Projecteurs
AVOMM : Voulez-vous nous apporter des précisions sur cette nouvelle structure « le Forum.. », quels sont ses moyens de lutte, sa stratégie et ses objectifs ?
Hamdou Sy : Je vous remercie de m’avoir choisi comme invité de votre espace de rencontres et d’échanges au nom très évocateur, « Projecteurs », je vous souhaite plein succès dans le long et difficile chemin du combat pour l’avènement d’une Mauritanie juste, démocratique et solidaire.
S’agissant de la naissance du Forum pour l’Opposition Mauritanienne en Exil (FOME), il convient de saluer le courage et la persévérance de l’ensemble des personnalités des organisations mauritaniennes qui, depuis plus de trois ans, ont œuvré dans le sens de la mise en place d’une telle structure. Le sens élevé de la responsabilité a prévalu sur des considérations personnelles afin de concrétiser la dynamique unitaire pour faire sortir notre pays de la déflagration qui devient de plus en plus imminente.
Les moyens dont nous disposons sont politiques, puisqu’il s’agit de ne pas aller dans le sens de la logique du désespoir imposée par Taya, depuis bientôt vingt ans. Nous pensons qu’il est urgent d’intensifier la sensibilisation de la communauté internationale pour qu’elle cesse de cautionner un régime barbare et sanguinaire qui a confisqué le destin de tout un peuple par une politique de terreur fondée sur le racisme et le tribalisme. Il est important de montrer que le régime de Taya est monstrueux et qu’il est un des rares régimes politiques au monde à appliquer une politique de ségrégation combinée avec le conservatisme rétrograde dont le terreau est constitué par la pratique de l’esclavage et du tribalisme. Nous pensons que si nous arrivons à ouvrir les yeux de la communauté internationale sur l’inhumanité et la cruauté de ce régime par son cynisme inqualifiable, nous aurons franchi un pas décisif. Pour cela, il fallait s’unir sur l’essentiel ; ce qui n’a pas été facile, mais nous avons pu atteindre cet objectif le samedi 02 octobre 2004 à Paris.
Sur le plan intérieur, c’est de donner une impulsion forte à la prise de conscience au niveau de notre peuple de la réalité du danger que représente Ould Taya qui constitue le principal responsable du calvaire de notre pays. La Mauritanie a reculé sur tous les plans avec l’avènement du colonel dictateur. En plus des crimes odieux qu’il a commis, il a instauré une promotion des médiocres, favorisant l’incompétence, le clientélisme et le larbinisme au point que tous nos repères sont brouillés avec comme conséquence la perte des valeurs fondamentales qui furent le socle commun à notre diversité culturelle. C’est pourquoi, la dénonciation de la vacuité éthique et morale doit être un aspect de la conscientisation des masses pour attirer l’attention de nos compatriotes sur le mal qui gangrène la société mauritanienne. Un désarroi profond résultant de ce malaise torture notre peuple. Il est l’ultime conséquence de cette conjonction de l’arrogance et de l’ignorance, fondements de la pratique politique propre à Taya.
Devant l’obscurantisme obstiné de notre dictateur, nos objectifs peuvent se résumer fondamentalement à l’union des forces démocratiques pour mettre fin à la dictature raciste et tribale de Taya afin de créer les conditions de l’instauration d’un Etat de droit, fondement de la démocratie. C’est quand cette condition sera satisfaite que nous pourrons aborder les autres chantiers qui nous attendent. C’est pourquoi, nous appelons tous les Mauritaniens de l’intérieur comme de l’extérieur à intensifier les pressions sur le régime pour précipiter son départ. Nous pensons que la désobéissance civile est une stratégie efficace pour en découdre avec un régime agonisant comme celui de Nouakchott.
AVOMM : Dans une dépêche de l’agence Pana vous prônez « l’apaisement », ce qui laisse supposer que vous choisissez la voie du dialogue avec un régime qui n’a que mépris pour l’opposition et pour l’ensemble des mauritaniens, pouvez-vous être plus clair ?
Hamdou Sy : Je peux vous dire qu’à aucun moment, nous n’avons évoqué le principe du dialogue avec le régime actuel d’autant que nous pensons que Taya, par le mépris qu’il affiche à l’égard des opposants qu’il ne considère pas comme des adversaires respectables, n’est disposé à aucun dialogue démocratique. Il continue à faire une gestion unilatérale du pays avec comme méthode de gouvernance, la terreur, l’arbitraire, l’humiliation et l’emprisonnement. C’est incroyable, nous avons un Président qui n’a aucun respect pour le peuple et ses représentants au sein de l’opposition. Dans ces conditions, quel sens peut avoir un dialogue ? Comment dialoguer avec quelqu’un qui ne vous reconnaît pas ? Le dialogue suppose deux interlocuteurs, avec Taya, l’interlocuteur n’existe pas d’autant qu’il ne parle pas ; tout le monde sait que notre Président ne connaît que la pratique de la négation, de la mise à mort. On ne sort pas d’un entretien avec Taya sans se sentir humilié et frustré. C’est l’opinion de ceux qui ont eu à le connaître ou à le rencontrer. Pour nous, en tant que membres du Forum, il n’est pas à l’ordre du jour de le rencontrer. Je pense que le terme « apaisement » ne me paraît pas judicieux. Nous pensons que seule la lutte politique conduite avec fermeté, détermination, persévérance, cohérence et rigueur est conforme aux aspirations au changement de notre peuple et non un dialogue qui relèverait plus du simulacre et d’un semblant de civisme qui ne rime à rien. Au mutisme criminel et cruel de notre dictateur, nous opposons la radicalité des principes qui ne peut se combiner avec un dialogue qui induit la compromission. Par respect des vertus du dialogue et du devoir de mémoire, nous ne pouvons pas adopter le dialogue comme stratégie face à une dictature aussi féroce.
AVOMM : Ne craignez-vous pas de voir disparaître ce Forum aussi rapidement que les structures qui l’ont précédé, sans avoir pu réaliser vos objectifs ?
Hamdou Sy : Le scepticisme nihiliste qui ronge les mauritaniens devant toute perspective de rassemblement ne manquera pas de s’agiter et de recruter de virulents adeptes de la désunion sans laisser le Forum prendre le temps de s’installer. Mais, nous essayerons de faire preuve de vigilance et de prudence pour déjouer de telles manœuvres et nous focaliser sur l’essentiel afin de faire avancer la cause de la justice et de la démocratie. Car, pour nous, ce qui importe, c’est de mettre fin au calvaire dont souffrent nos populations et non les contradictions entre les différentes sensibilités. Nous avons assez des joutes interminables de certains de nos brillants rhéteurs qui, au moment de sauter préfèrent reculer pour retarder l’échéance. En revanche, la pratique du débat et des discussions contradictoires est d’un apport formateur pour des acteurs politiques ; c’est la source de l’apprentissage de la tolérance, du respect de l’opinion adverse, vertus cardinales de l’esprit démocratique. L’actualité va si vite que nous n’avons plus de temps à perdre, c’est pourquoi, nous ferons tout pour que le Forum soit un instrument efficace pour une lutte juste et démocratique. Notre confiance en ce Forum résulte de la participation laborieuse de la majorité de nos organisations et qui ont signé le texte fondateur de notre structure en élisant un bureau pour représenter le programme qui a été adopté par tous.
