Six mois après l’élection présidentielle, où en est-on actuellement sur le plan politique?
Nous sommes aujourd’hui dans une situation bizarre où il y a un vide de l’espace politique. Il y a comme une incapacité maladive de transcender le passé pour se pencher sur le présent et l’avenir.
La division qui existe reste basée sur la politique des tranchées qui existait et sur un dossier censé être pourtant clos, celui du départ de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi.
Il y a eu des élections et il y a aujourd’hui un président de la République. Malgré cela, les gens restent dans leurs tranchées. Et comme, j’aime à le dire, la guerre des tranchées est une hostilité stérile. Elle ne permet pas des mêlées, comme on dit dans le jargon du rugby. C’est au plus fort qu’appartient l’initiative et, à chaque fois qu’il la prenne, l’autre tranchée réagit. On assiste à une sorte de dialogue de sourds.
J’ai eu espoir en un moment donné qu’une sortie de crise va permettre une relance de la dynamique des opinions, donc de la dynamique politique notamment avec le discours du Président de l’Assemblée nationale à l’ouverture de la session parlementaire qui m’a semblé être un excellent discours. Il est malheureusement passé inaperçu, les autorités n’ont pas su saisir la perche tendue pour lancer un véritable débat.
Et quand je dis débat, je n’ai rien contre la société civile, je n’ai rien contre les politiques d’occasion, mais un débat politique se fait entre les partis politiques. Il y a certes des grands partis et des petits partis, mais il n’y a pas de grandes opinions et de petites opinions en matière d’analyse politique.
Depuis au moins deux siècles, les divisions politiques sont basées soit sur un fondement idéologique, soit sur un positionnement par rapport à des occasions bien déterminées, soit sur des comportements de classes. Aujourd’hui en Mauritanie, personne ne vous parle de gauche, de centre, de droite, de droite identitaire… Alors que les divisions résident là ! Quels sont les partis progressistes ? Quels sont les partis conservateurs ? Et quels sont les partis révisionnistes ?
Aujourd’hui, ces divisions n’existent pas. On a tendance à faciliter les choses en disant les partis ce sont les hommes. Et ce n’est pas forcément une critique négative car historiquement les partis ont été des hommes. Il y a toujours eu des partis qui ont fondé leur raisonnement et leurs réflexions sur la pensée d’un homme.
Je résume la situation actuelle en l’absence de dialogue. Il n’y a pas de débat politique et il y a une division binaire inacceptable, soit on est dans la tranchée de l’opposition qui soutenait Ould Cheikh Abdallahi, soit on est dans le camp du président de la République actuel.
Cette division n’est pas réaliste et la ligne de démarcation pas très claire. Il y a normalement des choses qu’on peut soutenir, des choses qu’on peut refuser. Et c’est çà qui permet un peu le pluralisme que garantie la constitution. Il faut un retour en ce pluralisme.
Aujourd’hui, le seul acteur actif dans la politique mauritanienne c’est le président de la République. Il doit absolument prendre l’initiative d’un débat politique pour construire la Mauritanie. Dans son programme, il y a un ensemble d’idées assez ou même très intéressantes. Il faudrait en discuter pour savoir comment on peut réaliser ces objectifs. Cela ne peut se faire qu’avec le débat. La politique de marginalisation et d’exclusion ne peut que secréter des extrêmes.
Et concrètement que proposez vous pour décrisper la situation ?
Je propose que le président de la République prenne l’initiative lui-même de discuter avec les partis politiques individuellement dans une première phase et dans un cadre beaucoup plus global dans le futur, si possible. Il faudrait encore qu’il fasse comprendre et passe le message à l’ensemble des mauritaniens que la Mauritanie est pour tous. Elle n’est le monopole d’aucun groupe quelle que soit sa puissance, quel que soit son nombre. Et que le débat n’est pas un débat binaire, vous êtes contre moi ou vous êtes avec moi. Le social est en général combinatoire, il est fait de recoupements. Le programme du président de la République présenté par le Premier ministre à l’Assemblée nationale comporte incontestablement des idées fortes qui doivent être soutenues, qui peuvent être partagées et qui doivent être discutées.
