Le CMJD, son Chef et son Gouvernement mènent, tambour battant, une campagne de sensibilisation de grande ampleur dans tout le pays pour " un vote positif massif " en faveur du projet de rétablissement de la constitution du 20 juillet 1991, " sous réserve " d'amendements qui abrogent et remplacent certains articles considérés comme étant à la base du monolithisme de l'ancien régime et de l'impossibilité d'une quelconque alternance au sommet de l'Etat, et qui sapaient jusqu'ici toute possibilité d'évolution démocratique du pays, à savoir les anciennes dispositions des articles 26, 27, 28, 29 et 99 d'une part, et celles des articles 102, 103 et 104, d'autre part.
Cette campagne pour un " oui " massif rencontre, il est vrai, une très large adhésion d'une classe politique et d'une société civile largement associées, en diverses occasions, à la mise en oeuvre du schéma de la transition telle que tracé par le régime en place, en dépit de quelques critiques, grognements ou ou réserves émis par certains des acteurs considérés, sur tel ou tel aspects de cette consensuelle transition.
Le consensus, peu s'en faut, n'est pas unanimité. Plusieurs considérations entrent en ligne de compte pour en apprécier le contenu et la portée.
S'agissant tout particulièrement de ce vote, il conviendra de savoir sur quoi va vraiment porter le choix du peuple, les limites imposées dès le départ à ce choix, ce que chacun en attend légitimement et les conséquences objectives qui peuvent en découler, indépendamment des calculs politiques voire politiciens des uns et des autres, pouvant entraîner des expressions d'humeur les plus diverses à la veille de ce grand moment de l'histoire politique de notre pays, et, surtout, au lendemain des échéances électorales ( d'octobre à mars prochains] qui en constituent le véritable horizon.
Il ne faut jamais exagérer la portée d'un consensus, à l'échelle et dans les conditions historiques particulières que nous vivons, au risque de voir s'envoler bien des espoirs et opportunités de progrès du pays, tant que ses termes ne sont pas clairement définis, compris et vraiment acceptés, en toute conscience, par les protagonistes de l'accord général.
Il est donc du devoir de chacun, de mesurer les termes de l'accord, sa portée pratique pour la nation entière, aussi bien dans l'immédiat que sur le moyen voire le long terme.
Or, donc, concernant ce " consensus " national sur les termes de référence de la reforme constitutionnelle proposée, je ne puis que déplorer le regard presque indifférent posé par la plus grande partie de la classe politique sur le détail - où se cache souvent le diable, dit-ondes dispositions de ladite reforme.. Non pas qu'il faille à tout prix en contester l'économie générale { en proposant par exemple une modification substantielle du régime constitutionnel en vigueur comme le fait par exemple SEWAB) mais pour rendre le projet plus cohérent avec l'esprit qui semble l'avoir inspiré depuis les fameuses journées de concertation.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors de Conférences publiques tenues à Kaëdi et à l'Université de Nouakchott, et donc au risque de me répéter, un regard critique ou au moins distant, vis-à-vis de ce qui a été fait au plan constitutionnel est nécessaire pour rendre notre choix plus conforme avec les aspirations démocratiques profondes du pays qui sont le vrai objet du consensus national, en le dégageant de toute scorie ou malentendu susceptible demain, de se dresser devant nous et de tordre le cou à nos espoirs comme ce fut si souvent le cas dans notre histoire ancienne et récente.
Qu'il me soit permis, une dernière fois avant le référendum -duquel d'ailleurs sont exclus des centaines de milliers de mauritaniens vivant à l'étranger, il faut le rappeler - de faire d'ultimes observations sur la loi qui sera soumise au jugement de notre peuple avant que, peut-être ne soit refermée une longue parenthèse de faux semblants constitutionnels et que ne s'en ouvre une autre, tout aussi dangereusement problématique, en dépit de la bonne volonté affichée des uns et des autres, -des gouvernants actuels autant que de ceux qui aspirent parfois un peu trop fébrilement à les remplacer à la tête d'un système politique supposé rénové.
