Liste de liens

Le bureau exécutif de l'AVOMM

"L'important n'est pas ce qu'on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu'on a fait de nous." Jean-Paul Sartre

"L'Association d'aides aux veuves et aux orphelins de mauritanie (AVOMM) qui nous rassemble, a été créée le 25/12/95 à PARIS par d'ex-militaires mauritaniens ayant fui la terreur, l'oppression, la barbarie du colonel Mawiya o/ sid'ahmed Taya ......
Ces rescapés des geôles de ould Taya, et de l'arbitraire, décidèrent, pour ne jamais oublier ce qui leur est arrivé, pour garder aussi la mémoire des centaines de martyrs, de venir en aide aux veuves, aux orphelins mais aussi d'engager le combat contre l'impunité décrétée par le pouvoir de Mauritanie."
E-mail : avommavomm@yahoo.fr

Bureau exécutif

*Ousmane SARR, président
*Demba Niang, secrétaire général
*Secrétaire général Adjt; Demba Fall
*Alousseyni SY, Chargé des relations extérieures
*Mme Rougui Dia, trésorière
*Chargé de l’organisation Mariame Diop
*adjoint Ngolo Diarra
*Mme Mireille Hamelin, chargée de la communication
*Chargé de mission Bathily Amadou Birama
Conseillers:
*Kane Harouna
*Hamdou Rabby SY










AVOMM

Rafles de subsahariens au Maroc à Noël 2006 Rapport à l’association Migreurop


Rafles de subsahariens au Maroc à Noël 2006 Rapport à l’association Migreurop
(Ce rapport n’engage pas la responsabilité de l’association Migreurop qui en est seulement destinataire)
par Jérôme Valluy
(Université Paris 1, CRPS, CEAf, TERRA, Migreurop)
Le 6 janvier 2007



Rapport au 6 janvier 2007 réalisé sur la base d’entretiens à Oujda les 2, 3, 4 et 5 janvier 2007 avec des victimes des rafles, des acteurs de solidarité, puis le 6 janvier en utilisant les informations de la presse marocaine et des listes de diffusion/discussion par Email notamment les informations diffusées par le forum du [Manifeste-euroafricain] ainsi que les forums et site de l’association Migreurop (Cf. dossier complet : http://www.migreurop.org/rubrique210.html ) Ces entretiens et lectures ont eu lieu à l’occasion d’une mission de recherche programmée depuis novembre 2006 et réalisée dans le cadre du Programme de recherche ASILES (ACI du Ministère de la Recherche avec le réseau TERRA et le Centre de Recherches Politiques de la Sorbonne). Un grand merci à Mimoun Rahmani, secrétaire général adjoint d’Attac Maroc et auteur du premier rapport sur cette crise, le 30.12.6 (reproduit ci-dessous en ’annexe n°9) pour sa relecture attentive. Les imperfections et les erreurs éventuelles n’engagent in fine la responsabilité que de l’auteur.

Une opération policière de grand envergure engageant différentes forces de l’ordre (police, " auxiliaires de sécurité ", " forces auxiliaires " et gendarmerie…) dans des rafles et déplacements d’exilés d’Afrique noire a été réalisée au Maroc à partir du 23 décembre 2006. Ces rafles et déplacements forcés ont concernés des Africains noirs, majoritairement chrétiens, aux situations juridiques très variables au regard du droit du séjour : des sans-papiers, des personnes en situation régulière (passeport + visa non périmés), des demandeurs d’asile enregistrés auprès du HCR et des réfugiés reconnus par le HCR. Les papiers de ces personnes ont fréquemment été confisqués ou détruits par les forces de l’ordre. Ces opérations se sont accompagnées de maltraitances policières, notamment matraquages, blessures et humiliations. Ont été raflés des femmes enceintes et des femmes avec enfants en bas âge. Le nombre de victimes pouvait être estimé entre 439 à 479 personnes en provenance de Rabat (248), de Nador (environ 60) et de Laâyoune (de 131 à 171). Transportés en autocars à travers tout le Maroc, les victimes ont été abandonnées, généralement dans les douze heures suivant leur arrestation, par groupes de quelques dizaines en différents points, séparés de plusieurs kilomètres, le long de la frontière maroco-algérienne non loin de la ville d’Oujda. Sous la menace de coups de fusils tirés en l’air, les exilés ont été contraint par les forces marocaines d’avancer vers l’Algérie puis ont été refoulés par les forces algériennes tirant également des coups de fusils en l’air. Après dix heures de calvaire entre les deux armées la plupart des exilés ont pu rejoindre leur pays de résidence habituelle, le Maroc, en trouvant des hébergements provisoires dans les banlieues d’Oujda ou sur le camp informel situé à l’orée de la forêt et du campus universitaire de cette ville, capital du Maroc oriental. Les associations Médecins sans Frontières (MSF Espagne), Association Béni Znassen pour la Culture, le Développement et la Solidarité (ABCDS, Maroc), Forum Réfugiés (France) et le Comité d’Entraide International (Maroc) ont apporté l’essentiel de l’aide humanitaire (couvertures, vêtements, nourriture, médicaments et ont été soutenu sur le terrain par l’Association Marocaine des Droits de l’Homme (AMDH) et ATTAC-Maroc. De 200 à 300 personnes sont contraintes de dormir par terre à des températures nocturnes proches de zéro degré. Plusieurs personnes ont du être hospitalisées. Le Croissant Rouge Marocain de la Wilaya d’Oujda qui indiquait le 18 décembre 2006 lors d’un colloque à l’Université Mohammed I détenir un stock d’un millier de couvertures destinées à cette population ne les avait toujours pas livrées le 08.01.2007. La Préfecture de Police de la ville d’Oujda s’opposaient encore, à cette date, au retour de la plupart des victimes dans leurs domiciles d’origine à Rabat, Nador et Laâyoune.

1. La journée du 23 décembre 2006 à Rabat : deux témoignages

L’une des personnes, réfugiée statutaire reconnue par le HCR, victime de l’opération, interrogée à Oujda le 3 janvier, décrit ainsi sa journée du 23 décembre :

A 7 heures du matin, dix policiers ont enfoncé la porte de l’appartement où je dormais avec cinq autres personnes. Ils ont fait irruption en criant " vos papiers " et en prenant aussitôt tous nos téléphones portables. Je leur ai donné mon attestation du HCR. Ils crient que c’est une rafle générale et poussent tout le monde vers la sortie de l’appartement en distribuant des coups de matraques. L’un de mes compagnons, en situation régulière, indique qu’il dispose d’un passeport et d’un visa en règle : les policiers lui répondent que cela ne change rien, que tout le monde doit être emmené. Lorsque je demande que me soit rendu mon téléphone portable et mon attestation du HCR, je reçois en retour des coups de matraques par un policier qui déchire alors mon attestation.