AVOMM : Quels types d’actions comptez-vous entreprendre ? Non-violentes ou soutien à une action armée ?
Hamdou Sy : Il est clair que nous prônons l’action politique, celle qui repose sur la sensibilisation la plus large possible, par des conférences, des débats, des rencontres avec les organisations politiques et par des contacts avec la presse et les organisations des droits de l’homme pour attirer l’attention de tout le monde sur la tragédie que vit notre peuple sous un régime peu soucieux de la dignité humaine. Nous allons déjouer l’attitude victimaire que Taya a adoptée pour bénéficier du soutien des Américains en se proclamant à l’avant-garde de la lutte contre le terrorisme, alors que nous savons qu’il n’y a aucune menace terroriste dans notre pays. Nous pensons également que le régime est responsable des tentatives d’insurrection par sa politique irresponsable et catastrophique. C’est pourquoi, sans être pour la violence, nous ne pouvons pas condamner l’action de patriotes mauritaniens qui veulent hâter l’agonie du régime pour nous épargner le chaos destructeur. Après l’épuisement de toutes les stratégies de préservation de la paix civile que Taya n’a jamais prises en considération, il est tout à fait compréhensible que des militaires réagissent avec les mêmes méthodes utilisées par le dictateur pour lui apporter la preuve que non seulement, il n’a pas le monopole des armes, mais qu’il n’est pas également, le seul dépositaire de la violence.
Il est devenu clair qu’il y a deux possibilités pour faire partir Taya, celle de la difficile voie démocratique qui est la nôtre et celle des armes que les militaires ou les mouvements armés ont adoptée. Notre position s’inscrit dans la logique du changement qui procède par l’économie de la violence autant que faire se peut compte tenu des souffrances endurées par notre peuple durant les deux décennies du règne de la violence et de la tyrannie. Mais, Taya a semé la graine de la violence tant et si bien que l’issue violente risque d’être fatale. Il n’empêche que nous pensons que nos militaires peuvent s’inspirer du style de ATT pour sauver la cohésion nationale en freinant la fatalité de la destruction de notre pays qui fut l’option de Taya et de ses alliés de 1986 à aujourd’hui.
C’est pourquoi, nos actions ne seront pas cantonnées à la diaspora mauritanienne. Nous avons des relais intérieurs, car le peuple mauritanien n’a jamais été indifférent au travail de dénonciation mené par les opposants à l’extérieur du pays. C’est d’ailleurs l’existence de cette opposition qui a permis d’alerter l’opinion internationale sur les violations permanentes des droits de l’homme qui constituent le lot quotidien de notre peuple. Jamais, dans notre pays, un Président n’a été aussi destructeur et criminel que Ould Taya. Il y a comme une sorte de revanche et de vengeance qui structure la psychologie de notre dictateur dans son ivresse à éliminer des adversaires supposés qui relèvent de son obsession sécuritaire démesuré.
AVOMM : Avez-vous le soutien nécessaire à l’intérieur du pays ou alors vos actions seraient-elles simplement limitées à la diaspora ?
Hamdou Sy : L’opposition intérieure ne cesse de multiplier des initiatives dans ce sens et il faut remarquer que les formations politiques qui sont membres du Forum sont en accord avec leurs responsables politiques qui sont à Nouakchott. C’est pourquoi, la coordination que nous assumons est en adéquation avec les aspirations de nos compatriotes qui ont moins de marges de liberté que nous. Que peut-on faire à Nouakchott, quand on sait que l’armée, la police et la gendarmerie n’existent que par rapport à la sécurité du régime ? Taya a transformé toutes nos forces nationales en garde prétorienne ; elles ont ainsi perdu leur mission institutionnelle pour être au service d’un dictateur. Nous bénéficions du soutien de tous les acteurs et partenaires du changement qui est devenu un impératif pour la survie de notre pays qui est gravement menacé par le despote en place. Si, nous ne conjuguons pas nos efforts, la dérive qui persiste nous conduira vers une tragédie irréversible.
AVOMM : Si l’on devait procéder par ordre de priorité, où se situeraient pour le Forum en tant que structure politique, les grands défis que sont la question nationale, les réfugiés et l’esclavage ?
Hamdou Sy : Pour le Forum, la question nationale et l’esclavage constituent des priorités majeures qui doivent être prises en charge simultanément. Parce que le combat pour la justice, l’égalité citoyenne n’est pas divisible. L’avènement d’une Mauritanie démocratique exige une transformation des mentalités en conformité avec les valeurs universelles de considération de l’égal droit à la dignité humaine et à l’estime de soi dans le respect de l’autre. Cette exigence de simultanéité dans notre action est consignée dans le document fondateur de notre structure.
Si, la question nationale est essentiellement politique, l’esclavage est à la fois politique et social, car aucun gouvernement n’a eu le courage de briser la structure sociale féodale et esclavagiste qui a façonné la société mauritanienne. Donc, ces deux questions ont une même racine et il faut détruire le mal à sa source pour voir s’effondrer ses conséquences. La solution de ces deux problèmes majeurs est politique. D’où l’impérieuse nécessité de rassembler toutes les forces politiques pour un changement démocratique. C’est pourquoi, nous refusons la hiérarchisation, parce qu’elle peut générer des malentendus qui ne font que servir le régime qui a constamment divisé les composantes de la communauté nationale. Si, le régime de Taya a pu organisé la politique de l’épuration ethnique dans l’indifférence de l’autre composante de la communauté nationale, c’est parce qu’il a pu instauré la division en érigeant des barrières psychologiques et idéologiques efficaces entre les mauritaniens en manipulant la diversité raciale, linguistique et culturelle.
En ce qui concerne les réfugiés, le jour où la Mauritanie sera débarrassée de la dictature, cette question trouvera sa solution, puisque le droit au retour est l’une de nos préoccupations fondamentales. Il n’y a rien de plus terrible que de vivre dans l’interdiction de retourner en sécurité dans son propre pays. C’est la dramatique condition de la plupart d’entre nous. Il suffit d’émettre une opinion un tant soit peu critique pour en répondre de sa vie devant la cynique police politique. Le droit au retour est un droit fondamental. Car, s’il n’y a plus de retour, on n’est plus en voyage et nous savons qu’un voyage sans retour, c’est la mort. Quelque chose n’est plus vivant en nous en tant qu’exilé quelles que soient par ailleurs les conditions d’accueil qui nous sont réservées. Comme le dit l’adage « on ne se sent mieux que chez soi ». Comme l’écrit aussi Edward W. Saïd : « L’exil est l’un des plus tristes destins. » Telle est la dure condition des réfugiés et c’est celle de bon nombre de mauritaniens arrachés à leur terroir, coupés de leur milieu social, familial, loin de leurs amis et de leurs camarades d’enfance. L’exil est une forme de mutilation et de suspension du rapport vivant avec l’ambiance sociale et culturelle de son pays.