Pour ma part, je pense que le plus grand nombre de mauritaniens vont voter pour le projet de reforme. Ils ont raison de le faire, car, avant toute chose, avant la reforme des dispositions visées, le choix va porter sur une question non formulée mais qui constitue le véritable enjeu du référendum : à savoir, pour le vote du " oui ", le départ du régime militaire et son remplacement par un régime civil élu par le peuple, pour la première fois dans des conditions démocratiques acceptables, avec l'engagement des tenants actuels du pouvoir de ne point se mêler des élections ; et pour le " non ", la prolongation de la transition et, en conséquence, le maintien (pour une durée non prévue et non définie !) du régime militaire avec, bien sûr, la conservation de l'ensemble de ses prérogatives de conception et d'action.
Le vrai enjeu de ce référendum est donc le suivant: mettre fin dans les formes requises, au Coup d'État pour le vote du oui ; poursuivre le Coup d'État, en le légalisant en quelque sorte, sous une autre forme, par le " non ". Ni le CMJD, ni la classe politique n'ont imaginé et proposé un autre scénario, un " plan B ". Il n'y aura donc pas photo quant à son issue, si tant est que les urnes se montrent, pour une fois, raisonnables et rationnelles...
Là, en fait, n'est pas la vraie question. La vraie question concerne la prime que pourrait recevoir le peuple de ce choix dramatique une fois celui-ci porté sur la reforme proposée. Qu'est ce qui pourrait en résulter ?
La constitution, c'est l'évidence, ne sera plus ce qu'elle a été jusqu'ici en Mauritanie : un texte de circonstance et un ornement de la République, un accessoire dans la boîte à outils du dictateur du moment. Le réveil du jeu politique occasionné par le Coup d'État a d'emblée redonné au texte sa véritable signification pratique : celle d'être la seule référence dans les rapports entre les acteurs politiques et entre ces derniers et le peuple. Tout le monde a donc intérêt à prêter au texte la plus grande attention puisqu'il pourrait être, très bientôt, au cœur des plus vives controverses entre des acteurs libérés des pesanteurs du monolithisme qui les rendaient jusqu'alors sans objet. Même pour le triste article 104.
Toutes ces considérations m'amènent à revenir encore sur le texte qui nous est proposé pour faire mes ultimes observations. Je voterai, en tout état de cause " oui ", pour les raisons évoquées mais j'affirme que si la plupart des modifications proposées sont formellement opportunes, elles n'en créent pas moins une situation potentiellement dangereuse du fait du nouveau contexte politique et de la combinaison des nouveaux articles constitutionnels avec d'autres innovations apportées à notre dispositif législatif, notamment en matière électorale.
Oui, je voterai " oui " en ayant à l'esprit ces considérations et, par conséquent, ma main tremblera en portant mon bulletin dans l'urne. Voilà pourquoi.
1 .Appréciation des différentes dispositions nouvelles
a)L'article 26 introduit la réduction de la durée du mandat du Président de la République à 5 ans et plafonne l'âge du candidat à 75 ans au plus, conformément au consensus obtenu lors des journées de concertation et aux engagements du Président du CMJD.
b]- L'article 27 interdit, conformément au consensus général, l'appartenance du Président aux instances dirigeantes d'un parti politique.
c]- L'article 28 limite en une seule fois, la rééligibilité du Président (10 ans maximum d'exercice du pouvoir). L'article 29 instaure un serment du Président de ne point prendre ni soutenir une initiative pouvant entraîner une révision de la constitution sur les conditions de la durée du mandat (non renouvellement au delà de deux).
Cette disposition, très fortement symbolique est censé souligner l'attachement du pays au principe du plafonnement de la durée du mandat.
Ces trois articles reflètent le consensus général actuel et méritent donc d'être approuvés, même si, ultérieurement, ils pourraient toujours être revus, corrigés et améliorés.
e) L'article 99 ajoute, parmi les dispositions de la constitution qui ne peuvent faire l'objet d'une procédure de révision constitutionnelle, celles relatives à la durée du mandat présidentiel à 5 ans, renouvelable une seule fois.
