QDN : Dans votre lettre adressée au président de la République le 11 juillet 2010, vous écriviez : « que votre parti est sur le point de définir une plateforme avec ceux de la majorité qui soutiennent son action… » Dans la même lettre, vous dites au président «En inaugurant la place ou l’avenue des martyrs du 28 novembre 1990, vous aurez posé un jalon important après votre prière du disparu à Kaédi sur la voie d’une réconciliation nationale véritable….» Par rapport à cette proposition, avez-vous reçu une réponse du président de la République ?
Non, je n’ai pas reçu une réponse concrète de la part du Président. Lors de notre dernière rencontre qui remonte au mois de Ramadan, nous avions convenu d’en reparler.
QDN : La non prise en compte de cette proposition (inauguration d’une place des martyrs du 28 novembre) va-t-elle remettre en question la définition de la plateforme avec la majorité ?
Cela n’a rien à voir avec la plate-forme qui concerne le consensus politique que nous cherchons avec la majorité pour accompagner le Président de la République dans son programme. Ici, il s’agit de célébrer un cinquantenaire. Cela ne se passe pas tous les jours. Nous avons apporté notre contribution. Par rapport au 28 novembre qui est devenu une date problématique à cause de ce qui s’est passé à Inal en 1990 où 28 négro-mauritaniens ont été pendus pour fêter l’anniversaire de l’indépendance, nous souhaitons que le Président de la République fasse un geste pour réconcilier les mauritaniens avec cette date.
QDN ;Dans le mémorandum de l’AJD/MR pour le cinquantenaire, il est écrit «Le résultat au terme de cinquante ans d’indépendance formelle, c’est un pays divisé qui se cherche encore, où l’essentiel de ce qui constitue son fonctionnement administratif, économique, politique, culturel et social est monopolisé par quelques tributs ayant exercé le pouvoir dans la seule communauté arabe. Les Haratines et les Négro-africains sont systématiquement exclus des forces armées et de sécurité, du monde économique et commercial, de l’administration et de tous les autres secteurs importants y compris le secteur privé. Les exceptions qui confirment la règle servent de faire valoir à une oligarchie éthnoraciale de plus en plus réduite.»
Ce bilan n’est-il pas sévère ? Avec une participation de l’AJDMR a un gouvernement ou son adhésion à la majorité soutien du président de la République, n’allez-vous pas devenir «une exception qui confirme la règle», un faire valoir de plus ?
Notre diagnostic est bien clair, et nous avons indiqué la voie pour redresser la situation. C’est dans cette voie que s’inscrit notre volonté d’aider le Président de la République à faire face à ces problèmes. Ce ne sera pas facile par ce que, comme nous l’avions dit, il y a des mauritaniens qui s’y opposent et certains sont dans le régime du Président Ould Abdel Aziz. Beaucoup de gens se demandent pourquoi le Président ne s’en débarrasse pas. C’est facile à dire, le Président est venu au pouvoir par un coup d’état militaire.
Ce n’était pas un parti politique avec un programme bien ficelé et ayant fait ses preuves sur le terrain pour obtenir l’aval des citoyens. C’est un groupe de militaires qui n’avaient peut être de point commun que de renverser un pouvoir pour s’y installer sans au préalable définir une ligne idéologique et politique qui doit guider leur action future sur laquelle il sont d’accord.
Non je ne suis pas naïf au point de penser que le Président Aziz peut faire ce qu’il veut. Il devra faire avec mais grâce au soutien des forces politiques favorables au vrai changement, il pourra finalement faire passer son programme de réforme en évitant les révolutions de palais que d’autres pays ont connus.
Loin de nous l’idée de penser que notre programme politique dans sa globalité, tel que nous l’avons toujours défendu, sera accepté par la majorité. Il y a un minimum qui peut nous engager pour acquérir le reste sur le terrain politique par la conviction et l’adhésion des autres.
QDN ; Dans le mémorandum, vous proposez «Le partage du pouvoir entre les communautés de la Mauritanie.» Concrètement, comment ce partage va se faire ? Comment identifier les différentes communautés ? Proposer un partage communautaire du pouvoir, n’est-ce pas donner l’impression de désespérer de la voie des élections libres pour corriger les discriminations, les inégalités et les déséquilibres ?