AVOMM : Quels rapports souhaitez-vous entretenir avec les partis politiques mauritaniens ?
Hamdou Sy : Les partis politiques mauritaniens sont concernés et impliqués notamment le Front populaire, le PLEJ et l’AJD par la présence de leurs représentants en France qui ont participé activement au processus qui a abouti à la mise en place du FOME. Donc, nous pensons que nos camarades sont en phase avec ce qui se fait comme continuation du combat de l’opposition radicale en Mauritanie. Les formations politiques citées constituent ce que nous appelons l’opposition radicale à l’intérieur du pays, celle qui incarne le programme originel de l’opposition née dans les années 91. Cette opposition là n’a jamais démérité et persévère dans son attachement à l’exigence de justice et de démocratie. Nous sommes en relation avec les partis qui incarnent le légitime et digne combat oppositionnel au sein de l’espace national.
AVOMM : Après l’épuration ethnique et l’épuration tribale le colonel semble décidé à écraser tous les symboles et les repères religieux de notre pays, d’où les arrestations des responsables de la mouvance islamiste modérée. Quelle lecture faites-vous de cette nouvelle vague de répression ?
Hamdou Sy : La répression actuelle est la continuation de la logique de la dictature dont le principe a été posé avec l’épuration sanglante et féroce qui a frappé la communauté négro-africaine rendue possible par un consensus mou voire complice ne serait-ce que passivement par le groupe dominant constituant à tort ou à raison la base communautaire du colonel dictateur. Comme, on a laissé faire sans aucune forme de résistance, car, les victimes surprises, défaites et agenouillées auraient bien voulu voir au moins une tribu de l’autre composante nationale non exclue refuser cette logique génocidaire sans précédent dans notre pays. Vous savez ce qu’on ne reconnaît pas assez, c’est comment à l’époque de la terreur, le silence était de mise devant l’extermination de compatriotes membres à part entière de la communauté nationale et solidaires du destin de leur patrie à travers toutes les péripéties de son histoire. Partant de cette expérience, Taya a compris qu’il peut abattre, qui, il veut et quand il le désire pour préserver son pouvoir en pratiquant la stratégie de la terreur. Etant donné que les marabouts n’ont pas levé le petit doigt pour les besoins de sa cause, ils les emprisonnent pour prouver aux Américains qui le soutiennent qu’il est le seul dépositaire de la puissance en Mauritanie, qu’il est dans la mouvance du progrès contre l’obscurantisme religieux.
Il est évident que tout le monde sait que Taya est un instigateur hors catégorie et un manipulateur hors pair. Dès lors, il peut banaliser les repères sacrés constitutifs de l’identité mauritanienne, qu’il a défiés lors des événements de 1989, en ordonnant des musulmans en plein mois de Ramadan de tuer sauvagement leurs compatriotes musulmans comme eux. Les Sénégalais et les Mauritaniens tués dans ce mois sacré observaient le jeûne du Ramadan. La leçon qu’il en a tirée, c’est le primat de l’idéologie sur le religieux. Je pense que Taya est le principal responsable de cette tragédie, mais il ne vit pas dans un désert, il dirige un peuple qui n’a pas su ou osé désavoué à temps sa politique et qui n’a pas dit non en imposant des limites à cette barbarie indigne et avilissante.
De même que les victimes sont devenues les militants zélés de sa politique. Il y a lieu de faire une analyse en profondeur des sources de ce défaitisme qui fait qu’à tour de rôle, les mauritaniens sont entrain de subir les affres d’une politique de l’avilissement et de l’humiliation. Taya a osé défier les Oulémas et les convictions fortes du peuple mauritanien sans qu’aucune résistance ne s’organise. J’ai toujours pensé que les tribus guerrières n’auraient jamais accepté de subir l’humiliation vécue par les négro-africains, il semble que devant Taya, la résignation et la génuflexion s’impose. C’est un phénomène terriblement fascinant que ce bout d’homme qui a discipliné les nomades les plus récalcitrants !
Avec Taya, nous assistons au nihilisme de la férocité, au culte du néant et à la destruction du patrimoine national constitué de notre identité plurielle. Il a prouvé par ses gestes négationnistes l’horreur des archives et de la vraie histoire de notre pays. Il a fait disparaître tous nos symboles, bouleversé notre système éducatif, en imposant des réformes absurdes et insensées auxquelles, il ne croit pas. Il n’a aucun projet, sinon défaire la Mauritanie. Que voulez-vous quand on a les cadres, les intellectuels, les militaires et le peuple que nous avons, un dictateur comme Taya avait bien compris qu’il pouvait faire ce qu’il voulait dans ce pays, surtout en mal. Il reste à savoir que ferons-nous de cet héritage nocif, néfaste et catastrophique. Quel sera l’avenir de la Mauritanie après cette falsification meurtrière de l’histoire. Un monstre a gouverné le pays et comment éviter que des diables ne prennent la relève ? Nous savons que les partisans de la haine existent encore même s’ils n’ont plus l’initiative, ils continuent de rôder en changeant de veste afin de faire peau neuve, alors que leur soubassement idéologique demeure le même. La crise est abyssale quand on accepte de s’interroger sérieusement.
AVOMM : Pensez-vous que la politique du tout sécuritaire menée de main de fer par le dictateur Ould Taya qui a abouti à l’arrestation de Hanana et de ses amis peut avoir un effet de dissuasion particulièrement sur l’opposition interne ?
Hamdou Sy : Je pense que les mauritaniens ne se sentent plus intimidés par les arrestations qui, malgré la façon humiliante et violente dont elles sont menées se sont banalisées. Cela fait plus de dix huit ans que le régime procède à des arrestations arbitraires quotidiennes au point que les forces de répression sont épuisées. Il y a vraiment eu épuisement de la machine de répression qui est devenue usée et infernale pour les agents serviteurs. Le problème, c’est le blocage impressionnant par le dispositif sécuritaire dès que l’opposition veut organiser une manifestation. L’opposition interne est disposée à entamer des actions, mais elle est physiquement entravée. De ce point de vue les verrous psychologiques de la peur ont sauté et c’est Taya qui tremble de peur et fait feu de tout bois parce qu’il sait que les jours de son régime sont comptés. Comment, quand ? Mais la fin de règne est proche. Les opposants mauritaniens ont du mérite, parce qu’ils résistent à toutes les menaces, pressions et humiliations. Taya est un homme aux méthodes impitoyables. Au contraire, les arrestations qu’il vient d’opérer le décrédibilisent et renforcent les convictions de l’opposition dans sa détermination à continuer la résistance. Je pense que nous sommes dans une lutte de libération nationale, car ce despote est un adversaire redoutable. Cela dit, ces officiers ont eu le mérite de défier le méchant et criminel colonel dictateur, ils lui ont fait sérieusement trembler, depuis le 08 juin 2003, il a réellement des soucis. Il a été profondément ébranlé et son régime secoué. En ce sens ces braves officiers ont redonné l’espoir à un peuple qui se morfondait dans la honteuse passivité. C’est un défi qui a mis à mal l’arrogance d’un homme obnubilé par la volonté de faire mal en s’entourant d’une garde prétorienne qui est composée de véritables fanfarons.
