Le candidat antisystème l’a emporté avec plus de 54 % des voix dès le premier tour, très loin devant ses adversaires, selon les résultats de la commission électorale annoncés mercredi 27 mars. Il va désormais devoir être à la hauteur des attentes de ses électeurs.
Comment passer du statut de « prisonnier politique » à celui de président en fonction quand on est largement inconnu du grand public, inexpérimenté dans la gestion des affaires de l’Etat et porteur d’une promesse de changement radical incarnée par son mentor ? C’est la délicate équation à laquelle se trouve confronté Bassirou Diomaye Faye, 44 ans, élu le 24 mars pour succéder au président sénégalais Macky Sall, dont le mandat s’achève le 2 avril.
Amené au pouvoir par un raz de marée électoral – 54,28 % au premier tour – qui en dit long sur le « dégagisme » ambiant, le nouveau dirigeant va tout d’abord devoir se choisir un premier ministre et former un gouvernement. « Il sera composé d’hommes et de femmes de valeur et de vertu, a esquissé Bassirou Diomaye Faye dans son premier discours de président élu, le 25 mars. De Sénégalaises et de Sénégalais, de l’intérieur et de la diaspora, connus pour leur compétence, leur intégrité et leur patriotisme. »
Ses premiers choix vont être cruciaux et observés. Marqueront-ils la rupture franche promise aux électeurs ou seront-ils le reflet d’un compromis avec ses alliés, figures connues de la vie politique sénégalaise ? Dans les urnes, Bassirou Diomaye Faye a écrasé tous ses concurrents de l’opposition. Le candidat du pouvoir sortant, Amadou Ba, incarnation de la « continuité » avec Macky Sall, n’a réuni que 35,79 % des suffrages face à celui qui représentait le « changement ». Les 17 autres prétendants à la magistrature suprême récoltent moins de 3 % des voix. Le troisième homme, Aliou Mamadou Dia, a ainsi remporté 2,8 % des suffrages.
Un triomphe qui donne en apparence à Bassirou Diomaye Faye toutes les cartes en main. « Les Sénégalais lui ont donné suffisamment de légitimité pour gouverner sans être otage d’un quelconque allié », observe Moundiaye Cissé, directeur exécutif de l’organisation non gouvernementale (ONG) pour la démocratie, les droits humains et le développement 3D.
« Une nouvelle phase de gestion du pouvoir »
« Nous sommes allés ensemble en campagne, maintenant nous sommes dans une nouvelle phase de gestion du pouvoir », indique cependant Ayib Daffé, député et secrétaire général par intérim de l’ex-parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), dissout par les autorités en juillet 2023. Et d’ajouter sans donner plus de détails : « Le principe est d’y associer les alliés. »
Des personnalités comme Mary Teuw Niane, Habib Sy, Abdourahmane Diouf et Aminata Touré – tous anciens ministres – pourraient participer à l’édifice, tout comme le Parti démocratique sénégalais (PDS), qui peut prétendre à des postes après avoir apporté son soutien à quelques jours du vote et dont Bassirou Diomaye Faye a rencontré le fondateur, l’ex-président Abdoulaye Wade, la veille de son élection.
« Les gouvernements ne doivent plus être des postes de récompenses de participation à la victoire, ce n’est pas un partage du gâteau ni un retour sur un investissement politique, a déclaré toutefois l’ancienne première ministre Aminata Touré. Je lui recommande de prendre les meilleurs experts parmi ses concitoyens pour régler des problèmes précis. Il faut qu’il inaugure une nouvelle ère de gouvernance moins partisane et politicienne. »
Le passage d’opposant radical à gouvernant pourrait cependant le soumettre à des contorsions, comme le rappelle le sociologue Alassane Ndao : « C’est contradictoire d’avoir une posture antisystème et de s’allier avec des figures qui sont issues de grandes familles politiques. Cela pourrait rapidement effriter la popularité du parti. L’équipe, qui est jeune, doit être entourée de gens d’expérience, car il va falloir rassurer les bailleurs internationaux et certains partenaires. Il faut des personnalités avec du réseau, moins clivantes et plus expérimentées. »
Comment s’accorder avec Ousmane Sonko ?
