L’homme dont le nom revient inévitablement dans tous les procès politiques montés par le régime policier de Taya.
L’homme qui est devenu pour tous l’icône de cette Mauritanie qui aspire à la justice. L’homme qui séduit par sa franchise naturelle, par l’élégance dans ses propos dignes et par sa prise de parole audacieuse, partageant avec ses collègues du collectif, sans jamais chercher à être sous les projecteurs ou à accaparer l’attention autour de lui. Incontestablement Maître Brahim Ould Ebety restera pour toujours un symbole de ce que la Mauritanie a de plus humble et de plus courageux, digne fils de notre peuple et de ses aspirations. "Projecteur" accueille pour vous, aujourd’hui, celui qui a consacré toute sa vie à défendre les victimes de la redoutable machine à broyer du colonel.
Med
AVOMM : Quelles conclusions tirez-vous de ce procès sachant que vous avez été confronté à de nombreuses violations des droits de la défense, des pressions et parfois même des interpellations dans les rangs de vos confrères?
Maitre Brahim Ould Ebety : - Les principales leçons que nous pouvons tirer du procès de WAD NAGA peuvent être présentées comme suit : - Il s’agit du procès le plus long de l’histoire judiciaire de notre pays parce que concerne le jugement de 195 accusés de différentes tentatives de coup d’Etat militaire ; - Il s’agit du procès record en matière de violation des règles de procédure, de ces violations nous nous limiterons aux principales : - Composition irrégulière de la cour devant juger tous ces accusés à tel point que notre consoeur Maître Aissata Tall SALL, du barreau du SENEGAL l’a qualifiée de juridiction adhoc, parce que non prévue par l’arsenal juridique défini par l’organisation judiciaire dans notre pays et parce qu’en Mauritanie il n’y a plus de juridictions d’exception depuis qu’elles ont été supprimées par les lois successives de 1993 et de 1999 et n’étant donc ni une juridiction de l’ordre judiciaire mauritanien ni une juridiction d’exception, elle ne saurait être qualifiée que de juridiction adhoc, vocable particulièrement descriptif de l’irrégularité de la cour créée suivant avis de la cour suprême pris à la demande du Ministre de la Défense, alors que la constitution énonce formellement que la création et l’organisation des juridictions sont du domaine de la loi ;
- Irrégularité entachant tous les procès verbaux de la police judiciaire relatifs aux événements des 8 et 9 juin 2003 parce que réalisés en dehors de toute autorité judiciaire et en exécution d’instructions des chefs d’Etat Major de l’armée et de la gendarmerie et irrégularité des PV relatifs aux tentatives des 8 août et 25 septembre 2004 pour incompétence territoriale et en la matière de leurs auteurs et pour faux et usage de faux caractérisé entachant certains de ces procès verbaux ; - Pratiques de tortures largement décrites et dénoncées par tous les accusés devant le juge d’instruction et devant la cour criminelle d’autant plus qu’il s’agit de faits graves en termes de cruauté et de nombre des victimes d’autant qu’en matière de droits de l’homme toute atteinte quel que soit son degré est grave
Ce fut alors une occasion où les insuffisances, les lacunes et les fautes graves entachant le déroulement des procédures d’enquêtes préliminaires avaient été décrites et dénoncées par la défense pour conclure que dans notre pays, les procédures d’enquête préliminaire sont effectuées par la police politique en l’absence d’instruction et de contrôle des juridictions d’instruction ou de l’autorité des parquets d’autant plus que la loi soumet ces enquêtes à l’autorité du parquet général qui peut, en cas de dépassement ou de fautes, adresser aux officiers de police judiciaire, tout avertissement et même initier des poursuites contre eux devant la cour suprême pour non conformité des actes qu’ils ont menés aux prescriptions de la loi.
La défense s’est acquitté noblement de sa mission combien difficile tout le long de ce procès qui a été certes émaillé de toute forme d’obstacles : violation des droits de la défense, militarisation excessive des conditions et du lieu où se déroulait le procès, menaces quotidiennes d’expulsion, de poursuites, poursuites qui ont même conduit dans certains cas à l’arrestation d’avocats qui ont été mis soit sous mandat de dépôt ou gardés à vue dans les locaux de la gendarmerie. Mais devant toutes ces obstructions, les avocats ont continué à assumer avec force et courage leur ministère et toutes ses représailles n’ont fait que les rendre plus énergiques et décider à défendre la loi et à exiger qu’elle soit la seule référence pour départager les protagonistes que sont la défense et l’accusation.
AVOMM : A force de patience et après plusieurs tentatives, vous avez pu rencontrer les détenus qui vous ont informé des tortures qu’ils ont subi. Pouvez-vous nous éclairer sur les séquelles que vous avez pu constater sur ces détenus, ainsi que les descriptions qui vous ont été faites par les intéressés.
Maitre Brahim Ould Ebety : – Des premières rencontres que nous avons eues avec nos clients en septembre 2003 et en octobre 2004 et au moment où tout le monde parlait de torture, nos clients et à travers des mots précis, clairs et d’un très grand courage nous ont décrit toutes les formes de tortures qu’ils ont subies . Ces descriptions de tortures peuvent être présentées comme suit :
- l’isolement complet de tout contact extérieur
- privation de sommeil, de repos, de soins, d’aliments et même de possibilité de satisfaire ses besoins naturels hors de la cellule où le détenu est gardé,
- privation d’habits durant les séances de tortures pour priver le corps de toute forme de protection et pour mieux humilier le détenu
- séances de torture et d’enquêtes durant les heures tardives de la nuit
- séances longues du procédé de torture tristement célèbre du nom de JAGWAR qui consiste à attacher les pieds et les mains par des fils électriques et accrocher le corps à un pilier en laissant la tête flotter et au même moment et par des matraques ou des bâtons frapper fortement sur les paumes des pieds et des mains qui sont déjà fortement attachés par les fils pour accentuer la douleur à tel point que le supplicié dont la tête est enveloppée par une cagoule succombe à ses douleurs et à son étouffement et ne trouve de repos que durant les moments où il perd connaissance
- l’extinction de cigarettes sur les parties les plus sensibles du corps sans oublier les séances où le poil des parties intimes du corps est enlevé ;
- il y a aussi d’autres séances où la personne est ligotée et l’officier tortionnaire portant des rangers, comme pour satisfaire un besoin personnel de cruauté, trotte sa victime ;
- conduite de certains des détenus à la plage tard la nuit en leur faisant croire qu’ils sont conduits pour être exécutés comme ce fut le cas des négro – africains en 1990 – 91 selon les termes rapportés par certains des détenus qui ont eu à subir de telles séances.