AVOMM : Les principaux instigateurs du coup d’Etat qui a failli emporter le stalinien Ould Taya sont aujourd’hui derrière les barreaux est-ce à vos yeux un atout ou au contraire un fardeau pour le tyran de Nouakchott ?
Hamdou Sy : Je pense que Taya a pratiqué une véritable politique de la mesquinerie prouvant qu’il est foncièrement mauvais et ceux qui le connaissent le disent secrètement. N’eût été la démagogie, on n’en serait pas là avec cet homme qui a trompé tous ses compagnons. Il n’est pas stalinien, parce que les staliniens ont certes fait mal, mais ils croyaient en quelque chose et ils ne faisaient pas le mal pour le mal. Or, Taya fait mal de façon aveugle et gratuite.
Il me semble que nos braves prisonniers sont plus un fardeau qu’un atout. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu un précédent et on connaît la suite. Aujourd’hui, il y a des choses qui ne sont plus possibles. Taya connaît très bien la puissance de la tribu et nos prisonniers appartiennent à des tribus particulières qui sont des forces réelles dans notre pays. Tant mieux, quand il s’agit de préserver la vie et de sauvegarder la dignité et l’honneur. En outre l’histoire récente est encore très présente, la mémoire veille. Parce que Taya ne se soucie guère des droits humains, c’est un faux problème pour lui. Je dirai vigilance, sinon, il est capable de faire le pire qui constitue le pilier de sa façon de gouverner. Il a toujours opté pour la démonstration par l’horreur, c'est-à-dire par la mise à mort. Nous verrons jusqu’où il peut aller avec son cynisme et sa cécité légendaires. J’ose espérer que la méthode des exécutions sommaires a vécu ; c’est pourquoi, il joue sur ce plan les derniers moments de son sinistre règne, le moins glorieux et le plus sanguinaire de tous les régimes qui ont dirigé notre pays. Le règne de Taya, quel désastre ! C’est pourquoi, il est important que l’honneur de la tribu résiste contre la cruauté du tribalisme. Sur ce terrain, les forces politiques et les organisations des droits de l’homme ne peuvent pas dissuader le dictateur en délire.
AVOMM : Que vous inspire l’initiative d’aide et de parrainage de l’AVOMM en faveur des orphelins, des veuves et des réfugiés ?
Hamdou Sy : Cette initiative m’inspire le respect et la considération pour les initiateurs de ce projet qui reflète la prise en compte du devoir de mémoire par des actions concrètes. Il était temps de mettre au cœur de nos préoccupations la solidarité avec les enfants et les veuves des hommes tués arbitrairement par un régime barbare et sanguinaire. L’éthique de la responsabilité a motivé cette initiative empreinte de générosité et d’humanisme. C’est tout le mérite de la nouvelle direction de l’AVOMM dont le Président est plein de volonté et de détermination pour faire vivre l’esprit de partage et de solidarité au service de la justice et de la démocratie. Le parrainage est une forme de résistance contre les fossoyeurs et les partisans de l’oubli des morts. C’est contre l’ensevelissement des morts que l’AVOMM entend inscrire sa nouvelle dynamique de construction d’une Mauritanie qui converge vers une société réconciliée avec elle-même. C’est là donc, une traduction effective d’une volonté de faire qui se nourrit de gestes concrets et justes. C’est dire que je soutiens sans réserve cette noble initiative.
AVOMM : une dernière question, si vous devez vous adressez aux orphelins, aux veuves de nos martyrs et aux milliers de réfugiés mauritaniens, que leur diriez-vous ?
Hamdou Sy : Il est difficile de réaliser le calvaire que vivent les enfants et les veuves de nos martyrs d’autant qu’ils ont été sauvagement arrachés à la vie. C’est pourquoi, il est impossible de pardonner aux responsables de ces exactions. Ils doivent être jugés et condamnés. Aucune amnistie n’est possible pour ces bourreaux. Taya et ses alliés ont commis des crimes abominables. Les officiers, les soldats, les cadres civils et les simples citoyens assassinés dans des conditions atroces hantent nos mémoires d’autant que la négation de ces faits est toujours véhiculée par le discours officiel. Je leur dirai que la seule façon d’honorer la mémoire de ces martyrs, c’est de combattre et de résister contre le régime fasciste et inhumain de notre dictateur sanguinaire. Il y a un impératif de mémoire, une nécessaire implication dans l’action politique oppositionnelle et un refus d’oublier. Ne jamais oublier les morts victimes de l’injustice et de l’arbitraire. Un fardeau pèse sur eux, c’est celui de reconquérir la dignité bafouée et l’honneur offensé. Le respect de la mémoire de leurs pères et de leurs époux exige d’eux une responsabilité militante pour l’avènement d’une justice qui rétablira la vérité et jugera les coupables qui sont aujourd’hui honorés. Qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls, encore moins abandonnés comme le pouvoir veut nous le faire croire par son indifférence éloquente et coupable.
Aux réfugiés mauritaniens, je dirai que leur devoir est de s’inscrire dans la dynamique du combat qui passe par la participation aux manifestations, aux rencontres et à militer dans les organisations ou les associations, à s’acquitter de leurs participations financières. Il est incompréhensible de constater que bon nombre de mauritaniens ne se soucient plus de la situation qui prévaut au pays et qui est pourtant la cause de leur exil. Il y a une nécessité de mobilisation pour sortir de cette léthargie incroyable. L’exil n’est ni une position confortable, ni une situation enviable. La présence de nos compatriotes sur le terrain de la lutte est indispensable pour ne pas trahir notre cause. Rien ne justifie notre bannissement et notre exclusion. C’est une exigence morale et humaniste qui doit animer chacun d’entre nous pour participer à l’œuvre la plus importante, celle de la libération de notre pays de ce colonel, dictateur cynique et cruel. La passivité est une forme de complicité et la loi punit le silence complice. C’est pourquoi, nous pensons que la parole est un acte authentique quand elle se fait médium de la dénonciation et de la résistance contre l’oppression et la dictature. En ce sens elle est bien une arme de combat. Il nous faut cultiver la fidélité constante au refus de l’injustice qui confisque le destin de notre pays et de veiller constamment à la cohésion nationale dans le souci de l’équité pour l’avènement d’une Mauritanie juste, libre et démocratique.
Je vous remercie encore une fois de votre invitation.