Cette question est au coeur du programme de notre parti et je l’ai évoquée dans toutes mes campagnes électorales. Nous ne cherchons pas une libanisation de la Mauritanie mais certaines situations que nous avons vécues jusqu’à très récemment sont inacceptables. Tenez au temps de MAOUYA , il est arrivé un moment où lui Président de la République étant un arabe blanc, son premier ministre, un arabe blanc, le Président de l’Assemblée Nationale, un arabe blanc, tous les ministres de souveraineté :
Intérieur, Défense, Economie et Finances, Affaires Etrangères, Information, Education…, des arabes blancs, tous les chefs d’états majors des forces armées et de sécurité, des arabes blancs ; pour un pays multinational où les compétences se trouvent à tous les niveaux, que faut-il en dire ?
Ce que nous demandons, c’est peut être ce qui semble s’instituer depuis un certain temps et qui demande peut être à être légalement institutionnalisé à savoir que le Président de la République est un arabe blanc, le Président du Sénat est un négro africain et le Président de l’Assemblée Nationale un haratine. Cette configuration ne doit cependant pas être figée.
Le Président de la République peut être un negro africain ou un haratine… Il faut qu’il y ait un équilibre dans le partage du pouvoir entre les communautés. Cela n’exclut pas la compétence. Elle doit être recherchée à tout moment. Les communautés nationales en Mauritanie sont bien connues, il y a les négro-africains qui regroupent les halpoulars, les Soninkés et les Wolofs, certains y ajouteront les Bambaras, il y a les arabes blancs et les haratines qui de plus en plus revendiquent leur spécificité dans le groupe arabe. S’ils doivent être comptabilisés dans le groupe arabe, cela doit se refléter dans leur présence au sein du pouvoir ce qui n’est pas le cas actuellement.
Nous souhaitons régler ces problèmes de manière pacifique dans le cadre de l’Etat unitaire mauritanien, nous ne cherchons pas des solutions à la Québécoise, à la Soudanaise ou à l’Ethiopienne. Il est possible de vivre ensemble, l’étendue du pays est vaste, la population n’est pas nombreuse et les richesses nationales sont importantes.
Il ne nous manque qu’une toute petite chose : appliquer les préceptes de notre sainte religion et accepter de partager : «N’est pas musulman celui qui ne veut pas pour son prochain ce qu’il veut pour lui-même». Penser que par la simple démocratie on peut régler ces questions nationalitaires, c’est méconnaître leur réalité. Pour s’en convaincre il faut interroger les Belges, les Québécois, ou les Corses de France qui sont des démocraties très avancées.
QDN : Vous proposez aussi de «Revoir le nom de la Mauritanie qui n’évoque que l’appartenance à une seule communauté.» Quel nom proposez-vous ? « Revoir le nom de la Mauritanie » est-ce que ce n’est pas une « revendication purement symbolique » qui entraînera des discussions sans fin ?
En vérité, comme je l’ai dit dans une interview récemment, cette question n’a jamais figuré dans mon programme électorale en tant que candidat à la Présidence de la République, elle ne figure pas aussi dans la déclaration de politique générale de l’AJD/MR, elle ne fait pas partie des points en discussion avec la majorité, elle s’est imposée à nous lorsqu’il s’est agi de faire le bilan de la Mauritanie après cinquante ans d’indépendance et de proposer des solutions pour une Mauritanie nouvelle conformément à la demande du gouvernement qui a sollicité notre implication dans la préparation du cinquantenaire.
Donc, ce n’est pas une revendication du parti. C’est une suggestion, une proposition qui irait dans le sens de ce qui avait motivé le Congo Léopoldville à se faire dénommer Zaïre, le Soudan Français pour devenir le Mali, le Dahomey pour s’appeler Bénin, la Haute Volta pour porter le nom de Burkina Faso et j’en passe. La Mauritanie est un nom qui nous a été donné par Copolani, un colon français, nous pouvons le garder si c’est ce que nous décidons ensemble mais il reflète l’appartenance à une seule communauté : les maures.