De ces pratiques et lors des premières rencontres, nous avons décelé les retombées et traces suivantes : tous les détenus étaient ahuris par ce qu’ils avaient subi et avaient le regard quelque perdu même s’ils décrivaient avec précision, courage et fermeté leurs souffrances ; les traces d’extinction de mégots de cigarettes, des traces d’attachement par les fils électriques aux pieds et aux mains à tel point que les pieds et les mains sont devenus insensibles, je me rappelle que j’avais même pour me rendre compte de l’ampleur de cette insensibilité pincé certains fortement, allumé même un briquet et ils étaient insensibles au pincement et à la flamme et de ces personnes aucun d’eux ne pouvait tenir le stylo correctement par sa main à tel enseigne que j’avais invité le procureur de la république, lors d’une séance d’instruction, à constater avec moi que l’ingénieur comparant ne pouvait pas tenir le stylo par sa main pour signer le procès verbal.
En dépit de ces données décrites devant le juge d’instruction, celui ci n’avait donné aucune suite aux différentes demandes d’examen des victimes de torture par un médecin tout comme la cour qui n’a donné aucune suite non plus .
Ce que nous pouvons retenir est que la pratique de la torture a été reconnue par tous ceux qui ont suivi le procès de Wad Naga comme étant l’événement majeur extrêmement grave qui a caractérisé le traitement réservé à tous ceux qui ont fait le passage dans les locaux de l’armée, de la gendarmerie et de la police politique et ceux qui tentaient de nier l’existence de telles pratiques ou de s’inscrire en faux contre la torture ont été publiquement démasqués pour la simple raison qu’ils tentent par leur action de couvrir des pratiques éhontées d’un autre âge contre lesquelles notre pays, en ratifiant la convention contre la torture, s’est engagé à les prévenir et à poursuivre leurs auteurs et à les sanctionner .
En somme ce procès fut une étape importante dans la lutte contre la torture que nous avons tant décriée et dénoncée et que nous devons continuer à le faire pour sensibiliser les victimes à l’effet de ne pas renoncer à leurs droits tendant à poursuivre et à sanctionner tout tortionnaire et à dissuader tout ceux qui la pratiquent pour les amener à y renoncer pour ne pas s’exposer à des poursuites présentes ou à venir parce qu’il s’agit de crime qualifié d’imprescriptible.
AVOMM : Vous avez également dénoncé l'immixtion des pouvoirs publics dans le déroulement du procès qui s’est traduite par l'intervention de certains ministres qui ont à plusieurs reprises rendu des verdicts: Ex: le premier ministre devant les députés le 30/12/04 qui n'a pas hésité à condamner les prévenus, puis le ministère de la justice qui s’en prend violemment aux avocats. Quelle lecture faites-vous de tant d'agressivité de la part des autorités ?
Maitre Brahim Ould Ebety : – S’agissant de l’immixtion de l’exécutif dans le procès de Wad Naga, il faut dire que ces immixtions ont été l’oeuvre de différents membres du gouvernement à commencer par le Premier Ministre lors d’une intervention à l’Assemblée Nationale en plein procès où il avait déclaré que tous ceux qui sont impliqués dans la tentative de coup d’Etat doivent subir le châtiment le plus sévère, le Ministre de la Communication et des Relations avec le Parlement lors de ces différents points de presse du mercredi, le Ministère de la Justice par la voix de ses portes paroles à travers leurs déclarations ou points de presse par lesquels ils n’hésitaient pas à jeter l’huile sur le feu et à s’en prendre aux avocats parfois nommément désignés sans oublier le PRDS dans ses différentes déclarations.
Nous sommes dans un pays de séparation des pouvoirs où les membres du gouvernement parce que membres de l’exécutif sont astreints à observer toute la retenue et la réserve quant aux questions relevant de l’autorité judiciaire, or dans notre pays et pour influencer encadrer et orienter le déroulement d’une instance judiciaire, les membre de gouvernement se font un plaisir de rendre public leur verdict, il s’agit d’un fait très grave qui justifie sous d’autres cieux des poursuites pour haute trahison sauf si ces ministres et premier ministre croient que nous sommes encore dans l’état d’exception .
C’est pourquoi la défense, lors de ces différents points de presse, communiqués et interviews, n’a cessé de dénoncer ces immixtion en invitant les hautes autorités du pays à se saisir de la question à l’effet d’inviter les membres du gouvernement à se conformer aux prescriptions de la constitution et s’en tenir aux exigences de la séparation des pouvoirs .
AVOMM : Comment avez-vous accueilli la décision de la session du bureau permanent de l'union des avocats arabes qui s'est tenu à KHARTOUM au SOUDAN, qui reconnaît que le bâtonnier MAHFOUDH OULD BETTAH est régulièrement élu bâtonnier du barreau de Mauritanie et est en conséquence le seul à le représenter au bureau permanent de l'union des avocats ?
Maitre Brahim Ould Ebety : – S’agissant de la décision de la session du bureau permanent de l’Union des Avocats Arabes, tenue à Khartoum au Soudan qui a reconnu que le bâtonnier Mahfoudh Ould Bettah avait été régulièrement élu bâtonnier du barreau de Mauritanie, il convient de dire qu’il s’agit d’une décision qui a été saluée par tous les observateurs parce que consacre la réalité du scrutin du 27 juin 2002 par lequel les avocats mauritaniens avaient élu Me Mahfoudh Ould Bettah, bâtonnier de l’ordre des avocats de Mauritanie .
Une telle élection avait été reconnue et acceptée comme telle par toutes les franges de l’opinion publique mauritanienne sauf quelques segments réfractaires à l’existence d’un barreau fort et indépendant pour la simple raison que l’intérêt égoïste de ces réfractaires constitue la négation de l’Etat de Droit dont l’une des premières exigences passe par l’existence d’un barreau fort et indépendant.
Cette élection avait été également saluée et reconnue par toutes les organisations de barreaux auxquelles nous sommes affiliés à titre individuel ou collectif : l’Union des Avocats Arabes, la Conférence internationale des Barreaux de Tradition Juridique Commune dit CIB et l’Union Internationale des Avocats. Cette décision de l’Union des Avocats Arabes vient consolider les termes de référence de toute recherche de solution à la sortie de crise adoptée par l’ensemble des associations des organisations de barreaux dans le monde et ne manquera sans nul doute de constituer une source d’inspiration des autorités mauritanienne dans leur contribution à l’organisation d’élections transparentes lors du scrutin de juin 2005 à la dimension de la place qu’occupe aujourd’hui le barreau mauritanien sur l’échiquier tant national qu’international comme étant l’agent central pour toute entreprise d’édification d’un Etat de Droit . Il s’agit là d’une conclusion que dégage tout observateur quelles que soient ses affinités qui a suivi le procès de Wad Naga en raison de la place de choix qu’ont occupé les avocats lors de ces assises .
Mon souhait que je voudrai exprimer ici sous forme de demande serait la prise en compte de ces données par les hautes autorités nationales mais aussi par tous les protagonistes ainsi que toutes les organisations professionnelles de barreaux dans le monde pour garantir l’organisation du scrutin de juin 2005 sur des bases saines et transparentes pour protéger notre barreau de toute immixtion ou tentative d’inféodation condition sine quoi non pour l’accomplissement de sa noble mission et singulièrement dans les moments les plus difficiles dans l’exécution de son ministère .