Une autre question délicate est déjà sur la table de Bassirou Diomaye Faye : quelle place laissera-t-il à Ousmane Sonko, candidat naturel du parti empêché de se présenter à la suite de condamnations en justice ? Le plan B ne cache pas qu’il a été un candidat de substitution bénéficiant de la popularité du leader du Pastef, mais une fois le premier élu, comment les deux hommes s’accorderont-ils ? Dans son programme, le parti propose la création d’un poste de vice-président, mais qui ne serait pas effectif avant la prochaine élection présidentielle, en 2029. Il a aussi promis une réduction des pouvoirs du président de la République.
La solution régulièrement évoquée en coulisses est de confier à Ousmane Sonko la présidence de l’Assemblée nationale après une dissolution du Parlement, faisant ainsi de lui la deuxième personnalité de l’Etat et le dauphin du chef de l’Etat. L’option d’une dissolution devrait être prochainement proposée, estime l’un des membres de la coalition Diomaye Président : « Si Bassirou Diomaye Faye ne dissout pas l’Assemblée nationale, il sera sous le chantage permanent des députés majoritaires qui sont passés dans l’opposition. L’Hémicycle ne reflète plus la réalité du pays, il faut rétablir les équilibres. »
Selon Moundiaye Cissé, l’essentiel sera d’éviter toute dualité à la tête de l’Etat. « Il faut qu’ils fassent preuve d’innovation pour développer une complémentarité », dit-il, afin de ne pas répéter le scénario de 1962-1963. Le binôme à la tête de l’Etat composé de Léopold Sédar Senghor et de Mamadou Dia avait fini par imploser moins de trois ans après l’indépendance, victime d’ambitions rivales et d’orientations contraires.
Théa Ollivier(Dakar, correspondance)
Source : Le Monde - (Le 27 mars 2024)
Comment passer du statut de « prisonnier politique » à celui de président en fonction quand on est largement inconnu du grand public, inexpérimenté dans la gestion des affaires de l’Etat et porteur d’une promesse de changement radical incarnée par son mentor ? C’est la délicate équation à laquelle se trouve confronté Bassirou Diomaye Faye, 44 ans, élu le 24 mars pour succéder au président sénégalais Macky Sall, dont le mandat s’achève le 2 avril.
Amené au pouvoir par un raz de marée électoral – 54,28 % au premier tour – qui en dit long sur le « dégagisme » ambiant, le nouveau dirigeant va tout d’abord devoir se choisir un premier ministre et former un gouvernement. « Il sera composé d’hommes et de femmes de valeur et de vertu, a esquissé Bassirou Diomaye Faye dans son premier discours de président élu, le 25 mars. De Sénégalaises et de Sénégalais, de l’intérieur et de la diaspora, connus pour leur compétence, leur intégrité et leur patriotisme. »
Ses premiers choix vont être cruciaux et observés. Marqueront-ils la rupture franche promise aux électeurs ou seront-ils le reflet d’un compromis avec ses alliés, figures connues de la vie politique sénégalaise ? Dans les urnes, Bassirou Diomaye Faye a écrasé tous ses concurrents de l’opposition. Le candidat du pouvoir sortant, Amadou Ba, incarnation de la « continuité » avec Macky Sall, n’a réuni que 35,79 % des suffrages face à celui qui représentait le « changement ». Les 17 autres prétendants à la magistrature suprême récoltent moins de 3 % des voix. Le troisième homme, Aliou Mamadou Dia, a ainsi remporté 2,8 % des suffrages.