Chinguitty par exemple et très célèbre depuis toujours, c’est semble-t-il un nom pulaar ou soninké, Aoudaghost-koumbie Saleh, Tekrour, Niamandirou ou Ghana qui devait vraiment nous revenir si Kwame Nkrumah n’avait pas préféré ce nom à Gold-Cost, pour se souvenir de ce grand empire. Il y a aussi les Almourabitounes qui ne concernent pas simplement les berbères de Mauritanie car le fils de Wardiabi Njay ou Manna était de l’expédition.
QDN: L’AJDMR propose aussi de « Revoir l’hymne national qui est presque inconnu par le peuple mauritanien, de refaire le découpage électoral, de réécrire l’histoire de la Mauritanie. » Que reprochez-vous au contenu de cet hymne national ? Pourquoi réécrire l’histoire de la Mauritanie ?
L’Hymne national est un poème religieux écrit, semble-il, par un honorable érudit mauritanien. Ma génération ne le connaît pas. Depuis mon école primaire à Boghé où j’ai célébré l’indépendance en 1960, jusqu’au lycée de Rosso, qui était d’abord le collège Xavier Coppolani, où j’ai obtenu mon BEPC en 1965, jusqu’à l’école normale de Nouakchott dont nous étions la 1ère promotion en 1966, on ne m’a jamais enseigné l’hymne national, je n’en connais que le son qui est d’ailleurs très original et musicalement agréable.
Il est possible de faire d’un poème religieux un hymne national mais règle-t-il la problématique du développement du pays pour l’éternité en galvanisant le peuple pour réaliser son unité dans la beauté de la nature physique du pays et la diversité de ses richesses pour conquérir le cosmos dans le respect bien entendu de notre sainte religion ? Toute la question est là !
L’histoire de la Mauritanie qui est enseignée à l’école est une histoire boiteuse rédigée à la va-vite par des idéologues non professionnels. Il faut réunir tous nos historiens et gardiens de la tradition pour nous décrypter l’évolution du peuplement mauritanien depuis les temps immémoriaux. Il s’agit surtout de résoudre l’épineuse question de la résistance anticoloniale qui ne s’arrête pas seulement aux tribus du nord.
N’oublions pas en effet qu’avant la Mauritanie moderne il y avait des Emirats, des Royaumes et des Etats qui constituent des ensembles homogènes. Que resterait-il de l’histoire de la Mauritanie du Sud si on lui enlevait le reste du Fouta Toro non mauritanien, du Walo Sénégalais et du Gadiaga ? L’histoire de ces régions et leur implication avec d’autres doit être vue de manière globale.
Bilbassi se trouve à Djewol, les chefs Deniankés ont régné sur les deux rives du fleuve Sénégal comme la reine du Djimbott M’Bodj du Walo Barak. Souleymane Ball comme Abdoul Bocar Kane sont enterrés en Mauritanie. Si nous n’écrivons pas la vraie histoire, nous allons continuer à tromper nos enfants et ils ne comprendront pas ce qui les lie véritablement. Sans une véritable connaissance du passé, on ne peut construire un avenir sur des bases saines.
QDN : L’AJDMR demande aussi de «Réorganiser l’armée nationale pour permettre à toutes les communautés d’y prendre part et en faire une armée républicaine capable de défendre l’intégrité du pays. » L’armée mauritanienne, dans sa configuration actuelle, est-elle, pour vous, inapte à défendre l’intégrité territoriale ?
Ce qui peut arriver à une armée nationale monopolisée par une seule composante nationale est qu’elle soit utilisée par les extrémistes chauvins pour liquider toutes les autres composantes en cas de conflit d’intérêts. Durant la guerre du Sahara, l’apport de toutes nos composantes nationales dans la défense de la patrie a été salutaire. Aujourd’hui, la purge opérée au sein de nos forces armées peut avoir des conséquences redoutables pour mener à bien les opérations de défense contre les bandes armées qui agressent notre pays.
QDN : La participation de l’AJDMR aux festivités du cinquantenaire de l’indépendance de la Mauritanie dépendra-t-elle du sort qui sera réservé aux propositions contenues dans votre mémorandum ?
En présentant notre mémorandum, nous l’avons conçu comme une contribution. Nous pensons que les propositions qui y figurent sont importantes et que la commission nationale ne manquera pas d’y prêter attention. Une contribution n’est autre qu’une contribution. Pour le reste l’AJD/MR est en train d’étudier comment prendre une part active dans le déroulement des manifestations du cinquantenaire.
