Projecteurs de l’AVOMM accueille pour vous aujourd’hui un grand homme Kaaw Touré, un disciple de Nelson Mandela et de Steve Biko de la conscience noire qu’il affectionne beaucoup, on ne le présente plus. Secrétaire National à la Communication et porte – parole des FLAM, il fait partie de la jeune garde des Forces de Libération Africaines de Mauritanie.
Nous l’avons interrogé sur le secret de la réussite du Congrès de son mouvement qui s’est tenu aux Etats-Unis du 26 au 28 décembre 2005, alors que beaucoup spéculaient déjà sur une probable scission. Nous l’avons demandé de nous éclairer sur les résolutions de ce congrès et particulièrement sur cette Autonomie du Sud.
Mais auparavant, nous vous proposons un portrait de notre invité Kaaw le « Djambaro » (héros) comme on se plaisait à le répéter souvent avec notre grande amie et militante de la Non Violence, Annick, et ce dans les différents séminaires de non violence que nous avons organisés au profit du Groupe de réflexion sur la non-violence des étudiants africains à Rabat (97-98-99).
Le portrait que nous vous proposons ici a été publié dans une édition de la revue militante Le Refus N° 011 du 28/7/2000.
Aujourd'hui, cinq ans après, l'homme n'a pas changé.
L'engagement pour Kaaw Touré exprime d'abord ce qui comptait le plus pour lui : une certaine idée de la lutte pour la dignité. Une lutte revendiquée et assumée, une lutte porteuse de valeurs. Des valeurs démocratiques, progressistes, des valeurs de liberté et de dignité. Un combat contre l'exclusion et la marginalisation. Une lutte soutenue et foncièrement dirigée contre le racisme qui a semé la mort, l'humiliation et la déportation d'une composante de cette nation.
Kaaw, à l'instar de ses compagnons de lutte, a consacré sa pensée, son militantisme, son action et sa jeunesse à œuvrer pour l’accomplissement de son rêve pour son pays.
Kaaw, le portrait :
Mouhamadou Touré dit Kaaw ou Kaaw Tokossel Touré est né en novembre 1967 à DJEOL village du sud de la Mauritanie.
Conscience politique précoce, dés l’âge de 15 ans, militant de première heure du Mouvement des Etudiants et des Elèves Noirs, il participe à l’organisation de manifestations culturelles, à la mise en place de conférences en présence d’intellectuels descendant de la capitale et à la publication d’un journal scolaire.
En mars 1983 date de la création des FLAM (fusion de plusieurs mouvements dont celui des Etudiants), Kaaw intègre le mouvement.
Avec la publication du manifeste, c’est pour Kaaw le coup d’envoi d’une prise de conscience politique : " nous avions fait une analyse en montrant chiffre à l’appui comment la discrimination se caractérisait dans tous les secteurs de l’Etat. ". C’est aussi le début de la clandestinité.
Du 4 septembre 1986 à début janvier, une centaine de militants, d’intellectuels et d’étudiants sont arrêtés.
Kaaw en faisait partie. Il avait à peine 19 ans.
Il se souvient comme si c’était hier de son arrestation. Il revoit encore la dizaine de gendarmes venus encercler sa maison, la frayeur dans le regard de sa mère et la dernière prière du matin juste avant de se faire passer les menottes…
Il se souvient également de la torture " du supplice du Jaguar " et cette matraque qui s’abattait sur ses plantes de pied quand, immobilisé par des barres de fer, recroquevillé sur lui même et retourné la tête en bas, le sang lui giclait des yeux.
Bénéficiant de son jeune âge, le transfert au mouroir de Oualata, avec les autres lui fut épargné.
Pour lui se sera la prison de Kaédi pour 6 mois fermes. Mais il lui fallait beaucoup plus pour renoncer, car dés sa sortie il remet ça en participant à de nouvelles manifestations.
De nouveau recherché, il parvint cette fois-ci à s’enfuir à temps et se rend au Sénégal, d’où il continuera la lutte pour la dignité de ses frères.
Porte parole des réfugiés, Rédacteur en chef du FLAMBEAU, le journal des FLAM et porte parole des FLAM, le régime de Ould Taya, utilisera tous les moyens pour faire taire cette voix : la corruption des hommes politiques sénégalais (par l’attribution des licences de pêches) finit par convaincre le gouvernement sénégalais d’extrader Kaaw. Alerté le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) apporta sa protection et obtint son hébergement par la Suède.
" Nous sommes des réfugiés politiques, nous n’avons pas choisi de venir ici. " " Ils nous ont déporté, dépouillé de nos biens, ils ont détruit nos pièces d’état civil et banni de la société mauritanienne. Me demander de me taire, alors que je n’ai que ma voix de communicateur pour combattre l’injustice, relève de l’impossible… " Telle fut la réaction de Kaaw devant la menace d’expulsion des autorités sénégalaises.
