au respect des droits humains (conditionnalité de la dette) dans les pays demandeurs alors que les premiers ne respectent pas leurs engagements.
La France est l'un des premiers pays donateurs à poser cette conditionnalité. Malheureusement elle ne l'a jamais appliquée. Sinon, et malgré les mises en garde qui lui ont été adressées par les nationalités négro-africaines victimes du racisme d'Etat, de l'exclusion, malgré les massacres et les déportations dont celles-ci ont fait l'objet en application d'une politique d'épuration ethnique et raciale, comment expliquer que les gouvernements de Gauche comme ceux de Droite de la France continuent de proclamer leurs soucis de préserver des « ...relations privilégiées... » avec un système qui n'a jamais caché ses intentions diaboliques.
Lors de sa conférence de presse tenue à Nouakchott le 5 septembre 1997, à l'occasion de sa visite officielle en Mauritanie, le Président de la République française, M. Jacques CHIRAC, avait tenu des propos qui lèvent toute ambiguïté sur le soutien officiel de la France au régime du Colonel Ould TAYA
«(...) le Président de Mauritanie, qui est un homme écouté, qui, à juste titre, a la réputation d'être un sage(...)» ; «(...) Sur le processus démocratique en Mauritanie, nous avons un jugement très positif (...)» ; « Mr le Président, vous qui, chacun le sait, êtes un sage, et je tiens à saluer cette volonté clairement affirmée et cette vision politique des intérêts à long terme de votre pays (...). Dans cette perspective, vous pouvez être assuré du soutien fraternel de la France (...) ». Sans commentaire.
Une année auparavant, à l'occasion d'une visite officielle à Nouakchott, M. Jacques GODFRAIN, alors ministre français de la Coopération exprimait des propos allant dans le même sens :
« (...) la population mauritanienne a semblé marquer son approbation à la façon dont le pays est géré (...)» ; « (...)Et, permettez moi de vous le dire ; c'est un sentiment partagé par beaucoup(...) ».« (...) il (Colonel Ould TAYA ) a surtout su conduire son pays sur la voie de la démocratie, à son rythme(...) » (Mauritanie Nouvelles, n°227. 10 novembre 1996). Sans commentaire.
Ce soutien inconditionnel explique le refus permanent des autorités françaises de prendre en considération les demandes formulées par les populations noires, les familles des disparus et les rescapés, soutenus par des ONG de protection et de défense des droits humains pour que la France applique la « Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptée à New-York en 1984, ratifiée par la France et entrée en vigueur dans ce pays en 1987, par le décret n°87-916 du 9 novembre 1987.
Le Colonel-président Ould TAYA a toujours été reçu à bras ouverts à l'Elysée par le Président de la République française : hier, c'était François MITTERAND, aujourd'hui, c'est M. Jacques CHIRAC.
Des officiers de l'armée mauritanienne impliqués dans des massacres et des tortures qui eurent lieu entre 1987 et 1991 se rendent régulièrement et impunément en France pour y effectuer des stages dans les écoles militaires françaises. En réponse à une démarche engagée le 9 février 1993 par l'Office des Nations Unies pour les droits humains à Genève, à l'effet d'obtenir l'arrestation du Colonel tortionnaire et assassin Sid'Ahmed Ould BOILIL qui suivait un stage à l'Ecole supérieure de guerre de Paris, la France avait préféré faire expulser celui-ci. Et pourtant la liste des tortionnaires a été communiquée dès juin 1991 aux ministères respectifs des Armées , des Affaires Etrangères, de la Coopération, à l'Etat Major des forces armées françaises, en même temps qu'à l'Organisation de l'Unité africaine (Addis Abéba) et aux Nations unies (New-york et Genève). Après Ould BOILIL, plusieurs autres officiers dont les noms figurent sur la liste des tortionnaires et assassins ont séjourné en France sans être inquiétés. La présence à Montpellier du Capitaine Ely Ould DAH en est un exemple. Si ses victimes ne l'avaient pas repéré et n'avaient pas porté plainte contre lui avec le soutien efficace de la FIDH et de la LDH, l'affaire Ely Ould DAH n'aurait probablement jamais existé.
Fait encore plus troublant: : le Ministère français de la Défense et son Etat-major, l'ambassade et le consulat de France à Nouakchott savent parfaitement que des officiers impliqués dans les campagnes des massacres et de tortures entre 1986 et 1991 effectuent régulièrement des stages en France avec des noms d'emprunt.