Il convient de relever que l'article 99 est amputé d'une partie essentielle des dispositions antérieures relatives à l'appartenance de l'initiative de révision de la constitution " concurremment au Président de la République et aux membres du Parlement " [alinéa 1] et aux conditions dans lesquelles le Parlement exerce son pouvoir d'initiative de révision ( alinéa 2 et 3]. Si cette erreur grave n'était pas rectifiée, elle rendrait impossible toute révision de la constitution en n'importe laquelle de ses dispositions. Il importe donc de la corriger impérativement, au risque de rendre impossible toute évolution constitutionnelle.
f) L'article 102 remplace les anciens articles 102, 103 et 104.
Il est supposé mettre fin, tout particulièrement, à l'infamie de l'ancien article 104, en prévoyant que les dispositions antérieures non conformes à la constitution doivent être modifiées au plus tard dans un délai de 3 ans. Passé ce délai, il est reconnu à chaque individu, le droit de les déférer devant le conseil constitutionnel en vue de les faire déclarer inapplicables.
L'article 102 nouveau est aussi inacceptable que l'ancien article 104 dont il reprend l'esprit qui consiste à vouloir faire prévaloir une loi contraire aux droits et libertés sur la constitution qui les garantit, même pour 3 ans " seulement " !
Il faut donc supprimer, purement et simplement, ce nouvel article 102 et laisser s'appliquer, immédiatement et sans condition, la constitution, surtout en matière de libertés démocratiques et de droits fondamentaux, le principe général en la matière étant celui de la primauté absolue de la constitution, dans son esprit autant que dans sa lettre.
Lorsque l'incompatibilité d'une loi ou d'un règlement avec la constitution est avérée, cela implique leur nullité de plein droit. Aussi, tous les citoyens doivent pouvoir immédiatement disposer du droit de saisir par voie d'action le Conseil Constitutionnel pour faire prononcer cette nullité ( comme prévu actuellement mais seulement pour dans 3 ans !] ou les écarter, par voie d'exception, devant les juridictions ordinaires, lorsqu'au cours d'un procès il est invoqué une disposition législative ou réglementaire contraire à la constitution (Dans le cas du Sénégal, par exemple, le Conseil Constitutionnel est compétent pour les exceptions d'inconstitutionnalité soulevées devant les juridictions suprêmes).
2. Appréciation d'ensemble du régime constitutionnel qui serait issu du projet présenté
L'engagement du CMJD en matière constitutionnelle consiste à maintenir les institutions en vigueur dans leurs pouvoirs respectifs, en ne corrigeant que les aspects qui perpétuent les difficultés ou les impossibilités de l'alternance. Aussi, pour l'essentiel, les reformes préconisées ont porté sur le Président de la République : âge, mandat, exclusivité de la fonction..
Il convient d'avoir présent à l'esprit que l'analyse d'un régime constitutionnel suppose non seulement la prise en compte des dispositions figurant dans la constitution concernant les différents pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire}- et les rapports qu'ils entretiennent entre eux, mais aussi les conditions des élections et les modes de scrutin en vigueur (majoritaire, proportionnel ou mixte].
Seule la combinaison de ces différents éléments donne la physionomie d'ensemble du régime, sa réalité organique et son fonctionnement pratique.
Les reformes actuelles, aussi bien sur le plan législatif que constitutionnel visent, répète- ton, à rendre effectives la volonté des électeurs et l'alternance, tout en assurant une stabilité des institutions, dans le respect de la démocratie pluraliste.
Leur application risque pourtant de provoquer des résultats contraires à ceux attendus.
La constitution de 1991 est fondée sur la toute puissance du Président de la République, seul maître à bord de l'Exécutif, qui nomme et révoque le Gouvernement dont les membres sont responsables devant lui. Il dispose, seul, de tous les pouvoirs reconnus à l'Exécutif, y compris le pouvoir réglementaire qu'il peut, selon son bon plaisir, déléguer, en tout ou partie au Premier Ministre, y compris également le pouvoir de nomination aux emplois civils et militaires .( Voir art 32). Le Premier Ministre est son aide de camp, son simple homme de confiance. Sa mission est d'exécuter la politique du Président, sans aucune marge de manœuvre ou initiative propre. Il sert de fusible en cas de mésentente entre le Président et le Parlement puisque, également responsable devant ce dernier, il peut être renversé par vote de défiance ou motion de censure (articles 74 et 75].