De la Suède, Kaaw continue la lutte, avec toutefois cette grande nostalgie pour les camps des réfugiés, ceux sur lesquels il a toujours veillé, et pour lesquels il a tout donné.
L’histoire retiendra le nom de ce grand militant mauritanien.
Med
Entretien :
PROJECTEURS DE L’ AVOMM RECOIT MR KAAW TOURE, SECRETAIRE NATIONAL A LA COMMUNICATION ET PORTE - PAROLE DES F.L.A.M
AVOMM : Pouvez-vous nous parler du climat général qui a prévalu lors de ce 6éme congrès ordinaire des FLAM ?
Kaaw Touré : Permettez-moi d´abord de vous remercier pour cette invitation. J´en profite aussi pour présenter mes meilleurs voeux tardifs de bonne et heureuse année á tous nos camarades et amis parce que je n´ai pu le faire á temps á cause du congrès.
Pour en revenir sur le 6éme congrès de notre mouvement je peux vous dire qu´il s´est passé dans un climat de sérénité et de camaraderie. Comme vous le savez il s´est tenu dans un contexte particulier avec le départ du colonel dictateur et l´arrivée au pouvoir de ses anciens lieutenants .Ce changement au sommet qui ne pouvait, vous l´imaginez bien, passer inaperçu pour les FLAM, avec toutes ses limites, et même si nous oeuvrons pour un changement de système á la place d'un changement d'hommes.Ces journées de réflexion ont été pour nous de grands moments de retrouvailles, de diagnostic et de réflexion. Des délégués des sections, des membres du BEN et du CN, des cadres de l´organisation invités á l´occasion ont débattu démocratiquement et en toute liberté et en profondeur pendant plus de 4 jours sans interruption sur les grandes questions de l´heure. Débat chaleureux , passionné mais surtout empreint de fraternité dans une lutte partagée .Il y’eut bien sûr quelques empoignades sur la stratégie á adopter face à la transition ; mais elle ne furent pas bien méchantes , et en conclusion , la distance face au processus en cours fut retenue , et l’orientation politique connue , reconduite .Mais bien sûr ceci n’exclut pas la nécessité du renforcement des FLAM à l’intérieur.Mais le plus important c’est que les FLAM sortent de ce congrès plus soudées que jamais , démentissant , par leur maturité , les pronostics de malheur .Une victoire sur les desseins diaboliques de l’ennemi.
AVOMM : Beaucoup de mauritaniens pensaient que les FLAM opteraient, à l’issue de ce congrès, pour le retour au pays afin de continuer leur lutte sur le terrain, il n’en fut rien. Selon vous Mr Kaaw Touré, ce choix de ne pas réintégrer le pays est-il une marque de défiance de votre part à la politique de continuité adoptée par le CMJD ? Pensez-vous que
le vide que vous laissez sur le terrain ne servira pas ceux qui ne vous portent pas dans leurs cœurs ?
Kaaw : Permettez-moi de leur poser ces questions: pourquoi les FLAM doivent rentrer en Mauritanie? Qu´est-ce qui a changé pour que les FLAM plient bagages et armes pour se déporter en Mauritanie comme le prônent certains? Est-ce que les revendications formulées par les FLAM depuis Taya ont été satisfaites par le nouveau régime pour justifier notre retour au pays natal? Ce régime a-t-il fait preuve d´ouverture á notre endroit ou a-t-il posé des actes concrets et positifs en direction de la communauté négro-mauritanienne opprimée ?
Nous avons toujours dit et répété que notre combat n´est pas dirigé contre une personne en particulier mais contre un Système.Observons nous un changement de Système en Mauritanie ?Pourquoi refuser de rentrer sous Taya et le faire sous son poulain Ely? Ely a-t-il osé suivre le chemin de Deklerk ou de Gorbatchev pour combattre le système qui l´a propulsé et qu´il a servi pour plus deux décennies sans relâche ? La réponse à ces questions est indiscutablement NON. Pour nous c’est le changement dans la continuité du système. Le Colonel Ely est venu, selon ses propres termes, pour colmater les brèches, rafistoler les fissures…du Système ; pas pour le changement en profondeur.Voilà pourquoi il procède à quelques réformettes pour calmer certaines ardeurs tribales et leurrer l’opinion internationale.Quant á nous son miroir aux alouettes ne nous séduit point.
Lorsqu’on a été sevré pendant 23 ans de liberté on est prêt à prendre n’importe qu’elle offre ! Nous le comprenons bien mais vous savez ce qui fait la particularité des FLAM, c´est son discours de rupture, nous ne sommes pas le genre d’opposition qui mange à tous les râteliers, prêtes à toutes les compromissions.