Parmi les militaires et les civils qui ont séjourné en France en toute impunité on peut citer les Colonels Mohamed Lemine Ould DIAYANE (ancien ministre des Affaires Etrangères, ancien commandant de la Garde Nationale), Ely Ould MOHAMED VALL (Directeur de la Sûreté nationale. Il organisa avec le Colonel Gabriel CIMPER alias Djibril Ould ABDALLAH alors ministre de l'Intérieur et le Commissaire de police Deddahi Ould ABDALLAH les arrestations et les tortures des intellectuels et cadres civils noirs entre août et décembre 1986), le Colonel Mohamed Ould YAHYA dit Ould L'KWAR (Commandant de la Marine Nationale), le Colonel El Arbi Ould J'DEYNI (commandant de la 6ème région militaire), le Colonel Mohamed Ould HAMEYNE dit KOUBEYROU (ancien Directeur du Génie militaire. Au mois de mai dernier il échappa malheureusement à Paris aux mailles des filets de ses victimes qui voulaient le livrer à la justice française). Le Commissaire de police Deddahi Ould ABDALLAH, Directeur de la Sûreté d'Etat, également.
Malgré la mise en examen du Capitaine Ely Ould DAH, le régime de Ould TAYA ne semble pas avoir encore tiré les leçons. Le 20 octobre 1999, le Colonel Abdarrahim Ould SIDI ALY a rejoint Paris où il vient d'être nommé attaché militaire à l'ambassade de Mauritanie en France, en remplacement du Colonel Baby HOUSSEYNOU. Le 10 mai 1999 ce dernier a donné sa démission de l'armée mauritanienne et a demandé l'asile politique à la France. Le Colonel Ould SIDI ALY est impliqué dans les arrestations de tous les militaires noirs en poste de l'Ecole militaire interarmes d'Atar (EMIA).en décembre 1990. Commandant de cette école militaire, Il organisa personnellement leur transfert à Jreïda via Nouakchott dans un avion de transport militaire Buffalo. Parmi ces militaires arrêtés se trouvait l'un des officiers plaignants contre le Capitaine Ely Ould DAH. Il est par conséquent inadmissible que Paris ait accepté l'accréditation de cet officier alors que les services français de la coopération militaire savent très bien, comme pour les précédents, ce qui s'est réellement passé à l'EMIA d'Atar en décembre 1990.
Il faut noter que jusqu'au moment du rapatriement des militaires français dans le courant du mois d'août 1999, suite à l'affaire du tortionnaire Ely Ould DAH, le contingent d'instructeurs militaires français le plus important en Mauritanie était basé à l'EMIA d'Atar.
Certes, un pas a été franchi avec la mise en examen du Capitaine tortionnaire Ely Ould DAH le 2 juillet dernier par le juge d'instruction près le Tribunal de grande Instance de Montpellier. Une décision qui avait fait naître quelques espoirs de justice pour les populations négro-mauritaniennes, les ONG et toutes celles et ceux qui luttent en faveur du respect de la personne humaine. L'espoir était si grand de voir enfin la justice et le droit commencer à vaincre le mal et terrasser tous ceux qui l'incarnent.
Malheureusement la Chambre d'accusation de Montpellier a pris le 28 septembre dernier la décision de remettre en liberté, sous contrôle judiciaire, cet officier tortionnaire. Une décision qui a provoqué un choc, une déception et une frustration incommensurables chez les populations victimes, les ONG et toutes celles et ceux qui militent en faveur des droits humains.
La France est donc restée logique avec elle-même. La seule fausse note dans cette solidarité est le refus catégorique et constant de l'actuel Premier Ministre français, M. Lionel JOSPIN, de recevoir le Colonel-président Ould TAYA à l'occasion des visites de ce dernier à Paris. Il est d'ailleurs légitime de se demander si cette politique de solidarité n'est pas une continuation de celle pratiquée par l'administration française à l'époque coloniale et dont parlent encore avec nostalgie quelques anciens administrateurs coloniaux tel que Pierre MESSMER. Lors d'un colloque organisé en décembre 1995 à Nice en France, cet ancien Premier Ministre du Général Charles de GAULLE avait parlé de « césure raciale » dans les colonies comme le Sénégal, la Guinée ou le Cameroun dont la couleur de la peau de leurs habitants contrastait avec celle des administrateurs français qui sont, eux, avait-il précisé, des Blancs (évidemment il avait ignoré l'existence des administrateurs antillais et guyanais).
Toujours, selon M. MESSMER, la Mauritanie présentait quant à elle, « (...) une situation toute particulière par rapport aux pays du sud du Sahara. Sa population étant blanche, cette coupure raciale n'existait donc pas en Mauritanie entre eux et nous. (...) ». Ce qui l'a amené alors à la conclusion selon laquelle cette absence de « (...) coupure raciale (...) jouait en faveur de la cohésion entre Maures et colonisateurs » Dans l'entendement de cet ancien administrateur colonial, homme politique français et membre actif et influent du lobby français, la population de la Mauritanie est composée exclusivement de Bidanes et de leurs Haratin-Abid (esclaves). Ce qui n'est pas contraire aux thèses des nationalistes Bidanes selon lesquelles les nationalités négro-africaines sont composées de descendants d'étrangers que le colonisateur français avait amenés avec lui pendant sa conquête des territoires qui forment aujourd'hui la Mauritanie ! !. Ces thèses ont justifié les campagnes de déportations et de massacres pour se débarrasser de ces « étrangers » Soninké Wolof, Haal pulaar'en et Bamana.