Cette donnée fondamentale de soumission complète du Premier Ministre au Président ne concorde plus avec l'esprit du régime tel que le voudrait le consensus entre le CMJD, la classe politique et la société civile. C'est une situation potentiellement dangereuse qui en résulte pour la paix civile et la stabilité de nos institutions.
La mise en œuvre de la reforme pourrait provoquer une grave crise de régime, au lendemain des prochaines élections législatives, sénatoriales et présidentielles.
Le calendrier électoral fait en effet précéder les élections parlementaires sur l'élection présidentielle, alors que la reforme du mode de scrutin projetée, introduit une dose non négligeable de proportionnelle tout en reconnaissant, apparemment et à contresens de l'histoire, le principe des candidatures indépendantes. Ce sont là trois facteurs importants d'émiettement du futur Parlement dont la majorité pourrait ne se constituer que par une coalition assez fragile et instable de partis de toutes dimensions et obédiences et d'individus en tous genres, de la nébuleuse des " indépendants ".
Mais c'est dans cette majorité, peut-être de bric et de broc, que sera nécessairement désigné le Premier Ministre, au lendemain d'une élection présidentielle qui pourrait consacrer un Président non issu de cette majorité constituée trois longs et hasardeux mois plus tôt.
Il pourrait en résulter le scénario catastrophe d'une impossible " cohabitation ", contrairement à ce qui peut advenir dans la plupart des régimes mixtes (Voir par exemple au Sénégal, au Mali, en Guinée Conakry pour ne citer que le cas de certains de nos voisins immédiats). En effet, comme rappelé plus haut, en Mauritanie, il n'y a pas de " cohabitation " possible puisque le Premier Ministre ne dispose d'aucun pouvoir propre. Il est donc tenu de se soumettre complètement au Président et au Parlement, sous peine d'être révoqué ou d'être renversé.
Il en résulte que le système est susceptible d'être bloqué à tout moment de par la volonté du Président de la République alors même que le Premier Ministre tire sa légitimité du fait d'appartenir, par définition, à la majorité parlementaire. Le pays est exposé en permanence à une perspective de crise de régime du fait de la surpuissance du Président et de l'inconséquence [ou de l'inachèvement] de la reforme constitutionnelle proposée.
Pour être viable, cette reforme des institutions devrait être accompagnée par une retouche des pouvoirs de l'Exécutif et leur redistribution pour permettre au premier Ministre d'exister en même temps que la majorité parlementaire dont il est issu.
La constitution n'interdisant pas au premier Ministre d'appartenir aux instances dirigeantes d'un parti et donc d'être un Chef de parti, contrairement au Président de la République, la paralysie des institutions résultant de la mésentente ou de la mésalliance entre les deux têtes de l'Exécutif pourrait très vite virer à la confrontation politique généralisée. Là réside la funeste originalité du système que dessine la reforme actuelle par mauvaise correction de l'ancien.
L'orientation du CMJD étant de ne pas revenir sur la forme du régime, il ne s'agira pas d'opérer un autre choix que celui, actuel, d'un régime hybride à forte tendance présidentialiste (double responsabilité du Gouvernement, possibilité de dissolution de l'Assemblée par le Président, pouvoirs propres et irresponsabilité politique du Président). Mais il conviendra de rendre fonctionnelle ce régime hybride, compte tenu de la restriction du mandat présidentiel et de la volonté affirmée de réduire les risques de monopolisme politique résultant antérieurement de la confusion des pouvoirs de Chef de l'État et de Chef de parti dont le titre reviendra désormais, fatalement et légitimement au Premier Ministre, politiquement requinqué mais toujours juridiquement dépouillé.
Pour ce faire, et en attendant mieux, il ne restera qu'à confier au premier Ministre, en dévolution propre, ce dont il pourrait avoir besoin comme chef de gouvernement (pouvoir réglementaire, pouvoir de nomination), en démarquant le territoire du Président de la République, arbitre des institutions et garant de la constitution, Président que la constitution s'évertue de considérer avec mystère, comme " l'incarnation " de l'État.
Si le " Temps ", souverain suprême en ces jours de transition ne permet plus de corriger les distorsions les plus dangereuses de cette improbable constitution de 1991 qui mérite, décidément, un vrai toilettage, alors il ne restera plus qu'à prier pour que des urnes, en octobre et puis en mars prochains, sorte une forte majorité parlementaire et présidentielle rendant gouvernable le pays. Cela seuls des partis démocratiques, en coalition pourraient en assurer la garantie.