Nous réclamons une rupture qui conduirait à une refondation de la Mauritanie, pour le bien de tous les mauritaniens.
Certains nous demandent d´aller au pays et de participer aux élections comme si le problème noir en Mauritanie se réduisait á jeter des bulletins dans les urnes.Combien d´élections avons-nous connues sous le régime de Taya ? Nous l’avions déjà dit, aller à des élections, même transparentes, ne changerait ni les conditions de l’esclave mauritanien, ni celles du Négro-africain opprimé.
Quant á notre présence sur le terrain, rassurez-vous les FLAM sont présentes sur le terrain, mais comme j´ai dit plus haut, la question se pose en terme de renforcement, pour plus d’efficacité, car comme le disait feu mon grand-père El hadj Abdoul Ngaïdé de Radio Mauritanie (paix en son âme) "so mawDo wumii wumtii ina foti anndude ko gite nafata", autrement "un homme averti en veut deux". Il n’y a rien á craindre de nos adversaires et détracteurs, car notre discours est dans les cœurs. Certains compatriotes ne disent- ils pas que tous les kwars sont Flamistes ?
AVOMM : Que demandez-vous aux Mauritaniens? Et d’abord c’est quoi cette Autonomie du Sud que vous réclamez ? Est-ce le moyen que vous privilégiez pour la résolution de la question nationale ?
Kaaw : Qu´est-ce qu´on demande aux mauritaniens ? Rien d´autre qu´à continuer la lutte avec nous pour une Mauritanie réconciliée, juste, égalitaire et démocratique. De travailler à mettre fin au racisme d’Etat qui prévaut depuis 45 ans.
L´autonomie s’impose d’elle-même dans la réalité politico-démographique de notre pays. Nous avons réalisé l’échec de l´Etat unitaire centralisé ou jacobin comme cadre de coexistence entre nos composantes ethnico-raciales il faut alors sans peur tirer les
conclusions des faits et chercher d´autres voies de sortie de crise.L´autonomie que nous proposons et qui n´a rien á avoir avec l´indépendantisme,permettra la prise en main par nos communautés naturelles de la gestion de leurs propres affaires sur le plan politique,économique,culturel et social,par le biais des pouvoirs locaux.Chaque communauté modèlerait ainsi ses propres institutions et organiserait sa vie et son développement , grâce á un système de relations plus lâches avec le pouvoir central.
Quant á son application, chaque chose en son temps, mais d’ores et déjà des propositions existent, nous les exposerons en temps voulu.
AVOMM : Mr Touré vous êtes le responsable de la communication des Forces de Libération Africaine de Mauritanie , poste que vous occupiez dans le bureau sortant nos félicitations ! Le poste de vice président est remplacé par celui de Secrétaire Général, mais on note le départ du bureau national de Mr Mamadou Bocar Bâ ; il redevient un militant de base, même s’il est remplacé par un homme dont nous avons souligné lui aussi sa probité et ses compétences, Mr Diagana Boubacar. Ce bouleversement, est il un signe de changement de stratégie ou le signe d’une lutte plus ardue de courants de pensées que votre mouvement tente de circonscrire même si le Président Samba Thiam a été reconduit ?
Kaaw : Ce congrès a apporté des changements majeurs et nécessaires tant au niveau de l’organigramme que celui des animateurs de notre Organisation. C´est pour un souci d’efficacité que nous avons allégé notre instance dirigeante. C´est dans cet esprit qu´il faut situer la suppression du poste du vice-président et des secrétaires nationaux adjoints á part celui du département des finances.
De nombreux cadres ont fait leur entrée au BEN (Bureau Exécutif National). Ils auront la lourde tâche de remplacer des camarades qui ont rendu d’éminents et loyaux services aux FLAM et à la cause que nous défendons.Ceux qui sont partis n’ont en rien démérité.
Le BEN est une équipe qui se renouvelle.Le congrès est l´instance suprême de l'organisation qui plébiscite et change ses responsables en toute liberté et dans la démocratie .Si vous regardez l´histoire de l´organisation vous verrez que rares sont ceux qui faisaient partie des anciennes équipes dirigeantes de l´organisation qui demeurent aux commandes aujourd´hui .Ce qu´il faut aussi noter c´est le rajeunissement des membres du BEN, á l´exception du président et le secrétaire général qui sont membres fondateurs de l´organisation tout le reste appartient á la nouvelle génération montante du mouvement . Nous avons besoin de la sagesse et de l´expérience des uns, de la jeunesse et de la compétence des autres. Dans un mouvement de libération comme le notre nous avons besoin de tous nos militants et de toutes les générations .Ce qui faisait la force de l´ANC c´est de voir des doyens comme Mandela, Tambo, Joe Slovo, Sisulu travaillaient en toute harmonie avec des jeunes comme Mbeki, Feu Chris Hani, Modise, Cyril Ramaphosa et autres.Nous devons nous en inspirer en tant que mouvement de libération.
