Calme, discret,presque timide,il préfère les tables de conférences aux plateaux d'interview. Boubacar DIAGANA au parler franc, au verbe incisif a marqué le paysage politique mauritanien de l'extérieur.
Pour lui, le combat pour la justice est d'abord un combat mené avec les autres et pour les autres, pour surtout sa patrie et son peuple. Ses prises de position, parfois tonitruantes, sa rigueur, son pragmatisme et surtout sa capacité d’aller à l'essentiel et de séparer , sans aucune concession , le bon grain de l'ivraie, font qu'il bénéficie de l'admiration du grand nombre, bien au-delà de son groupe politique. Il a accepté de répondre à nos questions.
AVOMM : Pouvez-vous nous donner votre appréciation sur le changement intervenu au pays ?
Boubacar DIAGANA : Mon appréciation sera d'autant plus facile que nous avons un recul de deux mois. Deux mois au cours desquels le CMJD a désigné un premier ministre qui a présenté au chef de la junte son équipe gouvernementale, reçu les partis politiques et amnistié un certain nombre de personnes accusées de crimes et/ou délits politiques. Depuis, le CMJD et le gouvernement ont défini leur seul objectif, réussir la transition, et leurs priorités pour cela affichées dans trois comités Interministériels. Aujourd'hui les ministres du gouvernement et le Premier ministre en tête se mettent à dresser les premiers bilans de l'action de ces comités.
Quand on se met à dresser des bilans de son action c'est qu'on l'a bien circonscrite. Or, il me semble que deux questions essentielles sont Absentes cette action. L'une est d'essence politique, c'est la question nationale et sociale. L'autre est simplement de l'ordre du sentiment humain ; c'est le problème des déportés mauritaniens au Sénégal et au Mali. Je ne peux comprendre que l'une et l'autre échappent à l'attention de la junte ou sortent de ses priorités. Alors que pendant ce temps, elle ouvre les portes des prisons à des individus dont certains ont, par leurs actions, causé la mort de nos paisibles compatriotes. Comment dans ces conditions ne pas se poser des questions, certaines questions sur les motifs réels de changement et ses objectifs recherchés. En tout cas, il ressemble à une légitimation après coup du putsch du 8 juin 2003 et a au moins permis une chose : éviter à la Mauritanie une guerre civile en réconciliant entre elles certaines de ses tribus qui se regardaient en chiens de faïence, depuis que les smassides font main basse sur le pays,presque sans partage.Il eut été plus intelligent et plus humain que la junte, aussitôt Ould Taya renversé, demande et organise le retour des déportés.
Car s'il y a des événements caractéristiques, par leur gravité et leur symbole, des dérives racistes du régime de Ould Taya, c'est bien les déportations et les massacres dont ont été victimes les militaires négro-africains entre 1990 et 1992. Aujourd'hui, les veuves, les orphelins, les ayant droits ou tout simplement les amis de ces militaires ont les yeux grands ouverts et les oreilles bien tendues vers les nouvelles autorités, mais ne voient toujours rien venir. Au point que certains se demandent, surtout parmi les enfants qui sont nés ou ont grandi dans ce contexte, si réellement leurs défunts parents et par extension eux-mêmes sont des mauritaniens ou considérés comme tels. Il faut bien que quelqu'un leur apporte la réponse.Cette attitude des autorités de Nouakchott renforce notre conviction et alourdit notre tâche. Celle de l'AVOMM aussi d'ailleurs.La question nationale, elle, est antérieure au régime de Taya et demeure encore entière. Est-ce par mépris, est-ce par ignorance, je ne sais pas.Toujours est-il que les régimes successifs en Mauritanie préfèrent l'occulter. Jusqu'à quand continueront-ils sur cette voix ? En tout état de cause, nous ne démorderons pas.
AVOMM : Pour des observateurs non avertis, on a tendance à se perdre dans ces multitudes d'alliances qui ont vu le jour et qui ont disparu aussitôt,pour être remplacées par d'autres structures, je pense notamment à la COALITION DES FORCES PATRIOTIQUES, qui semble s'être substituée au FOME et aux signataires de la déclaration de Dakar dont certains initiateurs sont rentrés au pays et d'autres attendent toujours que le CMJD se prononce sur le retour des réfugiés, Mr Diagana pouvez vous nous aider à comprendre cette situation.
