Mohamed Ould Louly ici lors d' une manifestation à Paris , photo AVOMM
La rubrique "Rencontre avec ..." du site de l'OCVIDH accueille le Professeur Mohamed Aly Ould LOULY, défenseur infatigable des droits de l'Homme. En effet, Le Pr Mohamed Aly ould LOULY est de tous les combats qui interpellent la dignité de l'homme.
Il s'est notamment illustré, malgré un calendrier bien chargé, par sa présence constante et son soutien indéfectible aux actions des organisations des droits humains. Bref, ce qui fait la grandeur du Pr Ould LOULY, c'est cette capacité à transcender les contingences politiques et particularistes en consacrant son combat pour l'avénement d'un ordre plus juste en Mauritanie.
Notre invité a bien voulu aborder avec nous l'actualité brûlante des élections en Mauritanie, la campagne menée contre les réformistes, l'exécution de Saddam Hussein et la dernière sortie du colonel Ely en date du 27 janvier, sans langue de bois et avec courage.
1) Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Mohamed Aly O. Louly : Je suis un démocrate musulman mauritanien.
Je suis un enseignant-chercheur Mauritanien, vivant essentiellement à l'étranger depuis une quinzaine d'années. Je vis en dehors de la Mauritanie, mais la Mauritanie vit incessamment en moi. Je souffre donc de l'incurable mal de la mère patrie. C'est un mal dont je ne souhaite d'ailleurs pas me guérir. C'est en fait une véritable chance de sortir du pays pour mieux le voir et le comprendre. On y perd effectivement en connaissance du terrain, mais on y gagne en discernement et en perspicacité en échappant à l'influence néfaste de la culture du désespoir et du défaitisme.
Je suis un démocrate dans le sens ou je suis de ceux qui croient que la démocratie, la vraie, celle qui donne au peuple, à tout le peuple, le moyen de choisir librement ses dirigeants, est une voie qui est de nature à mener le pays à l'ouverture et la stabilité politiques. C'est la voie qui peut porter aux affaires des forces désireuses d'un changement réel ; c'est la voie de la sagesse qui ouvre les perspectives d'un avenir meilleur que les Mauritaniens méritent tant et dont le pays a tant besoin.
Je suis enfin un musulman. Ne pas dire que je me sens musulman avant tout, serait mal me définir à vos lecteurs. J'aspire plus exactement à devenir musulman, car être réellement musulman, c'est en fait cela précisément l'idéal d'accomplissement de l'être humain. Un idéal probablement atteint par des prophètes, des véridiques et des témoins-martyrs (chuhada'). On ne peut prétendre être musulman au même sens que l'était le prophète Ibrahim, qui fut d'une part l'inventeur du vocable "musulman" et d'autre part celui qui en a donné le sens parfait et l'exemple suprême. Il faut comprendre l'Islam ici dans le sens profond de religion (din) et non dans le sens particulier de législation (chari'a).
La législation change de prophète en prophète pour tenir compte du contexte, mais l'essence de l"islam, l'adoration du Dieu unique, parfait et absolu, est l'invariant qui demeure inchangé. L'islam est aussi la religion naturelle de tout l'univers. Les oiseaux et les arbres adorent le même Dieu qu'adore tout nouveau-né. Le problème est que ce dernier a la redoutable liberté de rompre le lien et de renier sa nature. « N’as-tu pas vu que c’est devant Dieu que se prosternent tous ceux qui sont dans les cieux et tous ceux qui sont sur la terre, le soleil, la lune, les étoiles, les montagnes, les arbres, les animaux, ainsi que beaucoup de gens ? » (Sourate 22, verset 18). Cette vision ecumenique de l'islam, qui n'est pas une religion parmi d'autres, mais La religion naturelle et primordiale, redonne son âme à l'universalisme, à l'éthique et à l'écologie.
2) La Mauritanie vient de vivre ses premières élections qualifiées de transparentes. On attendait une victoire écrasante des forces de l'opposition. Comment expliquez-vous ce score plutôt mitigé ? Et quelles en seraient les conséquences sur la gestion du pouvoir législatif ?
Mohamed Aly O. Louly : Les dernières élections municipales et législatives étaient effectivement globalement transparentes. Il n'y a eu ni fraude massive ni bourrage des urnes. Il n'y a cependant pas eu la neutralité des autorités de la transition. Des éléments du CMJD et des membres du gouvernement ont ouvertement fait campagne pour des listes faussement indépendantes. Les "indépendants" créés par le CMJD sont le nouveau parti du pouvoir, le PRDS-bis. L'étiquette est renouvelée à chaque fois, mais la réalité essentielle du parti du pouvoir est toujours la même. Ce parti s'appelait le Parti du Peuple Mauritanien (PPM) sous Mokhtar O. Daddah, les Structure d'Education des Masses (SEM ou Hayakil) sous Haidalah, le PRDS sous Ould Taya et "Les Indépendants" sous le CMJD. C'est cette ingérence des militaires dans le processus électoral qui explique que la victoire de la CFCD n'a pas été écrasante comme vous l'attendiez. Cela dit, avec les 41 députés de la CFCD et les quelques députés réellement indépendants, le pole du changement me parait détenir la majorité absolue de l'assemblée nationale. Il revient donc à ce pole de former un gouvernement à même de pérenniser et de renfoncer les acquis.
3) Des questions fondamentales, telles le passif humanitaire et la cohabitation ont été passés à la trappe par la junte militaire. Cette posture augure-t-elle une volonté de maintien des tensions entre communautés dans le seul but de pérenniser l'état d'exception et biaiser par là même la démocratie ?
Mohamed Aly O. Louly : Il est vrai que le CMJD a volontairement refusé de traiter le passif humanitaire, alors que la chute de Ould Taya était le moment idéal pour régler le problème. Organiser le retour des déportés, opérer leur réinsertion, demander au nom de l'armée le pardon aux victimes auraient été des mesures d'apaisement de nature à jeter les bases d'une véritable réconciliation nationale. Nous avons donc perdu une occasion d'or, mais mon analyse des motivations de ce grand rendez-vous manqué est différente de votre proposition.