AVOMM : N'avez-vous pas l'impression que le pouvoir de Nouakchott fort de ses alliances avec Israël et les USA n'accorde aucune importance aux pressions et dénonciations des associations des Droits de l'Homme?
Maitre Brahim Ould Ebety : – S’agissant des alliances du pouvoir mauritanien avec Israël et les Etats Unis d’Amérique, je pense que le pouvoir mauritanien ne saurait aliéner ses alliances objectives et historiques avec le monde arabe, l’Afrique et l’Europe. Cette déduction se dégage des données internationales nouvelles notamment du positionnement de la Mauritanie mais aussi de l’impact des pressions et dénonciations qui ont été entreprises partout en Europe pour appeler à plus de clémence et à plus de respect des droits de l’homme lors du procès de Wad Naga : appels qui ont été en grande partie entendus. En tout cas, les pressions et dénonciations de toute forme d’atteinte aux droits de l’homme ne doivent pas connaître de répit quel que soit le type d’alliance, parce que ces pressions et dénonciations sont menées à l’effet de sensibiliser les opinions publiques avant tout et nous avons remarqué que ces opinions européennes, américaines ou autres sont très sensibles aux violations de droits de l’homme et contribuent positivement au combat pour la sauvegarde et la défense des droits de l’homme.
AVOMM : Comment percevez-vous l’avenir devant la manipulation constante de la justice par le pouvoir ?
Maitre Brahim Ould Ebety : – Quant à l’avenir de la manipulation constante de la justice par le pouvoir : il faut dire que celle – ci continuera tant que deux facteurs ne sont pas réunis une volonté réelle et affirmée d’indépendance chez les magistrats et une volonté constante des pouvoirs publics de garantir l’indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs. Ces deux conditions cumulatives sont nécessaires à toute entreprise tendant à mettre fin à cette manipulation, mais le vecteur principal passe nécessairement par la volonté d’indépendance chez les magistrats. C’est ainsi que l’une des leçons qu’on peut tirer du procès de Wad Naga n’est autre que la nécessité de la prise de conscience de cette indépendance, parce que condition qui permettrait aux magistrats de remplir la tâche fondamentale que leur affecte la constitution par ce que chargés de la mission de garant des libertés individuelles des citoyens.
AVOMM : Que pensez-vous de l'initiative de l’Association d’aides aux veuves et orphelins de militaires de Mauritanie (AVOMM), qui vient de parrainer 293 orphelins issus de 60 familles de militaires noirs exécutés par le régime 1987,1988, 1990,1991 ?
Maitre Brahim Ould Ebety : – L’initiative de l’association d’aide aux veuves et orphelins des tristes événements des années 1987, 1988, 19890 et 1991 constitue une initiative exaltante parce que tend à contribuer à la prise en charge de ces veuves et orphelins abandonnés surtout qu’ils sont victimes de décisions extrajudiciaires prises à l’encontre des leurs, il y a lieu alors de l’élargir à toutes les victimes qui sont très nombreuses mais aussi à un ensemble d’ONG humanitaires et pourquoi pas à des gouvernement pour soustraire ces victimes de la frustration née de la gravité de leur souffrance et de l’impunité qui continue à protéger les auteurs de leurs souffrances .
AVOMM : Vous avez fondé il y a plusieurs années le GERRDES, comment se porte cette structure?
Maitre Brahim Ould Ebety : – Avec mon ami, confrère et ancien bâtonnier Diabira Maroufa ainsi que d’autres nous avons créé en 1993 le GERDDES à l’effet de contribuer à l’encadrement, à l’orientation et la supervision des opérations électorales par la création de monotoring, de conseils, de consultants et de superviseurs spécialisés dans les opérations électorales aussi bien en amont qu’en aval à l’instar de toutes les structures GERDDES en Afrique qui ont eu à jouer un rôle de premier plan dans l’enracinement des pratiques électorales partout en Afrique. Mais face au refus des autorités mauritaniennes de reconnaître notre ONG en dépit du statut d’observateur dont elle jouit au niveau de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, nous n’avons pas pu réaliser notre premier objectif qui passe nécessairement par un minimum de prédisposition et de collaboration des autorités mauritaniennes.
Nous continuons cependant à exister et espérons que le jour viendra où la transparence des opérations électorales constituera la tâche première des pouvoirs publics par sa prise en main par une autorité indépendante de l’ensemble des acteurs de la vie politique et donc débarrassée de toute entreprise de fraude tant en amont qu’en aval.
AVOMM : Lors d'un voyage à Dakar des rumeurs avaient fait état de votre imminente arrestation à votre retour au pays, ne craignez-vous pas d'être embastillé si l'on sait que vous posez beaucoup de problème au régime et à sa meute?
Maitre Brahim Ould Ebety : – Oui, lors de mon déplacement à Dakar à la fin du mois de novembre 2004 pour prendre part aux travaux de la commission africaine des droits de l’homme et des peuples, une rumeur avait été largement véhiculée selon laquelle un mandat d’arrêt a été lancé contre ma personne.
Sans pouvoir identifier l’origine précise de cette rumeur que véhiculent sans nul doute les nostalgiques des périodes d’exception et les ennemis de la démocratie et sans lui accorder la moindre importance en dépit de sa large diffusion, je suis rentré comme si de rien n’était et je peux vous dire que rien n’a été comme vous le savez d’ailleurs . A ce propos, j’aimerai préciser que la craindre de telles représailles contre l’action que je mène aux côtés de mes vaillants confrères, serait jouer le jeu des auteurs des rumeurs, et face à tout cela, j’entends affirmer que j’ai un idéal auquel je crois, idéal de liberté, de défense des droits de l’homme et d’action continue pour contribuer modestement d’une façon ou d’une autre à l’édification de l’Etat de droit dans mon pays
AVOMM : Les forces de répression viennent de commettre un nouveau crime sur la personne du soldat Sow Daouda Amadou le 19/01/05 à Nouakchott. Ce crime comme les autres crimes à caractère raciste notamment celui qui a coûté la vie au jeune Amadou Kane, âgé de 17 ans dans la nuit du 17/08/2003, puis celui de Moctar Diallo dit Oumar Ould Abdoullah, âgé de 25 ans semble nt bénéficier d’une impunité de la part des autorités quels sont à votre avis les raisons de ce silence devant une telle barbarie qui vise précisément une communauté désignée ?
