Elle est à toi cette chanson
Toi l’Auvergnat qui sans façon
M’as donné quelques bouts de bois
Quand dans ma vie il faisait froid
…
J’espère que c’est bien cet Auvergnat là qu’évoquait mon ami Kader dans sa « lettre pour mon ami l’Auvergnat » et point celui qui est réputé avoir des oursons dans le font des poches… ! Mais « la mauvaise réputation » n’est-elle pas aussi une autre chanson de ce merveilleux Brassens ?
Georges Brassens composa la chanson dont j’ai choisi de vous offrir le premier couplet en hommage à un Auvergnat, le mari de Jeanne Planche qui accueillit le chansonnier à Paris dans les années quarante.
Ce fut aussi en ces années là que le Maréchal Pétain désertait Paris pour installer l’Administration de ce qui restait de la France dans la petite ville thermale de Vichy. Cette partie de la France n’était pas censée être sous occupation et le Maréchal avait l’illusion de gouverner un Etat dont les fameux hauts fonctionnaires et autres secrétaires entretenaient l’illusion d’en assurer la continuité… parfois avec zèle.
Que l’ancienne opposition à Ould Taya se soit révélée, à l’issu des scrutins que nous venons de vivre, « bien minoritaire dans l’échiquier politique du Pays » n’est pas fait pour étonner le fin observateur que tu es, mon cher Kader. Que le peu qu’elle ait gagné soit, en partie, obtenu grâce à « l’appui massif et onéreux des symboles du régime que (je) décrie » ne pourrait non plus te surprendre.
Comment ce aurait pu être autrement quand tu conjugues l’impunité financière et l’encouragement politique dont les plus fortunés et les plus emblématiques de ces symboles purent bénéficier de la part de nos dirigeants du moments ?
Voici une classe de dirigeants politico-affairistes qui, pendent deux décennies, avait pris le soin et le temps de thésauriser, de réseauter et de tisser sa toile jusqu’au fin fond du pays, achetant par-là, terrorisant par-ci et asseyant une emprise qu’elle pensait éternelle. Le 03 août a dû en surprendre certains et paniquer d’autres mais très vite les craintes ont été dissipées. Je te tiens par la barbichette…comme dit la ritournelle.
La promesse, valant amnistie, de ne pas ouvrir les dossiers financiers qui fâchent a redonné courage aux candidats à l’exile monétaire qui, un pied dans la valise et les liasses de devises dans une autre, finirent par se dire que, non seulement ils avaient eu raison de ne pas faire fuir leur capitaux mais, encore mieux, ces derniers vont pouvoir être investis et faire des petits très rapidement. Ce fut le coup des « indépendants ».
« Continuez à faire la politique, comme avant et avec les moyens que vous avez gagnés… comme avant mais réorganisez-vous autrement », c’est le message que les « symboles du régime que (je) décrie » semblent avoir entendu lors des entrevues que le CMJD leur avait accordées pour les inciter à rester en dehors des partis.
Je ferais appel au « pragmatisme inhérent aux froides considérations politiques » qui est le tien pour te faire remarquer que le nerf de la guerre et de la campagne électorale est toujours entre les mêmes mains.
Je perçois la pointe de regret qui affleure quant tu évoques la « lointaine imprudence » qui fut à l’origine de notre amitié. Puis s’en suit un couplet sur le dévoiement de l’idéalisme de la jeunesse…
Franchement, Kader, qu’aurais-tu pu faire de mieux en ces débuts des années 80 ? Nassérien ? Baathiste ? AMD ? Ou alors tu aurais voulu aller grossir les rangs de ceux qu’on appelait les « apolitiques », non intéressés par le débat autour des affaires du moment ? Connaissant le petit geyser que tu étais je ne puis t’imaginer complètement en dehors de l’arène.
Comme toi et sûrement comme beaucoup d’autres je me suis posé la même question mais n’arrive pas à former le moindre regret. Si s’était à refaire je ne suis pas sûr de faire autrement.
Oui et malgré le caractère hautement « suspect » des partenaires du moment, je prêche le consensus. Il va y avoir bientôt cinq ans, comme des millions d’électeurs de la gauche française, je m’étais muni d’une pince à linge, m’étais clippé les narines, et avais voté Jacques Chirac au deuxième tour des présidentielles.
Je prêche le compromis qui, à mon sens, n’est pas toujours une compromission mais pourrait bien le devenir. Quand on se compromet on se déprécie et on perd tout capacité à conclure un compromis valable.