Nous sommes emmenés dans un commissariat devant lequel sont garés six autocars déjà en partie pleins d’Africains. Plusieurs d’entre eux, encore dehors, demandent au Commissaire que leur soient rendus leurs biens personnels et notamment leurs téléphones portables. Le Commissaire leur répond " foutez le camps ".

Les autocars démarrent à 9 h du matin. Vingt minutes après le départ, une bagarre a lieu dans l’autocar où je me trouve ; les policiers sont attaqués par des Africains dont une trentaine parvient à s’échapper par les fenêtres. Le fait ne s’est pas reproduit dans les autres véhicules qui contenaient entre 40 et 50 personnes. Le voyage de Rabat jusqu’à Oujda en passant par Fès, s’est déroulé d’une seule traite avec de simples escales dans les stations d’essence. Dans mon autocar nous avons eu à boire et à manger et pouvions aller aux toilettes, sous surveillance, dans les stations.

Nous arrivons vers 18 h dans la proximité d’Oujda que nous contournons par le nord pour aller directement vers la frontière. Lorsque le véhicule où je me trouve s’arrête il n’est suivi que par un seul autre autocar. Au total une soixantaine de personnes en descendent. Les policiers nous disent de partir en nous montrant la direction de la frontière avec l’Algérie qui se trouve à 10 minutes à pied environ. Lorsque nous y parvenons l’armée algérienne tire des coups de fusil en l’air pour nous effrayer et nous force ainsi à rebrousser chemin. Peu après des " forces auxiliaires " marocaines font de même, tirent en l’air pour nous forcer à repartir. Pendant près de dix heures nous errons ainsi entre les deux armées, terrorisés par les deux.

Au cours de la nuit nous sommes entrés par mégarde sur le territoire algérien. Le groupe, épuisé, a marqué un temps de repos et s’est trouvé assailli par la police algérienne qui dit de repartir et arrête trois filles qui sont fouillées au corps et violées. Le groupe s’est dispersé dans la panique, je me retrouve avec une douzaine d’autres personnes courant pour trouver une autre route afin de rentrer au Maroc. Nous retrouvons enfin un chemin menant à Oujda où nous nous rendons aussitôt sur le camp près de l’université.

Il est alors 4 h du matin. Il fait très froid. Nous n’avons ni vêtements adéquats, ni couvertures. Une des personnes présente sur place me prête son téléphone portable et me met en relation avec des amis qui acceptent de m’héberger pour la nuit.

Une autre personne, raflée dans un autre quartier de Rabat et ayant voyagé dans un autre autocar, interrogée à Oujda le 5 janvier 2007 fait un récit similaire et complémentaire :

A 4h30 du matin les policiers ont frappé à la porte de l’appartement où nous étions trois couples à dormir dans nos trois chambres respectives. Ils ont frappé de plus en plus fort jusqu’à ce que j’ouvre et ont fait irruption brutalement en disant à tout le monde de se lever et de s’habiller pour " une simple vérification ". L’un des couples leurs présentent leurs papiers de réfugiés du HCR : les policiers refusent de les prendre. Tout le monde est embarqué dans le minibus garé devant l’immeuble. Ma femme qui est malade fait une crise de larmes. Elle est emmenée de force dans le minibus. Je demande à retourner pour prendre quelque chose pour la couvrir parce qu’elle n’est pas assez habillée ; cela m’est refusé. Nous sommes emmenés au commissariat. Arrivé là je repère, le Commissaire et le supplie de faire attention à ma femme qui est malade : le Commissaire me répond " c’est pas notre faute, c’est l’Espagne ". J’allonge ma femme par terre, à même le sol sans pouvoir la couvrir, pour qu’elle se repose. Je reviens vers le Commissaire pour lui dire qu’elle risque de mourir. Finalement on m’emmène de force dans un des six autocars garés devant le commissariat mais en laissant ma femme par terre. J’ai appris plus tard qu’elle s’est évanouie et qu’elle a été emmenée à l’hôpital où les docteurs l’ont gardé toute la journée et l’on laissé partir le soir pour qu’elle se repose à la maison.

Les six cars ont démarré de manière échelonnée vers 8 / 9 h et se sont regroupés un plus tard à la sortie de Rabat. J’étais dans un autocar contenant une cinquantaine de personnes. Le trajet s’est mal passé pour nous. On ne nous a donné en tout et pour tout qu’une petite bouteille d’eau de 33 cl pour tout le voyage et un morceau de pain d’environ 10 cm alors que le voyage a duré environ 10 heures. En plus les policiers de notre car ne voulaient pas nous laisser sortir aller aux toilettes. Lors du premier arrêt en station essence, deux heures après le départ, j’ai demandé à sortir pour aller aux toilettes. L’un des policiers refuse. L’autre policier lui dit que c’est possible. On voit des gens descendre des autres cars. Le premier policier me dit OK mais veut me mettre les menottes. Je lui dit que je ne veux pas parce que je ne suis ni un criminel ni un voleur et que je n’ai rien fait de mal. J’insiste néanmoins pour descendre. Alors il me met les menottes de force et me fait uriner à côté du car devant tout le monde. Deux heures plus tard, il y a un nouvel arrêt à la station service. Cette fois ci, plusieurs dizaine de personnes réclament d’aller aux toilettes alors les policiers refusent et nous disent de pisser sur place : nous sommes alors obligés d’uriner dans des bouteilles d’eau.

Quand nous sommes arrivés à la proximité d’Oujda, vers 18 h 30 , les policiers en uniforme bleus sont descendus de l’autocar ; seuls sont restés les policiers en civil. Le car est repartit en étant escorté par des fourgonnettes vertes de l’armée. On a roulé encore une demi-heure environ vers un endroit inhabituel que nous ne connaissions pas et qui semble se situer à une trentaine de kilomètres d’Oujda. Il n’y avait plus alors qu’un seul autre autocar en plus de celui où je me trouvais. Ils se sont arrêtés dans la cour intérieure d’une ferme, un enclos de bergerie probablement selon l’odeur. On nous a fait descendre et mettre en rang. Ceux qui ont voulu discuter ou protester se sont pris des coups de matraques et des coups de crosses de fusils. Ils nous ont fait agenouiller en file indienne en mettant le bras à l’horizontal pour prendre la distance à l’égard de celui ou celle qui est devant. Ils nous divisent alors par groupe d’une douzaine environ et nous font lever, groupe après groupe, chacun encadré par un militaire devant et un militaire derrière. On marche ainsi sur environ 500 mètres à 1 kilomètre et durant ce trajet ils nous insultent et nous disent " si vous revenez au Maroc on vous tirera dessus ". Au bout du chemin ils nous disent " vous voyez les lumière là-bas : c’est l’Algérie, ils ont beaucoup d’argent là-bas ; allez-y et ne revenez pas ". Puis ils nous disent de courir et nous crient encore de courir plus vite et durant la course nous entendons qu’ils chargent leurs fusils alors nous courons encore plus vite et en courant nous nous dispersons dans toutes les directions.