Le CMJD est principalement composé d'officiers supérieurs proches du régime déchu. Ils croient peut-être avoir affaire à une boîte de Pandore qu'ils craignent d'ouvrir car l'institution militaire est la plus impliquée dans le passif humanitaire. Ils ont donc préféré la solution sécuritaire qui ne résout rien, mais reste sans danger immédiat pour le CMJD. Ils ont, du coup, raté la solution politique qui aurait pu régler le passif humanitaire sans chasse aux sorcières. Ils ont donc finalement laissé pourrir le problème. Ils ont même refusé de créer une circonscription électorale pour le vote des Mauritaniens de l'étranger justement pour ne pas que les déportés aient un poids électoral.
Cela dit, à part la promesse d'organiser des élections transparentes en assurant la neutralité de l'administration, le CMJD n'a réglé aucun grand problème du pays. Ce qu'on peut appeler aussi le passif économique a implicitement été amnistié. Le président du CMJD a plusieurs fois répété qu'aucun détournement des deniers public, intervenu avant le 3 août 2005, ne sera sanctionné. Il y avait la aussi une possibilité de récupérer une bonne partie des deniers publiques sans forcement opérer une autre chasse aux sorcières. Il suffisait d'appeler et de pousser les grands acteurs économiques et financiers à réviser, rétroactivement, leur rapport à l'Etat et leurs affaires avec lui. On a craint là aussi d'ouvrir la boîte de Pandore.
Le CMJD n'a donc finalement réglé aucun grand problème du pays. La classe politique ne voulait toutefois pas l'un critiquer sévèrement car les militaires promettaient de rester neutres lors du processus électoral. La grande désillusion vient aujourd'hui du reniement de cet engagement qui devait être la principale, sinon l'unique, grande réalisation du CMJD.
4) Zeine Ould Zeidane, Dahan, Ould Cheikh Abdallah, Brahim Abdallah, Haidallah. Des candidats qui se sont fait connaître. Nos lecteurs aimeraient bien saisir les contours politiques de chacun de ces personnages, au-delà des discours politiciens.
Mohamed Aly O. Louly : Je ne souhaite pas m'exprimer sur les candidats qui n'ont pas encore bénéficiés du soutien de forces politiques majeures. Je ne retiens donc de votre liste que le candidat Sidi Ould Cheikh Abdallahi qui fait déjà couler beaucoup d'encre et de salive.
C'est le fils d'un grand cheikh, un éminent maître de l'école spirituelle Tidjaniyah. Sa famille est connue pour la culture et le savoir. La famille Cheikh Abdallahi, dans laquelle j'ai personnellement plusieurs amis, force l'admiration par les grandes qualités humaines de ses membres et leur brillante réussite dans les études modernes. Je n'ai donc personnellement qu'estime et amitié pour cette noble et grande famille.
Cette candidature pose cependant problème car les informations sont concordantes sur le fait qu'elle bénéficie du soutien de quelques éléments du CMJD, notamment Mohamed O. Abdel Aziz et Mohamed O. Ghazwani. Le CMJD trahit là son engagement à la neutralité sur lequel repose la légitimité morale de son pouvoir durant la période de transition. Ceux qui parlent seulement de rumeurs de soutien savent en général que la chose est avérée, mais ils choisissent de ménager les militaires. Ils ne veulent aussi pas répandre cette information pour ne pas participer à la promotion de cette candidature. Je crois que ce n'est pas la bonne stratégie. Nous devons au contraire à l'opinion publique des éclaircissements sur ce qui se passe et cela n'ajoutera pas grand-chose à la campagne que les militaires ont pratiquement déjà terminée.
La réalité est que le CMJD avait deux schémas pour renier ses engagements :
Le premier schéma de trahison des engagements est celui que défend actuellement le président du CMJD. On penser un moment qu'il devait pour cela rejeter la loi, effectivement anticonstitutionnelle, privant Ely O. Mohamed Val de son droit à la candidature. Cette première option, qui aurait eu le mérite de la franchise et la clarté, aurait été insoutenable. C'est pourquoi on vient d'inventer la tactique du vote blanc qui compte dans les suffrages exprimés ! Le Colonel-président aura quand même un grand problème de légitimité aux yeux de l'opinion nationale et un sérieux problème de reconnaissance par la communauté internationale. Les atouts que nous avons aujourd'hui, c'est d'une part une forte maturité politique des Mauritaniens aspirant au changement et, d'autre part, la présence importante d'observateurs internationaux.
Le deuxième schéma de reniement des engagements est celui qui a déjà bien fonctionné lors des élections législatives et municipales. C'est celui de faire en douceur une campagne pour un camp. Il s'agit de concéder la transparence du scrutin tout en trahissant l'engagement de neutralité. C'est l'option défendue par le duo Ould Abdel Aziz et Ould Ghazwani.
Cette dernière option n'est plus un secret et la propagande de sa justification bat son plein actuellement. Le CMJD chercherait à mener à terme le processus démocratique en aidant les citoyens à faire le bon choix ! En faignant croire que le principal engagement des militaires, celui de la neutralité, engagement sur lequel repose toute leur légitimité, pouvait être respecté dans cette combine, on nous rappelle que ces militaires sont des citoyens pouvant bien afficher leurs préférences. Autant dire qu'on s'achemine vers une nomination du président au lieu de son élection ! C'est une démocratie inédite, c'est la démocratie vue par le CMJD.
5) A deux mois des présidentielles, la CFCD peine à aligner une candidature unique, au risque de perdre au 1er tour. Pensez-vous, comme certains, que la multiplicité des candidats offre le gage d'un 2ème tour incontournable ?
Mohamed Aly O. Louly : Un deuxième tour aurait été inévitable si ce n'est la partialité des autorités de la transition. Cela dit même avec cette ingérence, on aura probablement un deuxième tour, s'il n'y a ni bourrage des urnes ni partialité de l'administration.
Le problème de l'ingérence des militaires a bien été illustré par les élections municipales et législatives : beaucoup de dignitaires du monde rural ne savent pas résister au choix du pouvoir. Ils traînent dans leur alignement, peu courageux, aux autorités du moment, des groupes tribaux et ethniques encore peu perméables aux appartenances modernes, tels les courants de pensée et les partis politiques. Tout comme à l'ère de Ould Taya, les citoyens de la Mauritanie profonde sont vendus comme un troupeau en échange de prévisibles privilèges.
