Mauritanien et Peul, Yahya Ba, est aujourd’hui Français, entre autres à cause des politiques ethniques en oeuvre en Mauritanie, soutenues par les puissances occidentales.
Yahya Ba est né dans le village de Dioudé, en Mauritanie, pas très loin du fleuve Sénégal. Quand ? L’industrie française a bien fait construire l’unique ligne de chemin de fer pour transporter vers la côte le minerai de fer à destination de Dunkerque, mais son administration n’avait pas jugé utile de s’occuper de l’état civil. « Je suis né, environ, au moment de l’indépendance », explique-t-il. Aussi, à l’arrivée au collège à Boghé, a-t-on décidé qu’il était né le 1er janvier 1963, comme tous les autres enfants de sa classe.
À Dioudé, les habitants vivaient de leurs cultures, les enfants se rendaient à l’école coranique mais boudaient l’école « française ». « Parce que c’était vu comme une forme d’acculturation. Les enfants étaient déracinés. L’école était un produit « corrompu » de la colonisation. Je m’y suis fait, je suis allé au collège puis au lycée. Les études étaient complètement financées par les bourses d’État. Sur la trentaine d’enfants, une dizaine est arrivée au collège et cinq, seulement, au bac. »
Entre-temps, l’arabe a été imposé, avec le français, comme langue officielle. Nouveau sujet de réticence pour le jeune Peul. « Pour la même raison que précédemment. C’était aussi une culture de domination, celle des Arabo-Berbères, cette fois. » Études à l’école normale d’administration de Nouakchott, par défaut, pour ce scientifique qui voulait être médecin. Trois ans d’emploi et la fuite. « Nous étions dans un régime devenu fou, qui ne pensait plus qu’ethnicité. Les fonctionnaires mauritaniens, noirs, qu’on accusait d’être sénégalais, étaient licenciés et expulsés, au Mali ou au Sénégal. » Alors que la frontière, épousant le cours du fleuve, était une création toute récente, due à un découpage colonial totalement ignorant des réalités sociologiques et culturelles. Les familles habitaient et habitent toujours des deux côtés du fleuve.
En 1989, Yahya Ba débarque au Havre avec la ferme intention, sans l’avouer, de rester en France. Stages d’informatique de haut niveau très cher payés et petits boulots se succèdent. Vigile, serveur, vigile... Gâchis ? Que voulez-vous, il a un CV sérieux, mais il est noir... Il est aujourd’hui fonctionnaire stagiaire dans une mairie, employé à l’accueil. En 2005, il obtient la nationalité française. Les ponts sont rompus.
« J’ai pensé pendant longtemps qu’il pourrait y avoir un changement dans la vie politique et sociale mauritanienne. Je suis maintenant persuadé que c’est impossible, qu’il ne peut y avoir de démocratie, de respect des droits de l’homme dans ce pays, parce que les intérêts économiques et stratégiques français, américains, israéliens, espagnol, etc., ont besoin d’un pouvoir qu’ils maîtrisent, ont besoin d’un système construit sur l’ethnicité et, donc, sur la corruption. 80 % de la population est en état de survie, alors que le pays ne compte que trois millions d’habitants, qu’il a des ressources minières, du pétrole et des eaux territoriales poissonneuses.
Les quotas de pêche ne sont pas respectés. Il a suffi aux Coréens, Chinois et Japonais de verser quelques prébendes et nos pêcheurs, ruinés, sont devenus des passeurs de « clandestins » avec l’aval des autorités. Les transports ont été privatisés, tout le monde est devenu taxi, les enseignants du public font des heures supplémentaires dans le privé. Il y a de l’eau pour irriguer mais il vaut mieux compter sur l’hydraulique villageoise payée par des fonds privés d’ONG que sur l’aide au développement qui n’arrive jamais au bout de la chaîne... Ce n’est pas le microcrédit, dont on nous rebat les oreilles, qui sortira la Mauritanie de la misère, c’est un autre système. »
Emilie Rive
source : l'Humanité (France) par cridem
Yahya Ba est né dans le village de Dioudé, en Mauritanie, pas très loin du fleuve Sénégal. Quand ? L’industrie française a bien fait construire l’unique ligne de chemin de fer pour transporter vers la côte le minerai de fer à destination de Dunkerque, mais son administration n’avait pas jugé utile de s’occuper de l’état civil. « Je suis né, environ, au moment de l’indépendance », explique-t-il. Aussi, à l’arrivée au collège à Boghé, a-t-on décidé qu’il était né le 1er janvier 1963, comme tous les autres enfants de sa classe.