Maitre Brahim Ould Ebety : – je pense que les crimes que vous citez sont particulièrement graves sur tous les plans parce que toute atteinte à la vie humaine constitue un fait très grave qui mérite toute l’attention et toutes les enquêtes appropriées. Or nous constatons que des personnes meurent ou sont tuées et aucune enquête à la dimension de l’événement n’est menée alors que toute mort exige conformément aux prescriptions du code de procédure pénale, une enquête minutieuse et soignée alors que s’agissant des deux cas que vous avez cités relatifs à des morts d’hommes, il a fallu énormément d’efforts de la part des ayants cause des victimes pour qu’une enquête soit initiée et de façon très timide, alors que pour persécuter, poursuivre ou arrêter un homme politique ou un militant des droits de l’homme, la police politique l’arrête, le garde à vue et commence à rechercher les raisons de son arrestation.
Ces enquêtes relatives à des morts d’hommes qui sont souvent menées avec retard et timidité dénotent d’une consécration encore de l’impunité dans notre pays, impunité que nous devons combattre par tous les moyens avec l’exigence d’une prise de conscience réelle et affirmée des ayants droit des victimes quant à la défense de leurs droits et notamment par la saisine de l’instance judiciaire et le suivi de l’action aux fins de poursuites et de sanctions.
AVOMM : Quelles seront les conséquences du verdict sur la paix civile en Mauritanie ?
Maitre Brahim Ould Ebety : – Les conséquences du verdict de Wad Naga sur la paix civile en Mauritanie peuvent se résumer par la création d’un climat d’apaisement, climat d’apaisement dans le monde politique parce que l’arrestation, la poursuite et le jugement des dirigeants de l’opposition Messieurs Ahmed Ould Daddah, Med Khouna Ould Haidalla et Cheikh El Moctar Ould Horma avait entraîné une crispation voire une crise politique au moment où tous les dirigeants de l’opposition appelaient au dialogue et à la concorde nationale, apaisement par le défaut de peine capitale qui avait été requise par le parquet de la République et un recul perceptible des règlements de compte d’ordre tribal ou régiona
Mais un tel sentiment pour qu’il soit consolidé a besoin d’un traitement plus objectif, plus serein de la situation de chacun des condamnés restés en prison parce qu’ils ont été victime de la globalité du dossier et du nombre des accusés mais aussi une fin rapide de la détention de messieurs Cheikh MOHAMED EL HACEN OULD DEDDEW, EL MOCTAR OULD MOHAMED MOUSSA et MOHAMED JEMIL OULD MANSOUR détenus et poursuivis sans motif suite à une plainte fantaisiste présentée au nom de l’Etat de Mauritanie alors qu’il est de notoriété qu’il s’agit de personnalités de grande notoriété tant nationale qu’internationale qui n’ont cessé d’appeler au dialogue et à la concorde nationale sans oublier les imams ABADALLAHI OULD ZEKERIA et MOHAMED OULD ABEWAH qui sont gardés à la police sans savoir le motif de leur arrestation depuis le 19/01/05 pour le premier et depuis le 27/01/05 pour le second .
En fait ce verdict peut être exploité à des fins de concorde nationale par l’ouverture d’un dialogue entre les acteurs politiques, une amnistie générale pouvant restaurer un climat de confiance au sein des forces armées et par un appel solennel du Président de la République à l’adresse de tous et notamment à son entourage pour lui dire à l’instar de son appel de KIFFA, des pratiques de OUMAR IBN ABDEL AZIZ et du témoignage de l’ancien ministre ISSELMOU OULD ABDEL KADER publié par le journal l’authentique livraison n° 187 du 07/02/2005 « KEVA NY NIVAKAN », ce qui veut dire « j’en ai assez de l’hypocrisie »
AVOMM : le cdt Hannana a parlé des graves massacres de centaines de soldats negro- mauritaniens dans les années 90/91 , particuliérement dans les casernes militaires ,en tant que juriste pensez vous que les familles des victimes de ces actes inqualifiables ,peuvent se battre encore pour poursuivre les criminels devant les tribunaux , rappelons aussi que l' avomm a porté plainte à Bruxelles contre le président O/ TAYA .
Maitre Brahim Ould Ebety : S’agissant des événements de 1990 et 1991 dont la barbarie avait été décrite par Messieurs Salah Ould Hanena et Abderrahmane Ould Mini lors de leur déposition devant la cour criminelle de WAD NAGA, loin de moi l’intention de vouloir reléguer au second plan ces témoignages de grande importance parce qu’ils émanent d’officiers de l’armée, mais j’aimerai mettre en relief que ces tristes événements qu’à connus l’armée au courant des années 1990 et 1991 ont été largement décrits à travers un débat contradictoire entre le gouvernement mauritanien et les ONG des droits de l’homme qui avaient pris en charge les intérêts des victimes, débat qui a été sanctionné par la décision et les recommandations de la commission africaine des droits de l’homme et des peuples lors de ses assises tenues à Alger en Algérie en mai 2000 et par lesquelles la commission avait constaté qu’il y a eu en Mauritanie des violations graves et massives des droits de l’homme durant la période 89 – 92 en recommandant relativement aux événements de 1990 et 1991 une enquête aux fins d’identifier les auteurs de ces crimes à l’effet de les poursuivre et de les sanctionner ainsi qu’une indemnisation de toutes les victimes : veuves et orphelins
Il s’agit là d’une décision et de recommandations d’importance capitale parce qu’elle émane d’une institution – la commission africaine des droits de l’homme et des peuples – créée par la conférence des chefs d'ETAT . Cette décision et ces recommandations à travers le débat contradictoire, les attendus et conclusions constitue l’une des décisions les plus claires, les plus précises en terme de démarche, d’arguments et de fondements juridiques . Pourquoi, j’estime qu’il revient aux victimes - veuves et orphelins - de s’en prévaloir et demander au gouvernement mauritanien d’assurer l’exécution de cette décision et de ces recommandations et en cas de réticence ou de refus ou de défaut de réponse, revenir devant la commission pour interpeller le même gouvernement .
AVOMM : Beaucoup de mouvements et de partis politiques , aujourd' hui, disent la nécessité d' organiser une conférence nationale pour définir les régles du jeu et sans tabou se pencher sur les problémes, tous les problémes du pays :la cohabitation , le racisme, l' exclavage, les réfugiés, la démocratie .... qu' en pensez vous Maître ?
Maitre Brahim Ould Ebety : – Vous parlez de conférence nationale pour définir les règles du jeu, je pense qu’il faut plutôt parler de dialogue entre les acteurs de la vie politique nationale et d’ouverture entre eux et de l’acceptation de l’opinion de l’autre en sachant que dans toute démocratie et singulièrement une démocratie pluraliste l’existence d’une opposition constitue la règle première de la vie politique loin de moi de considérer toute opposition taillée à mesure comme étant telle ou que le pouvoir doit créer lui même sa propre opposition . L’opposition veut dire aussi le débat contradictoire au parlement et donc l’acceptation de l’autre et un traitement égal de tous les députés par les médias d’Etat et les autorités publiques.
AVOMM : Merci Maître !