Des membres du groupe d'influence animé par la bien nommée « Association des Amis de la Mauritanie » dont M. MESSMER et le fameux « humaniste », le Pr. Théodore MONOD sont les présidents d'honneur avaient reproché à la justice française de vouloir faire resurgir en Mauritanie un conflit ethnique qui, selon ce groupe, serait en voie de solution grâce à la politique de « réconciliation » entreprise par le gouvernement du colonel Ould TAYA qui a fait adopter sa fameuse loi d'amnistie. Cette protestation contre la décision de la justice française est ressentie par les Noirs de Mauritanie comme une insulte à la mémoire de leurs disparus et à tous ceux qui continuent de vivre dans leur intimité les souvenirs douloureux des souffrances physiques et morales que les tortionnaires leur avaient fait subir.
Seul un esprit irrationnel qui bafoue la morale et le droit à la vie peut accepter qu'un régime coupable de crimes s'auto-amnistie. Comment peut-on affirmer que le régime de Ould TAYA est en train d'oeuvrer en faveur d'une «réconciliation nationale », alors que ce même régime continue de s'opposer au retour des dizaines de milliers de Haal pulaar'en, de Wolof, de Soninke, de Bamana qu'il avait déportés?. Un dicton en pulaar, une des langues africaines de Mauritanie, dit en substance qu'« une personne assise sur un harnachement fait de mensonges ne reste jamais durablement sur sa monture.»
Sur cette question, la France joue un rôle assez ambigu. Quand il s'agit de réclamer la justice contre les coupables de crimes et de tortures en Serbie, la France est au premier rang des demandeurs et des donneurs de leçons en matière de droits humains. Mais dès qu'elle se tourne vers le continent africain, elle présente une autre vision des droits humains qui montre le mépris réel qu'elle affiche pour les peuples africains en souffrance soumis à des dictatures qu'elle soutient pour sauvegarder ses intérêts économiques, politiques et culturels.
Les nationalités négro-africaines ont aujourd'hui l'intime conviction qu'après la libération conditionnelle (ou déguisée !) de Ould DAH, sa fuite sera organisée vers la Mauritanie avec une complicité bienveillante des autorités françaises.
Si en procédant de la sorte dans cette affaire la France a voulu saisir cette occasion pour prouver encore une fois son soutien inconditionnel au système chauvin et raciste qui sévit sur les populations négro-africaines, il faudra bien qu'elle ait aussi et désormais le courage politique d'assumer ses responsabilités morales internationales dans la politique de discrimination raciale, d'épuration ethnique que son allié de Nouakchott continue de pratiquer depuis 1960, avec sa bénédiction. Aider à allumer le feu, aider à l'entretenir puis cacher ses mains dernière le dos pour crier ensuite tout haut son innocence, cela fait partie de la culture diplomatique de la France en Afrique. Elle refuse d'assumer le rôle néfaste qu'elle joua dans la guerre civile au Nigeria (1967-1970), dans la préparation du génocide au Rwanda, dans celles qui ravagent actuellement les deux Congo. Sur le continent africain, la liste est longue.
Au nom de ses camarades disparus, au nom de leurs familles éplorées qui continuent de porter leur deuil, par respect pour les rescapés qui continuent de vivre moralement et psychologiquement les souffrances physiques que leur avaient fait subir leurs tortionnaires, l'Association pour l'Aide aux Veuves et Orphelins des Militaires Mauritaniens (AVOMM), demande à ce que la France sache mesurer la gravité de son choix. Il faut qu'elle apprenne à reconnaître et à respecter sans discrmination les droits légitimes de chacune des nationalités qui composent la Mauritanie à vivre son identité propre dans toute sa dignité humaine.
Il est temps que la France gouvernée par la Gauche ou par la Droite comprenne que la Mauritanie ne sera pas gouvernée éternellement par ce système qu'elle même a contribué à mettre en place en 1960.
L'AOMM espère que la justice française restera inflexible comme elle l'a montré récemment dans l'affaire PAPON, malgré les pressions. Elle aidera ainsi les Négro-mauritaniens à regagner leur dignité. Avec les exemples PINOCHET et PAPON, les violeurs de droits humains doivent désormais savoir que la justice humaine ne connaîtra plus de restrictions territoriale et temporelle.
Paris, le 26 Octobre 1999
Le 2 juillet 1999, un officier mauritanien, le Capitaine Ely Ould DAH, en stage à l'Ecole d'Administration de Montpellier a été mis en examen du chef de torture à la suite de la saisine du Procureur près le Tribunal de Grande Instance de Montpellier par la FIDH (Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'homme) et la LDH (Ligue des Droits de l'homme). Cette plainte est fondée sur les témoignages directs de deux de ses anciens collègues, ses victimes, réfugiés politiques en France, rescapés des campagnes de massacres et de tortures à caractère raciste organisées par l'actuel régime du Colonel-président Maouya Ould Sid'Ahmed Ould TAYA entre août 1986 et mars 1991.