Quant á l´élection des membres du BEN cela n´a rien á avoir avec des courants de pensées comme vous le supposez, non, il s’est agi seulement de la compétence et de la disponibilité des élus, c´est tout ; le seul courant qui prévaut dans l´organisation c'est le courant Flamiste n´en déplaise aux sergents-recruteurs du système.
AVOMM : Selon vous, que faut-il entreprendre en priorité pour gommer les inégalités, réparer les injustices et réconcilier les mauritaniens ?
Kaaw : Je ne sais ce que vous entendez par gommer les inégalités mais pour nous la réconciliation ne se décrète pas, elle requiert un climat, une attitude et des conditions.
Un climat de décrispation grâce á un train de mesures positives á l´endroit de tous ceux qui ont subi arbitrairement des préjudices matériels et moraux.
Une attitude manifeste de main tendue, de réel repentir de la part de tous ceux qui sont coupables, á des degrés divers. Des sanctions pour les crimes commis.La confiance restaurée, alors passer au débat sur la cohabitation future .Se parler sincèrement, honnêtement sans hypocrisie ni calcul politicien, en abordant les problèmes de fond au lieu de tourner autour des Questions périphériques ou de faire la politique de l´autruche.
AVOMM : Des candidats pour l’élection présidentielle se font connaître un à un, Ahmed Daddah a rencontré récemment à Paris le chargé des relations extérieures des FLAM, on vous dit proche de l’ AJD, que dites vous à vos militants : attendez la fin de la transition ou faites basculer la balance du côté de tel candidat plus porteur de notre espérance ?
Kaaw : Nous entretenons des bonnes relations avec tous les partis politiques progressistes et sérieux du pays, Ahmed Daddah est le dernier que nous avons rencontré et cela á sa demande il faut le préciser,donc ce n´est pas une nouveauté d´échanger avec nos partenaires de l´opposition légale ou radicale en exil.Quant aux élections comme dit le proverbe pulaar "duko labale woYi ko jom pucci en" , pour le moment nous ne nous sentons pas concernés par ces échéances électorales encore moins par la feuille de route du CMJD qui ignore les revendications justes et légitimes de la communauté Négro-mauritanienne.Si nous décidons un jour de participer aux élections ce sera sous notre bannière pour défendre notre programme et proposer notre projet de société dans une Mauritanie libérée et vraiment démocratique mais cela ne peut se faire sans d´abord la destruction du système d´oppression qui réside dans le racisme d’Etat.
AVOMM : Quelles sont vos appréciations de la situation qui prévaut aujourd’hui en Mauritanie ? Les FLAM pourront elles se muer en parti politique un jour comme les Cavaliers du changement ?
Kaaw : Pour nous la situation politique est presque la même sauf que Taya est parti mais ce sont ses anciens compagnons qui dirigent le pays et rien n´a changé dans la situation des Noirs, c´est la même politique de privation, d’oppression .La réalité du pouvoir politique, économique, militaire, culturel et social est et demeure aux mains d´une seule communauté.Ces choses doivent changer ! Certains nous diront qu´aujourd´hui les langues se délient au pays, tant mieux ; mais il ne s´agit pas seulement de libérer la parole mais de libérer aussi les opprimés, de trouver une solution juste et durable á leurs problèmes.
AVOMM : Kaaw, que pensez vous de l’AVOMM de son combat contre
l’impunité et de l’aide qu’elle dispense aux veuves orphelins et déportés ?
Kaaw : Je vous adresse toutes mes félicitations dans votre combat contre l´impunité et votre soutien aux veuves, aux orphelins et aux déportés qui est une noble cause que nous soutenons.
Avant de finir permettez-moi de demander á la jeunesse mauritanienne, á nos intellectuels, á nos femmes, á nos militaires de répondre massivement á l´appel du président des FLAM du 03 janvier 2006 et nous rejoindre sur le vrai terrain du changement. Il faut rappeler que la participation á la lutte est multiforme, chacun y travaillant dans les limites de ses capacités et possibilités avec son rythme propre.Rien ni personne ne devrait être négligé.Chacun a sa place dans cette lutte .La Mauritanie a besoin de nous et a besoin du sacrifice de tous ses fils et filles pour se libérer. Le devoir nous appelle.La libération ne viendra jamais du dehors, mais de la volonté de chacun et de chacune de nous á rompre les chaînes de l´oppression.
Nous ne devons pas suivre les événements mais créer l´événement.Ne pas raconter l´histoire mais faire l´histoire. Merci encore de votre invitation et on ne vous dira jamais assez la lutte continue !