Les militaires avaient déjà perturbé les élections municipales et législatives en créant les Indépendants. En soutenant un candidat aux élections présidentielles, ou en maintenant cette ordonnance ridicule de vote blanc comptant comme suffrage exprimé, ils saboteraient la principale étape de la transition. Ce faisant ils aurait trahi leurs engagements, la classe politique qui les a soutenus sur leur base, le peuple mauritanien qui aspirait au changement, et toute la raison d'être de cette longue transition qui avait justement pour but d'organiser le processus électoral dans la transparence et la neutralité de l'administration.
6) La création de MRN (Mouvement pour la Réconciliation Nationale), qui entend bien peser de tout son poids pour faire entendre la voix des négro-africains, ne risque-t-elle pas d'affaiblir la CFCD ?
Mohamed Aly O. Louly : C'est tout le contraire, le MRN est naturellement proche de la CFCD. Il s'agit globalement d'opposants à l'ancien régime. Le MRN, pour qui la réconciliation nationale est la priorité, enrichit le pole du changement, enclin parfois à prioriser l'accès au pouvoir. Il reste toutefois au MRN comme à la CFCD de se mobiliser pour promouvoir le changement dans le Gorgol et les deux Hodhs où les listent indépendantes avaient raflé beaucoup de sièges lors des dernières élections législatives.
7) L'OMDH, l'organisation des droits de l'Homme dont vous êtes membre fondateur a condamné les violences policières sur les étudiants de l'université de Nouakchott. Comment expliquez-vous cette répression dans une transition qui se pose en rupture avec les pratiques du passé ?
Mohamed Aly O. Louly : Il n'y pas du tout eu rupture avec le passé. Il y a bien plus de continuité que de changement dans cette période transitoire. Comment pouvez-vous imaginer une rupture politique entre deux Colonels-présidents amis d'une trentaine d'années.
La mort politique de Ould Taya était programmée depuis sa fuite devant les cavaliers du 8 juin 2003. Le mérite du CMJD, c'est de l'avoir compris à temps et d'avoir précipité sa fin pour ne pas être emporté dans son sillage.
Les militaires semblaient d'entrée saisir la gravité de la situation. Ils ont affiché la volonté d'organiser dans la transparence et la neutralité la compétition politique durant la période de transition. C'était la meilleure façon avec laquelle le régime pouvait se racheter. C'est pourquoi l'opposition l'a soutenu en pariant sur la sincérité des militaires.
Comme toujours, les nouvelles autorités ont pris goût au pouvoir. Au lieu de se racheter en apportant une reforme politique, le régime tente maintenant de se régénérer. Je le craignais, c'est pourquoi j'avais appelé sur Al-Jazeera, le jour même du coup d'Etat, à une forte réduction de la période de transition.
8) Selon vous, qui serait le candidat à même d'incarner le mieux la réconciliation nationale et la bonne gouvernance ?
Mohamed Aly O. Louly : Il y a un critère discriminant qui permet de partager clairement les candidats entre deux classes dont la disposition à travailler pour une réconciliation nationale est très différente. Ce critère est la position par rapport aux déportés.
Une première classe de candidats répète le discours de Ould Taya, repris d'ailleurs par Ould Mohamed Val, disant qu'il n'y a aucun problème à ce qu'un déporté, dont la mauritanité est avérée rentre chez-lui. Mauritanité rime d'ailleurs dangereusement avec ivoirité. C'est le discours des candidats qui ont peur du passé et pensent que son oubli est la solution. Les candidats de la deuxième classe mesurent beaucoup plus la gravité du problème, savent que l'oubli est impossible, et se disent favorables à un retour digne et organisé des déportés. Cette dernière classe est évidemment plus indiquée pour mener une réconciliation nationale. Elle est évidemment plus à chercher dans le pole du changement.
Pour ce qui est de la bonne gouvernance, je crois que les forces du changement sont aussi plus qualifiées pour l'opérer. On ne peut reconduire les mêmes aux affaires et espérer une véritable amélioration des choses.
9) Sur un autre registre, quand on parle des Réformateurs, beaucoup pensent aux islamistes, aux talibans, à l'impossibilité d'un débat politique et au refus de la différence. Qu'opposez-vous à cette défiance ?
Mohamed Aly O. Louly : Les Réformistes n'ont rien avoir avec les Talibans et les groupuscules extrémistes et violents. Le courant de pensée réformiste (Al Islah) est vieux d'un siècle dans le monde musulman. Sa référence est l'Islam et son objectif premier est de faire sortir les musulmans de la pauvreté et de l'ignorance dans lesquels ils se trouvent. Nous avons besoin d'une véritable renaissance pour sortir de la décadence dans laquelle nous nous trouvons. Ce courant de pensée a réussi à mener le monde musulman d'un état de dormition (Ghaflah) à un état d'éveil (Sahwah). Nous vivons toujours dans le sous-développement mais il y aujourd'hui une effervescence de réflexions et d'efforts pour nous en sortir. Il y a déjà une réussite politique en Turquie, des progrès au Maroc, des tentatives en Egypte…etc.
Les Réformistes n'ont donc rien à voir avec les Talibans, mouvement traditionnel né des écoles Afghanes, loin d'être préparé à gouverner un pays. Les Talibans ne cherchaient d'ailleurs pas le pouvoir au début. Toute leur ambition était d'instaurer la sécurité à Kandahar. C'est quand cet objectif fut atteint que le pouvoir est rapidement tombé dans leurs mains. En dehors de leur faible qualification et leur compréhension archaïque de l'Islam, ils ont eu la mauvaise idée d'accueillir des groupuscules extrémistes et violents.
Le problème de la confusion que vous présentez est que certains médias, et certains adversaires politiques des Réformistes, utilisent volontairement le vocable "islamistes", néologisme trop négativement chargé, pour faire peur des Réformistes et faire penser, comme vous le dites, "aux talibans, à l'impossibilité d'un débat politique et au refus de la différence". Il faut refuser cette confusion qui essaie d'incriminer toute référence à l'islam. C'est ce que les Réformistes font en affirmant que l'Islam est la solution tout en rejetant les compréhensions archaïques et les mouvements extrémistes et violents, d'une part, et toute en refusant l'oppression et la dictature de l'autre part. C'est pourquoi les Réformistes revendique Al-Wasatiyah (le centrisme, la mesure et la modération) comme valeur essentielle.