Ces campagnes de terreur entrent dans le contexte d'une politique d'arabisation de la Mauritanie et d'ethnicisation de l'Etat qui remonte depuis l'indépendance de ce pays en 1960. Face aux résistances de plus en plus importantes des populations mauritaniennes bamana, haal pulaar, soninke et wolof qui sont non-hassanophones (parler dialectal de l'arabe en Mauritanie) contre cette politique, le régime du Colonel-président Ould TAYA est allé lui au-delà des lois, décrets d'application et autres méthodes administratives coercitives pratiquées jusque-là par ses prédécesseurs respectifs Moktar Ould DADDAH (1960-1978), Colonel Mohamed Ould SALEK (1978-1979) et Colonel Mohamed Khouna Ould HAYDALLAH (1980-1984) :
-D'abord en 1986 par des séries d'arrestations de cadres civils suite à la publication en avril 1986 du « Manifeste du Négro-Mauritanien opprimé.... » qui dénonçait le racisme des Bidanes (qui revendiquent plutôt l'appellation « Arabe ») et l'ethnicisation de l'Etat mauritanien . Entre 190 et 200 personnes furent arrêtées et torturées. Quarante six parmi ces personnes, femmes et hommes furent condamnées à des peines allant de 6 mois à 5 années de prison ferme, avec perte de citoyenneté et bannissement.
-En Octobre 1987, sous le prétexte d'une tentative de coup d'Etat, près d'un millier de militaires, gardes nationaux et gendarmes noirs furent arrêtés, torturés avant d'être jugés. Trois officiers furent condamnés à la peine capitale et exécutés le 6 décembre 1987, malgré le concert des appels à la clémence d'organisations internationales de droits humains, de représentations diplomatiques accréditées à Nouakchott (paradoxalement celle de la France n'avait pas voulu s'associer à ces démarches). Trente cinq autres furent condamnés à des peines allant de cinq années de prison ferme à la perpétuité. Des milliers d'autres militaires, gardes et gendarmes furent chassés de leurs corps respectifs après avoir subi dans des camps militaires transformés pour la circonstance en camps d'internement toutes sortes de tortures et d'humiliations.
Les prisonniers civils et militaires condamnés à des peines de prison ferme furent transférés à Walata, en plein désert près de la frontière avec le Mali, dans un ancien camp militaire colonial français vite transformé en mouroir pour les Noirs. Les conditions de traitements dépassent l'entendement humain : chaînes aux pieds et menottes aux poignées comme à l'époque de la traite négrière, humiliations racistes, travaux forcés, tortures, famine. En l'espace de trois semaines, quatre d'entre eux y succombèrent : Al Hassan Oumar BAH (adjudant-chef de gendarmerie), Tène Youssouf GUEYE (qui fut représentant de la Mauritanie aux Nations Unies dans les années 60), Tafsiru DJIGO (qui fut ministre de la Santé) et Abdoul Khouddous BAH (lieutenant du génie. Il avait été extradé en octobre 1987 par le gouvernement algérien alors qu'il faisait un stage en Algérie).
En 1989, le régime de Ould TAYA saisit une occasion inespérée, pour atteindre un objectif que les nationalistes bidanes de Mauritanie avaient toujours rêvé de réaliser : dépeupler la Mauritanie de sa composante négro-africaine non arabophone pour faire de cette république islamique un pays exclusivement arabe. Profitant donc de ce qu'on qualifie d'« événements sénégalo-mauritaniens » survenus en avril 1989, suite à un conflit transfrontalier entre des paysans sénégalais et des gardes forestiers mauritaniens, le régime de Ould TAYA inaugura la nouvelle politique d'extermination et d'épuration ethnique par des déportations vers le Sénégal et le Mali de près de 120 000 Wolof, Haal pulaar'en, Bamana, Soninke (selon les recensements du HCR). Des régions entières furent dépeuplées de leurs villages dont certains avaient été fondés plusieurs générations avant même la création coloniale de la Mauritanie. Des centaines de fonctionnaires de l'administration furent déportés sur la base de listes préétablies par les services du personnel. Avant d'être déportée, la victime était dépossédée de tous ses biens et de ses pièces d'état civil. Des pratiques qui rappellent étrangement une douloureuse époque encore récente de l'histoire de l'Europe.
Depuis cette année des déportations, le Sud de la Mauritanie, correspondant à la vallée du fleuve Sénégal, se trouve comme dans un pays d'occupation par des hordes sauvages. Aujourd'hui, plus qu'hier encore, dans cette partie du pays, être un Noir et non-arabe constitue un handicap douloureux. A tout moment, à n'importe quel lieu, un être humain est menacé d'arrestation, de tortures, de disparition du seul fait de la couleur de sa peau noire et de son appartenance à une nationalité non arabo-berbère. Car en Mauritanie, la vie d'un Noir, à plus forte raison celle d'un Noir non arabe, ne représente rien pour le régime de Ould TAYA et le système qu'il défend. Des centaines de civils ont disparu. Femmes, hommes, enfants, jeunes et vieux, personne n'échappe à cette campagne de terreur. L'armée, la Garde nationale, la police, la gendarmerie tuent, humilient en toute légalité.