En attendant la vraie réforme constitutionnelle qui libérera le pays de ses entraves bonapartistes...
(Nouakchott Infos du 995 du 31 mai 2006) PR LO GOURMO ABDOUL
Cette campagne pour un " oui " massif rencontre, il est vrai, une très large adhésion d'une classe politique et d'une société civile largement associées, en diverses occasions, à la mise en oeuvre du schéma de la transition telle que tracé par le régime en place, en dépit de quelques critiques, grognements ou ou réserves émis par certains des acteurs considérés, sur tel ou tel aspects de cette consensuelle transition.
Le consensus, peu s'en faut, n'est pas unanimité. Plusieurs considérations entrent en ligne de compte pour en apprécier le contenu et la portée.
S'agissant tout particulièrement de ce vote, il conviendra de savoir sur quoi va vraiment porter le choix du peuple, les limites imposées dès le départ à ce choix, ce que chacun en attend légitimement et les conséquences objectives qui peuvent en découler, indépendamment des calculs politiques voire politiciens des uns et des autres, pouvant entraîner des expressions d'humeur les plus diverses à la veille de ce grand moment de l'histoire politique de notre pays, et, surtout, au lendemain des échéances électorales ( d'octobre à mars prochains] qui en constituent le véritable horizon.
Il ne faut jamais exagérer la portée d'un consensus, à l'échelle et dans les conditions historiques particulières que nous vivons, au risque de voir s'envoler bien des espoirs et opportunités de progrès du pays, tant que ses termes ne sont pas clairement définis, compris et vraiment acceptés, en toute conscience, par les protagonistes de l'accord général.
Il est donc du devoir de chacun, de mesurer les termes de l'accord, sa portée pratique pour la nation entière, aussi bien dans l'immédiat que sur le moyen voire le long terme.
Or, donc, concernant ce " consensus " national sur les termes de référence de la reforme constitutionnelle proposée, je ne puis que déplorer le regard presque indifférent posé par la plus grande partie de la classe politique sur le détail - où se cache souvent le diable, dit-ondes dispositions de ladite reforme.. Non pas qu'il faille à tout prix en contester l'économie générale { en proposant par exemple une modification substantielle du régime constitutionnel en vigueur comme le fait par exemple SEWAB) mais pour rendre le projet plus cohérent avec l'esprit qui semble l'avoir inspiré depuis les fameuses journées de concertation.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors de Conférences publiques tenues à Kaëdi et à l'Université de Nouakchott, et donc au risque de me répéter, un regard critique ou au moins distant, vis-à-vis de ce qui a été fait au plan constitutionnel est nécessaire pour rendre notre choix plus conforme avec les aspirations démocratiques profondes du pays qui sont le vrai objet du consensus national, en le dégageant de toute scorie ou malentendu susceptible demain, de se dresser devant nous et de tordre le cou à nos espoirs comme ce fut si souvent le cas dans notre histoire ancienne et récente.
Qu'il me soit permis, une dernière fois avant le référendum -duquel d'ailleurs sont exclus des centaines de milliers de mauritaniens vivant à l'étranger, il faut le rappeler - de faire d'ultimes observations sur la loi qui sera soumise au jugement de notre peuple avant que, peut-être ne soit refermée une longue parenthèse de faux semblants constitutionnels et que ne s'en ouvre une autre, tout aussi dangereusement problématique, en dépit de la bonne volonté affichée des uns et des autres, -des gouvernants actuels autant que de ceux qui aspirent parfois un peu trop fébrilement à les remplacer à la tête d'un système politique supposé rénové.
Pour ma part, je pense que le plus grand nombre de mauritaniens vont voter pour le projet de reforme. Ils ont raison de le faire, car, avant toute chose, avant la reforme des dispositions visées, le choix va porter sur une question non formulée mais qui constitue le véritable enjeu du référendum : à savoir, pour le vote du " oui ", le départ du régime militaire et son remplacement par un régime civil élu par le peuple, pour la première fois dans des conditions démocratiques acceptables, avec l'engagement des tenants actuels du pouvoir de ne point se mêler des élections ; et pour le " non ", la prolongation de la transition et, en conséquence, le maintien (pour une durée non prévue et non définie !) du régime militaire avec, bien sûr, la conservation de l'ensemble de ses prérogatives de conception et d'action.