AVOMM : Merci camarade pour la clarté de vos propos. La lutte continue !
Propos recueillis par Mohamed Dogui et Adama SARR
Nous l’avons interrogé sur le secret de la réussite du Congrès de son mouvement qui s’est tenu aux Etats-Unis du 26 au 28 décembre 2005, alors que beaucoup spéculaient déjà sur une probable scission. Nous l’avons demandé de nous éclairer sur les résolutions de ce congrès et particulièrement sur cette Autonomie du Sud.
Mais auparavant, nous vous proposons un portrait de notre invité Kaaw le « Djambaro » (héros) comme on se plaisait à le répéter souvent avec notre grande amie et militante de la Non Violence, Annick, et ce dans les différents séminaires de non violence que nous avons organisés au profit du Groupe de réflexion sur la non-violence des étudiants africains à Rabat (97-98-99).
Le portrait que nous vous proposons ici a été publié dans une édition de la revue militante Le Refus N° 011 du 28/7/2000.
Aujourd'hui, cinq ans après, l'homme n'a pas changé.
L'engagement pour Kaaw Touré exprime d'abord ce qui comptait le plus pour lui : une certaine idée de la lutte pour la dignité. Une lutte revendiquée et assumée, une lutte porteuse de valeurs. Des valeurs démocratiques, progressistes, des valeurs de liberté et de dignité. Un combat contre l'exclusion et la marginalisation. Une lutte soutenue et foncièrement dirigée contre le racisme qui a semé la mort, l'humiliation et la déportation d'une composante de cette nation.
Kaaw, à l'instar de ses compagnons de lutte, a consacré sa pensée, son militantisme, son action et sa jeunesse à œuvrer pour l’accomplissement de son rêve pour son pays.
Kaaw, le portrait :
Mouhamadou Touré dit Kaaw ou Kaaw Tokossel Touré est né en novembre 1967 à DJEOL village du sud de la Mauritanie.
Conscience politique précoce, dés l’âge de 15 ans, militant de première heure du Mouvement des Etudiants et des Elèves Noirs, il participe à l’organisation de manifestations culturelles, à la mise en place de conférences en présence d’intellectuels descendant de la capitale et à la publication d’un journal scolaire.
En mars 1983 date de la création des FLAM (fusion de plusieurs mouvements dont celui des Etudiants), Kaaw intègre le mouvement.
Avec la publication du manifeste, c’est pour Kaaw le coup d’envoi d’une prise de conscience politique : " nous avions fait une analyse en montrant chiffre à l’appui comment la discrimination se caractérisait dans tous les secteurs de l’Etat. ". C’est aussi le début de la clandestinité.
Du 4 septembre 1986 à début janvier, une centaine de militants, d’intellectuels et d’étudiants sont arrêtés.
Kaaw en faisait partie. Il avait à peine 19 ans.
Il se souvient comme si c’était hier de son arrestation. Il revoit encore la dizaine de gendarmes venus encercler sa maison, la frayeur dans le regard de sa mère et la dernière prière du matin juste avant de se faire passer les menottes…
Il se souvient également de la torture " du supplice du Jaguar " et cette matraque qui s’abattait sur ses plantes de pied quand, immobilisé par des barres de fer, recroquevillé sur lui même et retourné la tête en bas, le sang lui giclait des yeux.
Bénéficiant de son jeune âge, le transfert au mouroir de Oualata, avec les autres lui fut épargné.
Pour lui se sera la prison de Kaédi pour 6 mois fermes. Mais il lui fallait beaucoup plus pour renoncer, car dés sa sortie il remet ça en participant à de nouvelles manifestations.
De nouveau recherché, il parvint cette fois-ci à s’enfuir à temps et se rend au Sénégal, d’où il continuera la lutte pour la dignité de ses frères.
Porte parole des réfugiés, Rédacteur en chef du FLAMBEAU, le journal des FLAM et porte parole des FLAM, le régime de Ould Taya, utilisera tous les moyens pour faire taire cette voix : la corruption des hommes politiques sénégalais (par l’attribution des licences de pêches) finit par convaincre le gouvernement sénégalais d’extrader Kaaw. Alerté le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) apporta sa protection et obtint son hébergement par la Suède.
" Nous sommes des réfugiés politiques, nous n’avons pas choisi de venir ici. " " Ils nous ont déporté, dépouillé de nos biens, ils ont détruit nos pièces d’état civil et banni de la société mauritanienne. Me demander de me taire, alors que je n’ai que ma voix de communicateur pour combattre l’injustice, relève de l’impossible… " Telle fut la réaction de Kaaw devant la menace d’expulsion des autorités sénégalaises.