AVOMM : Voulez-vous nous apporter des précisions sur cette nouvelle structure « le Forum.. », quels sont ses moyens de lutte, sa stratégie et ses objectifs ?
Hamdou Sy : Je vous remercie de m’avoir choisi comme invité de votre espace de rencontres et d’échanges au nom très évocateur, « Projecteurs », je vous souhaite plein succès dans le long et difficile chemin du combat pour l’avènement d’une Mauritanie juste, démocratique et solidaire.
S’agissant de la naissance du Forum pour l’Opposition Mauritanienne en Exil (FOME), il convient de saluer le courage et la persévérance de l’ensemble des personnalités des organisations mauritaniennes qui, depuis plus de trois ans, ont œuvré dans le sens de la mise en place d’une telle structure. Le sens élevé de la responsabilité a prévalu sur des considérations personnelles afin de concrétiser la dynamique unitaire pour faire sortir notre pays de la déflagration qui devient de plus en plus imminente.
Les moyens dont nous disposons sont politiques, puisqu’il s’agit de ne pas aller dans le sens de la logique du désespoir imposée par Taya, depuis bientôt vingt ans. Nous pensons qu’il est urgent d’intensifier la sensibilisation de la communauté internationale pour qu’elle cesse de cautionner un régime barbare et sanguinaire qui a confisqué le destin de tout un peuple par une politique de terreur fondée sur le racisme et le tribalisme. Il est important de montrer que le régime de Taya est monstrueux et qu’il est un des rares régimes politiques au monde à appliquer une politique de ségrégation combinée avec le conservatisme rétrograde dont le terreau est constitué par la pratique de l’esclavage et du tribalisme. Nous pensons que si nous arrivons à ouvrir les yeux de la communauté internationale sur l’inhumanité et la cruauté de ce régime par son cynisme inqualifiable, nous aurons franchi un pas décisif. Pour cela, il fallait s’unir sur l’essentiel ; ce qui n’a pas été facile, mais nous avons pu atteindre cet objectif le samedi 02 octobre 2004 à Paris.
Sur le plan intérieur, c’est de donner une impulsion forte à la prise de conscience au niveau de notre peuple de la réalité du danger que représente Ould Taya qui constitue le principal responsable du calvaire de notre pays. La Mauritanie a reculé sur tous les plans avec l’avènement du colonel dictateur. En plus des crimes odieux qu’il a commis, il a instauré une promotion des médiocres, favorisant l’incompétence, le clientélisme et le larbinisme au point que tous nos repères sont brouillés avec comme conséquence la perte des valeurs fondamentales qui furent le socle commun à notre diversité culturelle. C’est pourquoi, la dénonciation de la vacuité éthique et morale doit être un aspect de la conscientisation des masses pour attirer l’attention de nos compatriotes sur le mal qui gangrène la société mauritanienne. Un désarroi profond résultant de ce malaise torture notre peuple. Il est l’ultime conséquence de cette conjonction de l’arrogance et de l’ignorance, fondements de la pratique politique propre à Taya.
Devant l’obscurantisme obstiné de notre dictateur, nos objectifs peuvent se résumer fondamentalement à l’union des forces démocratiques pour mettre fin à la dictature raciste et tribale de Taya afin de créer les conditions de l’instauration d’un Etat de droit, fondement de la démocratie. C’est quand cette condition sera satisfaite que nous pourrons aborder les autres chantiers qui nous attendent. C’est pourquoi, nous appelons tous les Mauritaniens de l’intérieur comme de l’extérieur à intensifier les pressions sur le régime pour précipiter son départ. Nous pensons que la désobéissance civile est une stratégie efficace pour en découdre avec un régime agonisant comme celui de Nouakchott.
AVOMM : Dans une dépêche de l’agence Pana vous prônez « l’apaisement », ce qui laisse supposer que vous choisissez la voie du dialogue avec un régime qui n’a que mépris pour l’opposition et pour l’ensemble des mauritaniens, pouvez-vous être plus clair ?
Hamdou Sy : Je peux vous dire qu’à aucun moment, nous n’avons évoqué le principe du dialogue avec le régime actuel d’autant que nous pensons que Taya, par le mépris qu’il affiche à l’égard des opposants qu’il ne considère pas comme des adversaires respectables, n’est disposé à aucun dialogue démocratique. Il continue à faire une gestion unilatérale du pays avec comme méthode de gouvernance, la terreur, l’arbitraire, l’humiliation et l’emprisonnement. C’est incroyable, nous avons un Président qui n’a aucun respect pour le peuple et ses représentants au sein de l’opposition. Dans ces conditions, quel sens peut avoir un dialogue ? Comment dialoguer avec quelqu’un qui ne vous reconnaît pas ? Le dialogue suppose deux interlocuteurs, avec Taya, l’interlocuteur n’existe pas d’autant qu’il ne parle pas ; tout le monde sait que notre Président ne connaît que la pratique de la négation, de la mise à mort. On ne sort pas d’un entretien avec Taya sans se sentir humilié et frustré. C’est l’opinion de ceux qui ont eu à le connaître ou à le rencontrer. Pour nous, en tant que membres du Forum, il n’est pas à l’ordre du jour de le rencontrer. Je pense que le terme « apaisement » ne me paraît pas judicieux. Nous pensons que seule la lutte politique conduite avec fermeté, détermination, persévérance, cohérence et rigueur est conforme aux aspirations au changement de notre peuple et non un dialogue qui relèverait plus du simulacre et d’un semblant de civisme qui ne rime à rien. Au mutisme criminel et cruel de notre dictateur, nous opposons la radicalité des principes qui ne peut se combiner avec un dialogue qui induit la compromission. Par respect des vertus du dialogue et du devoir de mémoire, nous ne pouvons pas adopter le dialogue comme stratégie face à une dictature aussi féroce.
AVOMM : Ne craignez-vous pas de voir disparaître ce Forum aussi rapidement que les structures qui l’ont précédé, sans avoir pu réaliser vos objectifs ?
Hamdou Sy : Le scepticisme nihiliste qui ronge les mauritaniens devant toute perspective de rassemblement ne manquera pas de s’agiter et de recruter de virulents adeptes de la désunion sans laisser le Forum prendre le temps de s’installer. Mais, nous essayerons de faire preuve de vigilance et de prudence pour déjouer de telles manœuvres et nous focaliser sur l’essentiel afin de faire avancer la cause de la justice et de la démocratie. Car, pour nous, ce qui importe, c’est de mettre fin au calvaire dont souffrent nos populations et non les contradictions entre les différentes sensibilités. Nous avons assez des joutes interminables de certains de nos brillants rhéteurs qui, au moment de sauter préfèrent reculer pour retarder l’échéance. En revanche, la pratique du débat et des discussions contradictoires est d’un apport formateur pour des acteurs politiques ; c’est la source de l’apprentissage de la tolérance, du respect de l’opinion adverse, vertus cardinales de l’esprit démocratique. L’actualité va si vite que nous n’avons plus de temps à perdre, c’est pourquoi, nous ferons tout pour que le Forum soit un instrument efficace pour une lutte juste et démocratique. Notre confiance en ce Forum résulte de la participation laborieuse de la majorité de nos organisations et qui ont signé le texte fondateur de notre structure en élisant un bureau pour représenter le programme qui a été adopté par tous.
