En Afrique, les mariages sont toujours prétextes à de grandes concentrations humaines accompagnées de festivités d’une ampleur incontrôlable. En maints cas, ils atteignent une dimension rituelle. Mais, alors, le rite se confond avec le folklore. Et le folklore, qui est la partie visible de l’iceberg, est devenu pâture de roman.
On ne se mariait pas autrement à Touldé (Kaédi) que dans un bain de foules banqueteuses. Sous la houlette de la célèbre ordonnatrice de cérémonies Tacko Ramata, l’union de Hamma Diouldé et Rellâ Galo Thiongane a fait date en pays halpoulare.
A circonstances exceptionnelles, festin pantagruélique. La mesure est comble. Et pourtant nul ne songerait à blâmer cette paysannerie, car «l’existence quotidienne est dure, les plaisirs gastronomiques rares et le luxe de la bonne chair réservé à une poignée de nantis.».
Nous avons parlé de folklore et de rite confondus. En effet, la description des étapes de la cérémonie nuptiale va de pair avec la peinture vibrante et haute en couleurs du milieu halpoulare. Le caractère folklorique est tellement accentué qu’il en résulte une évidente lourdeur de la narration, encombrée de notations accessoires.
« L’instant est solennel. Les secondes sont intenses, profondes comme les âges et longues comme l’éternité ». Le mot est lâché ! Œuvrer à l’éternité de la Tradition qui se perd, la faire défi à l’érosion des temps, voici nommé le vœu secret de Youssouf Guèye. Quoi d’étonnant, dès lors, que les situations soient toujours décrites sous l’éclairage passéiste d’une époque sur laquelle il semble pousser des soupirs nostalgiques ? Cette quête d’un ordre disparu, ou en voie de disparaître, est au centre des préoccupations du romancier ; elle commande la psychologie et les attitudes des personnages.
Rellâ Galo Thiongane se marie donc avec Hamma Diouldé, chez qui elle est conduite en grande pompe, « ... marche étrange, unique même dans la vie d’une femme et marquée par l’alternance de deux pas en avant suivis d’un pas en arrière...» car, pour l’héritière des Thiongane, c’est moins une liesse qu’une rude épreuve initiatique, avec changement d’état civil brutal. La rupture définitive du cordon ombilical s’accompagne de diète purificatoire, et même, paraît-il, d’une suspension de la mobilité. Elle dira : « ...je peux même courir si c’est pour aller voir ma mère, manger et boire et respirer... ».
Propos bien compréhensible chez une jouvencelle. Il trahit l’état d’esprit d’une jeunesse d’autant plus désœuvrée que le ciel d’hivernage est inclément. Une jeunesse par ailleurs superbe comme des fils à papa en mal d’argent, mais aimant « manger et boire et respirer » sans bourse délier. Le mariage est en effet prétexte à l’oisiveté dorée, à la mendicité déguisée, voire à une expédition punitive contre la mariée et ses demoiselles d’atour « en fugue », Racky et Mignel. Les Ali, Bocar, Dabayel font à Hamma Diouldé une garde d’honneur aussi turbulente que vaine. Ne voit-on pas l’audacieux Ciré Aw fixer un rendez-vous galant (aux allures de guet-apens) à la jeune mariée ? Dame ! il faut, que jeunesse se passe...
On simule même une scène de ménage truculente. Telle cette « étrange et aimable empoignade des jeunes époux », où Rellâ et Hamma se barbouillent mutuellement de fange. Doux traitement que les compagnons de Hamma n’auront pas scrupule à infliger aux demoiselles d’atour, et pas à elles seulement, fonçant « sur toute forme qui franchit le seuil de la concession, la couvrant plus ou moins complètement de boue selon qu’elle résiste ou non, en poussant des cris de joie ». Et vieillesse de s’oublier dans l’euphorie du moment...
« Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée » dit la sagesse halpoulare. Il faudrait ajouter cette vérité d’Evangile : Ventre affamé n’a point d’oreilles. C’est pourquoi il est des réveils brutaux, des lendemains de réjouissances pénibles.
DIOULDE MERE
- Où en est la réserve de mil ?
RELLA
- Encore trois ou quatre corbeilles.
DIOULDE MERE
- Et le maïs ?
RELLA
- Terminé !
Et voici Hamma Diouldé prêtant l’oreille aux « voix des sirènes d’hivernage ». Parce que les ventres crient famine, il envisage de partir pour l’Ouest, comme tous ces « navétanes » dont Philippe David a retracé l’exaltante et périlleuse odyssée. Mais Hamma Diouldé ne chaussera ses bottes de 7 lieues que pour les champs où l’on ne cultive que la mort.
L’opération de sauvetage (en pays halpoular, on meurt plus souvent de déshonneur que de faim) est ainsi subordonnée à l’issue problématique de la campagne de France. Nous ne savons pas s’il gagnera son pari, ce volume n’étant que le premier volet d’un diptyque, mais il est probable que l’âge qui s’ouvre devant les Diouldé sera d’airain.
Rellâ ou les voies de l’honneur est une œuvre où la part de fiction est apparemment mineure. Le roman, pour Téne Youssouf Guèye, est par excellence un genre libre de toutes les transformations. Récit, information, reportage, chronique... Rellâ semble aspirer à la totalité balzacienne.
La plume épouse les êtres et les choses, comme pour évacuer tous les contenus. Malgré les grincements occasionnels, elle est musicale parce que chargée d’exprimer la joie, la fierté, le bonheur de toute une communauté en liesse.
Est-il un seul sens qui ne soit convié à cette fête anachronique ? Et si tendue est la volonté de Youssouf Guèye vers une participation sensorielle totalisante qu’il y sera finalement parvenu.
Dans la mesure où il colle à l’étiquette « écart et fête », qui semble traduire la nature profonde du conte, Rellâ ou les voies de l’honneur est une manière de conte vécu.
Ethiopiques numéros 37-38
Revue trimestrielle de culture négro-africaine
Auteur : Dono Ly SANGARE
On ne se mariait pas autrement à Touldé (Kaédi) que dans un bain de foules banqueteuses. Sous la houlette de la célèbre ordonnatrice de cérémonies Tacko Ramata, l’union de Hamma Diouldé et Rellâ Galo Thiongane a fait date en pays halpoulare.
A circonstances exceptionnelles, festin pantagruélique. La mesure est comble. Et pourtant nul ne songerait à blâmer cette paysannerie, car «l’existence quotidienne est dure, les plaisirs gastronomiques rares et le luxe de la bonne chair réservé à une poignée de nantis.».
Nous avons parlé de folklore et de rite confondus. En effet, la description des étapes de la cérémonie nuptiale va de pair avec la peinture vibrante et haute en couleurs du milieu halpoulare. Le caractère folklorique est tellement accentué qu’il en résulte une évidente lourdeur de la narration, encombrée de notations accessoires.
« L’instant est solennel. Les secondes sont intenses, profondes comme les âges et longues comme l’éternité ». Le mot est lâché ! Œuvrer à l’éternité de la Tradition qui se perd, la faire défi à l’érosion des temps, voici nommé le vœu secret de Youssouf Guèye. Quoi d’étonnant, dès lors, que les situations soient toujours décrites sous l’éclairage passéiste d’une époque sur laquelle il semble pousser des soupirs nostalgiques ? Cette quête d’un ordre disparu, ou en voie de disparaître, est au centre des préoccupations du romancier ; elle commande la psychologie et les attitudes des personnages.