Je me suis retrouvé seul J’ignorais s’ils disaient la vérité et si c’est vraiment l’Algérie là-bas. Et de toute façon je n’avais aucune raison d’y aller, ma vie étant à Rabat. Les policiers avaient disparus mais ce n’était pas possible dans la nuit et avec les accidents du terrain et les fourrés de savoir s’ils étaient partis où s’ils étaient cachés. J’avais très peur à l’approche de chaque fourré et lorsqu’il y avait des bruits faute de savoir si c’était des amis ou des policiers. Je suis finalement parvenu à rejoindre un groupe de six personnes, dont quatre hommes et deux femmes. Aucun ne voulait aller en Algérie. Nous avons rejoins un autre groupe formant ensemble une quinzaine de personnes. Nous avons marché encore durant un kilomètre environ puis nous avons entendu les policiers marocains sans les voir. Ils nous disaient " venez ici, venez ici " et faisaient entendre le bruit du chargement de leur fusil. On a couru dans la direction opposée et on s’est de nouveau regroupé plus loin. Là on a discuté de la direction à prendre mais nous sommes disputés certains disant que la bonne direction était par là, d’autre par ici. Finalement nous nous séparons en deux groupes marchant dans des directions opposées.. Celui où j’étais était composé de sept hommes et une femme. Nous continuons à marché longtemps dans la nuit. Durant le trajet nous approchons d’une ferme. Le paysan, apparemment gentil et qui croyait peut être que nous étions des contrebandiers égarés cherchant la frontière algérienne, nous fait signe avec sa lampe pour nous indiquer que l’Algérie se trouve dans l’autre direction. On passe au loin sans approcher de la ferme et continuons notre route. Il fait terriblement froid. Aucun de nous n’a les vêtements qu’il faudrait pour cette température. Nous comprenons finalement que nous sommes complètement perdu mais nous apercevons au loin des lumières, différentes d’un côté et de l’autre. L’un de nous téléphone à Rabat à un ami qui a déjà été refoulé l’année dernière. Il lui décrit ce que nous voyons : d’un côté des lumières rapprochées mais petites et de l’autre côté une vaste étendue de lumière. Il nous dit d’aller vers cette dernière. Nous arrivons ainsi à un enclos d’aéroport et nous comprenons que c’est celui d’Oujda.

On entre dans l’enceinte clôturée mais, craignant d’être repérés, décidons d’en ressortir aussitôt. A partir de l’aéroport nous connaissons la route pour revenir à Oujda. Sur la route nous croisons dans la nuit une bande de " nigérians " (ils parlent anglais) et comme on sait qu’ils sont dangereux et qu’il faut aussitôt ramasser des pierres pour les dissuader d’avancer vers nous, ce que nous faisons. Ils s’éloignent alors sans nous agresser. Nous continuons et arrivons ainsi vers une petite rivière. Nous descendons dans le ravin en nous disons que nous pourrons attendre ici que le jour se lèvre pour voir comment rejoindre le campus notamment en prenant des taxis par petits groupes dans la périphérie d’Oujda. Mais, avec la rivière et l’humidité, il fait encore plus froid et nous comprenons vite que nous ne pouvons pas rester sans bouger. Nous continuons alors en longeant la rivière sans oser la traverser.

Nous arrivons ainsi jusqu’à une base militaire que nous contournons puis nous approchons des premières maisons. Il fait tellement froid que nous ne pouvons plus tenir et que nous ne prenons plus de précautions : plusieurs disent qu’il vaut mieux se faire arrêter pour, au moins, se retrouver au chaud. Sur la route nous croisons un groupe d’autres migrants cachés derrière un mur. Nous décidons de nous séparer par groupe de trois, pour pouvoir prendre des taxis jusqu’au camps de l’université. Finalement un taxi prend un trio et l’emmène au camp de l’université pour le prix de 60 Dirhams… alors que la course ne vaut guère plus de 12 Dirhams. Le premier groupe dit au taxi de revenir à l’endroit de départ où il y a d’autres frères qui attendent pour venir. Il va faire ainsi la navette en prenant ensuite 100 Dirhams par trajet. Nous nous retrouvons ainsi tous sur le camp près de l’université.

Les informations contenues dans ce récit coïncident avec celles rapportées par les autres exilés et par les militants associatifs d’Oujda informés dès le matin du 23 décembre de l’opération en cours. Ces témoins locaux font état d’une forte concentration de voitures de police et des tristement célèbres " forces auxiliaires ". Les six autocars se sont séparés peu après Oujda par groupe de deux pour déposer leurs passagers le long de la frontière en trois points se situant respectivement à environ 12 km, 24 km et 40 km d’Oujda. Les militants associatifs qui tentent de rejoindre les victimes pour leurs porter secours sont arrêtés par des barrages de police qui contraignent tous les véhicules à faire demi-tour. Sur le chemin du retour vers Oujda, ils croisent encore des " forces auxiliaires ".

2. Nombre et profils des victimes

Le nombre exact de victimes de cette opération de rafles est difficile à contrôler. Pour les personnes raflées à Rabat le 23 décembre : le chiffre officiel, repris par la presse, est de 248 personnes. Il semble à peu près concordant avec celui que l’on peu estimer à partir des déclarations des victimes présentent dans les six autocars : chacun pouvant contenir une cinquantaine de personnes ; tous n’étaient pas pleins, des places restant vides et l’un d’eux ayant perdu 30 de ses passages échappés par la fenêtre, 20 minutes après le départ. Pour les personnes raflées à Laâyoune le 31 décembre : les associations locales ont recensé les arrestations de 131 personnes. Mais elles annoncent ultérieurement une nouvelle vague d’arrestations de 40 personnes qui n’avaient pas encore été repérées par les militants à Oujda le 5 janvier. Pour les personnes raflées près de Nador : les témoins oculaires de leur arrivée au commissariat d’Oujda avant expulsion vers la frontière font état d’une soixantaine de personnes. Au total de 439 à 479 personnes au moins auraient été raflées.