Le vrai enjeu de ce référendum est donc le suivant: mettre fin dans les formes requises, au Coup d'État pour le vote du oui ; poursuivre le Coup d'État, en le légalisant en quelque sorte, sous une autre forme, par le " non ". Ni le CMJD, ni la classe politique n'ont imaginé et proposé un autre scénario, un " plan B ". Il n'y aura donc pas photo quant à son issue, si tant est que les urnes se montrent, pour une fois, raisonnables et rationnelles...
Là, en fait, n'est pas la vraie question. La vraie question concerne la prime que pourrait recevoir le peuple de ce choix dramatique une fois celui-ci porté sur la reforme proposée. Qu'est ce qui pourrait en résulter ?
La constitution, c'est l'évidence, ne sera plus ce qu'elle a été jusqu'ici en Mauritanie : un texte de circonstance et un ornement de la République, un accessoire dans la boîte à outils du dictateur du moment. Le réveil du jeu politique occasionné par le Coup d'État a d'emblée redonné au texte sa véritable signification pratique : celle d'être la seule référence dans les rapports entre les acteurs politiques et entre ces derniers et le peuple. Tout le monde a donc intérêt à prêter au texte la plus grande attention puisqu'il pourrait être, très bientôt, au cœur des plus vives controverses entre des acteurs libérés des pesanteurs du monolithisme qui les rendaient jusqu'alors sans objet. Même pour le triste article 104.
Toutes ces considérations m'amènent à revenir encore sur le texte qui nous est proposé pour faire mes ultimes observations. Je voterai, en tout état de cause " oui ", pour les raisons évoquées mais j'affirme que si la plupart des modifications proposées sont formellement opportunes, elles n'en créent pas moins une situation potentiellement dangereuse du fait du nouveau contexte politique et de la combinaison des nouveaux articles constitutionnels avec d'autres innovations apportées à notre dispositif législatif, notamment en matière électorale.
Oui, je voterai " oui " en ayant à l'esprit ces considérations et, par conséquent, ma main tremblera en portant mon bulletin dans l'urne. Voilà pourquoi.
1 .Appréciation des différentes dispositions nouvelles
a)L'article 26 introduit la réduction de la durée du mandat du Président de la République à 5 ans et plafonne l'âge du candidat à 75 ans au plus, conformément au consensus obtenu lors des journées de concertation et aux engagements du Président du CMJD.
b]- L'article 27 interdit, conformément au consensus général, l'appartenance du Président aux instances dirigeantes d'un parti politique.
c]- L'article 28 limite en une seule fois, la rééligibilité du Président (10 ans maximum d'exercice du pouvoir). L'article 29 instaure un serment du Président de ne point prendre ni soutenir une initiative pouvant entraîner une révision de la constitution sur les conditions de la durée du mandat (non renouvellement au delà de deux).
Cette disposition, très fortement symbolique est censé souligner l'attachement du pays au principe du plafonnement de la durée du mandat.
Ces trois articles reflètent le consensus général actuel et méritent donc d'être approuvés, même si, ultérieurement, ils pourraient toujours être revus, corrigés et améliorés.
e) L'article 99 ajoute, parmi les dispositions de la constitution qui ne peuvent faire l'objet d'une procédure de révision constitutionnelle, celles relatives à la durée du mandat présidentiel à 5 ans, renouvelable une seule fois.
Il convient de relever que l'article 99 est amputé d'une partie essentielle des dispositions antérieures relatives à l'appartenance de l'initiative de révision de la constitution " concurremment au Président de la République et aux membres du Parlement " [alinéa 1] et aux conditions dans lesquelles le Parlement exerce son pouvoir d'initiative de révision ( alinéa 2 et 3]. Si cette erreur grave n'était pas rectifiée, elle rendrait impossible toute révision de la constitution en n'importe laquelle de ses dispositions. Il importe donc de la corriger impérativement, au risque de rendre impossible toute évolution constitutionnelle.
f) L'article 102 remplace les anciens articles 102, 103 et 104.