Le Front populaire a toujours été depuis une dizaine d’années un fervent partisan de la régionalisation assez forte. On parle aujourd’hui de plus en plus de régionalisation, discutons-en. Il y a d’autres idées sur le plan économique qui peuvent être développées.
Justement quel constat faites vous de la situation économique ?
Je crois que le monde en général vivait et vit encore une crise économique. Et avant qu’elle ne soit financière, elle était alimentaire, un aspect dont on en parle plus maintenant. La Mauritanie ne se trouve pas sur Mars pour échapper aux problèmes économiques.
En ce qui me concerne, je regrette cependant l’absence de possibilités de lecture claire des programmes sectoriels et de l’interdépendance qui doit exister entre ces secteurs. Quels sont les objectifs ? Et les objectifs, pour moi, ce ne sont pas les slogans. Quels sont nos objectifs en matière d’emplois, en matière de lutte contre la pauvreté ? Quelle est notre politique pétrolière, minière, urbaniste… Il y a un ensemble de questions qui doivent être éclaircies et chaque département doit pouvoir faire ce travail.
Aujourd’hui, le secteur de la pêche vit des difficultés énormes, beaucoup d’entreprises pétrolières ont plié bagages et en matière d’énergie nous avons connu pas mal de crises. L’emploi vit, lui aussi, une très grave crise. Pourtant, les solutions peuvent parfois être simples et faciles.
Nous avons réellement besoin d’un plan économique et de politiques sectorielles très claires.
Est-ce qu’il y a un tissu économique en Mauritanie ?
Il faut le créer. Par le passé, il y a eu des tentatives de générer des revenus supplémentaires dans le but d’assister les populations à se faire des revenus indépendants. C’est pourquoi, on a développé l’informel. Malheureusement, on est allé vers une « informalisation » de l’ensemble de l’économie alors que l’informel à ses limites et surtout ses dangers. Il est incontestable qu’il y a d’énormes possibilités économiques en Mauritanie, faudrait-il bien pour exploiter ce potentiel avoir obligatoirement un plan et une politique sectorielle efficiente.
Sur le plan financier, il y a la politique du crédit. Nous sommes l’un des rares pays au monde où la banque centrale n’est pas patronnée par un conseil du crédit et de la monnaie. Le gouverneur de la BCM est pratiquement omnipotent. Les rapports entre la BCM et le Trésor ne sont pas clairs, notamment en ce qui concerne les tirages des bons du Trésor.
La lutte contre la gabegie et la rationalisation des ressources semblent être les deux priorités de l’actuel pouvoir. Qu’en pensez-vous ?
Incontestablement, ces objectifs sont nobles. Le problème, c’est comment réaliser ces objectifs. A mon avis, cela passe obligatoirement par une restructuration de l’administration et une révision des procédures financières au niveau de l’Etat.
Aujourd’hui, il faut rentabiliser l’Administration. En conséquence, la rationalisation doit commencer par les choix budgétaires. Il faudrait concocter des budgets qui ne soient pas une copie ronéotype des budgets des années 60.
Voilà un exemple très simple : chaque année, il y a un budget équipement dans un ministère. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu’on ne prend pas en considération les amortissements. On a acheté aujourd’hui des fauteuils, des canapés et des chaises pour ce ministère, on doit normalement rester deux ans sans en acheter en attendant les amortissements dans trois ans. Stupidement, cette rubrique est reconduite chaque année dans le budget. Alors, il importe de revoir la nomenclature du budget. Ceci dit, personne ne peut être contre la lutte contre la gabegie. Il faudrait seulement en discuter, en débattre pour voir les moyens de réussir cette politique. Elle ne doit pas être un phénomène de mode, mais plutôt un travail continu.
Justement, c’est au nom de cette lutte contre la gabegie que certains hommes d’affaires et fonctionnaires de l’Etat ont été récemment arrêtés avant d’être libérés qui contre des remboursements, qui contre des cautions.