Dans les villages, on abuse des femmes sans que personne n'ose lever le petit doigt. De ces viols sont nés des enfants, devenus des symboles permanents des humiliations subies par leurs mères et leurs familles.
Les troupeaux de dromadaires appartenant aux tribus bidanes détruisent les cultures sans que personne n'ose lever le doigt. Car toute égratignure faite sur un de ces animaux peut apporter les plus graves complications policières aux agro-pasteurs noirs qui pourtant imposent à leurs bestiaux (bovins, ovins, caprins et assins) une réglementation traditionnelle de transhumance respectueuse des activités agricoles et pastorales dans les terres de cultures de décrue de la vallée du Sénégal.
Les terrains familiaux de cultures de décrue sont confisqués par l'Etat au profit d'une clientèle militaro-administrative et affairiste qui les transforme en terrains de cultures rentières.
Pour faire l'exemple, l'Armée ou la Garde nationale torture, humilie devant ses semblables toute personne qui proteste contre ces pratiques. Des milliers de civils ont disparu depuis des années sans laisser des traces. Seules les fosses communes de Sori Malé et de Wothi dans le pays du Fouta Toro découvertes en 1992 avaient commencé à révéler les horreurs subies par les victimes. Malgré la médiatisation faite autour de ces découvertes et de celles d'autres restes d'humains retrouvés au hasard dans la nature, et qui montrent que les suppliciés avaient subi des tortures effroyables avant d'être exécutées par balles, le régime du Colonel-président Ould TAYA continue d'afficher un mépris total.
Peut-on imaginer dans une République islamique, un imam de mosquée, un maître d'enseignement coranique, un chef ou un doyen de village exposé nu devant les siens ?. Peut-on imaginer dans une République islamique le Coran, des ouvrages théologiques, des tablettes de Coran brûlés devant le maître religieux et ses disciples qui parce que leurs propriétaires sont des Noirs. Ils furent déportés ensuite vers le Sénégal après avoir été dépouillés de tous leurs biens.
-Et le cauchemar continue pour les populations noires. En 1990, pour justifier un nouveau projet de massacres, le régime du Colonel-président Ould TAYA accusa encore une fois des militaires, des gardes nationaux, des gendarmes et des douaniers noirs de « tentative de coup d'état visant à renverser son régime et qui mettait par la même occasion en danger l'unité nationale du pays » ! !. Entre octobre et décembre 1990, près de deux mille d'entre eux furent arrêtés. Certains ont été écartelés, d'autres enterrés vivants, d'autres brûlés vifs après avoir été ligotés puis aspergés d'essence, d'autres pendus. Pour commémorer la journée du 28 novembre 1990, date du 30ème anniversaire de l'indépendance de la République Islamique de Mauritanie, 28 prisonniers furent pendus sur ordre du Colonel Sid'Ahmed Ould BOILIL, alors commandant de la base d'Inal, près de Nouadhibou.
Grâce à la pression de l'opinion internationale, le gouvernement de Ould TAYA fit libérer ses prisonniers le 17 avril 1991. Mais le mal était déjà fait. 513 parmi eux avaient été massacrés. Leurs corps n'ont jamais été rendus aux familles qui continuent de porter le deuil. Parmi les prisonniers libérés, plusieurs sont handicapés à vie : certains ont été castrés, d'autres sont devenus sourds à cause des brûlures de la cendre chaude de cigarettes qu'on mettait dans leurs oreilles, d'autres sont devenus mal voyants à cause des mêmes pratiques dans leurs yeux. Sans compter les traces psychologiques ineffaçables à jamais dans leurs mémoires.
A leur libération, les rescapés et les familles des disparus réclamèrent justice. Ils se sont organisés en association, épaulés par un collectif d'avocats mauritaniens issus de toutes les composantes nationales du pays.
Le régime du Colonel-président Ould TAYA n'a jamais voulu répondre à leurs demandes légitimes et a opposé une fin de non- recevoir à leurs dépôts de plaintes. Plus grave, il s'est précipité pour faire voter le 29 mai 1993 par son assemblée une loi d'amnistie en faveur de tous ceux qui ont participé de près ou de loin à l'organisation des crimes commis entre 1989 et 1991. Comme au Chili du Général Augusto PINOCHET
Malgré tous les obstacles aménagés pour imposer l'impunité et l'oubli, les populations noires de Mauritanie et tous ceux qui les soutiennent à l'intérieur comme à l'extérieur du pays continuent de lutter pour que cette impunité et cet oubli ne soient jamais une règle établie par le régime de Ould TAYA et son système animé par une idéologie qui nie tout droit à la différence en Mauritanie.