Il est supposé mettre fin, tout particulièrement, à l'infamie de l'ancien article 104, en prévoyant que les dispositions antérieures non conformes à la constitution doivent être modifiées au plus tard dans un délai de 3 ans. Passé ce délai, il est reconnu à chaque individu, le droit de les déférer devant le conseil constitutionnel en vue de les faire déclarer inapplicables.
L'article 102 nouveau est aussi inacceptable que l'ancien article 104 dont il reprend l'esprit qui consiste à vouloir faire prévaloir une loi contraire aux droits et libertés sur la constitution qui les garantit, même pour 3 ans " seulement " !
Il faut donc supprimer, purement et simplement, ce nouvel article 102 et laisser s'appliquer, immédiatement et sans condition, la constitution, surtout en matière de libertés démocratiques et de droits fondamentaux, le principe général en la matière étant celui de la primauté absolue de la constitution, dans son esprit autant que dans sa lettre.
Lorsque l'incompatibilité d'une loi ou d'un règlement avec la constitution est avérée, cela implique leur nullité de plein droit. Aussi, tous les citoyens doivent pouvoir immédiatement disposer du droit de saisir par voie d'action le Conseil Constitutionnel pour faire prononcer cette nullité ( comme prévu actuellement mais seulement pour dans 3 ans !] ou les écarter, par voie d'exception, devant les juridictions ordinaires, lorsqu'au cours d'un procès il est invoqué une disposition législative ou réglementaire contraire à la constitution (Dans le cas du Sénégal, par exemple, le Conseil Constitutionnel est compétent pour les exceptions d'inconstitutionnalité soulevées devant les juridictions suprêmes).
2. Appréciation d'ensemble du régime constitutionnel qui serait issu du projet présenté
L'engagement du CMJD en matière constitutionnelle consiste à maintenir les institutions en vigueur dans leurs pouvoirs respectifs, en ne corrigeant que les aspects qui perpétuent les difficultés ou les impossibilités de l'alternance. Aussi, pour l'essentiel, les reformes préconisées ont porté sur le Président de la République : âge, mandat, exclusivité de la fonction..
Il convient d'avoir présent à l'esprit que l'analyse d'un régime constitutionnel suppose non seulement la prise en compte des dispositions figurant dans la constitution concernant les différents pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire}- et les rapports qu'ils entretiennent entre eux, mais aussi les conditions des élections et les modes de scrutin en vigueur (majoritaire, proportionnel ou mixte].
Seule la combinaison de ces différents éléments donne la physionomie d'ensemble du régime, sa réalité organique et son fonctionnement pratique.
Les reformes actuelles, aussi bien sur le plan législatif que constitutionnel visent, répète- ton, à rendre effectives la volonté des électeurs et l'alternance, tout en assurant une stabilité des institutions, dans le respect de la démocratie pluraliste.
Leur application risque pourtant de provoquer des résultats contraires à ceux attendus.
La constitution de 1991 est fondée sur la toute puissance du Président de la République, seul maître à bord de l'Exécutif, qui nomme et révoque le Gouvernement dont les membres sont responsables devant lui. Il dispose, seul, de tous les pouvoirs reconnus à l'Exécutif, y compris le pouvoir réglementaire qu'il peut, selon son bon plaisir, déléguer, en tout ou partie au Premier Ministre, y compris également le pouvoir de nomination aux emplois civils et militaires .( Voir art 32). Le Premier Ministre est son aide de camp, son simple homme de confiance. Sa mission est d'exécuter la politique du Président, sans aucune marge de manœuvre ou initiative propre. Il sert de fusible en cas de mésentente entre le Président et le Parlement puisque, également responsable devant ce dernier, il peut être renversé par vote de défiance ou motion de censure (articles 74 et 75].
Cette donnée fondamentale de soumission complète du Premier Ministre au Président ne concorde plus avec l'esprit du régime tel que le voudrait le consensus entre le CMJD, la classe politique et la société civile. C'est une situation potentiellement dangereuse qui en résulte pour la paix civile et la stabilité de nos institutions.
La mise en œuvre de la reforme pourrait provoquer une grave crise de régime, au lendemain des prochaines élections législatives, sénatoriales et présidentielles.