Ce que je peux dire, et c’est ma conviction, c’est que l’objectif de lutte contre la gabegie est noble. Maintenant, comme les mauritaniens ont chacun son dictionnaire dans sa poche, il faudrait bien savoir qu’est-ce que c’est la gabegie. Est-ce que les derniers événements entrent dans la lutte contre la gabegie où font partie d’autres choses ? Je ne suis pas là pour analyser et je ne me mets pas à la place de la justice, laquelle justice doit être trop indépendante pour que personne ne se mette à sa place.
Je considère que l’objectif est bon, mais il faut aller vers le fond.
Mais tout cela reste dépendant de la stabilité du pays. La sécurité est essentielle, n’est-pas ?
Vous savez, comme chaque soir on découvre des experts nouveaux, moi je ne suis pas un expert en la matière. Je peux tout juste donner une opinion politique. Cette opinion part d’un principe nihiliste, que la mondialisation de l’insécurité prônée par les Etats-Unis d’Amérique et par les médias n’est pas une réalité. On peu absolument éviter de tomber dans le créneau terroriste. On l’a évité pendant longtemps.
Je ne souhaite que mon pays trouve que c’est une mode payante de se targuer comme étant un pays victime du terrorisme. Je ne dis que les faits ne sont pas graves, mais je trouve qu’ils sont encore mineurs. Nous ne sommes pas un pays vraiment en proie au terrorisme jusqu’à présent.
Le terrorisme s’il existe, et il existe, a ses raisons, mais je crois que nous n’avons ni le droit, ni le devoir de nous mettre en première ligne. Les gens kidnappés sont sur le territoire malien et les maliens semblent être beaucoup plus calmes que nous dans le cadre de ce dossier.
Moi, mon problème est terre à terre. Nous avons fait un corridor de sécurité. Comment un blessé mauritanien dans ce corridor fera-t-il pour se faire transporter à Nouakchott. Est-ce que nous avons réfléchi au moins à notre politique de défense. Nous avons un territoire énorme, il faudrait que notre stratégie de défense soit basée sur un éclatement d’unités permettant à chacune de porter secours à l’autre dans des temps record. Et cela suppose des moyens de déplacements rapides.
En un mot, le problème ce sont les frontières mauritaniennes face à tous les dangers : le trafic, l’immigration, le terrorisme... Aujourd’hui, personne de bonne foi ne peut nous dire combien il y a d’immigrés en Mauritanie. 100 millions d’immigrés en chine peuvent passer inaperçus, mais 10 000 immigrés en Mauritanie ne peuvent l’être. Il faudrait donc réorganiser les séjours en Mauritanie, revoir notre politique de visas, s’intéresser davantage à nos frontières… La sécurité, c’est avant tout ça.
L’insécurité est une affaire de déséquilibre et il faut absolument éviter de danser sur les musiques occidentales en ce qui concerne le terrorisme.
Sur le plan diplomatique, le dossier du Sahara, la rupture des relations avec Israël, le rapprochement avec l’Iran …Que vous inspire cet activisme ?
En ce qui concerne le Sahara occidental, je crois que depuis une trentaine d’années la politique mauritanienne a été toujours stable. Je ne vois pas d’éléments nouveaux qui méritent de perturber les relations fragiles avec nos voisins. Nous avons à nos frontières un problème qui nous concerne aujourd’hui et pour le futur. Il faudrait bien qu’on sache un jour où sont nos frontières et où sont les leurs. Personnellement, je considère que la Gouera est mauritanienne et que cela doit faire forcément, dans l’avenir, l’objet d’un débat aussi bien sur les bases historiques que sur les bases socioculturelles.
En ce qui concerne la diplomatie mauritanienne, je crois qu’il serait mauvais d’essayer de la séparer de ce qui se passe dans le monde. Nous sommes en face d’un monde que l’empire américain va tracer à sa manière, même géographiquement. Et il y a de l’autre côté la résistance que je salue par ailleurs en ce mois de février qui a connu énormément de victimes et qui est fêté dans tous les pays du monde et notamment au Liban. C’est surtout le mois où nous avons perdu un très grand chef Imad Moughniya.