L’UFP avait eu à négocier des compromis avec Ould Taya. Je fus, personnellement, réservé et sceptique sur l’efficacité immédiate d’une telle démarche mais suis obligé, à posteriori, de reconnaître qu’il y’avait là, à défaut de résultat quantifiable et malgré la coûteuse crédibilisation qu’en tirait le régime, un grand moment et une magistrale leçon de pédagogie politique que l’UFP avait offerts à la classe politique du pays. Ce parti avait pu, en effet, démontrer, au moment où la plupart des acteurs politiques vivait la main sur la couture du pantalon, qu’il était possible de négocier avec Ould Taya sans que l’objet de la transaction ne soit un strapontin, un maroquin ou une licence de pêche. Ce ne fut d’ailleurs pas étonnant de la part des héritiers du groupe politique qui compta à son actif l’unique démission de ministre que relatent les courtes annales de la République Islamique de Mauritanie.
Quant au contour du consensus, il est indispensable, comme tu le réclames, de le définir. Ce aurait dû être l’objet de nouvelles journées de concertation. Mais tu sais ce qui en est advenue de cette idée et comment elle a été détournée avec beaucoup de malice pour être travestie en un appel à la désignation par tous les acteurs politiques, y compris le CMJD, d’un Président…
Il n’empêche, concertation ou pas rien ne nous interdit ici d’ébaucher un tel contour.
Il y’a, de mon point de vue, trois types de sujets que les acteurs politiques et la société civiles mauritaniens seront amenés à aborder : i- ceux qui exigent l’existence d’un consensus, ii- ceux pour lesquels le consensus est souhaitable et iii- ceux pour lesquels le consensus est utopique et parfois contre productif car imposant une solution à minima.
Dans la première catégorie j’inscrirais la question de la cohabitation et ses corollaires immédiats à savoir les crimes commis au nom de l’Etat ou par les moyens de l’Etat. Aucune solution, dans ce domaine, ne pourrait être imposée par un parti, une ONG ou un groupe de pression quelconque et ce n’est pas parce qu’on est entouré de sable que l’on devra obligatoirement opter pour la politique de l’autruche en reculant l’échéance ou en pratiquant le déni. La solution à ce genre de question passe par l’implication des victimes (les réfugiés et anciens réfugiés ainsi que leur ayants-droit) et la recherche de consensus.
Dans la seconde catégorie je rangerais la construction de l’Etat de droit, l’assainissement de l’Administration, une politique de création de richesse (par le lacement de grands travaux d’infrastructure par exemple), une politique de formation professionnelle et d’éducation nationale.
Il restera des domaines où ce que j’appellerais le « camp du progrès » devrait s’attendre à essuyer un tir de barrage de la part des conservatismes de tous bords. Le consensus pourrait, dans ce cas, être recherché au sein de ce camp. Je définirai, quand tu me le demanderas, les contours du « camp du progrès » mais dors et déjà je pourrais te dire qu’il n’épousent pas forcément ceux de l’ancienne opposition à Ould Taya…
Les deux premières catégories de sujets pourront faire l’objet d’un programme pour le gouvernement de la future transition, celle qui devrait commencer juste après les présidentielles, c’est à dire dans moins de deux mois.
A propos de l’Etat de droit, « je trouve, néanmoins regrettable qu’une certaine élite censés promouvoir le très consensuel ‘Etat de droit’ se moque, en fait, de l’esprit des lois », écrivais-tu.
L’esprit des lois ne pourrait souffler sur un Etat de non- droit. Pour en avoir personnellement fait les frais et pour avoir vu beaucoup d’autres en faire autant, je suis fondé à penser que l’Etat de Ould Taya était tout sauf un Etat de droit. Mais je te concède que cette loi « stupide et injuste » datait de bien avant Ould taya. A la décharge de Bilal, tu as dû remarquer que, malgré la stupidité et l’injustice de cette disposition du code de la nationalité, il s’y était plié. Il avait tenu à faire apposer des visas sur son passeport et sur celui de son fils Hamza pour rendre visite à ses parents dans sa Chemama natale !