Parmi ces personnes on été dénombrées à Oujda 8 parents avec enfants de 11 mois à 2 ans : 4 femmes en provenance de Rabat avec chacune un enfant dont un handicapé ; 3 femmes de Laâyoune avec chacune 3 enfants et 1 homme avec une fille de 4 ans. On été raflées également trois femmes enceintes, une à Laâyoune et les deux autres à Rabat dont l’une, à six mois de grossesse, hospitalisée en urgence à Oujda a perdu son enfant après tentative des médecins de le sauver. D’autre part, 6 cas de viols ont été recensés, dont 5 ont été constatés par un médecin local. Trois femmes violées ont déclaré l’avoir été par des policiers marocains, une immédiatement à Rabat et les deux autres à la frontière. Une femme violée a déclaré avoir été violée par les militaires algériens. Une autre a déclaré avoir été violée par une des bandes de migrants (anglophones) écumant la frontière. Le sixième cas de viol a été rapporté par des migrants présents sur le camp d’Oujda mais sans que la victime n’ait été retrouvée. Ce recensement des cas les plus graves peut ne pas être exhaustif une large partie des victimes s’étant dispersées dans les banlieues de la ville.

Les personnes raflées à Laâyoune, ville située géographiquement très au sud du pays, ont pour la plupart été raflées dans les tenues légères (short, tee-shirt, espadrilles…) correspondant au climat de cette partie du Maroc. Ils se sont retrouvés la nuit du 31 décembre 2006 dans le climat continental de la région du Maroc oriental où les températures chutent très bas durant la nuit. Sur les 131 personnes victimes de rafles recensées par les associations locales de Laâyoune, seules 90 ont été retrouvées sur le camp près de l’université d’Oujda. Les autres n’avaient pu donner de leurs nouvelles au 5 janvier et sont peut être encore en Algérie, pensent certains de leurs proches déjà arrivés sur le camps d’Oujda. Quelques migrants ont peut être repris le chemin à pied vers Rabat, en longeant les voies ferrées. Des habitants d’une ville proche d’Oujda ont déclaré avoir vu passer des " africains. "

Les personnes venant de Nador ne semblent pas avoir fait l’objet de la même opération policière que celles de Rabat et de Laâyoune : vivant non pas en ville mais dans les forêts à proximité de l’enclave espagnole de Melilla, elles ont tenté de passer par-dessus les triples barrières barbelées de neuf mètres qui entourent l’enclave. Leur tentative a été réalisée le 24 décembre 2006, apparemment sans lien avec les opérations de rafles, mais en comptant sur le relâchement de la garde espagnole durant le réveillon de Noël. Plusieurs se sont blessées en tombant de la barrière et ont été hospitalisées. D’autres portent des traces de blessures faites par les barbelées. Enfin les exilés affirment qu’un jeune camerounais aurait été abattu par une balle réelle tirée par un policier marocain dans le dos du jeune homme alors qu’il atteignait le haut de la barrière au moment où les policiers espagnols arrivaient en courant et en faisant signes à leurs collègues marocains de cesser les tirs de sommation. Sa chute mortelle aurait figé l’ensemble des autres exilés et facilité ainsi l’arrestation de tous. Le chef du groupe des policiers marocains serait alors arrivé en courant et aurait giflé le policier fautif. Cette scène est répétée par plusieurs exilés ne se connaissant pas et interrogés en des endroits très éloignés les uns des autres mais dans un milieu social où les rumeurs vont vite notamment par téléphone. La scène n’a été rapportée ni par la presse (qui n’a pas couvert ces évènements) ni par les autorités marocaines. Après leur arrestation collective, les exilés ont subi des maltraitances policières et humiliations : coups de matraques, confiscation de chaussures ou découpage de la partie avant des chaussures. Plusieurs témoins proches du camp d’Oujda confirment l’arrivée de personnes avec des chaussures coupées de cette manière.

Les pays dont sont originaires les personnes présentes sur le camps d’Oujda entre le 24 décembre 2006 et le 5 janvier 2007 (certaines présentes avant les rafles) sont : Bénin, Cameroun, Centrafrique, Congo Brazzaville, Congo RDC, Côté d’Ivoire, Gabon, Gambie, Guinée, Guinée équatoriale, Mali, Mauritanie, Nigeria, Sénégal, Soudan, Tchad…

3. Chronique des mobilisations en faveur des victimes

Samedi 23 décembre – Le Conseil des Migrants Subsahariens annonce à 10h35 sur liste [Manifeste Euro-africain] que des rafles sont en cours. Avertis par téléphone dès 11 h du matin des rafles opérées quelques heures plus tôt, les militants associatifs à Oujda, défenseurs des droits de l’homme et militants de solidarité, se réunissent dans l’après-midi et décident de tenter de repérer les victimes une fois abandonnées près de la frontière. Les contacts téléphoniques avec certains exilés dans les autocars permettent de suivre leurs routes et de situer approximativement où ils seront abandonnés. Cependant à l’approche des zones concernées, des barrages militaires, par des hommes en treillis et en armes, les obligent à repartir vers Oujda. Enfin de journée plusieurs associations, notamment ATTAC-Maroc à 17 h à Rabat et l’ASDHOM à Paris à 22 h diffusent les premiers communiqués de presse pour alerter les réseaux associatifs, les journalistes et faire pression sur le gouvernement marocain.

Dimanche 24 décembre – Au matin, les militants d’ABCDS à Oujda se rendent sur le camp près de l’université pour connaître les besoins des exilés et leur apporter les premiers secours en leur distribuant 130 couvertures fournies par Médecins sans Frontières. Les médecins de MSF donnent sur place les premiers soins.. L’association Réfugiés Sans Frontière signale sur le forum [Manifeste-euroafricain] que des personnes contactés par téléphone sont entre les mains de la police algérienne et que les autres ont été déposées dans des " endroits inhabituels " de refoulement. Des associations et le HCR, tant à Rabat et qu’à Oujda, entreprennent de recenser les demandeurs d’asile enregistrés auprès du HCR et les réfugiés statutaires reconnus par lui. Une soixantaine de personnes au moins relevant de ces deux catégories, sont identifiées ainsi, dans un contexte où une grande proportion des personnes raflées sont disséminées dans des hébergements provisoires à travers les banlieues de la ville et où d’autres, perdues dans les forêts environnantes, ne sont pas encore parvenues à rejoindre la ville. Durant toute la semaine des personnes vont arriver seules ou en petits groupes sur le camp près de l’université. Sur le plan national, les associations, notamment Pateras de Vida (Maroc, Larache) à 12 h, continuent de diffuser des communiqués pour tenter d’alerter et de faire pression, sans grands résultats A Rabat, le Parti Socialiste Unifié (PSU) publie le premier (et le seul) communiqué de presse émanant d’un parti politique marocain pour dénoncer les rafles. A Paris, Hélène Flautre, Député du parti des Verts au Parlement Européen, Présidente de la sous-commission des droits de l’Homme du Parlement européen, publie un communiqué intitulé " Les violations massives des droits de l’Homme qui viennent de se dérouler au Maroc sont scandaleuses, elles doivent immédiatement cesser. ". Dans la nuit du dimanche au lundi, 35 personnes encore perdues dans la forêt à quelques kilomètres d’Oujda parviennent à contacter l’un de ses militants qui les dirige alors par téléphone pour leur permettre de retrouver leur route jusqu’au camps de l’université.