Un triomphe qui donne en apparence à Bassirou Diomaye Faye toutes les cartes en main. « Les Sénégalais lui ont donné suffisamment de légitimité pour gouverner sans être otage d’un quelconque allié », observe Moundiaye Cissé, directeur exécutif de l’organisation non gouvernementale (ONG) pour la démocratie, les droits humains et le développement 3D.
« Une nouvelle phase de gestion du pouvoir »
« Nous sommes allés ensemble en campagne, maintenant nous sommes dans une nouvelle phase de gestion du pouvoir », indique cependant Ayib Daffé, député et secrétaire général par intérim de l’ex-parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), dissout par les autorités en juillet 2023. Et d’ajouter sans donner plus de détails : « Le principe est d’y associer les alliés. »
Des personnalités comme Mary Teuw Niane, Habib Sy, Abdourahmane Diouf et Aminata Touré – tous anciens ministres – pourraient participer à l’édifice, tout comme le Parti démocratique sénégalais (PDS), qui peut prétendre à des postes après avoir apporté son soutien à quelques jours du vote et dont Bassirou Diomaye Faye a rencontré le fondateur, l’ex-président Abdoulaye Wade, la veille de son élection.
« Les gouvernements ne doivent plus être des postes de récompenses de participation à la victoire, ce n’est pas un partage du gâteau ni un retour sur un investissement politique, a déclaré toutefois l’ancienne première ministre Aminata Touré. Je lui recommande de prendre les meilleurs experts parmi ses concitoyens pour régler des problèmes précis. Il faut qu’il inaugure une nouvelle ère de gouvernance moins partisane et politicienne. »
Le passage d’opposant radical à gouvernant pourrait cependant le soumettre à des contorsions, comme le rappelle le sociologue Alassane Ndao : « C’est contradictoire d’avoir une posture antisystème et de s’allier avec des figures qui sont issues de grandes familles politiques. Cela pourrait rapidement effriter la popularité du parti. L’équipe, qui est jeune, doit être entourée de gens d’expérience, car il va falloir rassurer les bailleurs internationaux et certains partenaires. Il faut des personnalités avec du réseau, moins clivantes et plus expérimentées. »
Comment s’accorder avec Ousmane Sonko ?
Une autre question délicate est déjà sur la table de Bassirou Diomaye Faye : quelle place laissera-t-il à Ousmane Sonko, candidat naturel du parti empêché de se présenter à la suite de condamnations en justice ? Le plan B ne cache pas qu’il a été un candidat de substitution bénéficiant de la popularité du leader du Pastef, mais une fois le premier élu, comment les deux hommes s’accorderont-ils ? Dans son programme, le parti propose la création d’un poste de vice-président, mais qui ne serait pas effectif avant la prochaine élection présidentielle, en 2029. Il a aussi promis une réduction des pouvoirs du président de la République.
La solution régulièrement évoquée en coulisses est de confier à Ousmane Sonko la présidence de l’Assemblée nationale après une dissolution du Parlement, faisant ainsi de lui la deuxième personnalité de l’Etat et le dauphin du chef de l’Etat. L’option d’une dissolution devrait être prochainement proposée, estime l’un des membres de la coalition Diomaye Président : « Si Bassirou Diomaye Faye ne dissout pas l’Assemblée nationale, il sera sous le chantage permanent des députés majoritaires qui sont passés dans l’opposition. L’Hémicycle ne reflète plus la réalité du pays, il faut rétablir les équilibres. »
Selon Moundiaye Cissé, l’essentiel sera d’éviter toute dualité à la tête de l’Etat. « Il faut qu’ils fassent preuve d’innovation pour développer une complémentarité », dit-il, afin de ne pas répéter le scénario de 1962-1963. Le binôme à la tête de l’Etat composé de Léopold Sédar Senghor et de Mamadou Dia avait fini par imploser moins de trois ans après l’indépendance, victime d’ambitions rivales et d’orientations contraires.
Théa Ollivier(Dakar, correspondance)
Source : Le Monde - (Le 27 mars 2024)