Même dans un Etat de droit, la loi n’a rien de « sacré ». C’est une règle de vie commune qui prévoit y compris les sanctions pour les citoyens qui l’enfreindraient. Elle prévoit aussi ses modes de révision. Vivement une Assemblée Nationale dotée de groupes parlementaires dignes de ce nom…
Avec mes amitiés
Mohamed Baba
siource : avomm
Toi l’Auvergnat qui sans façon
M’as donné quelques bouts de bois
Quand dans ma vie il faisait froid
…
J’espère que c’est bien cet Auvergnat là qu’évoquait mon ami Kader dans sa « lettre pour mon ami l’Auvergnat » et point celui qui est réputé avoir des oursons dans le font des poches… ! Mais « la mauvaise réputation » n’est-elle pas aussi une autre chanson de ce merveilleux Brassens ?
Georges Brassens composa la chanson dont j’ai choisi de vous offrir le premier couplet en hommage à un Auvergnat, le mari de Jeanne Planche qui accueillit le chansonnier à Paris dans les années quarante.
Ce fut aussi en ces années là que le Maréchal Pétain désertait Paris pour installer l’Administration de ce qui restait de la France dans la petite ville thermale de Vichy. Cette partie de la France n’était pas censée être sous occupation et le Maréchal avait l’illusion de gouverner un Etat dont les fameux hauts fonctionnaires et autres secrétaires entretenaient l’illusion d’en assurer la continuité… parfois avec zèle.
Que l’ancienne opposition à Ould Taya se soit révélée, à l’issu des scrutins que nous venons de vivre, « bien minoritaire dans l’échiquier politique du Pays » n’est pas fait pour étonner le fin observateur que tu es, mon cher Kader. Que le peu qu’elle ait gagné soit, en partie, obtenu grâce à « l’appui massif et onéreux des symboles du régime que (je) décrie » ne pourrait non plus te surprendre.
Comment ce aurait pu être autrement quand tu conjugues l’impunité financière et l’encouragement politique dont les plus fortunés et les plus emblématiques de ces symboles purent bénéficier de la part de nos dirigeants du moments ?
Voici une classe de dirigeants politico-affairistes qui, pendent deux décennies, avait pris le soin et le temps de thésauriser, de réseauter et de tisser sa toile jusqu’au fin fond du pays, achetant par-là, terrorisant par-ci et asseyant une emprise qu’elle pensait éternelle. Le 03 août a dû en surprendre certains et paniquer d’autres mais très vite les craintes ont été dissipées. Je te tiens par la barbichette…comme dit la ritournelle.
La promesse, valant amnistie, de ne pas ouvrir les dossiers financiers qui fâchent a redonné courage aux candidats à l’exile monétaire qui, un pied dans la valise et les liasses de devises dans une autre, finirent par se dire que, non seulement ils avaient eu raison de ne pas faire fuir leur capitaux mais, encore mieux, ces derniers vont pouvoir être investis et faire des petits très rapidement. Ce fut le coup des « indépendants ».
« Continuez à faire la politique, comme avant et avec les moyens que vous avez gagnés… comme avant mais réorganisez-vous autrement », c’est le message que les « symboles du régime que (je) décrie » semblent avoir entendu lors des entrevues que le CMJD leur avait accordées pour les inciter à rester en dehors des partis.
Je ferais appel au « pragmatisme inhérent aux froides considérations politiques » qui est le tien pour te faire remarquer que le nerf de la guerre et de la campagne électorale est toujours entre les mêmes mains.
Je perçois la pointe de regret qui affleure quant tu évoques la « lointaine imprudence » qui fut à l’origine de notre amitié. Puis s’en suit un couplet sur le dévoiement de l’idéalisme de la jeunesse…
Franchement, Kader, qu’aurais-tu pu faire de mieux en ces débuts des années 80 ? Nassérien ? Baathiste ? AMD ? Ou alors tu aurais voulu aller grossir les rangs de ceux qu’on appelait les « apolitiques », non intéressés par le débat autour des affaires du moment ? Connaissant le petit geyser que tu étais je ne puis t’imaginer complètement en dehors de l’arène.
Comme toi et sûrement comme beaucoup d’autres je me suis posé la même question mais n’arrive pas à former le moindre regret. Si s’était à refaire je ne suis pas sûr de faire autrement.
Oui et malgré le caractère hautement « suspect » des partenaires du moment, je prêche le consensus. Il va y avoir bientôt cinq ans, comme des millions d’électeurs de la gauche française, je m’étais muni d’une pince à linge, m’étais clippé les narines, et avais voté Jacques Chirac au deuxième tour des présidentielles.
Je prêche le compromis qui, à mon sens, n’est pas toujours une compromission mais pourrait bien le devenir. Quand on se compromet on se déprécie et on perd tout capacité à conclure un compromis valable.