AVOMM : Quels types d’actions comptez-vous entreprendre ? Non-violentes ou soutien à une action armée ?
Hamdou Sy : Il est clair que nous prônons l’action politique, celle qui repose sur la sensibilisation la plus large possible, par des conférences, des débats, des rencontres avec les organisations politiques et par des contacts avec la presse et les organisations des droits de l’homme pour attirer l’attention de tout le monde sur la tragédie que vit notre peuple sous un régime peu soucieux de la dignité humaine. Nous allons déjouer l’attitude victimaire que Taya a adoptée pour bénéficier du soutien des Américains en se proclamant à l’avant-garde de la lutte contre le terrorisme, alors que nous savons qu’il n’y a aucune menace terroriste dans notre pays. Nous pensons également que le régime est responsable des tentatives d’insurrection par sa politique irresponsable et catastrophique. C’est pourquoi, sans être pour la violence, nous ne pouvons pas condamner l’action de patriotes mauritaniens qui veulent hâter l’agonie du régime pour nous épargner le chaos destructeur. Après l’épuisement de toutes les stratégies de préservation de la paix civile que Taya n’a jamais prises en considération, il est tout à fait compréhensible que des militaires réagissent avec les mêmes méthodes utilisées par le dictateur pour lui apporter la preuve que non seulement, il n’a pas le monopole des armes, mais qu’il n’est pas également, le seul dépositaire de la violence.
Il est devenu clair qu’il y a deux possibilités pour faire partir Taya, celle de la difficile voie démocratique qui est la nôtre et celle des armes que les militaires ou les mouvements armés ont adoptée. Notre position s’inscrit dans la logique du changement qui procède par l’économie de la violence autant que faire se peut compte tenu des souffrances endurées par notre peuple durant les deux décennies du règne de la violence et de la tyrannie. Mais, Taya a semé la graine de la violence tant et si bien que l’issue violente risque d’être fatale. Il n’empêche que nous pensons que nos militaires peuvent s’inspirer du style de ATT pour sauver la cohésion nationale en freinant la fatalité de la destruction de notre pays qui fut l’option de Taya et de ses alliés de 1986 à aujourd’hui.
C’est pourquoi, nos actions ne seront pas cantonnées à la diaspora mauritanienne. Nous avons des relais intérieurs, car le peuple mauritanien n’a jamais été indifférent au travail de dénonciation mené par les opposants à l’extérieur du pays. C’est d’ailleurs l’existence de cette opposition qui a permis d’alerter l’opinion internationale sur les violations permanentes des droits de l’homme qui constituent le lot quotidien de notre peuple. Jamais, dans notre pays, un Président n’a été aussi destructeur et criminel que Ould Taya. Il y a comme une sorte de revanche et de vengeance qui structure la psychologie de notre dictateur dans son ivresse à éliminer des adversaires supposés qui relèvent de son obsession sécuritaire démesuré.
AVOMM : Avez-vous le soutien nécessaire à l’intérieur du pays ou alors vos actions seraient-elles simplement limitées à la diaspora ?
Hamdou Sy : L’opposition intérieure ne cesse de multiplier des initiatives dans ce sens et il faut remarquer que les formations politiques qui sont membres du Forum sont en accord avec leurs responsables politiques qui sont à Nouakchott. C’est pourquoi, la coordination que nous assumons est en adéquation avec les aspirations de nos compatriotes qui ont moins de marges de liberté que nous. Que peut-on faire à Nouakchott, quand on sait que l’armée, la police et la gendarmerie n’existent que par rapport à la sécurité du régime ? Taya a transformé toutes nos forces nationales en garde prétorienne ; elles ont ainsi perdu leur mission institutionnelle pour être au service d’un dictateur. Nous bénéficions du soutien de tous les acteurs et partenaires du changement qui est devenu un impératif pour la survie de notre pays qui est gravement menacé par le despote en place. Si, nous ne conjuguons pas nos efforts, la dérive qui persiste nous conduira vers une tragédie irréversible.
AVOMM : Si l’on devait procéder par ordre de priorité, où se situeraient pour le Forum en tant que structure politique, les grands défis que sont la question nationale, les réfugiés et l’esclavage ?
Hamdou Sy : Pour le Forum, la question nationale et l’esclavage constituent des priorités majeures qui doivent être prises en charge simultanément. Parce que le combat pour la justice, l’égalité citoyenne n’est pas divisible. L’avènement d’une Mauritanie démocratique exige une transformation des mentalités en conformité avec les valeurs universelles de considération de l’égal droit à la dignité humaine et à l’estime de soi dans le respect de l’autre. Cette exigence de simultanéité dans notre action est consignée dans le document fondateur de notre structure.
Si, la question nationale est essentiellement politique, l’esclavage est à la fois politique et social, car aucun gouvernement n’a eu le courage de briser la structure sociale féodale et esclavagiste qui a façonné la société mauritanienne. Donc, ces deux questions ont une même racine et il faut détruire le mal à sa source pour voir s’effondrer ses conséquences. La solution de ces deux problèmes majeurs est politique. D’où l’impérieuse nécessité de rassembler toutes les forces politiques pour un changement démocratique. C’est pourquoi, nous refusons la hiérarchisation, parce qu’elle peut générer des malentendus qui ne font que servir le régime qui a constamment divisé les composantes de la communauté nationale. Si, le régime de Taya a pu organisé la politique de l’épuration ethnique dans l’indifférence de l’autre composante de la communauté nationale, c’est parce qu’il a pu instauré la division en érigeant des barrières psychologiques et idéologiques efficaces entre les mauritaniens en manipulant la diversité raciale, linguistique et culturelle.
En ce qui concerne les réfugiés, le jour où la Mauritanie sera débarrassée de la dictature, cette question trouvera sa solution, puisque le droit au retour est l’une de nos préoccupations fondamentales. Il n’y a rien de plus terrible que de vivre dans l’interdiction de retourner en sécurité dans son propre pays. C’est la dramatique condition de la plupart d’entre nous. Il suffit d’émettre une opinion un tant soit peu critique pour en répondre de sa vie devant la cynique police politique. Le droit au retour est un droit fondamental. Car, s’il n’y a plus de retour, on n’est plus en voyage et nous savons qu’un voyage sans retour, c’est la mort. Quelque chose n’est plus vivant en nous en tant qu’exilé quelles que soient par ailleurs les conditions d’accueil qui nous sont réservées. Comme le dit l’adage « on ne se sent mieux que chez soi ». Comme l’écrit aussi Edward W. Saïd : « L’exil est l’un des plus tristes destins. » Telle est la dure condition des réfugiés et c’est celle de bon nombre de mauritaniens arrachés à leur terroir, coupés de leur milieu social, familial, loin de leurs amis et de leurs camarades d’enfance. L’exil est une forme de mutilation et de suspension du rapport vivant avec l’ambiance sociale et culturelle de son pays.