Des organisations des droits de l'homme telles que l'AMDH (Association mauritanienne des droits de l'homme), la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Amnesty International, Africa Watch, la FIDH, la LDH, Agir ensemble pour les droits de l'homme (AEDH), le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'Amitié entre les peuples) n'ont jamais cessé d'attirer l'opinion internationale sur la gravité des conditions de traitements inhumains dont sont victimes les populations non hassanophones.
Mais certains gouvernements du « Nord » (français notamment) alliés et soutiens politiques et financiers du régime de Nouakchott restent impassibles à ces appels. C'est la raison pour laquelle il est de plus en plus difficile d'accepter les déclarations démagogiques de ces gouvernements qui ne cessent de proclamer dans des conférences internationales leurs intentions de lier les aides économiques de leurs pays au respect des droits humains (conditionnalité de la dette) dans les pays demandeurs alors que les premiers ne respectent pas leurs engagements.
La France est l'un des premiers pays donateurs à poser cette conditionnalité. Malheureusement elle ne l'a jamais appliquée. Sinon, et malgré les mises en garde qui lui ont été adressées par les nationalités négro-africaines victimes du racisme d'Etat, de l'exclusion, malgré les massacres et les déportations dont celles-ci ont fait l'objet en application d'une politique d'épuration ethnique et raciale, comment expliquer que les gouvernements de Gauche comme ceux de Droite de la France continuent de proclamer leurs soucis de préserver des « ...relations privilégiées... » avec un système qui n'a jamais caché ses intentions diaboliques.
Lors de sa conférence de presse tenue à Nouakchott le 5 septembre 1997, à l'occasion de sa visite officielle en Mauritanie, le Président de la République française, M. Jacques CHIRAC, avait tenu des propos qui lèvent toute ambiguïté sur le soutien officiel de la France au régime du Colonel Ould TAYA
«(...) le Président de Mauritanie, qui est un homme écouté, qui, à juste titre, a la réputation d'être un sage(...)» ; «(...) Sur le processus démocratique en Mauritanie, nous avons un jugement très positif (...)» ; « Mr le Président, vous qui, chacun le sait, êtes un sage, et je tiens à saluer cette volonté clairement affirmée et cette vision politique des intérêts à long terme de votre pays (...). Dans cette perspective, vous pouvez être assuré du soutien fraternel de la France (...) ». Sans commentaire.
Une année auparavant, à l'occasion d'une visite officielle à Nouakchott, M. Jacques GODFRAIN, alors ministre français de la Coopération exprimait des propos allant dans le même sens :
« (...) la population mauritanienne a semblé marquer son approbation à la façon dont le pays est géré (...)» ; « (...)Et, permettez moi de vous le dire ; c'est un sentiment partagé par beaucoup(...) ».« (...) il (Colonel Ould TAYA ) a surtout su conduire son pays sur la voie de la démocratie, à son rythme(...) » (Mauritanie Nouvelles, n°227. 10 novembre 1996). Sans commentaire.
Ce soutien inconditionnel explique le refus permanent des autorités françaises de prendre en considération les demandes formulées par les populations noires, les familles des disparus et les rescapés, soutenus par des ONG de protection et de défense des droits humains pour que la France applique la « Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptée à New-York en 1984, ratifiée par la France et entrée en vigueur dans ce pays en 1987, par le décret n°87-916 du 9 novembre 1987.
Le Colonel-président Ould TAYA a toujours été reçu à bras ouverts à l'Elysée par le Président de la République française : hier, c'était François MITTERAND, aujourd'hui, c'est M. Jacques CHIRAC.
Des officiers de l'armée mauritanienne impliqués dans des massacres et des tortures qui eurent lieu entre 1987 et 1991 se rendent régulièrement et impunément en France pour y effectuer des stages dans les écoles militaires françaises. En réponse à une démarche engagée le 9 février 1993 par l'Office des Nations Unies pour les droits humains à Genève, à l'effet d'obtenir l'arrestation du Colonel tortionnaire et assassin Sid'Ahmed Ould BOILIL qui suivait un stage à l'Ecole supérieure de guerre de Paris, la France avait préféré faire expulser celui-ci. Et pourtant la liste des tortionnaires a été communiquée dès juin 1991 aux ministères respectifs des Armées , des Affaires Etrangères, de la Coopération, à l'Etat Major des forces armées françaises, en même temps qu'à l'Organisation de l'Unité africaine (Addis Abéba) et aux Nations unies (New-york et Genève). Après Ould BOILIL, plusieurs autres officiers dont les noms figurent sur la liste des tortionnaires et assassins ont séjourné en France sans être inquiétés. La présence à Montpellier du Capitaine Ely Ould DAH en est un exemple. Si ses victimes ne l'avaient pas repéré et n'avaient pas porté plainte contre lui avec le soutien efficace de la FIDH et de la LDH, l'affaire Ely Ould DAH n'aurait probablement jamais existé.
Fait encore plus troublant: : le Ministère français de la Défense et son Etat-major, l'ambassade et le consulat de France à Nouakchott savent parfaitement que des officiers impliqués dans les campagnes des massacres et de tortures entre 1986 et 1991 effectuent régulièrement des stages en France avec des noms d'emprunt.