Il y a un phénomène nouveau auquel on ne fait pas vraiment attention. Depuis quelques temps, les Etats-Unis tentent d’imposer aux arabes un ennemi de substitution à la place d’Israël. Aujourd’hui, toute la diplomatie occidentale veut imposer à tous les arabes que l’ennemi principal est la République Islamique d’Iran. Pour les occidentaux, le nucléaire civil iranien irrite au moment où le nucléaire militaire israélien apaise. Toute velléité d’indépendance en matière de haute technologie d’un pays islamique est condamnée. L’ONU devient le faire valoir de l’emprise et de l’empire de l’Occident judéo-chrétien.
Je crois que la carte du Moyen-Orient est en train de changer, mais pas comme l’aurait souhaité Condelza Rais. La résistance devient une réalité dissuasive pour Israël surtout depuis la victoire du Hozbullah en juillet 2006.
La diplomatie mauritanienne est obligée, comme tout le monde, de maintenir des relations avec l’Occident. Mais, elle a aussi le devoir d’avoir des positions qui répondent aux aspirations du peuple mauritanien qui soutient la résistance. La diplomatie mauritanienne doit être capable de faire la part des choses. Elle doit être ouverte sur le monde et davantage sur l’Afrique.
Pour finir avez-vous un message à adresser au Président Ould Abdel Aziz ?
Le seul message que je peux lui adresser, c’est qu’il est président de la République et qu’il est concerné par l’ensemble des mauritaniens de par sa fonction. Et je suis sûr, par sa volonté également, en tout cas celle que nous avons vue ces dernières années. Incontestablement, il y a dans son programme des objectifs majeurs qui sont restructurant pour l’Etat mauritanien. Je lui demande de s’ouvrir aux autres opinions, de les écouter, de les contester et de les associer aussi quand elles peuvent l’être afin que nous puissions construire ensemble la Mauritanie. C’est l’un de ses fils, personne n’a le monopole de cette Mauritanie. Il en est le président de la République et, à ce titre, il peut jouer un rôle important.
Propos recueillis par aos/mck
Source: ainrim
Nous sommes aujourd’hui dans une situation bizarre où il y a un vide de l’espace politique. Il y a comme une incapacité maladive de transcender le passé pour se pencher sur le présent et l’avenir.
La division qui existe reste basée sur la politique des tranchées qui existait et sur un dossier censé être pourtant clos, celui du départ de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi.
Il y a eu des élections et il y a aujourd’hui un président de la République. Malgré cela, les gens restent dans leurs tranchées. Et comme, j’aime à le dire, la guerre des tranchées est une hostilité stérile. Elle ne permet pas des mêlées, comme on dit dans le jargon du rugby. C’est au plus fort qu’appartient l’initiative et, à chaque fois qu’il la prenne, l’autre tranchée réagit. On assiste à une sorte de dialogue de sourds.
J’ai eu espoir en un moment donné qu’une sortie de crise va permettre une relance de la dynamique des opinions, donc de la dynamique politique notamment avec le discours du Président de l’Assemblée nationale à l’ouverture de la session parlementaire qui m’a semblé être un excellent discours. Il est malheureusement passé inaperçu, les autorités n’ont pas su saisir la perche tendue pour lancer un véritable débat.
Et quand je dis débat, je n’ai rien contre la société civile, je n’ai rien contre les politiques d’occasion, mais un débat politique se fait entre les partis politiques. Il y a certes des grands partis et des petits partis, mais il n’y a pas de grandes opinions et de petites opinions en matière d’analyse politique.
Depuis au moins deux siècles, les divisions politiques sont basées soit sur un fondement idéologique, soit sur un positionnement par rapport à des occasions bien déterminées, soit sur des comportements de classes. Aujourd’hui en Mauritanie, personne ne vous parle de gauche, de centre, de droite, de droite identitaire… Alors que les divisions résident là ! Quels sont les partis progressistes ? Quels sont les partis conservateurs ? Et quels sont les partis révisionnistes ?