Boubacar DIAGANA : la période qui a précédé la chute de Ould Taya comme celle après d'ailleurs ont été riches en regroupements. On a comme l'impression que dans ce paysage chacun voulait la chute du dictateur, mais ne voulait pas qu'elle soit du fait de l'autre. Ce qui explique les amitiés que les uns faisaient aux autres. La coalition des forces patriotiques est un de ces regroupements, créé en prévision et dans le contexte de la rencontre de Dakar. Elle est différente du FOME qui ne regroupait que des organisations présentes en Europe. Alors que la Coalition excluait certaines organisations politiques et associatives en Europe, mais avait en son sein des éléments présents en Afrique; c'est-à-dire ceux des Cavaliers du Changement. C'est d'ailleurs ceux-là qui sont rentrés. C'est à croire que la mesure d'amnistie décrétée en leur faveur par le CMJD et la libération des détenus était leurs seules revendications. Une fois ces revendications safisfaites, ces éléments des Cavaliers du Changement ont estimé qu'ils pouvaient rentrer. Quant aux autres, c'est-à-dire l'Alliance Patriotique et Conscience et Résistance, ils semblent trouver insuffisantes les mesures prises par le CMJD, notamment ils regrettent qu'il n'ait pas été fait cas des déportés. Pour les FLAM, c'est plus profond et plus compliqué.
AVOMM : Le congrès des FLAM est annoncé pour décembre, à votre connaissance ce congrès se tiendra-t-il en Mauritanie et quelles seront les grandes priorités de votre mouvement ?
Boubacar DIAGANA : Oui le prochain congrès des FLAM est annoncé pour décembre. Il aurait marqué les esprits s'il se tenait en Mauritanie. Mais il avait été prévu bien avant le renversement de Ould Taya pour se Tenir dans un autre pays et ce lieu sera respecté. Cependant l'évènement politique que constitue la chute du dictateur pèsera sur ses travaux. Les priorités du mouvement seront celles que ses instances auront définies. Mais il me semble que l'on ne peut pas ne pas poser la question de son futur, en particulier pour dire si celui-ci se fera en Mauritanie ou non et à quelle échéance. Je connais aujourd'hui un nombre important de mauritaniens en France et en Europe non structurés qui montre de grandes disponibilités à travailler avec le mouvement et qui peuvent nous apporter beaucoup sur le plan de la réflexion et dans la phase qui s'annonce. Il suffit de faire un geste en leur direction.
AVOMM : N'avez-vous pas l'impression que le FOME est aujourd'hui menacé De disparaître, où peut-il encore servir ?
Boubacar DIAGANA : le FOME est un cadre de concertation voulu par les organisations qui le composent. J'ai, en ce qui me concerne, secondé le camarade Mamadou Bocar BA durant toute la phase de préparation jusqu'à sa mise en place effective. A partir du moment où cette structure s'est dotée d'une instance dirigeante, j'ai considéré que mon rôle était terminé. Cependant celui du FOME se poursuit et il semble qu'il abat un travail Non négligeable, notamment d'information en direction de l'opinion Européenne et internationale sur la réalité des choses dans notre pays. Plusieurs de ses responsables sont montés au créneau, le président (BA Mamadou Bocar), le porte-parole (Beddy Ould Ebnou) et le responsable aux relations extérieures (SY Hamdou Raby) sont, ensemble ou séparément, allés au devant de la presse pour donner le point de vue du FOME sur le changement intervenu en Mauritanie et rappeler les exigences de cette structure.
AVOMM : Les FLAM ne sont-elles pas confrontées à un dilemme : l'envie De rentrer pour jouer leur rôle dans l'espace démocratique et les Contraintes liées à l'absence d'une volonté réelle des autorités du pays à définir leur position par rapport aux questions nationales ?<br><br>
Boubacar DIAGANA : Non, les FLAM ne font face à aucun dilemme. La non prise en compte par les autorités mauritaniennes, précédentes comme actuelles, n'altère en rien la détermination de notre mouvement dans le combat qu'il mène pour l'avènement d'une Mauritanie égalitaire et véritablement juste. Cela passe par le règlement de la question nationale et sociale. Il faudra maintenant pour nous aller au-delà de cela. Il s'agit désormais de dire à l'opinion nationale, le paysage politique national comment entendons-nous ou envisageons nous régler cette question nationale. Je cois que c'est là une curiosité bien légitime de la part de ceux qui pendant plusieurs décennies nous ont entendu soulever et répéter à volonté cette question.