Parmi les militaires et les civils qui ont séjourné en France en toute impunité on peut citer les Colonels Mohamed Lemine Ould DIAYANE (ancien ministre des Affaires Etrangères, ancien commandant de la Garde Nationale), Ely Ould MOHAMED VALL (Directeur de la Sûreté nationale. Il organisa avec le Colonel Gabriel CIMPER alias Djibril Ould ABDALLAH alors ministre de l'Intérieur et le Commissaire de police Deddahi Ould ABDALLAH les arrestations et les tortures des intellectuels et cadres civils noirs entre août et décembre 1986), le Colonel Mohamed Ould YAHYA dit Ould L'KWAR (Commandant de la Marine Nationale), le Colonel El Arbi Ould J'DEYNI (commandant de la 6ème région militaire), le Colonel Mohamed Ould HAMEYNE dit KOUBEYROU (ancien Directeur du Génie militaire. Au mois de mai dernier il échappa malheureusement à Paris aux mailles des filets de ses victimes qui voulaient le livrer à la justice française). Le Commissaire de police Deddahi Ould ABDALLAH, Directeur de la Sûreté d'Etat, également.
Malgré la mise en examen du Capitaine Ely Ould DAH, le régime de Ould TAYA ne semble pas avoir encore tiré les leçons. Le 20 octobre 1999, le Colonel Abdarrahim Ould SIDI ALY a rejoint Paris où il vient d'être nommé attaché militaire à l'ambassade de Mauritanie en France, en remplacement du Colonel Baby HOUSSEYNOU. Le 10 mai 1999 ce dernier a donné sa démission de l'armée mauritanienne et a demandé l'asile politique à la France. Le Colonel Ould SIDI ALY est impliqué dans les arrestations de tous les militaires noirs en poste de l'Ecole militaire interarmes d'Atar (EMIA).en décembre 1990. Commandant de cette école militaire, Il organisa personnellement leur transfert à Jreïda via Nouakchott dans un avion de transport militaire Buffalo. Parmi ces militaires arrêtés se trouvait l'un des officiers plaignants contre le Capitaine Ely Ould DAH. Il est par conséquent inadmissible que Paris ait accepté l'accréditation de cet officier alors que les services français de la coopération militaire savent très bien, comme pour les précédents, ce qui s'est réellement passé à l'EMIA d'Atar en décembre 1990.
Il faut noter que jusqu'au moment du rapatriement des militaires français dans le courant du mois d'août 1999, suite à l'affaire du tortionnaire Ely Ould DAH, le contingent d'instructeurs militaires français le plus important en Mauritanie était basé à l'EMIA d'Atar.
Certes, un pas a été franchi avec la mise en examen du Capitaine tortionnaire Ely Ould DAH le 2 juillet dernier par le juge d'instruction près le Tribunal de grande Instance de Montpellier. Une décision qui avait fait naître quelques espoirs de justice pour les populations négro-mauritaniennes, les ONG et toutes celles et ceux qui luttent en faveur du respect de la personne humaine. L'espoir était si grand de voir enfin la justice et le droit commencer à vaincre le mal et terrasser tous ceux qui l'incarnent.
Malheureusement la Chambre d'accusation de Montpellier a pris le 28 septembre dernier la décision de remettre en liberté, sous contrôle judiciaire, cet officier tortionnaire. Une décision qui a provoqué un choc, une déception et une frustration incommensurables chez les populations victimes, les ONG et toutes celles et ceux qui militent en faveur des droits humains.
La France est donc restée logique avec elle-même. La seule fausse note dans cette solidarité est le refus catégorique et constant de l'actuel Premier Ministre français, M. Lionel JOSPIN, de recevoir le Colonel-président Ould TAYA à l'occasion des visites de ce dernier à Paris. Il est d'ailleurs légitime de se demander si cette politique de solidarité n'est pas une continuation de celle pratiquée par l'administration française à l'époque coloniale et dont parlent encore avec nostalgie quelques anciens administrateurs coloniaux tel que Pierre MESSMER. Lors d'un colloque organisé en décembre 1995 à Nice en France, cet ancien Premier Ministre du Général Charles de GAULLE avait parlé de « césure raciale » dans les colonies comme le Sénégal, la Guinée ou le Cameroun dont la couleur de la peau de leurs habitants contrastait avec celle des administrateurs français qui sont, eux, avait-il précisé, des Blancs (évidemment il avait ignoré l'existence des administrateurs antillais et guyanais).