Aujourd’hui, ces divisions n’existent pas. On a tendance à faciliter les choses en disant les partis ce sont les hommes. Et ce n’est pas forcément une critique négative car historiquement les partis ont été des hommes. Il y a toujours eu des partis qui ont fondé leur raisonnement et leurs réflexions sur la pensée d’un homme.
Je résume la situation actuelle en l’absence de dialogue. Il n’y a pas de débat politique et il y a une division binaire inacceptable, soit on est dans la tranchée de l’opposition qui soutenait Ould Cheikh Abdallahi, soit on est dans le camp du président de la République actuel.
Cette division n’est pas réaliste et la ligne de démarcation pas très claire. Il y a normalement des choses qu’on peut soutenir, des choses qu’on peut refuser. Et c’est çà qui permet un peu le pluralisme que garantie la constitution. Il faut un retour en ce pluralisme.
Aujourd’hui, le seul acteur actif dans la politique mauritanienne c’est le président de la République. Il doit absolument prendre l’initiative d’un débat politique pour construire la Mauritanie. Dans son programme, il y a un ensemble d’idées assez ou même très intéressantes. Il faudrait en discuter pour savoir comment on peut réaliser ces objectifs. Cela ne peut se faire qu’avec le débat. La politique de marginalisation et d’exclusion ne peut que secréter des extrêmes.
Et concrètement que proposez vous pour décrisper la situation ?
Je propose que le président de la République prenne l’initiative lui-même de discuter avec les partis politiques individuellement dans une première phase et dans un cadre beaucoup plus global dans le futur, si possible. Il faudrait encore qu’il fasse comprendre et passe le message à l’ensemble des mauritaniens que la Mauritanie est pour tous. Elle n’est le monopole d’aucun groupe quelle que soit sa puissance, quel que soit son nombre. Et que le débat n’est pas un débat binaire, vous êtes contre moi ou vous êtes avec moi. Le social est en général combinatoire, il est fait de recoupements. Le programme du président de la République présenté par le Premier ministre à l’Assemblée nationale comporte incontestablement des idées fortes qui doivent être soutenues, qui peuvent être partagées et qui doivent être discutées.
Le Front populaire a toujours été depuis une dizaine d’années un fervent partisan de la régionalisation assez forte. On parle aujourd’hui de plus en plus de régionalisation, discutons-en. Il y a d’autres idées sur le plan économique qui peuvent être développées.
Justement quel constat faites vous de la situation économique ?
Je crois que le monde en général vivait et vit encore une crise économique. Et avant qu’elle ne soit financière, elle était alimentaire, un aspect dont on en parle plus maintenant. La Mauritanie ne se trouve pas sur Mars pour échapper aux problèmes économiques.
En ce qui me concerne, je regrette cependant l’absence de possibilités de lecture claire des programmes sectoriels et de l’interdépendance qui doit exister entre ces secteurs. Quels sont les objectifs ? Et les objectifs, pour moi, ce ne sont pas les slogans. Quels sont nos objectifs en matière d’emplois, en matière de lutte contre la pauvreté ? Quelle est notre politique pétrolière, minière, urbaniste… Il y a un ensemble de questions qui doivent être éclaircies et chaque département doit pouvoir faire ce travail.
Aujourd’hui, le secteur de la pêche vit des difficultés énormes, beaucoup d’entreprises pétrolières ont plié bagages et en matière d’énergie nous avons connu pas mal de crises. L’emploi vit, lui aussi, une très grave crise. Pourtant, les solutions peuvent parfois être simples et faciles.
Nous avons réellement besoin d’un plan économique et de politiques sectorielles très claires.
Est-ce qu’il y a un tissu économique en Mauritanie ?
Il faut le créer. Par le passé, il y a eu des tentatives de générer des revenus supplémentaires dans le but d’assister les populations à se faire des revenus indépendants. C’est pourquoi, on a développé l’informel. Malheureusement, on est allé vers une « informalisation » de l’ensemble de l’économie alors que l’informel à ses limites et surtout ses dangers. Il est incontestable qu’il y a d’énormes possibilités économiques en Mauritanie, faudrait-il bien pour exploiter ce potentiel avoir obligatoirement un plan et une politique sectorielle efficiente.