De la Suède, Kaaw continue la lutte, avec toutefois cette grande nostalgie pour les camps des réfugiés, ceux sur lesquels il a toujours veillé, et pour lesquels il a tout donné.
L’histoire retiendra le nom de ce grand militant mauritanien.
Med
Entretien :
PROJECTEURS DE L’ AVOMM RECOIT MR KAAW TOURE, SECRETAIRE NATIONAL A LA COMMUNICATION ET PORTE - PAROLE DES F.L.A.M
AVOMM : Pouvez-vous nous parler du climat général qui a prévalu lors de ce 6éme congrès ordinaire des FLAM ?
Kaaw Touré : Permettez-moi d´abord de vous remercier pour cette invitation. J´en profite aussi pour présenter mes meilleurs voeux tardifs de bonne et heureuse année á tous nos camarades et amis parce que je n´ai pu le faire á temps á cause du congrès.
Pour en revenir sur le 6éme congrès de notre mouvement je peux vous dire qu´il s´est passé dans un climat de sérénité et de camaraderie. Comme vous le savez il s´est tenu dans un contexte particulier avec le départ du colonel dictateur et l´arrivée au pouvoir de ses anciens lieutenants .Ce changement au sommet qui ne pouvait, vous l´imaginez bien, passer inaperçu pour les FLAM, avec toutes ses limites, et même si nous oeuvrons pour un changement de système á la place d'un changement d'hommes.Ces journées de réflexion ont été pour nous de grands moments de retrouvailles, de diagnostic et de réflexion. Des délégués des sections, des membres du BEN et du CN, des cadres de l´organisation invités á l´occasion ont débattu démocratiquement et en toute liberté et en profondeur pendant plus de 4 jours sans interruption sur les grandes questions de l´heure. Débat chaleureux , passionné mais surtout empreint de fraternité dans une lutte partagée .Il y’eut bien sûr quelques empoignades sur la stratégie á adopter face à la transition ; mais elle ne furent pas bien méchantes , et en conclusion , la distance face au processus en cours fut retenue , et l’orientation politique connue , reconduite .Mais bien sûr ceci n’exclut pas la nécessité du renforcement des FLAM à l’intérieur.Mais le plus important c’est que les FLAM sortent de ce congrès plus soudées que jamais , démentissant , par leur maturité , les pronostics de malheur .Une victoire sur les desseins diaboliques de l’ennemi.
AVOMM : Beaucoup de mauritaniens pensaient que les FLAM opteraient, à l’issue de ce congrès, pour le retour au pays afin de continuer leur lutte sur le terrain, il n’en fut rien. Selon vous Mr Kaaw Touré, ce choix de ne pas réintégrer le pays est-il une marque de défiance de votre part à la politique de continuité adoptée par le CMJD ? Pensez-vous que
le vide que vous laissez sur le terrain ne servira pas ceux qui ne vous portent pas dans leurs cœurs ?
Kaaw : Permettez-moi de leur poser ces questions: pourquoi les FLAM doivent rentrer en Mauritanie? Qu´est-ce qui a changé pour que les FLAM plient bagages et armes pour se déporter en Mauritanie comme le prônent certains? Est-ce que les revendications formulées par les FLAM depuis Taya ont été satisfaites par le nouveau régime pour justifier notre retour au pays natal? Ce régime a-t-il fait preuve d´ouverture á notre endroit ou a-t-il posé des actes concrets et positifs en direction de la communauté négro-mauritanienne opprimée ?
Nous avons toujours dit et répété que notre combat n´est pas dirigé contre une personne en particulier mais contre un Système.Observons nous un changement de Système en Mauritanie ?Pourquoi refuser de rentrer sous Taya et le faire sous son poulain Ely? Ely a-t-il osé suivre le chemin de Deklerk ou de Gorbatchev pour combattre le système qui l´a propulsé et qu´il a servi pour plus deux décennies sans relâche ? La réponse à ces questions est indiscutablement NON. Pour nous c’est le changement dans la continuité du système. Le Colonel Ely est venu, selon ses propres termes, pour colmater les brèches, rafistoler les fissures…du Système ; pas pour le changement en profondeur.Voilà pourquoi il procède à quelques réformettes pour calmer certaines ardeurs tribales et leurrer l’opinion internationale.Quant á nous son miroir aux alouettes ne nous séduit point.
Lorsqu’on a été sevré pendant 23 ans de liberté on est prêt à prendre n’importe qu’elle offre ! Nous le comprenons bien mais vous savez ce qui fait la particularité des FLAM, c´est son discours de rupture, nous ne sommes pas le genre d’opposition qui mange à tous les râteliers, prêtes à toutes les compromissions.
Nous réclamons une rupture qui conduirait à une refondation de la Mauritanie, pour le bien de tous les mauritaniens.