On ne cesse de rappeler que les Réformistes Centristes sont des démocrates musulmans progressistes qui n'ont rien à voir avec les concepts effrayants de « théocratie », «islamistes terroristes », «fondamentalistes réactionnaires », « antisémites », «talibanisation », « haine de l’Occident », ou « prosélytisme ». La bonne réponse à la propagande malsaine qui les en accuse est la suivante : << Ils veulent éteindre la lumière de Dieu avec leurs bouches, alors que Dieu parachèvera sa lumière >> (Sourate 61, verset 8).
10) La communauté mauritanienne est plus que jamais divisée sur l'exécution de Saddam Hussein. Un grand nombre de négro-africains voient en Saddam un dictateur sanguinaire qui avait exacerbé les tensions entre les communautés et encouragé l'épuration de la Mauritanie de sa composante non arabe. Les arabo-berbères, dans une proportion importante le considèrent comme le héros qui combattait pour l'unité de la nation arabe. Quel châtiment pour les dictateurs convaincus de génocide ?
Mohamed Aly O. Louly : Je ne crois pas que la divergence soit réelle à ce point. Saddam était un dictateur et lui-même l'avait un peu concédé lors de son procès. L'idéologie baathiste a certainement participé, comme tous les nationalismes étroits, à exacerber les tensions entre les communautés. Cela dit, le régime de Ould Taya me parait avoir la plus grande responsabilité dans le passif humanitaire. Ce régime n'était pas sous les ordres de Saddam lorsqu'il déportait ses concitoyens.
Il n'est également pas très exact que les Arabes Mauritaniens considèrent Saddam comme un héros. Il est considéré ainsi par le courant baathiste, aujourd'hui très peu populaire dans le monde arabe. Les nationalistes arabes n'existent d'ailleurs pratiquement plus dans le sens populaire dans le monde arabe en général et en Mauritanie en particulier.
Il y a en revanche une forte condamnation de l'occupation de l'Irak par les Etats-Unis. Cette condamnation du colonialisme est d'ailleurs souvent doublée d'une condamnation de la dictature. Il y a également eu une forte condamnation de la manière dont les Américains et leurs alliés ont exécuté Saddam. Tout comme ses images de captivité, il y avait manifestement une volonté de provoquer les Irakiens Sunnites. Il a été pendu le jour de la fête musulmane et dans une ambiance revancharde et malsaine. Des miliciens chiites cagoulés pendaient, en l'insultant, ce qui n'était plus qu'un vieillard répétant la chahadah.
Mon ami Mohamed Moctar Shinqiti faisait remarquer dans un récent article que Saddam a été jugé et pendu pour le meurtre de 148 Shiites Irakiens, alors qu'il est responsable de la mort de centaines de milles d'Iraniens, de plusieurs milles Kurdes et de plusieurs milles opposants d'Arabes sunnites. Ce contre sens eut lieu car les Américains cherchaient à exacerber les tensions entre les sunnites et les chiites pour que le peuple irakien trouve dans l'occupation un moindre mal, préférable à la guerre civile.
11) Quelle lecture faites-vous du discours, en date du 27 janvier, du colonel Ely ould Mohamed Vall ?
Mohamed Aly O. Louly : Je rejette totalement son discours, en bloc ; aussi bien la forme, le fonds, le le rôle politique qu'il veut donner à l'armée après la transition et sa nouvelle modification de la loi organisant l'élection presidentielle.
Sur la forme, il faut d'abord que ce chef de l'Etat arrête de hurler comme un chef de police. Ce sont les officiers de police des dictatures qui s'expriment de la sorte. Il semble avoir gardé ce mauvais style de ses vingt ans de responsable à la Sécurité de Ould Taya. Il faut qu'il comprenne maintenant qu'il s'adresse à une classe politique qui n'a que faire de sa colère. Ce ton menaçant est complètement ridicule, on ne peut clore un débat politique en criant au silence.
Sur le fond, il s'agit d'une infructueuse tentative de censure qui ne passera pas. Il relève de la liberté d'expression de chaque Mauritanien de traiter des problèmes de son pays, fussent-ils sensibles aux yeux du CMJD. C'est un droit élémentaire et un devoir citoyen que d'échanger publiquement sur ces problèmes pour leur trouver des solutions. De quelle légitimité un colonel putschiste pourrait-il se prévaloir pour arrêter les initiatives citoyennes ? C'est véritablement le monde à l'envers.
Je rejette enfin le projet du président du CMJD concernant la présence de l'armée dans le jeu politique après la transition. L'avenir de l'armée après la transition était la question la plus urgente à discuter par la classe politique. Le président de l'UFP, Mohamed Ould Maouloud, avait brillamment appelé à un débat public sur cette question. La réponse du CMJD est donc finalement de refuser ce débat, le clore avant qu'il commence. Le CMJD ne veut pas de ce débat puisqu'il dispose pour l'armée d'un projet que la classe politique ne saurait accepter. Ce projet est d'ailleurs assez clair, le président du CMJD cherche à justifier la présence de l'armée dans le jeu politique au-delà la transition. La justification serait une mission supérieure, l'armée serait gardienne des intérêts supérieurs de la nation. La combine n'étant pas encore bien ficelée, le chef de l'Etat n'a pu énumérer de ces fameux "intérêts supérieurs" que le maintien des relations diplomatiques avec Israël et le non retour de la Mauritanie à la CEDEAO.
Le CMJD cherche donc à trouver un système qui fonctionne, au mieux comme le modèle turque, au pire comme le modèle algérien. Il est d'ailleurs beaucoup plus proche de ce dernier, et ne cache plus son reniement de l'engagement à la neutralité. Cette dernière serait d'ailleurs un "laisser-aller" selon l'expression du président du CMJD.
L'autre option, celle de l'immixtion directe des militaires dans le processus électoral, ne semble toutefois pas totalement voir été écartée par le CMJD, dont le président fait allusion à un possible rôle si aucun candidat ne totalise plus de 50% des suffrages exprimés. La combine étant de faire campagne pour le vote blanc et compter ce dernier dans les suffrage exprimés afin de rendre impossible les fameuses 50%. Le tout avec une nouvelle ordonnance datant de ce mois de janvier pour couvrir la supercherie d'un semblant de justification juridique. Mon avis est que la justification de l'intervention directe reste encore à peaufiner. C'est tellement grossier. La classe politique doit absolument refuser cette pathétique et ultime tentative.