Sur le plan financier, il y a la politique du crédit. Nous sommes l’un des rares pays au monde où la banque centrale n’est pas patronnée par un conseil du crédit et de la monnaie. Le gouverneur de la BCM est pratiquement omnipotent. Les rapports entre la BCM et le Trésor ne sont pas clairs, notamment en ce qui concerne les tirages des bons du Trésor.
La lutte contre la gabegie et la rationalisation des ressources semblent être les deux priorités de l’actuel pouvoir. Qu’en pensez-vous ?
Incontestablement, ces objectifs sont nobles. Le problème, c’est comment réaliser ces objectifs. A mon avis, cela passe obligatoirement par une restructuration de l’administration et une révision des procédures financières au niveau de l’Etat.
Aujourd’hui, il faut rentabiliser l’Administration. En conséquence, la rationalisation doit commencer par les choix budgétaires. Il faudrait concocter des budgets qui ne soient pas une copie ronéotype des budgets des années 60.
Voilà un exemple très simple : chaque année, il y a un budget équipement dans un ministère. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu’on ne prend pas en considération les amortissements. On a acheté aujourd’hui des fauteuils, des canapés et des chaises pour ce ministère, on doit normalement rester deux ans sans en acheter en attendant les amortissements dans trois ans. Stupidement, cette rubrique est reconduite chaque année dans le budget. Alors, il importe de revoir la nomenclature du budget. Ceci dit, personne ne peut être contre la lutte contre la gabegie. Il faudrait seulement en discuter, en débattre pour voir les moyens de réussir cette politique. Elle ne doit pas être un phénomène de mode, mais plutôt un travail continu.
Justement, c’est au nom de cette lutte contre la gabegie que certains hommes d’affaires et fonctionnaires de l’Etat ont été récemment arrêtés avant d’être libérés qui contre des remboursements, qui contre des cautions.
Ce que je peux dire, et c’est ma conviction, c’est que l’objectif de lutte contre la gabegie est noble. Maintenant, comme les mauritaniens ont chacun son dictionnaire dans sa poche, il faudrait bien savoir qu’est-ce que c’est la gabegie. Est-ce que les derniers événements entrent dans la lutte contre la gabegie où font partie d’autres choses ? Je ne suis pas là pour analyser et je ne me mets pas à la place de la justice, laquelle justice doit être trop indépendante pour que personne ne se mette à sa place.
Je considère que l’objectif est bon, mais il faut aller vers le fond.
Mais tout cela reste dépendant de la stabilité du pays. La sécurité est essentielle, n’est-pas ?
Vous savez, comme chaque soir on découvre des experts nouveaux, moi je ne suis pas un expert en la matière. Je peux tout juste donner une opinion politique. Cette opinion part d’un principe nihiliste, que la mondialisation de l’insécurité prônée par les Etats-Unis d’Amérique et par les médias n’est pas une réalité. On peu absolument éviter de tomber dans le créneau terroriste. On l’a évité pendant longtemps.
Je ne souhaite que mon pays trouve que c’est une mode payante de se targuer comme étant un pays victime du terrorisme. Je ne dis que les faits ne sont pas graves, mais je trouve qu’ils sont encore mineurs. Nous ne sommes pas un pays vraiment en proie au terrorisme jusqu’à présent.
Le terrorisme s’il existe, et il existe, a ses raisons, mais je crois que nous n’avons ni le droit, ni le devoir de nous mettre en première ligne. Les gens kidnappés sont sur le territoire malien et les maliens semblent être beaucoup plus calmes que nous dans le cadre de ce dossier.
Moi, mon problème est terre à terre. Nous avons fait un corridor de sécurité. Comment un blessé mauritanien dans ce corridor fera-t-il pour se faire transporter à Nouakchott. Est-ce que nous avons réfléchi au moins à notre politique de défense. Nous avons un territoire énorme, il faudrait que notre stratégie de défense soit basée sur un éclatement d’unités permettant à chacune de porter secours à l’autre dans des temps record. Et cela suppose des moyens de déplacements rapides.