Elle doit faire l'objet d'une étude claire et précise, consignée dans un projet de société qui peut faire l'objet de débats avec l'ensemble du paysage politique national. Notre place est à l'intérieur du pays, pas ailleurs. Je crois qu'il est venu le temps de comprendre que notre lutte gagnera en profondeur et en crédibilité quand elle est menée aussi de l'intérieur. Bien entendu, toutes les conditions ne sont pas encore réunies. Mais le seront-elles réellement un jour ? Donc, il faut un moment savoir faire ce choix et aller croiser le fer avec tous ceux qui de l'intérieur nous prennent pour des monstres. Beaucoup seront surpris par notre capacité d'action, de mobilisation, notre
Capacités de propositions alternatives, notre façon de faire la politique. De toute façon, il ne nous arrivera rien qui ne nous est déjà arrivé. Nos militants ont été traqués et tués avant quiconque. Si d'aventure on devait connaître le même sort, rien ne nous interdit de reprendre le chemin de l'exil et poursuivre depuis l'étranger notre combat.
AVOMM : Que pensez-vous de ce gouvernement de transition?
Boubacar DIAGANA : Pas grand'chose. A-t-il réellement les mains libres ? Il fait ce que le CMJD lui intime de faire. Pour l'instant, il limoge et nomme. Il ne peut faire autrement. Il affiche une volonté de s'attaquer à l'injustice et à la corruption. S'agit-il là de maux nouveaux ? Pour prolonger votre question, est-ce qu'il diffère des précédents ? La réponse est non. Il respecte dans sa composition les traditionnels « équilibres » imaginaires qui veulent qu'il y ait à chaque fois les mêmes proportions pour telle ou telle ethnie dans le gouvernement. Et après On dit à ceux qui, comme les FLAM, dénoncent cet état des faits qu'ils ont une analyse ethniciste de la situation politique mauritanienne. C'est le comble de l'hypocrisie. Je veux bien que l'on m'explique comment par exemple dans chaque composition de gouvernement on ne trouve qu'un seul soninké « compétent » pour y entrer ? Pourquoi par exemple jamais de wolof au gouvernement. Tout comme avant l'entrée de Messaoud Ould Boulkhaïr sous Haïdalla les Haratine n'avaient pas droit de cité ? Tout cela participe d'une une logique, celle d'un système auquel il faut mettre un terme.
La Mauritanie est un état démographique, comme Israël est un état de peuplement, appelant tous les juifs du monde entier à venir peupler le pays pour ne pas laisser de place aux autres, les arabes israéliens en l'occurrence. En Mauritanie, en près de 50 années d'existence, on se refuse de produire des statistiques sur la composition de la population, pour donner un ordre de grandeur de chacune des composantes. Mais en même temps on minore toute une partie de la population. Sur quelle base ? Cela ne peut continuer éternellement.
AVOMM : Des membres influents des FLAM, nos frères Kaaw Touré, Mamadou Bocar ont été interviewés par des journaux publiés au pays, un ministre a même prononcé dans une radio internationale le nom du président des FLAM, Samba Thiam, n'est-ce pas là un signe de la volonté du CMJD à bannir la censure et à reconnaître votre mouvement?
Boubacar DIAGANA : je pense que les interviews auxquels vous faites allusion n'ont pas eu besoin de l'aval du CMJD. Mais ne vous y méprenez pas. Quelques jours avant la publication de ces interviews, le ministre de l'Intérieur ou le porte-parole du gouvernement ne demandait-il as à interdire toutes les réunions à caractère ethnique ou tribal et à la presse spécialement de censurer les propos qui menacerait l'unité nationale. C'est dire donc que sur ce plan, comme sur d'autres d'ailleurs, on n'est pas sorti de l'ère Ould Taya.
AVOMM : Votre mouvement envisage-t-il de déposer une demande de reconnaissance en vue d'exercer comme Parti politique dûment reconnu, et participera-t-il au referendum, et aux élections ?