Certains nous demandent d´aller au pays et de participer aux élections comme si le problème noir en Mauritanie se réduisait á jeter des bulletins dans les urnes.Combien d´élections avons-nous connues sous le régime de Taya ? Nous l’avions déjà dit, aller à des élections, même transparentes, ne changerait ni les conditions de l’esclave mauritanien, ni celles du Négro-africain opprimé.
Quant á notre présence sur le terrain, rassurez-vous les FLAM sont présentes sur le terrain, mais comme j´ai dit plus haut, la question se pose en terme de renforcement, pour plus d’efficacité, car comme le disait feu mon grand-père El hadj Abdoul Ngaïdé de Radio Mauritanie (paix en son âme) "so mawDo wumii wumtii ina foti anndude ko gite nafata", autrement "un homme averti en veut deux". Il n’y a rien á craindre de nos adversaires et détracteurs, car notre discours est dans les cœurs. Certains compatriotes ne disent- ils pas que tous les kwars sont Flamistes ?
AVOMM : Que demandez-vous aux Mauritaniens? Et d’abord c’est quoi cette Autonomie du Sud que vous réclamez ? Est-ce le moyen que vous privilégiez pour la résolution de la question nationale ?
Kaaw : Qu´est-ce qu´on demande aux mauritaniens ? Rien d´autre qu´à continuer la lutte avec nous pour une Mauritanie réconciliée, juste, égalitaire et démocratique. De travailler à mettre fin au racisme d’Etat qui prévaut depuis 45 ans.
L´autonomie s’impose d’elle-même dans la réalité politico-démographique de notre pays. Nous avons réalisé l’échec de l´Etat unitaire centralisé ou jacobin comme cadre de coexistence entre nos composantes ethnico-raciales il faut alors sans peur tirer les
conclusions des faits et chercher d´autres voies de sortie de crise.L´autonomie que nous proposons et qui n´a rien á avoir avec l´indépendantisme,permettra la prise en main par nos communautés naturelles de la gestion de leurs propres affaires sur le plan politique,économique,culturel et social,par le biais des pouvoirs locaux.Chaque communauté modèlerait ainsi ses propres institutions et organiserait sa vie et son développement , grâce á un système de relations plus lâches avec le pouvoir central.
Quant á son application, chaque chose en son temps, mais d’ores et déjà des propositions existent, nous les exposerons en temps voulu.
AVOMM : Mr Touré vous êtes le responsable de la communication des Forces de Libération Africaine de Mauritanie , poste que vous occupiez dans le bureau sortant nos félicitations ! Le poste de vice président est remplacé par celui de Secrétaire Général, mais on note le départ du bureau national de Mr Mamadou Bocar Bâ ; il redevient un militant de base, même s’il est remplacé par un homme dont nous avons souligné lui aussi sa probité et ses compétences, Mr Diagana Boubacar. Ce bouleversement, est il un signe de changement de stratégie ou le signe d’une lutte plus ardue de courants de pensées que votre mouvement tente de circonscrire même si le Président Samba Thiam a été reconduit ?
Kaaw : Ce congrès a apporté des changements majeurs et nécessaires tant au niveau de l’organigramme que celui des animateurs de notre Organisation. C´est pour un souci d’efficacité que nous avons allégé notre instance dirigeante. C´est dans cet esprit qu´il faut situer la suppression du poste du vice-président et des secrétaires nationaux adjoints á part celui du département des finances.
De nombreux cadres ont fait leur entrée au BEN (Bureau Exécutif National). Ils auront la lourde tâche de remplacer des camarades qui ont rendu d’éminents et loyaux services aux FLAM et à la cause que nous défendons.Ceux qui sont partis n’ont en rien démérité.
Le BEN est une équipe qui se renouvelle.Le congrès est l´instance suprême de l'organisation qui plébiscite et change ses responsables en toute liberté et dans la démocratie .Si vous regardez l´histoire de l´organisation vous verrez que rares sont ceux qui faisaient partie des anciennes équipes dirigeantes de l´organisation qui demeurent aux commandes aujourd´hui .Ce qu´il faut aussi noter c´est le rajeunissement des membres du BEN, á l´exception du président et le secrétaire général qui sont membres fondateurs de l´organisation tout le reste appartient á la nouvelle génération montante du mouvement . Nous avons besoin de la sagesse et de l´expérience des uns, de la jeunesse et de la compétence des autres. Dans un mouvement de libération comme le notre nous avons besoin de tous nos militants et de toutes les générations .Ce qui faisait la force de l´ANC c´est de voir des doyens comme Mandela, Tambo, Joe Slovo, Sisulu travaillaient en toute harmonie avec des jeunes comme Mbeki, Feu Chris Hani, Modise, Cyril Ramaphosa et autres.Nous devons nous en inspirer en tant que mouvement de libération.