Entretien réalisé par Mohamed Dogui et Adama Sarr
L’homme qui est devenu pour tous l’icône de cette Mauritanie qui aspire à la justice. L’homme qui séduit par sa franchise naturelle, par l’élégance dans ses propos dignes et par sa prise de parole audacieuse, partageant avec ses collègues du collectif, sans jamais chercher à être sous les projecteurs ou à accaparer l’attention autour de lui. Incontestablement Maître Brahim Ould Ebety restera pour toujours un symbole de ce que la Mauritanie a de plus humble et de plus courageux, digne fils de notre peuple et de ses aspirations. "Projecteur" accueille pour vous, aujourd’hui, celui qui a consacré toute sa vie à défendre les victimes de la redoutable machine à broyer du colonel.
Med
AVOMM : Quelles conclusions tirez-vous de ce procès sachant que vous avez été confronté à de nombreuses violations des droits de la défense, des pressions et parfois même des interpellations dans les rangs de vos confrères?
Maitre Brahim Ould Ebety : - Les principales leçons que nous pouvons tirer du procès de WAD NAGA peuvent être présentées comme suit : - Il s’agit du procès le plus long de l’histoire judiciaire de notre pays parce que concerne le jugement de 195 accusés de différentes tentatives de coup d’Etat militaire ; - Il s’agit du procès record en matière de violation des règles de procédure, de ces violations nous nous limiterons aux principales : - Composition irrégulière de la cour devant juger tous ces accusés à tel point que notre consoeur Maître Aissata Tall SALL, du barreau du SENEGAL l’a qualifiée de juridiction adhoc, parce que non prévue par l’arsenal juridique défini par l’organisation judiciaire dans notre pays et parce qu’en Mauritanie il n’y a plus de juridictions d’exception depuis qu’elles ont été supprimées par les lois successives de 1993 et de 1999 et n’étant donc ni une juridiction de l’ordre judiciaire mauritanien ni une juridiction d’exception, elle ne saurait être qualifiée que de juridiction adhoc, vocable particulièrement descriptif de l’irrégularité de la cour créée suivant avis de la cour suprême pris à la demande du Ministre de la Défense, alors que la constitution énonce formellement que la création et l’organisation des juridictions sont du domaine de la loi ;
- Irrégularité entachant tous les procès verbaux de la police judiciaire relatifs aux événements des 8 et 9 juin 2003 parce que réalisés en dehors de toute autorité judiciaire et en exécution d’instructions des chefs d’Etat Major de l’armée et de la gendarmerie et irrégularité des PV relatifs aux tentatives des 8 août et 25 septembre 2004 pour incompétence territoriale et en la matière de leurs auteurs et pour faux et usage de faux caractérisé entachant certains de ces procès verbaux ; - Pratiques de tortures largement décrites et dénoncées par tous les accusés devant le juge d’instruction et devant la cour criminelle d’autant plus qu’il s’agit de faits graves en termes de cruauté et de nombre des victimes d’autant qu’en matière de droits de l’homme toute atteinte quel que soit son degré est grave
Ce fut alors une occasion où les insuffisances, les lacunes et les fautes graves entachant le déroulement des procédures d’enquêtes préliminaires avaient été décrites et dénoncées par la défense pour conclure que dans notre pays, les procédures d’enquête préliminaire sont effectuées par la police politique en l’absence d’instruction et de contrôle des juridictions d’instruction ou de l’autorité des parquets d’autant plus que la loi soumet ces enquêtes à l’autorité du parquet général qui peut, en cas de dépassement ou de fautes, adresser aux officiers de police judiciaire, tout avertissement et même initier des poursuites contre eux devant la cour suprême pour non conformité des actes qu’ils ont menés aux prescriptions de la loi.
La défense s’est acquitté noblement de sa mission combien difficile tout le long de ce procès qui a été certes émaillé de toute forme d’obstacles : violation des droits de la défense, militarisation excessive des conditions et du lieu où se déroulait le procès, menaces quotidiennes d’expulsion, de poursuites, poursuites qui ont même conduit dans certains cas à l’arrestation d’avocats qui ont été mis soit sous mandat de dépôt ou gardés à vue dans les locaux de la gendarmerie. Mais devant toutes ces obstructions, les avocats ont continué à assumer avec force et courage leur ministère et toutes ses représailles n’ont fait que les rendre plus énergiques et décider à défendre la loi et à exiger qu’elle soit la seule référence pour départager les protagonistes que sont la défense et l’accusation.
AVOMM : A force de patience et après plusieurs tentatives, vous avez pu rencontrer les détenus qui vous ont informé des tortures qu’ils ont subi. Pouvez-vous nous éclairer sur les séquelles que vous avez pu constater sur ces détenus, ainsi que les descriptions qui vous ont été faites par les intéressés.
Maitre Brahim Ould Ebety : – Des premières rencontres que nous avons eues avec nos clients en septembre 2003 et en octobre 2004 et au moment où tout le monde parlait de torture, nos clients et à travers des mots précis, clairs et d’un très grand courage nous ont décrit toutes les formes de tortures qu’ils ont subies . Ces descriptions de tortures peuvent être présentées comme suit :
- l’isolement complet de tout contact extérieur
- privation de sommeil, de repos, de soins, d’aliments et même de possibilité de satisfaire ses besoins naturels hors de la cellule où le détenu est gardé,
- privation d’habits durant les séances de tortures pour priver le corps de toute forme de protection et pour mieux humilier le détenu
- séances de torture et d’enquêtes durant les heures tardives de la nuit
- séances longues du procédé de torture tristement célèbre du nom de JAGWAR qui consiste à attacher les pieds et les mains par des fils électriques et accrocher le corps à un pilier en laissant la tête flotter et au même moment et par des matraques ou des bâtons frapper fortement sur les paumes des pieds et des mains qui sont déjà fortement attachés par les fils pour accentuer la douleur à tel point que le supplicié dont la tête est enveloppée par une cagoule succombe à ses douleurs et à son étouffement et ne trouve de repos que durant les moments où il perd connaissance
- l’extinction de cigarettes sur les parties les plus sensibles du corps sans oublier les séances où le poil des parties intimes du corps est enlevé ;
- il y a aussi d’autres séances où la personne est ligotée et l’officier tortionnaire portant des rangers, comme pour satisfaire un besoin personnel de cruauté, trotte sa victime ;
- conduite de certains des détenus à la plage tard la nuit en leur faisant croire qu’ils sont conduits pour être exécutés comme ce fut le cas des négro – africains en 1990 – 91 selon les termes rapportés par certains des détenus qui ont eu à subir de telles séances.