La lutte politique des forces du changement ne fait donc que commencer et, n'en déplaise au chef de l'Etat, le débat est loin d'être clos…
source : OCVIDH
Il s'est notamment illustré, malgré un calendrier bien chargé, par sa présence constante et son soutien indéfectible aux actions des organisations des droits humains. Bref, ce qui fait la grandeur du Pr Ould LOULY, c'est cette capacité à transcender les contingences politiques et particularistes en consacrant son combat pour l'avénement d'un ordre plus juste en Mauritanie.
Notre invité a bien voulu aborder avec nous l'actualité brûlante des élections en Mauritanie, la campagne menée contre les réformistes, l'exécution de Saddam Hussein et la dernière sortie du colonel Ely en date du 27 janvier, sans langue de bois et avec courage.
1) Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Mohamed Aly O. Louly : Je suis un démocrate musulman mauritanien.
Je suis un enseignant-chercheur Mauritanien, vivant essentiellement à l'étranger depuis une quinzaine d'années. Je vis en dehors de la Mauritanie, mais la Mauritanie vit incessamment en moi. Je souffre donc de l'incurable mal de la mère patrie. C'est un mal dont je ne souhaite d'ailleurs pas me guérir. C'est en fait une véritable chance de sortir du pays pour mieux le voir et le comprendre. On y perd effectivement en connaissance du terrain, mais on y gagne en discernement et en perspicacité en échappant à l'influence néfaste de la culture du désespoir et du défaitisme.
Je suis un démocrate dans le sens ou je suis de ceux qui croient que la démocratie, la vraie, celle qui donne au peuple, à tout le peuple, le moyen de choisir librement ses dirigeants, est une voie qui est de nature à mener le pays à l'ouverture et la stabilité politiques. C'est la voie qui peut porter aux affaires des forces désireuses d'un changement réel ; c'est la voie de la sagesse qui ouvre les perspectives d'un avenir meilleur que les Mauritaniens méritent tant et dont le pays a tant besoin.
Je suis enfin un musulman. Ne pas dire que je me sens musulman avant tout, serait mal me définir à vos lecteurs. J'aspire plus exactement à devenir musulman, car être réellement musulman, c'est en fait cela précisément l'idéal d'accomplissement de l'être humain. Un idéal probablement atteint par des prophètes, des véridiques et des témoins-martyrs (chuhada'). On ne peut prétendre être musulman au même sens que l'était le prophète Ibrahim, qui fut d'une part l'inventeur du vocable "musulman" et d'autre part celui qui en a donné le sens parfait et l'exemple suprême. Il faut comprendre l'Islam ici dans le sens profond de religion (din) et non dans le sens particulier de législation (chari'a).
La législation change de prophète en prophète pour tenir compte du contexte, mais l'essence de l"islam, l'adoration du Dieu unique, parfait et absolu, est l'invariant qui demeure inchangé. L'islam est aussi la religion naturelle de tout l'univers. Les oiseaux et les arbres adorent le même Dieu qu'adore tout nouveau-né. Le problème est que ce dernier a la redoutable liberté de rompre le lien et de renier sa nature. « N’as-tu pas vu que c’est devant Dieu que se prosternent tous ceux qui sont dans les cieux et tous ceux qui sont sur la terre, le soleil, la lune, les étoiles, les montagnes, les arbres, les animaux, ainsi que beaucoup de gens ? » (Sourate 22, verset 18). Cette vision ecumenique de l'islam, qui n'est pas une religion parmi d'autres, mais La religion naturelle et primordiale, redonne son âme à l'universalisme, à l'éthique et à l'écologie.
2) La Mauritanie vient de vivre ses premières élections qualifiées de transparentes. On attendait une victoire écrasante des forces de l'opposition. Comment expliquez-vous ce score plutôt mitigé ? Et quelles en seraient les conséquences sur la gestion du pouvoir législatif ?
Mohamed Aly O. Louly : Les dernières élections municipales et législatives étaient effectivement globalement transparentes. Il n'y a eu ni fraude massive ni bourrage des urnes. Il n'y a cependant pas eu la neutralité des autorités de la transition. Des éléments du CMJD et des membres du gouvernement ont ouvertement fait campagne pour des listes faussement indépendantes. Les "indépendants" créés par le CMJD sont le nouveau parti du pouvoir, le PRDS-bis. L'étiquette est renouvelée à chaque fois, mais la réalité essentielle du parti du pouvoir est toujours la même. Ce parti s'appelait le Parti du Peuple Mauritanien (PPM) sous Mokhtar O. Daddah, les Structure d'Education des Masses (SEM ou Hayakil) sous Haidalah, le PRDS sous Ould Taya et "Les Indépendants" sous le CMJD. C'est cette ingérence des militaires dans le processus électoral qui explique que la victoire de la CFCD n'a pas été écrasante comme vous l'attendiez. Cela dit, avec les 41 députés de la CFCD et les quelques députés réellement indépendants, le pole du changement me parait détenir la majorité absolue de l'assemblée nationale. Il revient donc à ce pole de former un gouvernement à même de pérenniser et de renfoncer les acquis.
3) Des questions fondamentales, telles le passif humanitaire et la cohabitation ont été passés à la trappe par la junte militaire. Cette posture augure-t-elle une volonté de maintien des tensions entre communautés dans le seul but de pérenniser l'état d'exception et biaiser par là même la démocratie ?
Mohamed Aly O. Louly : Il est vrai que le CMJD a volontairement refusé de traiter le passif humanitaire, alors que la chute de Ould Taya était le moment idéal pour régler le problème. Organiser le retour des déportés, opérer leur réinsertion, demander au nom de l'armée le pardon aux victimes auraient été des mesures d'apaisement de nature à jeter les bases d'une véritable réconciliation nationale. Nous avons donc perdu une occasion d'or, mais mon analyse des motivations de ce grand rendez-vous manqué est différente de votre proposition.
Le CMJD est principalement composé d'officiers supérieurs proches du régime déchu. Ils croient peut-être avoir affaire à une boîte de Pandore qu'ils craignent d'ouvrir car l'institution militaire est la plus impliquée dans le passif humanitaire. Ils ont donc préféré la solution sécuritaire qui ne résout rien, mais reste sans danger immédiat pour le CMJD. Ils ont, du coup, raté la solution politique qui aurait pu régler le passif humanitaire sans chasse aux sorcières. Ils ont donc finalement laissé pourrir le problème. Ils ont même refusé de créer une circonscription électorale pour le vote des Mauritaniens de l'étranger justement pour ne pas que les déportés aient un poids électoral.