Quant á l´élection des membres du BEN cela n´a rien á avoir avec des courants de pensées comme vous le supposez, non, il s’est agi seulement de la compétence et de la disponibilité des élus, c´est tout ; le seul courant qui prévaut dans l´organisation c'est le courant Flamiste n´en déplaise aux sergents-recruteurs du système.
AVOMM : Selon vous, que faut-il entreprendre en priorité pour gommer les inégalités, réparer les injustices et réconcilier les mauritaniens ?
Kaaw : Je ne sais ce que vous entendez par gommer les inégalités mais pour nous la réconciliation ne se décrète pas, elle requiert un climat, une attitude et des conditions.
Un climat de décrispation grâce á un train de mesures positives á l´endroit de tous ceux qui ont subi arbitrairement des préjudices matériels et moraux.
Une attitude manifeste de main tendue, de réel repentir de la part de tous ceux qui sont coupables, á des degrés divers. Des sanctions pour les crimes commis.La confiance restaurée, alors passer au débat sur la cohabitation future .Se parler sincèrement, honnêtement sans hypocrisie ni calcul politicien, en abordant les problèmes de fond au lieu de tourner autour des Questions périphériques ou de faire la politique de l´autruche.
AVOMM : Des candidats pour l’élection présidentielle se font connaître un à un, Ahmed Daddah a rencontré récemment à Paris le chargé des relations extérieures des FLAM, on vous dit proche de l’ AJD, que dites vous à vos militants : attendez la fin de la transition ou faites basculer la balance du côté de tel candidat plus porteur de notre espérance ?
Kaaw : Nous entretenons des bonnes relations avec tous les partis politiques progressistes et sérieux du pays, Ahmed Daddah est le dernier que nous avons rencontré et cela á sa demande il faut le préciser,donc ce n´est pas une nouveauté d´échanger avec nos partenaires de l´opposition légale ou radicale en exil.Quant aux élections comme dit le proverbe pulaar "duko labale woYi ko jom pucci en" , pour le moment nous ne nous sentons pas concernés par ces échéances électorales encore moins par la feuille de route du CMJD qui ignore les revendications justes et légitimes de la communauté Négro-mauritanienne.Si nous décidons un jour de participer aux élections ce sera sous notre bannière pour défendre notre programme et proposer notre projet de société dans une Mauritanie libérée et vraiment démocratique mais cela ne peut se faire sans d´abord la destruction du système d´oppression qui réside dans le racisme d’Etat.
AVOMM : Quelles sont vos appréciations de la situation qui prévaut aujourd’hui en Mauritanie ? Les FLAM pourront elles se muer en parti politique un jour comme les Cavaliers du changement ?
Kaaw : Pour nous la situation politique est presque la même sauf que Taya est parti mais ce sont ses anciens compagnons qui dirigent le pays et rien n´a changé dans la situation des Noirs, c´est la même politique de privation, d’oppression .La réalité du pouvoir politique, économique, militaire, culturel et social est et demeure aux mains d´une seule communauté.Ces choses doivent changer ! Certains nous diront qu´aujourd´hui les langues se délient au pays, tant mieux ; mais il ne s´agit pas seulement de libérer la parole mais de libérer aussi les opprimés, de trouver une solution juste et durable á leurs problèmes.
AVOMM : Kaaw, que pensez vous de l’AVOMM de son combat contre
l’impunité et de l’aide qu’elle dispense aux veuves orphelins et déportés ?
Kaaw : Je vous adresse toutes mes félicitations dans votre combat contre l´impunité et votre soutien aux veuves, aux orphelins et aux déportés qui est une noble cause que nous soutenons.
Avant de finir permettez-moi de demander á la jeunesse mauritanienne, á nos intellectuels, á nos femmes, á nos militaires de répondre massivement á l´appel du président des FLAM du 03 janvier 2006 et nous rejoindre sur le vrai terrain du changement. Il faut rappeler que la participation á la lutte est multiforme, chacun y travaillant dans les limites de ses capacités et possibilités avec son rythme propre.Rien ni personne ne devrait être négligé.Chacun a sa place dans cette lutte .La Mauritanie a besoin de nous et a besoin du sacrifice de tous ses fils et filles pour se libérer. Le devoir nous appelle.La libération ne viendra jamais du dehors, mais de la volonté de chacun et de chacune de nous á rompre les chaînes de l´oppression.
Nous ne devons pas suivre les événements mais créer l´événement.Ne pas raconter l´histoire mais faire l´histoire. Merci encore de votre invitation et on ne vous dira jamais assez la lutte continue !
AVOMM : Merci camarade pour la clarté de vos propos. La lutte continue !
Propos recueillis par Mohamed Dogui et Adama SARR