De ces pratiques et lors des premières rencontres, nous avons décelé les retombées et traces suivantes : tous les détenus étaient ahuris par ce qu’ils avaient subi et avaient le regard quelque perdu même s’ils décrivaient avec précision, courage et fermeté leurs souffrances ; les traces d’extinction de mégots de cigarettes, des traces d’attachement par les fils électriques aux pieds et aux mains à tel point que les pieds et les mains sont devenus insensibles, je me rappelle que j’avais même pour me rendre compte de l’ampleur de cette insensibilité pincé certains fortement, allumé même un briquet et ils étaient insensibles au pincement et à la flamme et de ces personnes aucun d’eux ne pouvait tenir le stylo correctement par sa main à tel enseigne que j’avais invité le procureur de la république, lors d’une séance d’instruction, à constater avec moi que l’ingénieur comparant ne pouvait pas tenir le stylo par sa main pour signer le procès verbal.
En dépit de ces données décrites devant le juge d’instruction, celui ci n’avait donné aucune suite aux différentes demandes d’examen des victimes de torture par un médecin tout comme la cour qui n’a donné aucune suite non plus .
Ce que nous pouvons retenir est que la pratique de la torture a été reconnue par tous ceux qui ont suivi le procès de Wad Naga comme étant l’événement majeur extrêmement grave qui a caractérisé le traitement réservé à tous ceux qui ont fait le passage dans les locaux de l’armée, de la gendarmerie et de la police politique et ceux qui tentaient de nier l’existence de telles pratiques ou de s’inscrire en faux contre la torture ont été publiquement démasqués pour la simple raison qu’ils tentent par leur action de couvrir des pratiques éhontées d’un autre âge contre lesquelles notre pays, en ratifiant la convention contre la torture, s’est engagé à les prévenir et à poursuivre leurs auteurs et à les sanctionner .
En somme ce procès fut une étape importante dans la lutte contre la torture que nous avons tant décriée et dénoncée et que nous devons continuer à le faire pour sensibiliser les victimes à l’effet de ne pas renoncer à leurs droits tendant à poursuivre et à sanctionner tout tortionnaire et à dissuader tout ceux qui la pratiquent pour les amener à y renoncer pour ne pas s’exposer à des poursuites présentes ou à venir parce qu’il s’agit de crime qualifié d’imprescriptible.
AVOMM : Vous avez également dénoncé l'immixtion des pouvoirs publics dans le déroulement du procès qui s’est traduite par l'intervention de certains ministres qui ont à plusieurs reprises rendu des verdicts: Ex: le premier ministre devant les députés le 30/12/04 qui n'a pas hésité à condamner les prévenus, puis le ministère de la justice qui s’en prend violemment aux avocats. Quelle lecture faites-vous de tant d'agressivité de la part des autorités ?
Maitre Brahim Ould Ebety : – S’agissant de l’immixtion de l’exécutif dans le procès de Wad Naga, il faut dire que ces immixtions ont été l’oeuvre de différents membres du gouvernement à commencer par le Premier Ministre lors d’une intervention à l’Assemblée Nationale en plein procès où il avait déclaré que tous ceux qui sont impliqués dans la tentative de coup d’Etat doivent subir le châtiment le plus sévère, le Ministre de la Communication et des Relations avec le Parlement lors de ces différents points de presse du mercredi, le Ministère de la Justice par la voix de ses portes paroles à travers leurs déclarations ou points de presse par lesquels ils n’hésitaient pas à jeter l’huile sur le feu et à s’en prendre aux avocats parfois nommément désignés sans oublier le PRDS dans ses différentes déclarations.
Nous sommes dans un pays de séparation des pouvoirs où les membres du gouvernement parce que membres de l’exécutif sont astreints à observer toute la retenue et la réserve quant aux questions relevant de l’autorité judiciaire, or dans notre pays et pour influencer encadrer et orienter le déroulement d’une instance judiciaire, les membre de gouvernement se font un plaisir de rendre public leur verdict, il s’agit d’un fait très grave qui justifie sous d’autres cieux des poursuites pour haute trahison sauf si ces ministres et premier ministre croient que nous sommes encore dans l’état d’exception .
C’est pourquoi la défense, lors de ces différents points de presse, communiqués et interviews, n’a cessé de dénoncer ces immixtion en invitant les hautes autorités du pays à se saisir de la question à l’effet d’inviter les membres du gouvernement à se conformer aux prescriptions de la constitution et s’en tenir aux exigences de la séparation des pouvoirs .
AVOMM : Comment avez-vous accueilli la décision de la session du bureau permanent de l'union des avocats arabes qui s'est tenu à KHARTOUM au SOUDAN, qui reconnaît que le bâtonnier MAHFOUDH OULD BETTAH est régulièrement élu bâtonnier du barreau de Mauritanie et est en conséquence le seul à le représenter au bureau permanent de l'union des avocats ?
Maitre Brahim Ould Ebety : – S’agissant de la décision de la session du bureau permanent de l’Union des Avocats Arabes, tenue à Khartoum au Soudan qui a reconnu que le bâtonnier Mahfoudh Ould Bettah avait été régulièrement élu bâtonnier du barreau de Mauritanie, il convient de dire qu’il s’agit d’une décision qui a été saluée par tous les observateurs parce que consacre la réalité du scrutin du 27 juin 2002 par lequel les avocats mauritaniens avaient élu Me Mahfoudh Ould Bettah, bâtonnier de l’ordre des avocats de Mauritanie .
Une telle élection avait été reconnue et acceptée comme telle par toutes les franges de l’opinion publique mauritanienne sauf quelques segments réfractaires à l’existence d’un barreau fort et indépendant pour la simple raison que l’intérêt égoïste de ces réfractaires constitue la négation de l’Etat de Droit dont l’une des premières exigences passe par l’existence d’un barreau fort et indépendant.
Cette élection avait été également saluée et reconnue par toutes les organisations de barreaux auxquelles nous sommes affiliés à titre individuel ou collectif : l’Union des Avocats Arabes, la Conférence internationale des Barreaux de Tradition Juridique Commune dit CIB et l’Union Internationale des Avocats. Cette décision de l’Union des Avocats Arabes vient consolider les termes de référence de toute recherche de solution à la sortie de crise adoptée par l’ensemble des associations des organisations de barreaux dans le monde et ne manquera sans nul doute de constituer une source d’inspiration des autorités mauritanienne dans leur contribution à l’organisation d’élections transparentes lors du scrutin de juin 2005 à la dimension de la place qu’occupe aujourd’hui le barreau mauritanien sur l’échiquier tant national qu’international comme étant l’agent central pour toute entreprise d’édification d’un Etat de Droit . Il s’agit là d’une conclusion que dégage tout observateur quelles que soient ses affinités qui a suivi le procès de Wad Naga en raison de la place de choix qu’ont occupé les avocats lors de ces assises .
Mon souhait que je voudrai exprimer ici sous forme de demande serait la prise en compte de ces données par les hautes autorités nationales mais aussi par tous les protagonistes ainsi que toutes les organisations professionnelles de barreaux dans le monde pour garantir l’organisation du scrutin de juin 2005 sur des bases saines et transparentes pour protéger notre barreau de toute immixtion ou tentative d’inféodation condition sine quoi non pour l’accomplissement de sa noble mission et singulièrement dans les moments les plus difficiles dans l’exécution de son ministère .