Lundi 25 décembre – A 5h30 Radio France Internationale relaie une dépêche de la MAP, en provenance des autorités marocaines, qui font état " d’assauts " de migrants sur les barrières entourant les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. A 12 h, ces tentatives de passage des barrières sont confirmées par des journalistes espagnoles et le soir même l’information est relayée par la chaîne nationale marocaine de télévision " 2 M ". Pendant la journée à Oujda, trois étudiants protestants proches du CEI distribuent une soupe (environ 150 rations) ; les militants d’ABCDS et Forum Réfugiés (arrivée de Rabat la veille au soir) des paquets repas (environ 130 rations). Sur le forum [Manifeste-euroafricain] le Président du Conseil des Migrants Subsahariens (Rabat) que " Aux dernières nouvelles on apprend qu'effectivement le délégué du HCR Rabat se trouve à Oujda. Qu'il aurait recensé la liste des demandeurs d'asile et des réfugiés pour demander un probable laissez passer des autorités Marocaines pour le retour des demandeurs d'asile et des réfugiés à Rabat. Les amis ne savent pas quand est ce qu'ils pourront probablement avoir cette autorisation de revenir à Rabat. Pour l'heure,le HCR Rabat s'active pour un éventuel retour des amis à Rabat. " Un nouvel arrivage de personnes raflées près de Nador est détecté par d’autres militants qui remarquent des autocars près du commissariat à Oujda vers 19h30. Deux autocars, à moitié pleins, soit une cinquantaine de victimes sont ultérieurement emmenées par ces autocars vers la frontière et abandonnées dans les conditions habituelles puis reviennent sur le camps près de l’université. Leur état physique est extrêmement dégradé, nombreux sont ceux qui n’ont plus de chaussures. Beaucoup ont été matraqués sur les pieds par les policiers et sont blessés. L’un d’eux porte des blessures à la tête suite à des coups de matraques. D’autres ont vu leurs chaussures sectionnées au milieu pour ôter la partie avant et les forcer ainsi à marcher avec l’avant du pied nu. Les militants apprennent simultanément que cinq personnes sont hospitalisées par ailleurs. Un groupe de sept personnes dont un asthmatique est arrêté sur le retour, entre la frontière et le camp de l’université, et reconduit immédiatement à la frontière. Ces personnes reviendront peu après ; deux d’entre elles ont du faire trois fois le trajet de retour. Par ailleurs d’autres en tentant de repartir immédiatement sur la route vers Rabat sont également arrêtées et subissent de nouveau le même sort.

Mardi 26 décembre et mercredi 27 décembre – A Oujda les étudiants proches du CEI apportent des sandwichs (environ 150) grâce à des fonds envoyés par le Temple Protestant de Rabat ; les militants d’ABCDS et Forum Réfugiés des paquets-repas (environ 200) qui sont distribués sur le camps près de l’université. Chaque sac-repas contient 1 boîte de sardine, 1 rond de saucisson de cheval, 4 " vaches qui rit ", 3 clémentines, 1 pain frais, 1 savonnette. La distribution, jusqu’au 28 décembre se fait individuellement de la main à la main en un ou plusieurs points du camps. Elle bénéficie à toutes les personnes qui se présentent sans distinction de statut ou de nationalité. Le financement de cette aide est multiple, associant des contributions associatives, confessionnelles et personnelles. Une partie des fonds qui bénéficient à tous les exilés, sans distinction de statuts, proviennent du HCR et transitent par Forum Réfugiés et ABCDS. Les couvertures et vêtements sont apportés par Médecins sans Frontières ainsi que l’assistance médicale. Le nombre de militants assurant la distribution dépasse rarement la dizaine de personnes qui paient de leurs deniers personnels, de leur temps et de leurs forces physiques cet engagement de solidarité. Sur cette dizaine de personnes mobilisées cinq environ assurent de manière continue la livraison de nourritures, couvertures et vêtements depuis le début des rafles. Les associations les plus engagées sont Médecins sans Frontières (Espagne), ABCDS (Maroc / Oujda), l’Association Marocaine des Droits de l’Homme (AMDH, section d’Oujda), Forum Réfugiés (France), le Centre d’Entraide Internationale (Maroc), ATTAC-Maroc, Hommes & Environnements (Maroc / Berkane). Parallèlement, les militants tentent de faire un recensement par nationalité, de repérer les " chairmans " (représentants supposés élus au sein de chaque nationalité) et leurs numéros de téléphone. L’association Forum Réfugiés continue également de rechercher les demandeurs d’asile et les réfugiés statutaires. Ces activités de recensement sont mal perçues par les exilés. L’Organisation Marocaine des Droits de l’Homme (OMDH, Maroc), moins présente sur le terrain, se tient informée des évènements : une réunion a lieu, au cabinet de l’un des avocats de l’OMDH, avec les militants d’autres associations à qui l’OMDH demande notamment un rapport circonstancié sur les évènements. A Paris, le 26 décembre l’association Migreurop publie un communiqué intitulé " Au nom des engagements pris envers l’UE, des migrants et des réfugiés sont raflés au Maroc ". A Rabat le 27 décembre, l’Association Marocaine des Droits de l’Homme publie une lettre ouverte au Ministre de l’Intérieur.