Propos recueillis par Khalilou Diagana
Source : Le Quotidien de Nouakchott
Non, je n’ai pas reçu une réponse concrète de la part du Président. Lors de notre dernière rencontre qui remonte au mois de Ramadan, nous avions convenu d’en reparler.
QDN : La non prise en compte de cette proposition (inauguration d’une place des martyrs du 28 novembre) va-t-elle remettre en question la définition de la plateforme avec la majorité ?
Cela n’a rien à voir avec la plate-forme qui concerne le consensus politique que nous cherchons avec la majorité pour accompagner le Président de la République dans son programme. Ici, il s’agit de célébrer un cinquantenaire. Cela ne se passe pas tous les jours. Nous avons apporté notre contribution. Par rapport au 28 novembre qui est devenu une date problématique à cause de ce qui s’est passé à Inal en 1990 où 28 négro-mauritaniens ont été pendus pour fêter l’anniversaire de l’indépendance, nous souhaitons que le Président de la République fasse un geste pour réconcilier les mauritaniens avec cette date.
QDN ;Dans le mémorandum de l’AJD/MR pour le cinquantenaire, il est écrit «Le résultat au terme de cinquante ans d’indépendance formelle, c’est un pays divisé qui se cherche encore, où l’essentiel de ce qui constitue son fonctionnement administratif, économique, politique, culturel et social est monopolisé par quelques tributs ayant exercé le pouvoir dans la seule communauté arabe. Les Haratines et les Négro-africains sont systématiquement exclus des forces armées et de sécurité, du monde économique et commercial, de l’administration et de tous les autres secteurs importants y compris le secteur privé. Les exceptions qui confirment la règle servent de faire valoir à une oligarchie éthnoraciale de plus en plus réduite.»
Ce bilan n’est-il pas sévère ? Avec une participation de l’AJDMR a un gouvernement ou son adhésion à la majorité soutien du président de la République, n’allez-vous pas devenir «une exception qui confirme la règle», un faire valoir de plus ?
Notre diagnostic est bien clair, et nous avons indiqué la voie pour redresser la situation. C’est dans cette voie que s’inscrit notre volonté d’aider le Président de la République à faire face à ces problèmes. Ce ne sera pas facile par ce que, comme nous l’avions dit, il y a des mauritaniens qui s’y opposent et certains sont dans le régime du Président Ould Abdel Aziz. Beaucoup de gens se demandent pourquoi le Président ne s’en débarrasse pas. C’est facile à dire, le Président est venu au pouvoir par un coup d’état militaire.
Ce n’était pas un parti politique avec un programme bien ficelé et ayant fait ses preuves sur le terrain pour obtenir l’aval des citoyens. C’est un groupe de militaires qui n’avaient peut être de point commun que de renverser un pouvoir pour s’y installer sans au préalable définir une ligne idéologique et politique qui doit guider leur action future sur laquelle il sont d’accord.
Non je ne suis pas naïf au point de penser que le Président Aziz peut faire ce qu’il veut. Il devra faire avec mais grâce au soutien des forces politiques favorables au vrai changement, il pourra finalement faire passer son programme de réforme en évitant les révolutions de palais que d’autres pays ont connus.
Loin de nous l’idée de penser que notre programme politique dans sa globalité, tel que nous l’avons toujours défendu, sera accepté par la majorité. Il y a un minimum qui peut nous engager pour acquérir le reste sur le terrain politique par la conviction et l’adhésion des autres.
QDN ; Dans le mémorandum, vous proposez «Le partage du pouvoir entre les communautés de la Mauritanie.» Concrètement, comment ce partage va se faire ? Comment identifier les différentes communautés ? Proposer un partage communautaire du pouvoir, n’est-ce pas donner l’impression de désespérer de la voie des élections libres pour corriger les discriminations, les inégalités et les déséquilibres ?