Boubacar DIAGANA : Je ne sais pas si le nécessaire adaptation de notre mouvement à l'évolution politique se fera selon le calendrier qui se profile en Mauritanie. Mais il est certain que nous devrions un jour, que j'espère pas lointain, envisager cette éventualité. Mais pour la reconnaissance au cas échéant, il sera du ressort du ministère de l'Intérieur. Il me semble que cet examen n'est pas gagné d'office. Un parti de l'intérieur attend toujours sa reconnaissance. Alors quand on s'appelle les FLAM (si c'est sous cette forme qu'elles se présentent), on imagine...
AVOMM : MR DIAGANA vous êtes un dirigeant des FLAM, il semble que votre mouvement avait annoncé à Dakar avec d' autres, le renoncement à la violence comme moyens de lutte, alors pensez vous que cette position a été dictée par Me Wade ? Si non, était ce un simple calcul politicien?
Boubacar DIAGANA : Dans la déclaration de Dakar, les parties prenantes dont les FLAM ont effectivement renoncé à la lutte armée comme mode d'accession au pouvoir. Ce n'était pas une décision facile à prendre.
Mais il fallait faire ce geste de bonne volonté en direction de la junte qui venait tout de même de débarrasser la Mauritanie du plus grand Dictateur qu'elle n'ait jamais connu. C'était donc une décision prise librement par les partis mauritaniens, certainement bien appréciée par le Président Wade. La suite a été plus complexe et plus difficile à gérer. Car cet engagement n'a pu être obtenu, en tout cas dans l'esprit de mon organisation, que dans la mesure où il s'inscrirait dans un cadre plus global incluant la libération des détenus politiques (ce fut fait), mais surtout le retour des déportés et l'ouverture d'un débat sur la question de la cohabitation entre arabes et négro-africains dans notre pays.Aujourd'hui, je crains qu'une certaine frange ait l'impression d'avoir été précipitée dans un projet qui ne visait en réalité qu'à favoriser le retour des Cavaliers du Changement et la réconciliation intertribale à laquelle on a assistée par la suite. Cela d'autant plus que depuis leur retour de Dakar, les acteurs nous maintiennent dans un mutisme total.
AVOMM : Merci d'avoir répondu à nos questions!
Boubacar DIAGANA : je vous remercie de m'avoir donné la parole pour Livrer mon analyse de la situation de notre pays à nos compatriotes à travers votre site.
Propos recueillis par Adama Sarr et Mohamed Dogui
Pour lui, le combat pour la justice est d'abord un combat mené avec les autres et pour les autres, pour surtout sa patrie et son peuple. Ses prises de position, parfois tonitruantes, sa rigueur, son pragmatisme et surtout sa capacité d’aller à l'essentiel et de séparer , sans aucune concession , le bon grain de l'ivraie, font qu'il bénéficie de l'admiration du grand nombre, bien au-delà de son groupe politique. Il a accepté de répondre à nos questions.
AVOMM : Pouvez-vous nous donner votre appréciation sur le changement intervenu au pays ?
Boubacar DIAGANA : Mon appréciation sera d'autant plus facile que nous avons un recul de deux mois. Deux mois au cours desquels le CMJD a désigné un premier ministre qui a présenté au chef de la junte son équipe gouvernementale, reçu les partis politiques et amnistié un certain nombre de personnes accusées de crimes et/ou délits politiques. Depuis, le CMJD et le gouvernement ont défini leur seul objectif, réussir la transition, et leurs priorités pour cela affichées dans trois comités Interministériels. Aujourd'hui les ministres du gouvernement et le Premier ministre en tête se mettent à dresser les premiers bilans de l'action de ces comités.
Quand on se met à dresser des bilans de son action c'est qu'on l'a bien circonscrite. Or, il me semble que deux questions essentielles sont Absentes cette action. L'une est d'essence politique, c'est la question nationale et sociale. L'autre est simplement de l'ordre du sentiment humain ; c'est le problème des déportés mauritaniens au Sénégal et au Mali. Je ne peux comprendre que l'une et l'autre échappent à l'attention de la junte ou sortent de ses priorités. Alors que pendant ce temps, elle ouvre les portes des prisons à des individus dont certains ont, par leurs actions, causé la mort de nos paisibles compatriotes. Comment dans ces conditions ne pas se poser des questions, certaines questions sur les motifs réels de changement et ses objectifs recherchés. En tout cas, il ressemble à une légitimation après coup du putsch du 8 juin 2003 et a au moins permis une chose : éviter à la Mauritanie une guerre civile en réconciliant entre elles certaines de ses tribus qui se regardaient en chiens de faïence, depuis que les smassides font main basse sur le pays,presque sans partage.Il eut été plus intelligent et plus humain que la junte, aussitôt Ould Taya renversé, demande et organise le retour des déportés.