Jeudi 28 décembre – Dans la matinée, des militants d’une association espagnole de solidarité, venus spécialement à Oujda, entreprend sans concertation, de distribuer de l’argent (environ 30 € par personne)… mais seulement aux demandeurs d’asile et réfugiés reconnus. Ils font une trentaine de dons mais leur démarche déclenche une bagarre sur le camp les forçant à fuir sans avoir distribué le reste. Dans l’après-midi, lorsque les militants d’ABCDS viennent livrer les sacs-repas, ils font face à une tension très forte parmi les exilés, notamment ceux de la communauté nigériane, réputés pour leur violence à l’égard des autres exilés et leurs attitudes dominatrices voire mafieuses. Cette tension semble avoir été accentuée par quelques flashes de photos prises dans la nuit par les militants pour garder trace de leurs livraisons d’une part et également par l’annonce que les demandeurs d’asile et les réfugiés qui le souhaitent peuvent se faire identifier. Ces deux gestes ont pu être perçus comme des tentatives de fichage. Dans ce climat tendu, les " nigérians " réclament de l’argent, menacent les militants qui sont ainsi contraints de se retirer du camp et de changer leurs modalités de distribution. Un peu plus loin, des contacts vont être renoués avec les " chairmans " (représentant supposés élus) des nationalités et les aides leur seront allouées en fonction du nombre (estimé/négocié) de personnes de la même nationalité. Environ 300 sacs-repas seront ainsi distribués par ABCDS et Forum Réfugiés. Le soir même l’idée s’impose de continuer les distributions selon cette modalité " communautaire " plutôt que de manière individuelle et les militants réfléchissent aux moyens de faire renvoyer vers Rabat les cas les plus urgents. Dans la journée une militante d’ATTAC-Maroc à Rabat, l’association étant également présente à Oujda durant la crise, annonce sur le forum [Manifeste-euroafricain] que les autorités d’Oujda ont proposé " Les autorités ont pris contact avec des organisations de droits humains pour leur annoncer leur intention de procéder au tri des "bons" et "mauvais" migrants, en clair, identifier les demandeurs d'asile et les réfugiés et les séparer des autres migrants dits "économiques" ". A Paris un collectif d’associations (AMF, ASDHOM, ATF, ATMF,Coordination Femmes "EGALITES", FTCR, GISTI, IDD, MIR, RLF, Voie démocratique (france), Union syndicale solidaire, les Alternatifs, IACD, AMDH (maroc), EMCEMO, KMAN (Hollande)…) a organisé un rassemblement de protestation devant l’ambassade du Maroc.

Vendredi 29 décembre – Environ 400 sacs-repas sont distribués. Forum Réfugié et ABCDS, se rendent à 11h30, au siège de la Willaya d’Oujda (représentation locale du gouvernement national) et demandent à parler au Directeur du Cabinet du Wali pour y solliciter des autorisations de retour par autocars et train des personnes détentrices de certificats d’enregistrement d’une demande d’asile auprès du HCR ou reconnues par lui comme " Réfugiés ". Le secrétaire personnel du Directeur de Cabinet les oriente vers le Chef du Service des Affaires Générales, avec qui ils peuvent s’entretenir une vingtaine de minutes. Les deux associatifs lui font part de la présence à Oujda de " demandeurs d’asile " et " réfugiés " refoulés vers la frontière dans la nuit du 23 au 24 décembre. Le responsable de la Willaya s’offusque que l’on puisse ainsi laisser entendre que la police marocaine aurait pu ainsi " déplacer " des personnes titulaires de documents valides émanant du HCR. Il observe que beaucoup d’exilés ont en leur possession de faux documents imitant ceux du HCR. Les deux associatifs lui confirment que des personnes détentrices de vrais documents du HCR sont à Oujda. Le responsable indique que ces personnes doivent être venues par leurs propres moyens ou ont été emmenées par erreur. Interrogé sur les solutions envisageables pour leur permettre de rentrer à Rabat, le responsable de la Willaya indique que cela relève de la compétence de la Préfecture de Police. Les deux associatifs se rendent peu après à la Préfecture de Police et demande le Chef du Service de la Documentation, habituellement en charge des dossiers relatifs aux étrangers. Son secrétaire indique qu’il est en réunion et suggère d’attendre. Quelques minutes le même secrétaire indique qu’il n’est pas certain que son supérieur revienne au bureau dans les prochaines heures et avant le début du week-end. Les deux associatifs s’en vont. Une première tentative de faire rentrer quelques personnes (réfugiés et demandeurs d’asile) a lieu le soir même. La police est arrivée sur place, à la gare routière, et a arrêté les 4 migrants qui devaient repartir à 18h et le représentant de Forum Réfugié, ils les ont emmené au commissariat central d’Oujda. Deux militants de l’AMDH ont négocié avec la police pour avoir une autorisation. La police accepte, mais à condition de passer chaque fois par le commissariat pour identifier les migrants et vérifier leurs papiers. Dans le même jour, trois nigérians ont été également arrêtés à la gare routière avec des papiers HCR falsifiés. Ils ont tenté de monter dans l’autocar moyennant une somme d’argent donnée à un employé de la gare. A 22h30, 4 migrants parviennent à rentrer par un autre autocar.

Samedi 30 décembre – 400 sacs-repas sont distribués par ABCDS et Forum Réfugiés et de nouvelles démarches sont entreprises par elles (en vain) auprès des autorités pour renvoyer à Rabat les cas " les plus urgents ". Le représentant sur place d’ATTAC-Maroc indique sur le forum [Manifeste-euroafricain] que " la situation est vraiment catastrophique au campus à Oujda. Il y a effectivement quelques malades, des enfants, des femmes enceintes... Mais, malheureusement peu d'aides, sauf quelques promesses de certaines organisations! Nos amis de l'ABCDS font de leur mieux, et ont besoin de soutien (nourriture, couvertures, vêtements, etc.). " et diffuse un premier compte-rendu de la situation entre le 23 et le 29 décembre 2006. Parallèlement une nouvelle démarche, menée par le Président de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme et Forum Réfugié auprès de la Préfecture de Police permet d’obtenir une autorisation pour faire rentrer quelques personnes par autocar. Cependant en l’absence de trace écrite de cet accord le chauffeur d’autocar refuse catégoriquement de transporter des " africains noirs " justifiant ainsi d’un acte raciste. Les militants de l’AMDH et d’ATTAC-Maroc parviennent avec d’âpres discussions avec la police, et avec difficulté, à faire rentrer 5 autres exilés par train à 21 h. Par ailleurs la police refuse qu’il y ait d’autres opérations similaires durant les 2 jours qui vont suivre, jours de fête.