AVOMM : N'avez-vous pas l'impression que le pouvoir de Nouakchott fort de ses alliances avec Israël et les USA n'accorde aucune importance aux pressions et dénonciations des associations des Droits de l'Homme?
Maitre Brahim Ould Ebety : – S’agissant des alliances du pouvoir mauritanien avec Israël et les Etats Unis d’Amérique, je pense que le pouvoir mauritanien ne saurait aliéner ses alliances objectives et historiques avec le monde arabe, l’Afrique et l’Europe. Cette déduction se dégage des données internationales nouvelles notamment du positionnement de la Mauritanie mais aussi de l’impact des pressions et dénonciations qui ont été entreprises partout en Europe pour appeler à plus de clémence et à plus de respect des droits de l’homme lors du procès de Wad Naga : appels qui ont été en grande partie entendus. En tout cas, les pressions et dénonciations de toute forme d’atteinte aux droits de l’homme ne doivent pas connaître de répit quel que soit le type d’alliance, parce que ces pressions et dénonciations sont menées à l’effet de sensibiliser les opinions publiques avant tout et nous avons remarqué que ces opinions européennes, américaines ou autres sont très sensibles aux violations de droits de l’homme et contribuent positivement au combat pour la sauvegarde et la défense des droits de l’homme.
AVOMM : Comment percevez-vous l’avenir devant la manipulation constante de la justice par le pouvoir ?
Maitre Brahim Ould Ebety : – Quant à l’avenir de la manipulation constante de la justice par le pouvoir : il faut dire que celle – ci continuera tant que deux facteurs ne sont pas réunis une volonté réelle et affirmée d’indépendance chez les magistrats et une volonté constante des pouvoirs publics de garantir l’indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs. Ces deux conditions cumulatives sont nécessaires à toute entreprise tendant à mettre fin à cette manipulation, mais le vecteur principal passe nécessairement par la volonté d’indépendance chez les magistrats. C’est ainsi que l’une des leçons qu’on peut tirer du procès de Wad Naga n’est autre que la nécessité de la prise de conscience de cette indépendance, parce que condition qui permettrait aux magistrats de remplir la tâche fondamentale que leur affecte la constitution par ce que chargés de la mission de garant des libertés individuelles des citoyens.
AVOMM : Que pensez-vous de l'initiative de l’Association d’aides aux veuves et orphelins de militaires de Mauritanie (AVOMM), qui vient de parrainer 293 orphelins issus de 60 familles de militaires noirs exécutés par le régime 1987,1988, 1990,1991 ?
Maitre Brahim Ould Ebety : – L’initiative de l’association d’aide aux veuves et orphelins des tristes événements des années 1987, 1988, 19890 et 1991 constitue une initiative exaltante parce que tend à contribuer à la prise en charge de ces veuves et orphelins abandonnés surtout qu’ils sont victimes de décisions extrajudiciaires prises à l’encontre des leurs, il y a lieu alors de l’élargir à toutes les victimes qui sont très nombreuses mais aussi à un ensemble d’ONG humanitaires et pourquoi pas à des gouvernement pour soustraire ces victimes de la frustration née de la gravité de leur souffrance et de l’impunité qui continue à protéger les auteurs de leurs souffrances .
AVOMM : Vous avez fondé il y a plusieurs années le GERRDES, comment se porte cette structure?
Maitre Brahim Ould Ebety : – Avec mon ami, confrère et ancien bâtonnier Diabira Maroufa ainsi que d’autres nous avons créé en 1993 le GERDDES à l’effet de contribuer à l’encadrement, à l’orientation et la supervision des opérations électorales par la création de monotoring, de conseils, de consultants et de superviseurs spécialisés dans les opérations électorales aussi bien en amont qu’en aval à l’instar de toutes les structures GERDDES en Afrique qui ont eu à jouer un rôle de premier plan dans l’enracinement des pratiques électorales partout en Afrique. Mais face au refus des autorités mauritaniennes de reconnaître notre ONG en dépit du statut d’observateur dont elle jouit au niveau de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, nous n’avons pas pu réaliser notre premier objectif qui passe nécessairement par un minimum de prédisposition et de collaboration des autorités mauritaniennes.
Nous continuons cependant à exister et espérons que le jour viendra où la transparence des opérations électorales constituera la tâche première des pouvoirs publics par sa prise en main par une autorité indépendante de l’ensemble des acteurs de la vie politique et donc débarrassée de toute entreprise de fraude tant en amont qu’en aval.
AVOMM : Lors d'un voyage à Dakar des rumeurs avaient fait état de votre imminente arrestation à votre retour au pays, ne craignez-vous pas d'être embastillé si l'on sait que vous posez beaucoup de problème au régime et à sa meute?
Maitre Brahim Ould Ebety : – Oui, lors de mon déplacement à Dakar à la fin du mois de novembre 2004 pour prendre part aux travaux de la commission africaine des droits de l’homme et des peuples, une rumeur avait été largement véhiculée selon laquelle un mandat d’arrêt a été lancé contre ma personne.
Sans pouvoir identifier l’origine précise de cette rumeur que véhiculent sans nul doute les nostalgiques des périodes d’exception et les ennemis de la démocratie et sans lui accorder la moindre importance en dépit de sa large diffusion, je suis rentré comme si de rien n’était et je peux vous dire que rien n’a été comme vous le savez d’ailleurs . A ce propos, j’aimerai préciser que la craindre de telles représailles contre l’action que je mène aux côtés de mes vaillants confrères, serait jouer le jeu des auteurs des rumeurs, et face à tout cela, j’entends affirmer que j’ai un idéal auquel je crois, idéal de liberté, de défense des droits de l’homme et d’action continue pour contribuer modestement d’une façon ou d’une autre à l’édification de l’Etat de droit dans mon pays
AVOMM : Les forces de répression viennent de commettre un nouveau crime sur la personne du soldat Sow Daouda Amadou le 19/01/05 à Nouakchott. Ce crime comme les autres crimes à caractère raciste notamment celui qui a coûté la vie au jeune Amadou Kane, âgé de 17 ans dans la nuit du 17/08/2003, puis celui de Moctar Diallo dit Oumar Ould Abdoullah, âgé de 25 ans semble nt bénéficier d’une impunité de la part des autorités quels sont à votre avis les raisons de ce silence devant une telle barbarie qui vise précisément une communauté désignée ?