Car s'il y a des événements caractéristiques, par leur gravité et leur symbole, des dérives racistes du régime de Ould Taya, c'est bien les déportations et les massacres dont ont été victimes les militaires négro-africains entre 1990 et 1992. Aujourd'hui, les veuves, les orphelins, les ayant droits ou tout simplement les amis de ces militaires ont les yeux grands ouverts et les oreilles bien tendues vers les nouvelles autorités, mais ne voient toujours rien venir. Au point que certains se demandent, surtout parmi les enfants qui sont nés ou ont grandi dans ce contexte, si réellement leurs défunts parents et par extension eux-mêmes sont des mauritaniens ou considérés comme tels. Il faut bien que quelqu'un leur apporte la réponse.Cette attitude des autorités de Nouakchott renforce notre conviction et alourdit notre tâche. Celle de l'AVOMM aussi d'ailleurs.La question nationale, elle, est antérieure au régime de Taya et demeure encore entière. Est-ce par mépris, est-ce par ignorance, je ne sais pas.Toujours est-il que les régimes successifs en Mauritanie préfèrent l'occulter. Jusqu'à quand continueront-ils sur cette voix ? En tout état de cause, nous ne démorderons pas.
AVOMM : Pour des observateurs non avertis, on a tendance à se perdre dans ces multitudes d'alliances qui ont vu le jour et qui ont disparu aussitôt,pour être remplacées par d'autres structures, je pense notamment à la COALITION DES FORCES PATRIOTIQUES, qui semble s'être substituée au FOME et aux signataires de la déclaration de Dakar dont certains initiateurs sont rentrés au pays et d'autres attendent toujours que le CMJD se prononce sur le retour des réfugiés, Mr Diagana pouvez vous nous aider à comprendre cette situation.
Boubacar DIAGANA : la période qui a précédé la chute de Ould Taya comme celle après d'ailleurs ont été riches en regroupements. On a comme l'impression que dans ce paysage chacun voulait la chute du dictateur, mais ne voulait pas qu'elle soit du fait de l'autre. Ce qui explique les amitiés que les uns faisaient aux autres. La coalition des forces patriotiques est un de ces regroupements, créé en prévision et dans le contexte de la rencontre de Dakar. Elle est différente du FOME qui ne regroupait que des organisations présentes en Europe. Alors que la Coalition excluait certaines organisations politiques et associatives en Europe, mais avait en son sein des éléments présents en Afrique; c'est-à-dire ceux des Cavaliers du Changement. C'est d'ailleurs ceux-là qui sont rentrés. C'est à croire que la mesure d'amnistie décrétée en leur faveur par le CMJD et la libération des détenus était leurs seules revendications. Une fois ces revendications safisfaites, ces éléments des Cavaliers du Changement ont estimé qu'ils pouvaient rentrer. Quant aux autres, c'est-à-dire l'Alliance Patriotique et Conscience et Résistance, ils semblent trouver insuffisantes les mesures prises par le CMJD, notamment ils regrettent qu'il n'ait pas été fait cas des déportés. Pour les FLAM, c'est plus profond et plus compliqué.
AVOMM : Le congrès des FLAM est annoncé pour décembre, à votre connaissance ce congrès se tiendra-t-il en Mauritanie et quelles seront les grandes priorités de votre mouvement ?
Boubacar DIAGANA : Oui le prochain congrès des FLAM est annoncé pour décembre. Il aurait marqué les esprits s'il se tenait en Mauritanie. Mais il avait été prévu bien avant le renversement de Ould Taya pour se Tenir dans un autre pays et ce lieu sera respecté. Cependant l'évènement politique que constitue la chute du dictateur pèsera sur ses travaux. Les priorités du mouvement seront celles que ses instances auront définies. Mais il me semble que l'on ne peut pas ne pas poser la question de son futur, en particulier pour dire si celui-ci se fera en Mauritanie ou non et à quelle échéance. Je connais aujourd'hui un nombre important de mauritaniens en France et en Europe non structurés qui montre de grandes disponibilités à travailler avec le mouvement et qui peuvent nous apporter beaucoup sur le plan de la réflexion et dans la phase qui s'annonce. Il suffit de faire un geste en leur direction.