Rellâ Galo Thiongane se marie donc avec Hamma Diouldé, chez qui elle est conduite en grande pompe, « ... marche étrange, unique même dans la vie d’une femme et marquée par l’alternance de deux pas en avant suivis d’un pas en arrière...» car, pour l’héritière des Thiongane, c’est moins une liesse qu’une rude épreuve initiatique, avec changement d’état civil brutal. La rupture définitive du cordon ombilical s’accompagne de diète purificatoire, et même, paraît-il, d’une suspension de la mobilité. Elle dira : « ...je peux même courir si c’est pour aller voir ma mère, manger et boire et respirer... ».
Propos bien compréhensible chez une jouvencelle. Il trahit l’état d’esprit d’une jeunesse d’autant plus désœuvrée que le ciel d’hivernage est inclément. Une jeunesse par ailleurs superbe comme des fils à papa en mal d’argent, mais aimant « manger et boire et respirer » sans bourse délier. Le mariage est en effet prétexte à l’oisiveté dorée, à la mendicité déguisée, voire à une expédition punitive contre la mariée et ses demoiselles d’atour « en fugue », Racky et Mignel. Les Ali, Bocar, Dabayel font à Hamma Diouldé une garde d’honneur aussi turbulente que vaine. Ne voit-on pas l’audacieux Ciré Aw fixer un rendez-vous galant (aux allures de guet-apens) à la jeune mariée ? Dame ! il faut, que jeunesse se passe...
On simule même une scène de ménage truculente. Telle cette « étrange et aimable empoignade des jeunes époux », où Rellâ et Hamma se barbouillent mutuellement de fange. Doux traitement que les compagnons de Hamma n’auront pas scrupule à infliger aux demoiselles d’atour, et pas à elles seulement, fonçant « sur toute forme qui franchit le seuil de la concession, la couvrant plus ou moins complètement de boue selon qu’elle résiste ou non, en poussant des cris de joie ». Et vieillesse de s’oublier dans l’euphorie du moment...
« Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée » dit la sagesse halpoulare. Il faudrait ajouter cette vérité d’Evangile : Ventre affamé n’a point d’oreilles. C’est pourquoi il est des réveils brutaux, des lendemains de réjouissances pénibles.
DIOULDE MERE
- Où en est la réserve de mil ?
RELLA
- Encore trois ou quatre corbeilles.
DIOULDE MERE
- Et le maïs ?
RELLA
- Terminé !
Et voici Hamma Diouldé prêtant l’oreille aux « voix des sirènes d’hivernage ». Parce que les ventres crient famine, il envisage de partir pour l’Ouest, comme tous ces « navétanes » dont Philippe David a retracé l’exaltante et périlleuse odyssée. Mais Hamma Diouldé ne chaussera ses bottes de 7 lieues que pour les champs où l’on ne cultive que la mort.
L’opération de sauvetage (en pays halpoular, on meurt plus souvent de déshonneur que de faim) est ainsi subordonnée à l’issue problématique de la campagne de France. Nous ne savons pas s’il gagnera son pari, ce volume n’étant que le premier volet d’un diptyque, mais il est probable que l’âge qui s’ouvre devant les Diouldé sera d’airain.
Rellâ ou les voies de l’honneur est une œuvre où la part de fiction est apparemment mineure. Le roman, pour Téne Youssouf Guèye, est par excellence un genre libre de toutes les transformations. Récit, information, reportage, chronique... Rellâ semble aspirer à la totalité balzacienne.
La plume épouse les êtres et les choses, comme pour évacuer tous les contenus. Malgré les grincements occasionnels, elle est musicale parce que chargée d’exprimer la joie, la fierté, le bonheur de toute une communauté en liesse.
Est-il un seul sens qui ne soit convié à cette fête anachronique ? Et si tendue est la volonté de Youssouf Guèye vers une participation sensorielle totalisante qu’il y sera finalement parvenu.
Dans la mesure où il colle à l’étiquette « écart et fête », qui semble traduire la nature profonde du conte, Rellâ ou les voies de l’honneur est une manière de conte vécu.
Ethiopiques numéros 37-38
Revue trimestrielle de culture négro-africaine
Auteur : Dono Ly SANGARE