En un mot, le problème ce sont les frontières mauritaniennes face à tous les dangers : le trafic, l’immigration, le terrorisme... Aujourd’hui, personne de bonne foi ne peut nous dire combien il y a d’immigrés en Mauritanie. 100 millions d’immigrés en chine peuvent passer inaperçus, mais 10 000 immigrés en Mauritanie ne peuvent l’être. Il faudrait donc réorganiser les séjours en Mauritanie, revoir notre politique de visas, s’intéresser davantage à nos frontières… La sécurité, c’est avant tout ça.
L’insécurité est une affaire de déséquilibre et il faut absolument éviter de danser sur les musiques occidentales en ce qui concerne le terrorisme.
Sur le plan diplomatique, le dossier du Sahara, la rupture des relations avec Israël, le rapprochement avec l’Iran …Que vous inspire cet activisme ?
En ce qui concerne le Sahara occidental, je crois que depuis une trentaine d’années la politique mauritanienne a été toujours stable. Je ne vois pas d’éléments nouveaux qui méritent de perturber les relations fragiles avec nos voisins. Nous avons à nos frontières un problème qui nous concerne aujourd’hui et pour le futur. Il faudrait bien qu’on sache un jour où sont nos frontières et où sont les leurs. Personnellement, je considère que la Gouera est mauritanienne et que cela doit faire forcément, dans l’avenir, l’objet d’un débat aussi bien sur les bases historiques que sur les bases socioculturelles.
En ce qui concerne la diplomatie mauritanienne, je crois qu’il serait mauvais d’essayer de la séparer de ce qui se passe dans le monde. Nous sommes en face d’un monde que l’empire américain va tracer à sa manière, même géographiquement. Et il y a de l’autre côté la résistance que je salue par ailleurs en ce mois de février qui a connu énormément de victimes et qui est fêté dans tous les pays du monde et notamment au Liban. C’est surtout le mois où nous avons perdu un très grand chef Imad Moughniya.
Il y a un phénomène nouveau auquel on ne fait pas vraiment attention. Depuis quelques temps, les Etats-Unis tentent d’imposer aux arabes un ennemi de substitution à la place d’Israël. Aujourd’hui, toute la diplomatie occidentale veut imposer à tous les arabes que l’ennemi principal est la République Islamique d’Iran. Pour les occidentaux, le nucléaire civil iranien irrite au moment où le nucléaire militaire israélien apaise. Toute velléité d’indépendance en matière de haute technologie d’un pays islamique est condamnée. L’ONU devient le faire valoir de l’emprise et de l’empire de l’Occident judéo-chrétien.
Je crois que la carte du Moyen-Orient est en train de changer, mais pas comme l’aurait souhaité Condelza Rais. La résistance devient une réalité dissuasive pour Israël surtout depuis la victoire du Hozbullah en juillet 2006.
La diplomatie mauritanienne est obligée, comme tout le monde, de maintenir des relations avec l’Occident. Mais, elle a aussi le devoir d’avoir des positions qui répondent aux aspirations du peuple mauritanien qui soutient la résistance. La diplomatie mauritanienne doit être capable de faire la part des choses. Elle doit être ouverte sur le monde et davantage sur l’Afrique.
Pour finir avez-vous un message à adresser au Président Ould Abdel Aziz ?
Le seul message que je peux lui adresser, c’est qu’il est président de la République et qu’il est concerné par l’ensemble des mauritaniens de par sa fonction. Et je suis sûr, par sa volonté également, en tout cas celle que nous avons vue ces dernières années. Incontestablement, il y a dans son programme des objectifs majeurs qui sont restructurant pour l’Etat mauritanien. Je lui demande de s’ouvrir aux autres opinions, de les écouter, de les contester et de les associer aussi quand elles peuvent l’être afin que nous puissions construire ensemble la Mauritanie. C’est l’un de ses fils, personne n’a le monopole de cette Mauritanie. Il en est le président de la République et, à ce titre, il peut jouer un rôle important.
Propos recueillis par aos/mck
Source: ainrim