Cette question est au coeur du programme de notre parti et je l’ai évoquée dans toutes mes campagnes électorales. Nous ne cherchons pas une libanisation de la Mauritanie mais certaines situations que nous avons vécues jusqu’à très récemment sont inacceptables. Tenez au temps de MAOUYA , il est arrivé un moment où lui Président de la République étant un arabe blanc, son premier ministre, un arabe blanc, le Président de l’Assemblée Nationale, un arabe blanc, tous les ministres de souveraineté :
Intérieur, Défense, Economie et Finances, Affaires Etrangères, Information, Education…, des arabes blancs, tous les chefs d’états majors des forces armées et de sécurité, des arabes blancs ; pour un pays multinational où les compétences se trouvent à tous les niveaux, que faut-il en dire ?
Ce que nous demandons, c’est peut être ce qui semble s’instituer depuis un certain temps et qui demande peut être à être légalement institutionnalisé à savoir que le Président de la République est un arabe blanc, le Président du Sénat est un négro africain et le Président de l’Assemblée Nationale un haratine. Cette configuration ne doit cependant pas être figée.
Le Président de la République peut être un negro africain ou un haratine… Il faut qu’il y ait un équilibre dans le partage du pouvoir entre les communautés. Cela n’exclut pas la compétence. Elle doit être recherchée à tout moment. Les communautés nationales en Mauritanie sont bien connues, il y a les négro-africains qui regroupent les halpoulars, les Soninkés et les Wolofs, certains y ajouteront les Bambaras, il y a les arabes blancs et les haratines qui de plus en plus revendiquent leur spécificité dans le groupe arabe. S’ils doivent être comptabilisés dans le groupe arabe, cela doit se refléter dans leur présence au sein du pouvoir ce qui n’est pas le cas actuellement.
Nous souhaitons régler ces problèmes de manière pacifique dans le cadre de l’Etat unitaire mauritanien, nous ne cherchons pas des solutions à la Québécoise, à la Soudanaise ou à l’Ethiopienne. Il est possible de vivre ensemble, l’étendue du pays est vaste, la population n’est pas nombreuse et les richesses nationales sont importantes.
Il ne nous manque qu’une toute petite chose : appliquer les préceptes de notre sainte religion et accepter de partager : «N’est pas musulman celui qui ne veut pas pour son prochain ce qu’il veut pour lui-même». Penser que par la simple démocratie on peut régler ces questions nationalitaires, c’est méconnaître leur réalité. Pour s’en convaincre il faut interroger les Belges, les Québécois, ou les Corses de France qui sont des démocraties très avancées.
QDN : Vous proposez aussi de «Revoir le nom de la Mauritanie qui n’évoque que l’appartenance à une seule communauté.» Quel nom proposez-vous ? « Revoir le nom de la Mauritanie » est-ce que ce n’est pas une « revendication purement symbolique » qui entraînera des discussions sans fin ?
En vérité, comme je l’ai dit dans une interview récemment, cette question n’a jamais figuré dans mon programme électorale en tant que candidat à la Présidence de la République, elle ne figure pas aussi dans la déclaration de politique générale de l’AJD/MR, elle ne fait pas partie des points en discussion avec la majorité, elle s’est imposée à nous lorsqu’il s’est agi de faire le bilan de la Mauritanie après cinquante ans d’indépendance et de proposer des solutions pour une Mauritanie nouvelle conformément à la demande du gouvernement qui a sollicité notre implication dans la préparation du cinquantenaire.
Donc, ce n’est pas une revendication du parti. C’est une suggestion, une proposition qui irait dans le sens de ce qui avait motivé le Congo Léopoldville à se faire dénommer Zaïre, le Soudan Français pour devenir le Mali, le Dahomey pour s’appeler Bénin, la Haute Volta pour porter le nom de Burkina Faso et j’en passe. La Mauritanie est un nom qui nous a été donné par Copolani, un colon français, nous pouvons le garder si c’est ce que nous décidons ensemble mais il reflète l’appartenance à une seule communauté : les maures.
Chinguitty par exemple et très célèbre depuis toujours, c’est semble-t-il un nom pulaar ou soninké, Aoudaghost-koumbie Saleh, Tekrour, Niamandirou ou Ghana qui devait vraiment nous revenir si Kwame Nkrumah n’avait pas préféré ce nom à Gold-Cost, pour se souvenir de ce grand empire. Il y a aussi les Almourabitounes qui ne concernent pas simplement les berbères de Mauritanie car le fils de Wardiabi Njay ou Manna était de l’expédition.