AVOMM : Quels rapports souhaitez-vous entretenir avec les partis politiques mauritaniens ?
Hamdou Sy : Les partis politiques mauritaniens sont concernés et impliqués notamment le Front populaire, le PLEJ et l’AJD par la présence de leurs représentants en France qui ont participé activement au processus qui a abouti à la mise en place du FOME. Donc, nous pensons que nos camarades sont en phase avec ce qui se fait comme continuation du combat de l’opposition radicale en Mauritanie. Les formations politiques citées constituent ce que nous appelons l’opposition radicale à l’intérieur du pays, celle qui incarne le programme originel de l’opposition née dans les années 91. Cette opposition là n’a jamais démérité et persévère dans son attachement à l’exigence de justice et de démocratie. Nous sommes en relation avec les partis qui incarnent le légitime et digne combat oppositionnel au sein de l’espace national.
AVOMM : Après l’épuration ethnique et l’épuration tribale le colonel semble décidé à écraser tous les symboles et les repères religieux de notre pays, d’où les arrestations des responsables de la mouvance islamiste modérée. Quelle lecture faites-vous de cette nouvelle vague de répression ?
Hamdou Sy : La répression actuelle est la continuation de la logique de la dictature dont le principe a été posé avec l’épuration sanglante et féroce qui a frappé la communauté négro-africaine rendue possible par un consensus mou voire complice ne serait-ce que passivement par le groupe dominant constituant à tort ou à raison la base communautaire du colonel dictateur. Comme, on a laissé faire sans aucune forme de résistance, car, les victimes surprises, défaites et agenouillées auraient bien voulu voir au moins une tribu de l’autre composante nationale non exclue refuser cette logique génocidaire sans précédent dans notre pays. Vous savez ce qu’on ne reconnaît pas assez, c’est comment à l’époque de la terreur, le silence était de mise devant l’extermination de compatriotes membres à part entière de la communauté nationale et solidaires du destin de leur patrie à travers toutes les péripéties de son histoire. Partant de cette expérience, Taya a compris qu’il peut abattre, qui, il veut et quand il le désire pour préserver son pouvoir en pratiquant la stratégie de la terreur. Etant donné que les marabouts n’ont pas levé le petit doigt pour les besoins de sa cause, ils les emprisonnent pour prouver aux Américains qui le soutiennent qu’il est le seul dépositaire de la puissance en Mauritanie, qu’il est dans la mouvance du progrès contre l’obscurantisme religieux.
Il est évident que tout le monde sait que Taya est un instigateur hors catégorie et un manipulateur hors pair. Dès lors, il peut banaliser les repères sacrés constitutifs de l’identité mauritanienne, qu’il a défiés lors des événements de 1989, en ordonnant des musulmans en plein mois de Ramadan de tuer sauvagement leurs compatriotes musulmans comme eux. Les Sénégalais et les Mauritaniens tués dans ce mois sacré observaient le jeûne du Ramadan. La leçon qu’il en a tirée, c’est le primat de l’idéologie sur le religieux. Je pense que Taya est le principal responsable de cette tragédie, mais il ne vit pas dans un désert, il dirige un peuple qui n’a pas su ou osé désavoué à temps sa politique et qui n’a pas dit non en imposant des limites à cette barbarie indigne et avilissante.
De même que les victimes sont devenues les militants zélés de sa politique. Il y a lieu de faire une analyse en profondeur des sources de ce défaitisme qui fait qu’à tour de rôle, les mauritaniens sont entrain de subir les affres d’une politique de l’avilissement et de l’humiliation. Taya a osé défier les Oulémas et les convictions fortes du peuple mauritanien sans qu’aucune résistance ne s’organise. J’ai toujours pensé que les tribus guerrières n’auraient jamais accepté de subir l’humiliation vécue par les négro-africains, il semble que devant Taya, la résignation et la génuflexion s’impose. C’est un phénomène terriblement fascinant que ce bout d’homme qui a discipliné les nomades les plus récalcitrants !
Avec Taya, nous assistons au nihilisme de la férocité, au culte du néant et à la destruction du patrimoine national constitué de notre identité plurielle. Il a prouvé par ses gestes négationnistes l’horreur des archives et de la vraie histoire de notre pays. Il a fait disparaître tous nos symboles, bouleversé notre système éducatif, en imposant des réformes absurdes et insensées auxquelles, il ne croit pas. Il n’a aucun projet, sinon défaire la Mauritanie. Que voulez-vous quand on a les cadres, les intellectuels, les militaires et le peuple que nous avons, un dictateur comme Taya avait bien compris qu’il pouvait faire ce qu’il voulait dans ce pays, surtout en mal. Il reste à savoir que ferons-nous de cet héritage nocif, néfaste et catastrophique. Quel sera l’avenir de la Mauritanie après cette falsification meurtrière de l’histoire. Un monstre a gouverné le pays et comment éviter que des diables ne prennent la relève ? Nous savons que les partisans de la haine existent encore même s’ils n’ont plus l’initiative, ils continuent de rôder en changeant de veste afin de faire peau neuve, alors que leur soubassement idéologique demeure le même. La crise est abyssale quand on accepte de s’interroger sérieusement.
AVOMM : Pensez-vous que la politique du tout sécuritaire menée de main de fer par le dictateur Ould Taya qui a abouti à l’arrestation de Hanana et de ses amis peut avoir un effet de dissuasion particulièrement sur l’opposition interne ?
Hamdou Sy : Je pense que les mauritaniens ne se sentent plus intimidés par les arrestations qui, malgré la façon humiliante et violente dont elles sont menées se sont banalisées. Cela fait plus de dix huit ans que le régime procède à des arrestations arbitraires quotidiennes au point que les forces de répression sont épuisées. Il y a vraiment eu épuisement de la machine de répression qui est devenue usée et infernale pour les agents serviteurs. Le problème, c’est le blocage impressionnant par le dispositif sécuritaire dès que l’opposition veut organiser une manifestation. L’opposition interne est disposée à entamer des actions, mais elle est physiquement entravée. De ce point de vue les verrous psychologiques de la peur ont sauté et c’est Taya qui tremble de peur et fait feu de tout bois parce qu’il sait que les jours de son régime sont comptés. Comment, quand ? Mais la fin de règne est proche. Les opposants mauritaniens ont du mérite, parce qu’ils résistent à toutes les menaces, pressions et humiliations. Taya est un homme aux méthodes impitoyables. Au contraire, les arrestations qu’il vient d’opérer le décrédibilisent et renforcent les convictions de l’opposition dans sa détermination à continuer la résistance. Je pense que nous sommes dans une lutte de libération nationale, car ce despote est un adversaire redoutable. Cela dit, ces officiers ont eu le mérite de défier le méchant et criminel colonel dictateur, ils lui ont fait sérieusement trembler, depuis le 08 juin 2003, il a réellement des soucis. Il a été profondément ébranlé et son régime secoué. En ce sens ces braves officiers ont redonné l’espoir à un peuple qui se morfondait dans la honteuse passivité. C’est un défi qui a mis à mal l’arrogance d’un homme obnubilé par la volonté de faire mal en s’entourant d’une garde prétorienne qui est composée de véritables fanfarons.