Dimanche 31 décembre – L’information (en provenance d’une association de Laâyoune) commence à circuler qu’une nouvelle rafle de 131 personnes a eu lieu à Laayoune et que les victimes sont en cours d’acheminement vers la frontière d’Oujda. En début d’après-midi, 43 personnes seront repérées par des témoins dans un commissariat d’Oujda avant d’être envoyées à 15 h vers la frontières dont elles reviendront le soir moi-même pour se rendre au camp près de l’université. Le soir 200 sacs-repas environ sont distribués. Des militants d’ABCDS et de Forum Réfugiés passent le réveillon avec les exilés.

Lundi 1er janvier – Les modalités de distribution de la nourriture sur le camps près de l’université sont encore modifiées afin de faciliter cette tâche : des sacs de 5 kilo de riz sont achetées avec des bouteilles d’huile, du sel et des marmites à raison d’une pour dix personnes. Les distributions se font alors par communauté sous la forme de sacs de riz + huile + sel. Le don d’un mouton par un sympathisant de l’ABCDS permet d’améliorer l’ordinaire de ce nouvel an. Un nouveau départ de 5 personnes par le train est négocié avec la Préfecture de Police par l’Association Marocaine des Droits de l’Homme et Forum Réfugiés. Par ailleurs, les associations de la ville de Laâyoune au sud du Maroc indiquent que 40 personnes de plus viennent d’être arrêtées.

Mardi 2 janvier – Nouvelle distribution de nourritures par ABCDS et Forum Réfugiés. Forum Réfugié et ABCDS se rendent de nouveau à la Préfecture, vers 19 h, pour obtenir une nouvelle autorisation de départ pour quelques demandeurs d’asile et réfugiés par autocars ou train. Ils sont orientés vers une personne présentée comme le responsable des dossiers relatifs aux subsahariens. Cette personne indique qu’aucune instruction n’a été envoyée de Rabat et que les Africains en situation irrégulière n’ont donc pas le droit de circuler.

Mercredi 3 janvier – La distribution de riz + huile + sel continue. Un article du journal marocain Libération (proche du parti de centre gauche USFP) sur " Le calvaire des subsahariens " fustige ces rafles et les pratiques policières qui ont conduit à abandonner dans le désert des femmes et des enfants ainsi que des femmes enceintes. Les exilés du camp d’Oujda prennent connaissance l’article avec une certaine satisfaction et le font circuler " pour se remonter le moral ".

Jeudi 4 janvier –Une réunion inter associative est organisée au siège de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme, section d’Oujda à 11 h. Elle contribue à préparer celle qui est organisée au siège national l’AMDH à Rabat à 17 h. · A Oujda, l’AMDH indique qu’elle a publié un communiqué de presse en arabe le 25 décembre, qu’elle a écrit au Ministre de l’Intérieur et au Wali. L’OMDH indique qu’elle a été reçue par le Préfet de Police qui dit être incompétent pour délivrer des laissez-passer et considère que l’opération étant d’envergure nationale, l’affaire doit être traité à ce niveau. Il insiste en revanche sur l’existence de faux papiers imitant ceux du HCR et fait revenir l’association à la Préfecture pour qu’elle constate la réalité du phénomène des faux papiers du HCR sur trois cas de personnes acceptant (librement ?) de reconnaître les faits reprochés. Forum Réfugiés fait un état de la situation des demandeurs d’asile et réfugiés, des autorisations obtenues et du blocage depuis deux jours. Un débat à lieu sur la focalisation sur les " demandeurs d’asile " et " réfugiés " au risque de laisser les autres sans arguments de défense. · A Rabat, sont réunies à l’AMDH près d’une quinzaine d’associations. Un bilan de la situation est réalisé sur le plan humanitaire. Le responsable de Médecins sans Frontières (MSF)indique qu’elle est " présente à Oujda et travaille sur l’aide humanitaire et médicale aux blessés et autres cas qui se présentent (agressions, viols..). Sur le plan médical ; les cas les plus vulnérables sont orientés vers Rabat, les autres sont traités sur place. Sur le plan humanitaire, du matériel contenant des couvertures, vestes, etc, a été distribué (plusieurs centaines de kits distribués) ". Le représentant de Médecins du Monde (MDM) s’interroge " Il existe d’autres petits sites éloignés du campus, sont-ils couverts ? ". Aucune réponse n’est donnée à cette question… (qui est négative). Il demande aussi s’il serait possible de relayer les militants sur place, à Oujda, par période de 3 à 4 jours. Comme à Oujda, un débat a lieu sur l’axe de mobilisation : " demandeurs d’asile / réfugiés " ou les " migrants " dans leur ensemble ? In fine, il est décidé d’envoyer des personnes à Oujda pour relayer les militants, un communiqué de presse, des délégations et une lettre ouverte à la Commission Européenne, au Ministère de l’Intérieur, au Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH) et au représentant du Haut-Commissaire aux Réfugiés de l’ONU (HCR). · A Oujda, une nouvelle distribution de nourriture sur le camp est assurée par ABCDS et Forum Réfugiés. Les militants, présents sur le terrain depuis près de deux semaines, paraissent de plus en plus épuisés. Le nombre d’exilés présents sur le camps est estimé dans la soirée à environ 200 personnes suite à des départs à pied déjà nombreux, ses derniers jours, dans les trois directions d’origines (Rabat, Laayoune, Nador) et, probablement aussi, à des solutions provisoires d’hébergement dans les banlieues d’Oujda. Ce nombre est à peu près égal à celui qui pouvait être estimé au milieu du mois décembre.

5. Les raisons des rafles et des brutalités policières ?

La première dépêche AFP est diffusée le 23 décembre à 17 h 05 " Deux cent quarante immigrés d'Afrique subsaharienne "en situation irrégulière" ont été interpellés samedi à l'aube à Rabat pour être expulsés via la frontière algérienne (est du Maroc), a-t-on appris de source policière. Ces immigrés, de différentes nationalités, seront remises aux autorités algériennes après un avis du parquet qui a été notifié aux personnes interpellées, a indiqué la police à l'AFP. " La MAP, agence de presse officielle du Maroc, indique dans une dépêche reprise le 25 décembre 2006 par le journal arabophone " Assabah " (Le Matin), sous une photo montrant les exilés aux prises avec les " forces auxiliaires " (photo ci-dessus) qu’il s’agit d’une opération de grande envergure préparée, dans cinq quartiers populaires de Rabat, avec l’appui des " auxiliaires de sécurité " (agents de police en civil résidant sur place) pour le repérage des appartements visés par l’opération. Le journal Assabah explique l’origine de cette opération par l’aggravation des politiques antimigratoires européennes rendant plus difficile le passage vers l’Europe et amenant les exilés de passage à résider durablement dans les villes marocaines. Il ajoute que cette opération " s’inscrit dans le cadre des efforts faits par les autorités pour combattre l’immigration clandestine et les réseaux de traite des êtres humains. Cette action est réalisée aussi dans le cadre de la coopération avec l’Union Européenne et les autorités espagnoles. ". Dans une brève datée également du 25 décembre le journal francophone " L’opinion " ajoute que " le Maroc applique un principe consistant à expulser les immigrés clandestins vers le pays, généralement l’Algérie, qu’ils ont traversé pour entrer dans le royaume. ".