Toujours, selon M. MESSMER, la Mauritanie présentait quant à elle, « (...) une situation toute particulière par rapport aux pays du sud du Sahara. Sa population étant blanche, cette coupure raciale n'existait donc pas en Mauritanie entre eux et nous. (...) ». Ce qui l'a amené alors à la conclusion selon laquelle cette absence de « (...) coupure raciale (...) jouait en faveur de la cohésion entre Maures et colonisateurs » Dans l'entendement de cet ancien administrateur colonial, homme politique français et membre actif et influent du lobby français, la population de la Mauritanie est composée exclusivement de Bidanes et de leurs Haratin-Abid (esclaves). Ce qui n'est pas contraire aux thèses des nationalistes Bidanes selon lesquelles les nationalités négro-africaines sont composées de descendants d'étrangers que le colonisateur français avait amenés avec lui pendant sa conquête des territoires qui forment aujourd'hui la Mauritanie ! !. Ces thèses ont justifié les campagnes de déportations et de massacres pour se débarrasser de ces « étrangers » Soninké Wolof, Haal pulaar'en et Bamana.
Des membres du groupe d'influence animé par la bien nommée « Association des Amis de la Mauritanie » dont M. MESSMER et le fameux « humaniste », le Pr. Théodore MONOD sont les présidents d'honneur avaient reproché à la justice française de vouloir faire resurgir en Mauritanie un conflit ethnique qui, selon ce groupe, serait en voie de solution grâce à la politique de « réconciliation » entreprise par le gouvernement du colonel Ould TAYA qui a fait adopter sa fameuse loi d'amnistie. Cette protestation contre la décision de la justice française est ressentie par les Noirs de Mauritanie comme une insulte à la mémoire de leurs disparus et à tous ceux qui continuent de vivre dans leur intimité les souvenirs douloureux des souffrances physiques et morales que les tortionnaires leur avaient fait subir.
Seul un esprit irrationnel qui bafoue la morale et le droit à la vie peut accepter qu'un régime coupable de crimes s'auto-amnistie. Comment peut-on affirmer que le régime de Ould TAYA est en train d'oeuvrer en faveur d'une «réconciliation nationale », alors que ce même régime continue de s'opposer au retour des dizaines de milliers de Haal pulaar'en, de Wolof, de Soninke, de Bamana qu'il avait déportés?. Un dicton en pulaar, une des langues africaines de Mauritanie, dit en substance qu'« une personne assise sur un harnachement fait de mensonges ne reste jamais durablement sur sa monture.»
Sur cette question, la France joue un rôle assez ambigu. Quand il s'agit de réclamer la justice contre les coupables de crimes et de tortures en Serbie, la France est au premier rang des demandeurs et des donneurs de leçons en matière de droits humains. Mais dès qu'elle se tourne vers le continent africain, elle présente une autre vision des droits humains qui montre le mépris réel qu'elle affiche pour les peuples africains en souffrance soumis à des dictatures qu'elle soutient pour sauvegarder ses intérêts économiques, politiques et culturels.
Les nationalités négro-africaines ont aujourd'hui l'intime conviction qu'après la libération conditionnelle (ou déguisée !) de Ould DAH, sa fuite sera organisée vers la Mauritanie avec une complicité bienveillante des autorités françaises.
Si en procédant de la sorte dans cette affaire la France a voulu saisir cette occasion pour prouver encore une fois son soutien inconditionnel au système chauvin et raciste qui sévit sur les populations négro-africaines, il faudra bien qu'elle ait aussi et désormais le courage politique d'assumer ses responsabilités morales internationales dans la politique de discrimination raciale, d'épuration ethnique que son allié de Nouakchott continue de pratiquer depuis 1960, avec sa bénédiction. Aider à allumer le feu, aider à l'entretenir puis cacher ses mains dernière le dos pour crier ensuite tout haut son innocence, cela fait partie de la culture diplomatique de la France en Afrique. Elle refuse d'assumer le rôle néfaste qu'elle joua dans la guerre civile au Nigeria (1967-1970), dans la préparation du génocide au Rwanda, dans celles qui ravagent actuellement les deux Congo. Sur le continent africain, la liste est longue.
Au nom de ses camarades disparus, au nom de leurs familles éplorées qui continuent de porter leur deuil, par respect pour les rescapés qui continuent de vivre moralement et psychologiquement les souffrances physiques que leur avaient fait subir leurs tortionnaires, l'Association pour l'Aide aux Veuves et Orphelins des Militaires Mauritaniens (AVOMM), demande à ce que la France sache mesurer la gravité de son choix. Il faut qu'elle apprenne à reconnaître et à respecter sans discrmination les droits légitimes de chacune des nationalités qui composent la Mauritanie à vivre son identité propre dans toute sa dignité humaine.
Il est temps que la France gouvernée par la Gauche ou par la Droite comprenne que la Mauritanie ne sera pas gouvernée éternellement par ce système qu'elle même a contribué à mettre en place en 1960.
L'AOMM espère que la justice française restera inflexible comme elle l'a montré récemment dans l'affaire PAPON, malgré les pressions. Elle aidera ainsi les Négro-mauritaniens à regagner leur dignité. Avec les exemples PINOCHET et PAPON, les violeurs de droits humains doivent désormais savoir que la justice humaine ne connaîtra plus de restrictions territoriale et temporelle.
Paris, le 26 Octobre 1999