AVOMM : N'avez-vous pas l'impression que le FOME est aujourd'hui menacé De disparaître, où peut-il encore servir ?
Boubacar DIAGANA : le FOME est un cadre de concertation voulu par les organisations qui le composent. J'ai, en ce qui me concerne, secondé le camarade Mamadou Bocar BA durant toute la phase de préparation jusqu'à sa mise en place effective. A partir du moment où cette structure s'est dotée d'une instance dirigeante, j'ai considéré que mon rôle était terminé. Cependant celui du FOME se poursuit et il semble qu'il abat un travail Non négligeable, notamment d'information en direction de l'opinion Européenne et internationale sur la réalité des choses dans notre pays. Plusieurs de ses responsables sont montés au créneau, le président (BA Mamadou Bocar), le porte-parole (Beddy Ould Ebnou) et le responsable aux relations extérieures (SY Hamdou Raby) sont, ensemble ou séparément, allés au devant de la presse pour donner le point de vue du FOME sur le changement intervenu en Mauritanie et rappeler les exigences de cette structure.
AVOMM : Les FLAM ne sont-elles pas confrontées à un dilemme : l'envie De rentrer pour jouer leur rôle dans l'espace démocratique et les Contraintes liées à l'absence d'une volonté réelle des autorités du pays à définir leur position par rapport aux questions nationales ?<br><br>
Boubacar DIAGANA : Non, les FLAM ne font face à aucun dilemme. La non prise en compte par les autorités mauritaniennes, précédentes comme actuelles, n'altère en rien la détermination de notre mouvement dans le combat qu'il mène pour l'avènement d'une Mauritanie égalitaire et véritablement juste. Cela passe par le règlement de la question nationale et sociale. Il faudra maintenant pour nous aller au-delà de cela. Il s'agit désormais de dire à l'opinion nationale, le paysage politique national comment entendons-nous ou envisageons nous régler cette question nationale. Je cois que c'est là une curiosité bien légitime de la part de ceux qui pendant plusieurs décennies nous ont entendu soulever et répéter à volonté cette question.
Elle doit faire l'objet d'une étude claire et précise, consignée dans un projet de société qui peut faire l'objet de débats avec l'ensemble du paysage politique national. Notre place est à l'intérieur du pays, pas ailleurs. Je crois qu'il est venu le temps de comprendre que notre lutte gagnera en profondeur et en crédibilité quand elle est menée aussi de l'intérieur. Bien entendu, toutes les conditions ne sont pas encore réunies. Mais le seront-elles réellement un jour ? Donc, il faut un moment savoir faire ce choix et aller croiser le fer avec tous ceux qui de l'intérieur nous prennent pour des monstres. Beaucoup seront surpris par notre capacité d'action, de mobilisation, notre
Capacités de propositions alternatives, notre façon de faire la politique. De toute façon, il ne nous arrivera rien qui ne nous est déjà arrivé. Nos militants ont été traqués et tués avant quiconque. Si d'aventure on devait connaître le même sort, rien ne nous interdit de reprendre le chemin de l'exil et poursuivre depuis l'étranger notre combat.
AVOMM : Que pensez-vous de ce gouvernement de transition?
Boubacar DIAGANA : Pas grand'chose. A-t-il réellement les mains libres ? Il fait ce que le CMJD lui intime de faire. Pour l'instant, il limoge et nomme. Il ne peut faire autrement. Il affiche une volonté de s'attaquer à l'injustice et à la corruption. S'agit-il là de maux nouveaux ? Pour prolonger votre question, est-ce qu'il diffère des précédents ? La réponse est non. Il respecte dans sa composition les traditionnels « équilibres » imaginaires qui veulent qu'il y ait à chaque fois les mêmes proportions pour telle ou telle ethnie dans le gouvernement. Et après On dit à ceux qui, comme les FLAM, dénoncent cet état des faits qu'ils ont une analyse ethniciste de la situation politique mauritanienne. C'est le comble de l'hypocrisie. Je veux bien que l'on m'explique comment par exemple dans chaque composition de gouvernement on ne trouve qu'un seul soninké « compétent » pour y entrer ? Pourquoi par exemple jamais de wolof au gouvernement. Tout comme avant l'entrée de Messaoud Ould Boulkhaïr sous Haïdalla les Haratine n'avaient pas droit de cité ? Tout cela participe d'une une logique, celle d'un système auquel il faut mettre un terme.