Cela dit, à part la promesse d'organiser des élections transparentes en assurant la neutralité de l'administration, le CMJD n'a réglé aucun grand problème du pays. Ce qu'on peut appeler aussi le passif économique a implicitement été amnistié. Le président du CMJD a plusieurs fois répété qu'aucun détournement des deniers public, intervenu avant le 3 août 2005, ne sera sanctionné. Il y avait la aussi une possibilité de récupérer une bonne partie des deniers publiques sans forcement opérer une autre chasse aux sorcières. Il suffisait d'appeler et de pousser les grands acteurs économiques et financiers à réviser, rétroactivement, leur rapport à l'Etat et leurs affaires avec lui. On a craint là aussi d'ouvrir la boîte de Pandore.
Le CMJD n'a donc finalement réglé aucun grand problème du pays. La classe politique ne voulait toutefois pas l'un critiquer sévèrement car les militaires promettaient de rester neutres lors du processus électoral. La grande désillusion vient aujourd'hui du reniement de cet engagement qui devait être la principale, sinon l'unique, grande réalisation du CMJD.
4) Zeine Ould Zeidane, Dahan, Ould Cheikh Abdallah, Brahim Abdallah, Haidallah. Des candidats qui se sont fait connaître. Nos lecteurs aimeraient bien saisir les contours politiques de chacun de ces personnages, au-delà des discours politiciens.
Mohamed Aly O. Louly : Je ne souhaite pas m'exprimer sur les candidats qui n'ont pas encore bénéficiés du soutien de forces politiques majeures. Je ne retiens donc de votre liste que le candidat Sidi Ould Cheikh Abdallahi qui fait déjà couler beaucoup d'encre et de salive.
C'est le fils d'un grand cheikh, un éminent maître de l'école spirituelle Tidjaniyah. Sa famille est connue pour la culture et le savoir. La famille Cheikh Abdallahi, dans laquelle j'ai personnellement plusieurs amis, force l'admiration par les grandes qualités humaines de ses membres et leur brillante réussite dans les études modernes. Je n'ai donc personnellement qu'estime et amitié pour cette noble et grande famille.
Cette candidature pose cependant problème car les informations sont concordantes sur le fait qu'elle bénéficie du soutien de quelques éléments du CMJD, notamment Mohamed O. Abdel Aziz et Mohamed O. Ghazwani. Le CMJD trahit là son engagement à la neutralité sur lequel repose la légitimité morale de son pouvoir durant la période de transition. Ceux qui parlent seulement de rumeurs de soutien savent en général que la chose est avérée, mais ils choisissent de ménager les militaires. Ils ne veulent aussi pas répandre cette information pour ne pas participer à la promotion de cette candidature. Je crois que ce n'est pas la bonne stratégie. Nous devons au contraire à l'opinion publique des éclaircissements sur ce qui se passe et cela n'ajoutera pas grand-chose à la campagne que les militaires ont pratiquement déjà terminée.
La réalité est que le CMJD avait deux schémas pour renier ses engagements :
Le premier schéma de trahison des engagements est celui que défend actuellement le président du CMJD. On penser un moment qu'il devait pour cela rejeter la loi, effectivement anticonstitutionnelle, privant Ely O. Mohamed Val de son droit à la candidature. Cette première option, qui aurait eu le mérite de la franchise et la clarté, aurait été insoutenable. C'est pourquoi on vient d'inventer la tactique du vote blanc qui compte dans les suffrages exprimés ! Le Colonel-président aura quand même un grand problème de légitimité aux yeux de l'opinion nationale et un sérieux problème de reconnaissance par la communauté internationale. Les atouts que nous avons aujourd'hui, c'est d'une part une forte maturité politique des Mauritaniens aspirant au changement et, d'autre part, la présence importante d'observateurs internationaux.
Le deuxième schéma de reniement des engagements est celui qui a déjà bien fonctionné lors des élections législatives et municipales. C'est celui de faire en douceur une campagne pour un camp. Il s'agit de concéder la transparence du scrutin tout en trahissant l'engagement de neutralité. C'est l'option défendue par le duo Ould Abdel Aziz et Ould Ghazwani.
Cette dernière option n'est plus un secret et la propagande de sa justification bat son plein actuellement. Le CMJD chercherait à mener à terme le processus démocratique en aidant les citoyens à faire le bon choix ! En faignant croire que le principal engagement des militaires, celui de la neutralité, engagement sur lequel repose toute leur légitimité, pouvait être respecté dans cette combine, on nous rappelle que ces militaires sont des citoyens pouvant bien afficher leurs préférences. Autant dire qu'on s'achemine vers une nomination du président au lieu de son élection ! C'est une démocratie inédite, c'est la démocratie vue par le CMJD.
5) A deux mois des présidentielles, la CFCD peine à aligner une candidature unique, au risque de perdre au 1er tour. Pensez-vous, comme certains, que la multiplicité des candidats offre le gage d'un 2ème tour incontournable ?
Mohamed Aly O. Louly : Un deuxième tour aurait été inévitable si ce n'est la partialité des autorités de la transition. Cela dit même avec cette ingérence, on aura probablement un deuxième tour, s'il n'y a ni bourrage des urnes ni partialité de l'administration.
Le problème de l'ingérence des militaires a bien été illustré par les élections municipales et législatives : beaucoup de dignitaires du monde rural ne savent pas résister au choix du pouvoir. Ils traînent dans leur alignement, peu courageux, aux autorités du moment, des groupes tribaux et ethniques encore peu perméables aux appartenances modernes, tels les courants de pensée et les partis politiques. Tout comme à l'ère de Ould Taya, les citoyens de la Mauritanie profonde sont vendus comme un troupeau en échange de prévisibles privilèges.
Les militaires avaient déjà perturbé les élections municipales et législatives en créant les Indépendants. En soutenant un candidat aux élections présidentielles, ou en maintenant cette ordonnance ridicule de vote blanc comptant comme suffrage exprimé, ils saboteraient la principale étape de la transition. Ce faisant ils aurait trahi leurs engagements, la classe politique qui les a soutenus sur leur base, le peuple mauritanien qui aspirait au changement, et toute la raison d'être de cette longue transition qui avait justement pour but d'organiser le processus électoral dans la transparence et la neutralité de l'administration.