Maitre Brahim Ould Ebety : – je pense que les crimes que vous citez sont particulièrement graves sur tous les plans parce que toute atteinte à la vie humaine constitue un fait très grave qui mérite toute l’attention et toutes les enquêtes appropriées. Or nous constatons que des personnes meurent ou sont tuées et aucune enquête à la dimension de l’événement n’est menée alors que toute mort exige conformément aux prescriptions du code de procédure pénale, une enquête minutieuse et soignée alors que s’agissant des deux cas que vous avez cités relatifs à des morts d’hommes, il a fallu énormément d’efforts de la part des ayants cause des victimes pour qu’une enquête soit initiée et de façon très timide, alors que pour persécuter, poursuivre ou arrêter un homme politique ou un militant des droits de l’homme, la police politique l’arrête, le garde à vue et commence à rechercher les raisons de son arrestation.
Ces enquêtes relatives à des morts d’hommes qui sont souvent menées avec retard et timidité dénotent d’une consécration encore de l’impunité dans notre pays, impunité que nous devons combattre par tous les moyens avec l’exigence d’une prise de conscience réelle et affirmée des ayants droit des victimes quant à la défense de leurs droits et notamment par la saisine de l’instance judiciaire et le suivi de l’action aux fins de poursuites et de sanctions.
AVOMM : Quelles seront les conséquences du verdict sur la paix civile en Mauritanie ?
Maitre Brahim Ould Ebety : – Les conséquences du verdict de Wad Naga sur la paix civile en Mauritanie peuvent se résumer par la création d’un climat d’apaisement, climat d’apaisement dans le monde politique parce que l’arrestation, la poursuite et le jugement des dirigeants de l’opposition Messieurs Ahmed Ould Daddah, Med Khouna Ould Haidalla et Cheikh El Moctar Ould Horma avait entraîné une crispation voire une crise politique au moment où tous les dirigeants de l’opposition appelaient au dialogue et à la concorde nationale, apaisement par le défaut de peine capitale qui avait été requise par le parquet de la République et un recul perceptible des règlements de compte d’ordre tribal ou régiona
Mais un tel sentiment pour qu’il soit consolidé a besoin d’un traitement plus objectif, plus serein de la situation de chacun des condamnés restés en prison parce qu’ils ont été victime de la globalité du dossier et du nombre des accusés mais aussi une fin rapide de la détention de messieurs Cheikh MOHAMED EL HACEN OULD DEDDEW, EL MOCTAR OULD MOHAMED MOUSSA et MOHAMED JEMIL OULD MANSOUR détenus et poursuivis sans motif suite à une plainte fantaisiste présentée au nom de l’Etat de Mauritanie alors qu’il est de notoriété qu’il s’agit de personnalités de grande notoriété tant nationale qu’internationale qui n’ont cessé d’appeler au dialogue et à la concorde nationale sans oublier les imams ABADALLAHI OULD ZEKERIA et MOHAMED OULD ABEWAH qui sont gardés à la police sans savoir le motif de leur arrestation depuis le 19/01/05 pour le premier et depuis le 27/01/05 pour le second .
En fait ce verdict peut être exploité à des fins de concorde nationale par l’ouverture d’un dialogue entre les acteurs politiques, une amnistie générale pouvant restaurer un climat de confiance au sein des forces armées et par un appel solennel du Président de la République à l’adresse de tous et notamment à son entourage pour lui dire à l’instar de son appel de KIFFA, des pratiques de OUMAR IBN ABDEL AZIZ et du témoignage de l’ancien ministre ISSELMOU OULD ABDEL KADER publié par le journal l’authentique livraison n° 187 du 07/02/2005 « KEVA NY NIVAKAN », ce qui veut dire « j’en ai assez de l’hypocrisie »
AVOMM : le cdt Hannana a parlé des graves massacres de centaines de soldats negro- mauritaniens dans les années 90/91 , particuliérement dans les casernes militaires ,en tant que juriste pensez vous que les familles des victimes de ces actes inqualifiables ,peuvent se battre encore pour poursuivre les criminels devant les tribunaux , rappelons aussi que l' avomm a porté plainte à Bruxelles contre le président O/ TAYA .
Maitre Brahim Ould Ebety : S’agissant des événements de 1990 et 1991 dont la barbarie avait été décrite par Messieurs Salah Ould Hanena et Abderrahmane Ould Mini lors de leur déposition devant la cour criminelle de WAD NAGA, loin de moi l’intention de vouloir reléguer au second plan ces témoignages de grande importance parce qu’ils émanent d’officiers de l’armée, mais j’aimerai mettre en relief que ces tristes événements qu’à connus l’armée au courant des années 1990 et 1991 ont été largement décrits à travers un débat contradictoire entre le gouvernement mauritanien et les ONG des droits de l’homme qui avaient pris en charge les intérêts des victimes, débat qui a été sanctionné par la décision et les recommandations de la commission africaine des droits de l’homme et des peuples lors de ses assises tenues à Alger en Algérie en mai 2000 et par lesquelles la commission avait constaté qu’il y a eu en Mauritanie des violations graves et massives des droits de l’homme durant la période 89 – 92 en recommandant relativement aux événements de 1990 et 1991 une enquête aux fins d’identifier les auteurs de ces crimes à l’effet de les poursuivre et de les sanctionner ainsi qu’une indemnisation de toutes les victimes : veuves et orphelins
Il s’agit là d’une décision et de recommandations d’importance capitale parce qu’elle émane d’une institution – la commission africaine des droits de l’homme et des peuples – créée par la conférence des chefs d'ETAT . Cette décision et ces recommandations à travers le débat contradictoire, les attendus et conclusions constitue l’une des décisions les plus claires, les plus précises en terme de démarche, d’arguments et de fondements juridiques . Pourquoi, j’estime qu’il revient aux victimes - veuves et orphelins - de s’en prévaloir et demander au gouvernement mauritanien d’assurer l’exécution de cette décision et de ces recommandations et en cas de réticence ou de refus ou de défaut de réponse, revenir devant la commission pour interpeller le même gouvernement .
AVOMM : Beaucoup de mouvements et de partis politiques , aujourd' hui, disent la nécessité d' organiser une conférence nationale pour définir les régles du jeu et sans tabou se pencher sur les problémes, tous les problémes du pays :la cohabitation , le racisme, l' exclavage, les réfugiés, la démocratie .... qu' en pensez vous Maître ?
Maitre Brahim Ould Ebety : – Vous parlez de conférence nationale pour définir les règles du jeu, je pense qu’il faut plutôt parler de dialogue entre les acteurs de la vie politique nationale et d’ouverture entre eux et de l’acceptation de l’opinion de l’autre en sachant que dans toute démocratie et singulièrement une démocratie pluraliste l’existence d’une opposition constitue la règle première de la vie politique loin de moi de considérer toute opposition taillée à mesure comme étant telle ou que le pouvoir doit créer lui même sa propre opposition . L’opposition veut dire aussi le débat contradictoire au parlement et donc l’acceptation de l’autre et un traitement égal de tous les députés par les médias d’Etat et les autorités publiques.
AVOMM : Merci Maître !
Entretien réalisé par Mohamed Dogui et Adama Sarr