QDN: L’AJDMR propose aussi de « Revoir l’hymne national qui est presque inconnu par le peuple mauritanien, de refaire le découpage électoral, de réécrire l’histoire de la Mauritanie. » Que reprochez-vous au contenu de cet hymne national ? Pourquoi réécrire l’histoire de la Mauritanie ?
L’Hymne national est un poème religieux écrit, semble-il, par un honorable érudit mauritanien. Ma génération ne le connaît pas. Depuis mon école primaire à Boghé où j’ai célébré l’indépendance en 1960, jusqu’au lycée de Rosso, qui était d’abord le collège Xavier Coppolani, où j’ai obtenu mon BEPC en 1965, jusqu’à l’école normale de Nouakchott dont nous étions la 1ère promotion en 1966, on ne m’a jamais enseigné l’hymne national, je n’en connais que le son qui est d’ailleurs très original et musicalement agréable.
Il est possible de faire d’un poème religieux un hymne national mais règle-t-il la problématique du développement du pays pour l’éternité en galvanisant le peuple pour réaliser son unité dans la beauté de la nature physique du pays et la diversité de ses richesses pour conquérir le cosmos dans le respect bien entendu de notre sainte religion ? Toute la question est là !
L’histoire de la Mauritanie qui est enseignée à l’école est une histoire boiteuse rédigée à la va-vite par des idéologues non professionnels. Il faut réunir tous nos historiens et gardiens de la tradition pour nous décrypter l’évolution du peuplement mauritanien depuis les temps immémoriaux. Il s’agit surtout de résoudre l’épineuse question de la résistance anticoloniale qui ne s’arrête pas seulement aux tribus du nord.
N’oublions pas en effet qu’avant la Mauritanie moderne il y avait des Emirats, des Royaumes et des Etats qui constituent des ensembles homogènes. Que resterait-il de l’histoire de la Mauritanie du Sud si on lui enlevait le reste du Fouta Toro non mauritanien, du Walo Sénégalais et du Gadiaga ? L’histoire de ces régions et leur implication avec d’autres doit être vue de manière globale.
Bilbassi se trouve à Djewol, les chefs Deniankés ont régné sur les deux rives du fleuve Sénégal comme la reine du Djimbott M’Bodj du Walo Barak. Souleymane Ball comme Abdoul Bocar Kane sont enterrés en Mauritanie. Si nous n’écrivons pas la vraie histoire, nous allons continuer à tromper nos enfants et ils ne comprendront pas ce qui les lie véritablement. Sans une véritable connaissance du passé, on ne peut construire un avenir sur des bases saines.
QDN : L’AJDMR demande aussi de «Réorganiser l’armée nationale pour permettre à toutes les communautés d’y prendre part et en faire une armée républicaine capable de défendre l’intégrité du pays. » L’armée mauritanienne, dans sa configuration actuelle, est-elle, pour vous, inapte à défendre l’intégrité territoriale ?
Ce qui peut arriver à une armée nationale monopolisée par une seule composante nationale est qu’elle soit utilisée par les extrémistes chauvins pour liquider toutes les autres composantes en cas de conflit d’intérêts. Durant la guerre du Sahara, l’apport de toutes nos composantes nationales dans la défense de la patrie a été salutaire. Aujourd’hui, la purge opérée au sein de nos forces armées peut avoir des conséquences redoutables pour mener à bien les opérations de défense contre les bandes armées qui agressent notre pays.
QDN : La participation de l’AJDMR aux festivités du cinquantenaire de l’indépendance de la Mauritanie dépendra-t-elle du sort qui sera réservé aux propositions contenues dans votre mémorandum ?
En présentant notre mémorandum, nous l’avons conçu comme une contribution. Nous pensons que les propositions qui y figurent sont importantes et que la commission nationale ne manquera pas d’y prêter attention. Une contribution n’est autre qu’une contribution. Pour le reste l’AJD/MR est en train d’étudier comment prendre une part active dans le déroulement des manifestations du cinquantenaire.
Propos recueillis par Khalilou Diagana
Source : Le Quotidien de Nouakchott