Le calendrier électoral fait en effet précéder les élections parlementaires sur l'élection présidentielle, alors que la reforme du mode de scrutin projetée, introduit une dose non négligeable de proportionnelle tout en reconnaissant, apparemment et à contresens de l'histoire, le principe des candidatures indépendantes. Ce sont là trois facteurs importants d'émiettement du futur Parlement dont la majorité pourrait ne se constituer que par une coalition assez fragile et instable de partis de toutes dimensions et obédiences et d'individus en tous genres, de la nébuleuse des " indépendants ".
Mais c'est dans cette majorité, peut-être de bric et de broc, que sera nécessairement désigné le Premier Ministre, au lendemain d'une élection présidentielle qui pourrait consacrer un Président non issu de cette majorité constituée trois longs et hasardeux mois plus tôt.
Il pourrait en résulter le scénario catastrophe d'une impossible " cohabitation ", contrairement à ce qui peut advenir dans la plupart des régimes mixtes (Voir par exemple au Sénégal, au Mali, en Guinée Conakry pour ne citer que le cas de certains de nos voisins immédiats). En effet, comme rappelé plus haut, en Mauritanie, il n'y a pas de " cohabitation " possible puisque le Premier Ministre ne dispose d'aucun pouvoir propre. Il est donc tenu de se soumettre complètement au Président et au Parlement, sous peine d'être révoqué ou d'être renversé.
Il en résulte que le système est susceptible d'être bloqué à tout moment de par la volonté du Président de la République alors même que le Premier Ministre tire sa légitimité du fait d'appartenir, par définition, à la majorité parlementaire. Le pays est exposé en permanence à une perspective de crise de régime du fait de la surpuissance du Président et de l'inconséquence [ou de l'inachèvement] de la reforme constitutionnelle proposée.
Pour être viable, cette reforme des institutions devrait être accompagnée par une retouche des pouvoirs de l'Exécutif et leur redistribution pour permettre au premier Ministre d'exister en même temps que la majorité parlementaire dont il est issu.
La constitution n'interdisant pas au premier Ministre d'appartenir aux instances dirigeantes d'un parti et donc d'être un Chef de parti, contrairement au Président de la République, la paralysie des institutions résultant de la mésentente ou de la mésalliance entre les deux têtes de l'Exécutif pourrait très vite virer à la confrontation politique généralisée. Là réside la funeste originalité du système que dessine la reforme actuelle par mauvaise correction de l'ancien.
L'orientation du CMJD étant de ne pas revenir sur la forme du régime, il ne s'agira pas d'opérer un autre choix que celui, actuel, d'un régime hybride à forte tendance présidentialiste (double responsabilité du Gouvernement, possibilité de dissolution de l'Assemblée par le Président, pouvoirs propres et irresponsabilité politique du Président). Mais il conviendra de rendre fonctionnelle ce régime hybride, compte tenu de la restriction du mandat présidentiel et de la volonté affirmée de réduire les risques de monopolisme politique résultant antérieurement de la confusion des pouvoirs de Chef de l'État et de Chef de parti dont le titre reviendra désormais, fatalement et légitimement au Premier Ministre, politiquement requinqué mais toujours juridiquement dépouillé.
Pour ce faire, et en attendant mieux, il ne restera qu'à confier au premier Ministre, en dévolution propre, ce dont il pourrait avoir besoin comme chef de gouvernement (pouvoir réglementaire, pouvoir de nomination), en démarquant le territoire du Président de la République, arbitre des institutions et garant de la constitution, Président que la constitution s'évertue de considérer avec mystère, comme " l'incarnation " de l'État.
Si le " Temps ", souverain suprême en ces jours de transition ne permet plus de corriger les distorsions les plus dangereuses de cette improbable constitution de 1991 qui mérite, décidément, un vrai toilettage, alors il ne restera plus qu'à prier pour que des urnes, en octobre et puis en mars prochains, sorte une forte majorité parlementaire et présidentielle rendant gouvernable le pays. Cela seuls des partis démocratiques, en coalition pourraient en assurer la garantie.
En attendant la vraie réforme constitutionnelle qui libérera le pays de ses entraves bonapartistes...
(Nouakchott Infos du 995 du 31 mai 2006) PR LO GOURMO ABDOUL