AVOMM : Les principaux instigateurs du coup d’Etat qui a failli emporter le stalinien Ould Taya sont aujourd’hui derrière les barreaux est-ce à vos yeux un atout ou au contraire un fardeau pour le tyran de Nouakchott ?
Hamdou Sy : Je pense que Taya a pratiqué une véritable politique de la mesquinerie prouvant qu’il est foncièrement mauvais et ceux qui le connaissent le disent secrètement. N’eût été la démagogie, on n’en serait pas là avec cet homme qui a trompé tous ses compagnons. Il n’est pas stalinien, parce que les staliniens ont certes fait mal, mais ils croyaient en quelque chose et ils ne faisaient pas le mal pour le mal. Or, Taya fait mal de façon aveugle et gratuite.
Il me semble que nos braves prisonniers sont plus un fardeau qu’un atout. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu un précédent et on connaît la suite. Aujourd’hui, il y a des choses qui ne sont plus possibles. Taya connaît très bien la puissance de la tribu et nos prisonniers appartiennent à des tribus particulières qui sont des forces réelles dans notre pays. Tant mieux, quand il s’agit de préserver la vie et de sauvegarder la dignité et l’honneur. En outre l’histoire récente est encore très présente, la mémoire veille. Parce que Taya ne se soucie guère des droits humains, c’est un faux problème pour lui. Je dirai vigilance, sinon, il est capable de faire le pire qui constitue le pilier de sa façon de gouverner. Il a toujours opté pour la démonstration par l’horreur, c'est-à-dire par la mise à mort. Nous verrons jusqu’où il peut aller avec son cynisme et sa cécité légendaires. J’ose espérer que la méthode des exécutions sommaires a vécu ; c’est pourquoi, il joue sur ce plan les derniers moments de son sinistre règne, le moins glorieux et le plus sanguinaire de tous les régimes qui ont dirigé notre pays. Le règne de Taya, quel désastre ! C’est pourquoi, il est important que l’honneur de la tribu résiste contre la cruauté du tribalisme. Sur ce terrain, les forces politiques et les organisations des droits de l’homme ne peuvent pas dissuader le dictateur en délire.
AVOMM : Que vous inspire l’initiative d’aide et de parrainage de l’AVOMM en faveur des orphelins, des veuves et des réfugiés ?
Hamdou Sy : Cette initiative m’inspire le respect et la considération pour les initiateurs de ce projet qui reflète la prise en compte du devoir de mémoire par des actions concrètes. Il était temps de mettre au cœur de nos préoccupations la solidarité avec les enfants et les veuves des hommes tués arbitrairement par un régime barbare et sanguinaire. L’éthique de la responsabilité a motivé cette initiative empreinte de générosité et d’humanisme. C’est tout le mérite de la nouvelle direction de l’AVOMM dont le Président est plein de volonté et de détermination pour faire vivre l’esprit de partage et de solidarité au service de la justice et de la démocratie. Le parrainage est une forme de résistance contre les fossoyeurs et les partisans de l’oubli des morts. C’est contre l’ensevelissement des morts que l’AVOMM entend inscrire sa nouvelle dynamique de construction d’une Mauritanie qui converge vers une société réconciliée avec elle-même. C’est là donc, une traduction effective d’une volonté de faire qui se nourrit de gestes concrets et justes. C’est dire que je soutiens sans réserve cette noble initiative.
AVOMM : une dernière question, si vous devez vous adressez aux orphelins, aux veuves de nos martyrs et aux milliers de réfugiés mauritaniens, que leur diriez-vous ?
Hamdou Sy : Il est difficile de réaliser le calvaire que vivent les enfants et les veuves de nos martyrs d’autant qu’ils ont été sauvagement arrachés à la vie. C’est pourquoi, il est impossible de pardonner aux responsables de ces exactions. Ils doivent être jugés et condamnés. Aucune amnistie n’est possible pour ces bourreaux. Taya et ses alliés ont commis des crimes abominables. Les officiers, les soldats, les cadres civils et les simples citoyens assassinés dans des conditions atroces hantent nos mémoires d’autant que la négation de ces faits est toujours véhiculée par le discours officiel. Je leur dirai que la seule façon d’honorer la mémoire de ces martyrs, c’est de combattre et de résister contre le régime fasciste et inhumain de notre dictateur sanguinaire. Il y a un impératif de mémoire, une nécessaire implication dans l’action politique oppositionnelle et un refus d’oublier. Ne jamais oublier les morts victimes de l’injustice et de l’arbitraire. Un fardeau pèse sur eux, c’est celui de reconquérir la dignité bafouée et l’honneur offensé. Le respect de la mémoire de leurs pères et de leurs époux exige d’eux une responsabilité militante pour l’avènement d’une justice qui rétablira la vérité et jugera les coupables qui sont aujourd’hui honorés. Qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls, encore moins abandonnés comme le pouvoir veut nous le faire croire par son indifférence éloquente et coupable.
Aux réfugiés mauritaniens, je dirai que leur devoir est de s’inscrire dans la dynamique du combat qui passe par la participation aux manifestations, aux rencontres et à militer dans les organisations ou les associations, à s’acquitter de leurs participations financières. Il est incompréhensible de constater que bon nombre de mauritaniens ne se soucient plus de la situation qui prévaut au pays et qui est pourtant la cause de leur exil. Il y a une nécessité de mobilisation pour sortir de cette léthargie incroyable. L’exil n’est ni une position confortable, ni une situation enviable. La présence de nos compatriotes sur le terrain de la lutte est indispensable pour ne pas trahir notre cause. Rien ne justifie notre bannissement et notre exclusion. C’est une exigence morale et humaniste qui doit animer chacun d’entre nous pour participer à l’œuvre la plus importante, celle de la libération de notre pays de ce colonel, dictateur cynique et cruel. La passivité est une forme de complicité et la loi punit le silence complice. C’est pourquoi, nous pensons que la parole est un acte authentique quand elle se fait médium de la dénonciation et de la résistance contre l’oppression et la dictature. En ce sens elle est bien une arme de combat. Il nous faut cultiver la fidélité constante au refus de l’injustice qui confisque le destin de notre pays et de veiller constamment à la cohésion nationale dans le souci de l’équité pour l’avènement d’une Mauritanie juste, libre et démocratique.
Je vous remercie encore une fois de votre invitation.