Les raisons qui ont conduit le Ministère de l’Intérieur à organiser ses rafles sont obscures. Plusieurs interprétations peuvent être envisagées sans réelles possibilités de confirmation et sans que les unes et les autres ne s’excluent :

L’explication officielle référée aux pressions européennes est plausible. Lors d’une déclaration faite par le Wali de Rabat à la télévision marocaine le jour des rafles, l’opération est présentée comme entrant dans le cadre des ''engagements pris par le Maroc'' lors de la conférence euro-africaine qu'il a hébergée en juillet dernier. Telles que présentées à la télévision les rafles paraissaient bien programmées et organisées, avec notamment présence de caméras et de bus appartenant à la même compagnie. Le transport en autocar des exilés de Rabat jusqu’à Oujda a été estimée par le Wali à 1350 € Dirhams par personne, c'est-à-dire environ 125 €. Il est vrai que l’Union Européenne fait pression de manière continue et finance la politique antimigratoire du Maroc contre les exilés d’Afrique noire. Cependant elle le fait de manière continue depuis plusieurs années. Pourquoi ces rafles en ce moment ? L’idée que la date tardive dans l’année civile de cette opération puisse résulter de contraintes de dépenses de fonds européens avant la date comptable du 31 décembre ne suffit pas cependant à expliquer la brutalité des moyens employés après une année de calme relatif et un apaisement sensible des pratiques policières depuis l’été.

Une deuxième interprétation tend à relier la date du déclenchement des opérations de rafles, le 23 décembre, à la fête chrétienne de Noël sachant que les Africains originaires des pays d’Afrique subsaharienne, qu’ils soient étudiants ou exilés en transit au Maroc, sont majoritairement chrétiens (catholiques ou protestants) et représentent la plus grande partie, les trois quart environ, des communautés chrétiennes au Maroc. Quel serait le sens d’une telle corrélation ? S’agit-il d’un message des fractions les plus conservatrices de l’Etat dans un pays marqué par la poussée électorale de l’islamisme ? S’agit-il d’un opportunisme policier cherchant à déjouer la vigilance des exilés sans-papiers durant les jours de fêtes (l’autre rafle, à Layoune, a eu lieu le 30 décembre) ? S’agit-il miser sur la plus faible réactivité des militants associatifs et des rédactions de presse dans la période des fêtes de fin d’année ?

Depuis le mois de septembre 2006 le Croissant Rouge Marocain, proche du pouvoir, avait obtenu l’autorisation politique de déployer des moyens humanitaires à destination des migrants en transit au Maroc. Cela se traduisit par l’organisation (à partir d’octobre 2006), d’un colloque de trois jours en partenariat avec la Fédération Internationale des Croix Rouges et Croissants Rouges à Oujda les 18, 19 et 20 décembre 2006 sur le thème " Le Maroc oriental face au phénomène migratoire ". L’opération policière des rafles de Noël, quant à elle, nécessitant probablement plusieurs semaines de repérage des appartements à Rabat et à Layoun et d’organisation des mouvements d’autocars et des forces de l’ordre, a du être préparée à partir du mois novembre. Or le 11 décembre 2006, la première distribution de couvertures sur le camp d’Oujda prévue par le Croissant Rouge Marocain a été au dernier instant reportée à une date ultérieure et n’a jamais eu lieu depuis lors. Tout cela laisse penser que plusieurs parties de l’appareil d’Etat marocain s’affrontent autour de cet enjeu et l’on peut se demander si l’opération policière n’est pas une réactions des fractions les plus répressives de l’Etat marocain à l’égard des avancées enregistrées par les segments de l’Etat soucieux de faire avancer le Maroc dans sa transition vers un Etat de droit.

Une autre interprétation semble être implicitement suggérée par le journal marocain Libération (proche du parti de centre gauche USFP) titrant à la Une " L’Espagne recrute 180 000 étrangers pour 2007 – Une aubaine pour la main d’œuvre marocaine " et en titre de sommaire renvoyant vers la page 3 du journal : " Campus universitaire d’Oujda - Le calvaire des subsahariens ". L’organisation de la page 3 reproduit ce vis-à-vis en plaçant en haut de la page l’article sur le calvaire des migrants subsahariens et en bas l’article sur les opportunités migratoires des marocains vers l’Espagne. On peut se demander si la rédaction du journal n’entend pas suggérer ainsi que l’opération de rafles puisse être une contrepartie répressive à l’obtention par le Maroc d’une ouverture des frontières espagnoles pour ses ressortissants.

Dans une perspective de plus long terme, une autre interprétation est avancée par Minoun Rahmani, secrétaire général adjoint d’ATTAC-Maroc, dans son " Rapport sur la situation à Oujda du 23 au 29 décembre 2006 " (ci-dessous : annexe n°9) : " Voici le discours des autorités de " l’ère nouvelle " ; qui ont choisi cette période de la fête de fin d’année et de la fête du sacrifice pour les musulmans, pour effectuer leur sal boulot de gendarme de l’Europe, et au moment où les mouvements sociaux au Maroc sont préoccupé par un autre problème ; celui de la cherté de la vie suite à de multiples augmentations des prix des matières essentiel et à la dégradation continue des services publics de base ". En effet la conjoncture sociale au Maroc est marquée par l’ébullition des mouvements de lutte contre la cherté de la vie suite à l’augmentation des prix des produits essentiels. Mettre sur l’agenda politique un autre " problème ", celui des migrants, peut permettre au gouvernement marocain de détourner l’attention de l’opinion publique marocaine comme l’on fait les gouvernements européens, au moment des chocs pétroliers, dans les années 1970, en " fermant les frontières " et en déclenchant les premières politiques antimigratoires.
source : Ibrahima Diallo
Jeudi 11 Janvier 2007 - 13:24
Jeudi 11 Janvier 2007 - 13:36
INFOS AVOMM
Accueil | Envoyer à un ami | Version imprimable | Augmenter la taille du texte | Diminuer la taille du texte


Dans la même rubrique :
1 2 3 4 5 » ... 595