La Mauritanie est un état démographique, comme Israël est un état de peuplement, appelant tous les juifs du monde entier à venir peupler le pays pour ne pas laisser de place aux autres, les arabes israéliens en l'occurrence. En Mauritanie, en près de 50 années d'existence, on se refuse de produire des statistiques sur la composition de la population, pour donner un ordre de grandeur de chacune des composantes. Mais en même temps on minore toute une partie de la population. Sur quelle base ? Cela ne peut continuer éternellement.
AVOMM : Des membres influents des FLAM, nos frères Kaaw Touré, Mamadou Bocar ont été interviewés par des journaux publiés au pays, un ministre a même prononcé dans une radio internationale le nom du président des FLAM, Samba Thiam, n'est-ce pas là un signe de la volonté du CMJD à bannir la censure et à reconnaître votre mouvement?
Boubacar DIAGANA : je pense que les interviews auxquels vous faites allusion n'ont pas eu besoin de l'aval du CMJD. Mais ne vous y méprenez pas. Quelques jours avant la publication de ces interviews, le ministre de l'Intérieur ou le porte-parole du gouvernement ne demandait-il as à interdire toutes les réunions à caractère ethnique ou tribal et à la presse spécialement de censurer les propos qui menacerait l'unité nationale. C'est dire donc que sur ce plan, comme sur d'autres d'ailleurs, on n'est pas sorti de l'ère Ould Taya.
AVOMM : Votre mouvement envisage-t-il de déposer une demande de reconnaissance en vue d'exercer comme Parti politique dûment reconnu, et participera-t-il au referendum, et aux élections ?
Boubacar DIAGANA : Je ne sais pas si le nécessaire adaptation de notre mouvement à l'évolution politique se fera selon le calendrier qui se profile en Mauritanie. Mais il est certain que nous devrions un jour, que j'espère pas lointain, envisager cette éventualité. Mais pour la reconnaissance au cas échéant, il sera du ressort du ministère de l'Intérieur. Il me semble que cet examen n'est pas gagné d'office. Un parti de l'intérieur attend toujours sa reconnaissance. Alors quand on s'appelle les FLAM (si c'est sous cette forme qu'elles se présentent), on imagine...
AVOMM : MR DIAGANA vous êtes un dirigeant des FLAM, il semble que votre mouvement avait annoncé à Dakar avec d' autres, le renoncement à la violence comme moyens de lutte, alors pensez vous que cette position a été dictée par Me Wade ? Si non, était ce un simple calcul politicien?
Boubacar DIAGANA : Dans la déclaration de Dakar, les parties prenantes dont les FLAM ont effectivement renoncé à la lutte armée comme mode d'accession au pouvoir. Ce n'était pas une décision facile à prendre.
Mais il fallait faire ce geste de bonne volonté en direction de la junte qui venait tout de même de débarrasser la Mauritanie du plus grand Dictateur qu'elle n'ait jamais connu. C'était donc une décision prise librement par les partis mauritaniens, certainement bien appréciée par le Président Wade. La suite a été plus complexe et plus difficile à gérer. Car cet engagement n'a pu être obtenu, en tout cas dans l'esprit de mon organisation, que dans la mesure où il s'inscrirait dans un cadre plus global incluant la libération des détenus politiques (ce fut fait), mais surtout le retour des déportés et l'ouverture d'un débat sur la question de la cohabitation entre arabes et négro-africains dans notre pays.Aujourd'hui, je crains qu'une certaine frange ait l'impression d'avoir été précipitée dans un projet qui ne visait en réalité qu'à favoriser le retour des Cavaliers du Changement et la réconciliation intertribale à laquelle on a assistée par la suite. Cela d'autant plus que depuis leur retour de Dakar, les acteurs nous maintiennent dans un mutisme total.
AVOMM : Merci d'avoir répondu à nos questions!
Boubacar DIAGANA : je vous remercie de m'avoir donné la parole pour Livrer mon analyse de la situation de notre pays à nos compatriotes à travers votre site.
Propos recueillis par Adama Sarr et Mohamed Dogui