À Dioudé, les habitants vivaient de leurs cultures, les enfants se rendaient à l’école coranique mais boudaient l’école « française ». « Parce que c’était vu comme une forme d’acculturation. Les enfants étaient déracinés. L’école était un produit « corrompu » de la colonisation. Je m’y suis fait, je suis allé au collège puis au lycée. Les études étaient complètement financées par les bourses d’État. Sur la trentaine d’enfants, une dizaine est arrivée au collège et cinq, seulement, au bac. »
Entre-temps, l’arabe a été imposé, avec le français, comme langue officielle. Nouveau sujet de réticence pour le jeune Peul. « Pour la même raison que précédemment. C’était aussi une culture de domination, celle des Arabo-Berbères, cette fois. » Études à l’école normale d’administration de Nouakchott, par défaut, pour ce scientifique qui voulait être médecin. Trois ans d’emploi et la fuite. « Nous étions dans un régime devenu fou, qui ne pensait plus qu’ethnicité. Les fonctionnaires mauritaniens, noirs, qu’on accusait d’être sénégalais, étaient licenciés et expulsés, au Mali ou au Sénégal. » Alors que la frontière, épousant le cours du fleuve, était une création toute récente, due à un découpage colonial totalement ignorant des réalités sociologiques et culturelles. Les familles habitaient et habitent toujours des deux côtés du fleuve.
En 1989, Yahya Ba débarque au Havre avec la ferme intention, sans l’avouer, de rester en France. Stages d’informatique de haut niveau très cher payés et petits boulots se succèdent. Vigile, serveur, vigile... Gâchis ? Que voulez-vous, il a un CV sérieux, mais il est noir... Il est aujourd’hui fonctionnaire stagiaire dans une mairie, employé à l’accueil. En 2005, il obtient la nationalité française. Les ponts sont rompus.
« J’ai pensé pendant longtemps qu’il pourrait y avoir un changement dans la vie politique et sociale mauritanienne. Je suis maintenant persuadé que c’est impossible, qu’il ne peut y avoir de démocratie, de respect des droits de l’homme dans ce pays, parce que les intérêts économiques et stratégiques français, américains, israéliens, espagnol, etc., ont besoin d’un pouvoir qu’ils maîtrisent, ont besoin d’un système construit sur l’ethnicité et, donc, sur la corruption. 80 % de la population est en état de survie, alors que le pays ne compte que trois millions d’habitants, qu’il a des ressources minières, du pétrole et des eaux territoriales poissonneuses.
Les quotas de pêche ne sont pas respectés. Il a suffi aux Coréens, Chinois et Japonais de verser quelques prébendes et nos pêcheurs, ruinés, sont devenus des passeurs de « clandestins » avec l’aval des autorités. Les transports ont été privatisés, tout le monde est devenu taxi, les enseignants du public font des heures supplémentaires dans le privé. Il y a de l’eau pour irriguer mais il vaut mieux compter sur l’hydraulique villageoise payée par des fonds privés d’ONG que sur l’aide au développement qui n’arrive jamais au bout de la chaîne... Ce n’est pas le microcrédit, dont on nous rebat les oreilles, qui sortira la Mauritanie de la misère, c’est un autre système. »
Emilie Rive
source : l'Humanité (France) par cridem