6) La création de MRN (Mouvement pour la Réconciliation Nationale), qui entend bien peser de tout son poids pour faire entendre la voix des négro-africains, ne risque-t-elle pas d'affaiblir la CFCD ?
Mohamed Aly O. Louly : C'est tout le contraire, le MRN est naturellement proche de la CFCD. Il s'agit globalement d'opposants à l'ancien régime. Le MRN, pour qui la réconciliation nationale est la priorité, enrichit le pole du changement, enclin parfois à prioriser l'accès au pouvoir. Il reste toutefois au MRN comme à la CFCD de se mobiliser pour promouvoir le changement dans le Gorgol et les deux Hodhs où les listent indépendantes avaient raflé beaucoup de sièges lors des dernières élections législatives.
7) L'OMDH, l'organisation des droits de l'Homme dont vous êtes membre fondateur a condamné les violences policières sur les étudiants de l'université de Nouakchott. Comment expliquez-vous cette répression dans une transition qui se pose en rupture avec les pratiques du passé ?
Mohamed Aly O. Louly : Il n'y pas du tout eu rupture avec le passé. Il y a bien plus de continuité que de changement dans cette période transitoire. Comment pouvez-vous imaginer une rupture politique entre deux Colonels-présidents amis d'une trentaine d'années.
La mort politique de Ould Taya était programmée depuis sa fuite devant les cavaliers du 8 juin 2003. Le mérite du CMJD, c'est de l'avoir compris à temps et d'avoir précipité sa fin pour ne pas être emporté dans son sillage.
Les militaires semblaient d'entrée saisir la gravité de la situation. Ils ont affiché la volonté d'organiser dans la transparence et la neutralité la compétition politique durant la période de transition. C'était la meilleure façon avec laquelle le régime pouvait se racheter. C'est pourquoi l'opposition l'a soutenu en pariant sur la sincérité des militaires.
Comme toujours, les nouvelles autorités ont pris goût au pouvoir. Au lieu de se racheter en apportant une reforme politique, le régime tente maintenant de se régénérer. Je le craignais, c'est pourquoi j'avais appelé sur Al-Jazeera, le jour même du coup d'Etat, à une forte réduction de la période de transition.
8) Selon vous, qui serait le candidat à même d'incarner le mieux la réconciliation nationale et la bonne gouvernance ?
Mohamed Aly O. Louly : Il y a un critère discriminant qui permet de partager clairement les candidats entre deux classes dont la disposition à travailler pour une réconciliation nationale est très différente. Ce critère est la position par rapport aux déportés.
Une première classe de candidats répète le discours de Ould Taya, repris d'ailleurs par Ould Mohamed Val, disant qu'il n'y a aucun problème à ce qu'un déporté, dont la mauritanité est avérée rentre chez-lui. Mauritanité rime d'ailleurs dangereusement avec ivoirité. C'est le discours des candidats qui ont peur du passé et pensent que son oubli est la solution. Les candidats de la deuxième classe mesurent beaucoup plus la gravité du problème, savent que l'oubli est impossible, et se disent favorables à un retour digne et organisé des déportés. Cette dernière classe est évidemment plus indiquée pour mener une réconciliation nationale. Elle est évidemment plus à chercher dans le pole du changement.
Pour ce qui est de la bonne gouvernance, je crois que les forces du changement sont aussi plus qualifiées pour l'opérer. On ne peut reconduire les mêmes aux affaires et espérer une véritable amélioration des choses.
9) Sur un autre registre, quand on parle des Réformateurs, beaucoup pensent aux islamistes, aux talibans, à l'impossibilité d'un débat politique et au refus de la différence. Qu'opposez-vous à cette défiance ?
Mohamed Aly O. Louly : Les Réformistes n'ont rien avoir avec les Talibans et les groupuscules extrémistes et violents. Le courant de pensée réformiste (Al Islah) est vieux d'un siècle dans le monde musulman. Sa référence est l'Islam et son objectif premier est de faire sortir les musulmans de la pauvreté et de l'ignorance dans lesquels ils se trouvent. Nous avons besoin d'une véritable renaissance pour sortir de la décadence dans laquelle nous nous trouvons. Ce courant de pensée a réussi à mener le monde musulman d'un état de dormition (Ghaflah) à un état d'éveil (Sahwah). Nous vivons toujours dans le sous-développement mais il y aujourd'hui une effervescence de réflexions et d'efforts pour nous en sortir. Il y a déjà une réussite politique en Turquie, des progrès au Maroc, des tentatives en Egypte…etc.
Les Réformistes n'ont donc rien à voir avec les Talibans, mouvement traditionnel né des écoles Afghanes, loin d'être préparé à gouverner un pays. Les Talibans ne cherchaient d'ailleurs pas le pouvoir au début. Toute leur ambition était d'instaurer la sécurité à Kandahar. C'est quand cet objectif fut atteint que le pouvoir est rapidement tombé dans leurs mains. En dehors de leur faible qualification et leur compréhension archaïque de l'Islam, ils ont eu la mauvaise idée d'accueillir des groupuscules extrémistes et violents.
Le problème de la confusion que vous présentez est que certains médias, et certains adversaires politiques des Réformistes, utilisent volontairement le vocable "islamistes", néologisme trop négativement chargé, pour faire peur des Réformistes et faire penser, comme vous le dites, "aux talibans, à l'impossibilité d'un débat politique et au refus de la différence". Il faut refuser cette confusion qui essaie d'incriminer toute référence à l'islam. C'est ce que les Réformistes font en affirmant que l'Islam est la solution tout en rejetant les compréhensions archaïques et les mouvements extrémistes et violents, d'une part, et toute en refusant l'oppression et la dictature de l'autre part. C'est pourquoi les Réformistes revendique Al-Wasatiyah (le centrisme, la mesure et la modération) comme valeur essentielle.