L’UFP avait eu à négocier des compromis avec Ould Taya. Je fus, personnellement, réservé et sceptique sur l’efficacité immédiate d’une telle démarche mais suis obligé, à posteriori, de reconnaître qu’il y’avait là, à défaut de résultat quantifiable et malgré la coûteuse crédibilisation qu’en tirait le régime, un grand moment et une magistrale leçon de pédagogie politique que l’UFP avait offerts à la classe politique du pays. Ce parti avait pu, en effet, démontrer, au moment où la plupart des acteurs politiques vivait la main sur la couture du pantalon, qu’il était possible de négocier avec Ould Taya sans que l’objet de la transaction ne soit un strapontin, un maroquin ou une licence de pêche. Ce ne fut d’ailleurs pas étonnant de la part des héritiers du groupe politique qui compta à son actif l’unique démission de ministre que relatent les courtes annales de la République Islamique de Mauritanie.
Quant au contour du consensus, il est indispensable, comme tu le réclames, de le définir. Ce aurait dû être l’objet de nouvelles journées de concertation. Mais tu sais ce qui en est advenue de cette idée et comment elle a été détournée avec beaucoup de malice pour être travestie en un appel à la désignation par tous les acteurs politiques, y compris le CMJD, d’un Président…
Il n’empêche, concertation ou pas rien ne nous interdit ici d’ébaucher un tel contour.
Il y’a, de mon point de vue, trois types de sujets que les acteurs politiques et la société civiles mauritaniens seront amenés à aborder : i- ceux qui exigent l’existence d’un consensus, ii- ceux pour lesquels le consensus est souhaitable et iii- ceux pour lesquels le consensus est utopique et parfois contre productif car imposant une solution à minima.
Dans la première catégorie j’inscrirais la question de la cohabitation et ses corollaires immédiats à savoir les crimes commis au nom de l’Etat ou par les moyens de l’Etat. Aucune solution, dans ce domaine, ne pourrait être imposée par un parti, une ONG ou un groupe de pression quelconque et ce n’est pas parce qu’on est entouré de sable que l’on devra obligatoirement opter pour la politique de l’autruche en reculant l’échéance ou en pratiquant le déni. La solution à ce genre de question passe par l’implication des victimes (les réfugiés et anciens réfugiés ainsi que leur ayants-droit) et la recherche de consensus.
Dans la seconde catégorie je rangerais la construction de l’Etat de droit, l’assainissement de l’Administration, une politique de création de richesse (par le lacement de grands travaux d’infrastructure par exemple), une politique de formation professionnelle et d’éducation nationale.
Il restera des domaines où ce que j’appellerais le « camp du progrès » devrait s’attendre à essuyer un tir de barrage de la part des conservatismes de tous bords. Le consensus pourrait, dans ce cas, être recherché au sein de ce camp. Je définirai, quand tu me le demanderas, les contours du « camp du progrès » mais dors et déjà je pourrais te dire qu’il n’épousent pas forcément ceux de l’ancienne opposition à Ould Taya…
Les deux premières catégories de sujets pourront faire l’objet d’un programme pour le gouvernement de la future transition, celle qui devrait commencer juste après les présidentielles, c’est à dire dans moins de deux mois.
A propos de l’Etat de droit, « je trouve, néanmoins regrettable qu’une certaine élite censés promouvoir le très consensuel ‘Etat de droit’ se moque, en fait, de l’esprit des lois », écrivais-tu.
L’esprit des lois ne pourrait souffler sur un Etat de non- droit. Pour en avoir personnellement fait les frais et pour avoir vu beaucoup d’autres en faire autant, je suis fondé à penser que l’Etat de Ould Taya était tout sauf un Etat de droit. Mais je te concède que cette loi « stupide et injuste » datait de bien avant Ould taya. A la décharge de Bilal, tu as dû remarquer que, malgré la stupidité et l’injustice de cette disposition du code de la nationalité, il s’y était plié. Il avait tenu à faire apposer des visas sur son passeport et sur celui de son fils Hamza pour rendre visite à ses parents dans sa Chemama natale !
Même dans un Etat de droit, la loi n’a rien de « sacré ». C’est une règle de vie commune qui prévoit y compris les sanctions pour les citoyens qui l’enfreindraient. Elle prévoit aussi ses modes de révision. Vivement une Assemblée Nationale dotée de groupes parlementaires dignes de ce nom…
Avec mes amitiés
Mohamed Baba
siource : avomm