On ne cesse de rappeler que les Réformistes Centristes sont des démocrates musulmans progressistes qui n'ont rien à voir avec les concepts effrayants de « théocratie », «islamistes terroristes », «fondamentalistes réactionnaires », « antisémites », «talibanisation », « haine de l’Occident », ou « prosélytisme ». La bonne réponse à la propagande malsaine qui les en accuse est la suivante : << Ils veulent éteindre la lumière de Dieu avec leurs bouches, alors que Dieu parachèvera sa lumière >> (Sourate 61, verset 8).
10) La communauté mauritanienne est plus que jamais divisée sur l'exécution de Saddam Hussein. Un grand nombre de négro-africains voient en Saddam un dictateur sanguinaire qui avait exacerbé les tensions entre les communautés et encouragé l'épuration de la Mauritanie de sa composante non arabe. Les arabo-berbères, dans une proportion importante le considèrent comme le héros qui combattait pour l'unité de la nation arabe. Quel châtiment pour les dictateurs convaincus de génocide ?
Mohamed Aly O. Louly : Je ne crois pas que la divergence soit réelle à ce point. Saddam était un dictateur et lui-même l'avait un peu concédé lors de son procès. L'idéologie baathiste a certainement participé, comme tous les nationalismes étroits, à exacerber les tensions entre les communautés. Cela dit, le régime de Ould Taya me parait avoir la plus grande responsabilité dans le passif humanitaire. Ce régime n'était pas sous les ordres de Saddam lorsqu'il déportait ses concitoyens.
Il n'est également pas très exact que les Arabes Mauritaniens considèrent Saddam comme un héros. Il est considéré ainsi par le courant baathiste, aujourd'hui très peu populaire dans le monde arabe. Les nationalistes arabes n'existent d'ailleurs pratiquement plus dans le sens populaire dans le monde arabe en général et en Mauritanie en particulier.
Il y a en revanche une forte condamnation de l'occupation de l'Irak par les Etats-Unis. Cette condamnation du colonialisme est d'ailleurs souvent doublée d'une condamnation de la dictature. Il y a également eu une forte condamnation de la manière dont les Américains et leurs alliés ont exécuté Saddam. Tout comme ses images de captivité, il y avait manifestement une volonté de provoquer les Irakiens Sunnites. Il a été pendu le jour de la fête musulmane et dans une ambiance revancharde et malsaine. Des miliciens chiites cagoulés pendaient, en l'insultant, ce qui n'était plus qu'un vieillard répétant la chahadah.
Mon ami Mohamed Moctar Shinqiti faisait remarquer dans un récent article que Saddam a été jugé et pendu pour le meurtre de 148 Shiites Irakiens, alors qu'il est responsable de la mort de centaines de milles d'Iraniens, de plusieurs milles Kurdes et de plusieurs milles opposants d'Arabes sunnites. Ce contre sens eut lieu car les Américains cherchaient à exacerber les tensions entre les sunnites et les chiites pour que le peuple irakien trouve dans l'occupation un moindre mal, préférable à la guerre civile.
11) Quelle lecture faites-vous du discours, en date du 27 janvier, du colonel Ely ould Mohamed Vall ?
Mohamed Aly O. Louly : Je rejette totalement son discours, en bloc ; aussi bien la forme, le fonds, le le rôle politique qu'il veut donner à l'armée après la transition et sa nouvelle modification de la loi organisant l'élection presidentielle.
Sur la forme, il faut d'abord que ce chef de l'Etat arrête de hurler comme un chef de police. Ce sont les officiers de police des dictatures qui s'expriment de la sorte. Il semble avoir gardé ce mauvais style de ses vingt ans de responsable à la Sécurité de Ould Taya. Il faut qu'il comprenne maintenant qu'il s'adresse à une classe politique qui n'a que faire de sa colère. Ce ton menaçant est complètement ridicule, on ne peut clore un débat politique en criant au silence.
Sur le fond, il s'agit d'une infructueuse tentative de censure qui ne passera pas. Il relève de la liberté d'expression de chaque Mauritanien de traiter des problèmes de son pays, fussent-ils sensibles aux yeux du CMJD. C'est un droit élémentaire et un devoir citoyen que d'échanger publiquement sur ces problèmes pour leur trouver des solutions. De quelle légitimité un colonel putschiste pourrait-il se prévaloir pour arrêter les initiatives citoyennes ? C'est véritablement le monde à l'envers.
Je rejette enfin le projet du président du CMJD concernant la présence de l'armée dans le jeu politique après la transition. L'avenir de l'armée après la transition était la question la plus urgente à discuter par la classe politique. Le président de l'UFP, Mohamed Ould Maouloud, avait brillamment appelé à un débat public sur cette question. La réponse du CMJD est donc finalement de refuser ce débat, le clore avant qu'il commence. Le CMJD ne veut pas de ce débat puisqu'il dispose pour l'armée d'un projet que la classe politique ne saurait accepter. Ce projet est d'ailleurs assez clair, le président du CMJD cherche à justifier la présence de l'armée dans le jeu politique au-delà la transition. La justification serait une mission supérieure, l'armée serait gardienne des intérêts supérieurs de la nation. La combine n'étant pas encore bien ficelée, le chef de l'Etat n'a pu énumérer de ces fameux "intérêts supérieurs" que le maintien des relations diplomatiques avec Israël et le non retour de la Mauritanie à la CEDEAO.
Le CMJD cherche donc à trouver un système qui fonctionne, au mieux comme le modèle turque, au pire comme le modèle algérien. Il est d'ailleurs beaucoup plus proche de ce dernier, et ne cache plus son reniement de l'engagement à la neutralité. Cette dernière serait d'ailleurs un "laisser-aller" selon l'expression du président du CMJD.
L'autre option, celle de l'immixtion directe des militaires dans le processus électoral, ne semble toutefois pas totalement voir été écartée par le CMJD, dont le président fait allusion à un possible rôle si aucun candidat ne totalise plus de 50% des suffrages exprimés. La combine étant de faire campagne pour le vote blanc et compter ce dernier dans les suffrage exprimés afin de rendre impossible les fameuses 50%. Le tout avec une nouvelle ordonnance datant de ce mois de janvier pour couvrir la supercherie d'un semblant de justification juridique. Mon avis est que la justification de l'intervention directe reste encore à peaufiner. C'est tellement grossier. La classe politique doit absolument refuser cette pathétique et ultime tentative.
La lutte politique des forces du changement ne fait donc que commencer et, n'en déplaise au chef de l'Etat, le débat est loin d'être clos…
source : OCVIDH