Ils s’étaient juré de confier au premier président noir des Etats-Unis la charge de lancer leur musée sous les meilleurs auspices. Les fondateurs du National Museum of African American History and Culture (NMAAHC) ont gagné leur pari.
Barack Obama a présidé à l’inauguration, samedi 24 septembre, du désormais plus grand musée du pays consacré à l’histoire afro-américaine. Devant une foule de plusieurs milliers de personnes, en grande majorité noires, et en présence de son prédécesseur, Georges W. Bush, qui avait autorisé le lancement du projet en 2003, le président s’est félicité de l’ouverture, maintes fois ajournée, d’un tel musée, estimant qu’« une grande Nation ne se cache pas la vérité ». Et c’est en président afro-américain qu’il s’est exprimé, donnant à l’inauguration de ce lieu culturel une dimension politique.
« Nous sommes l’Amérique »
« Nous ne sommes pas un fardeau pour l’Amérique, nous sommes l’Amérique », a-t-il déclaré devant une foule enthousiaste. « Moi aussi, je suis l’Amérique », a-t-il répété, reprenant les mots du poète noir américain Langston Hughes. « L’histoire afro-américaine n’est pas séparée de l’histoire américaine, elle en est une partie centrale, a-t-il ajouté. Ce musée va permettre de raconter une histoire plus riche, plus complète de ce que nous sommes. Il va nous aider à nous parler, à nous écouter les uns les autres et surtout, à nous voir les uns les autres. »
En référence aux mouvements de protestations qui ont émaillé l’histoire des Afro-américains et qui perdurent aujourd’hui dans la société, le président a rappelé qu’« aimer son pays et protester » sont deux attitudes qui non seulement « coexistent mais s’enrichissent ». « Ce musée peut, peut-être, aider un visiteur blanc à comprendre la souffrance et la colère de manifestants, dans des endroits tels que Ferguson et Charlotte », a-t-il ajouté, en référence à deux villes où des émeutes ont éclaté après la mort d’un Noir tué par la police, en 2014 à Ferguson (Missouri), et ces derniers jours à Charlotte (Caroline du Nord).
Posé à l’ombre de l’obélisque du Washington Monument et au cœur des mémoriaux et musées qui fondent l’identité nationale américaine, à mi-chemin du Congrès et de la monumentale statue d’Abraham Lincoln, qui mit fin à l’esclavage, l’imposant bâtiment de six étages évoque une couronne africaine composée de 3 600 plaques forgées – hommage au travail des esclaves dans les Etats américains du Sud aux XVIIIe et XIXe siècles.
Projet centenaire
L’idée d’honorer la mémoire des Afro-Américains remonte à 1915 : des anciens combattants noirs de la guerre civile (1861-1865) demandent alors – en vain – l’érection d’un mémorial. En 1929, le Congrès donne son accord à la création d’un musée mais, alors que le pays plonge dans la crise, lui refuse toute subvention.
A la fin des années 1960, dans la foulée des victoires liées aux droits civiques, l’idée est relancée, mais là encore, ni le monde universitaire ni le monde politique ne pousse en ce sens. « Longtemps, le groupe dominant, l’homme blanc d’origine européenne, a choisi de ne pas inclure cette histoire dans le récit national », nous déclarait Rhea L. Combs, la conservatrice du nouveau musée, lors de l’exposition préfigurant son ouverture, fin 2015.
Aussi l’ouverture du NMAAHC constitue-t-elle l’événement culturel de l’année dans la capitale fédérale. Les tickets d’entrée – gratuits, comme l’accès à tous les musées nationaux gérés par la Smithsonian Institution – se sont arrachés en quelques heures et il faut attendre le mois de décembre pour avoir une chance d’y accéder. Sur près de 40 000 mètres carré, dans un entrelacs de galeries, le visiteur va découvrir plusieurs milliers des 33 000 objets collectés depuis treize ans.
Présence de psychologues
Trois thèmes majeurs ont été retenus : l’esclavage, la ségrégation, la culture et le sport. La partie consacrée à l’esclavage fut la plus difficile à documenter. Au-delà des classiques chaînes d’esclaves ou des listes d’hommes, de femmes et d’enfants mis à prix, visibles dans bien d’autres musées à travers le pays, le NMAAHC est parvenu à réunir des objets inédits.
La collerette d’Harriet Tubman, une esclave du Maryland qui a facilité l’évasion de nombre de ses compagnons, voisine avec la Bible de Nat Turner, l’esclave de Virginie qui, en 1831, mena la rébellion la plus sanglante de l’histoire de l’esclavage. Cette Bible a été remise au musée par les descendants blancs d’une famille tuée durant ce soulèvement.
Pour illustrer la période ségrégationniste qui s’acheva officiellement dans les années 1960, le musée a réalisé un tour de force : exposer au sous-sol un wagon de train datant de 1918 avec des sièges réservés aux Noirs. Le wagon a été acheminé sur place avant les débuts des travaux et le musée a été construit autour de cette pièce.
On y découvre aussi la nappe sur laquelle fut rédigé l’argumentaire demandant la déségrégation scolaire dans les années 1950, ou le premier cercueil du jeune Emmet Till, un adolescent de 14 ans battu à mort dans le Mississippi pour avoir sifflé au passage d’une femme blanche. Les concepteurs du musée, conscients de la charge émotionnelle de certains passages de l’exposition, ont prévu la présence de psychologues.
Récit national
Plus légère, la partie consacrée à l’apport des Afro-américains à la vie culturelle, artistique et sportive des Etats-Unis présente la combinaison du premier astronaute noir, des costumes de scène d’artistes, la Cadillac du musicien Chuck Berry…
Ce voyage dans l’histoire sombre des relations raciales dans la société américaine doit, selon les concepteurs du NMAAHC, redonner à la population afro-américaine sa place dans le récit national. Tout en évitant plusieurs écueils : verser dans le militantisme ou risquer « de victimiser les Noirs et de culpabiliser les Blancs ».
La commission mise en place par M. Bush l’avait conçu comme un lieu de « guérison » susceptible de contribuer à « la réconciliation entre les races ».
Signe que les tensions liées à la place de la communauté afro-américaine aux Etats-Unis n’appartiennent pas qu’au passé, le musée a fait le choix d’évoquer les événements les plus récents. Les visiteurs pourront donc découvrir un T-shirt siglé « Black Lives Matter », référence au mouvement qui prospère aujourd’hui dans la communauté noire pour protester contre les violences policières à l’encontre des Noirs.
Souhaitant toucher une audience qui irait bien au-delà de la population afro-américaine, les responsables du musée espèrent attirer 3 millions à 3,5 millions de visiteurs par an, juste derrière le Musée de l’espace.
L’ampleur de ce projet a nécessité une levée de fonds de plus de 500 millions de dollars (445 millions d’euros). La moitié du budget est assuré par le gouvernement fédéral, l’autre par des dons privés. Parmi ces donateurs, l’animatrice et actrice afro-américaine Oprah Winfrey a apporté à elle seule 21 millions de dollars, la fondation de Bill et Melinda Gates plus de 10 millions, la famille du basketteur Michael Jordan plus de 5 millions… En compagnie de l’acteur Will Smith, Mme Winfrey a déclamé des citations d’auteurs noirs lors de l’inauguration.
Par Stéphanie Le Bars (Washington, correspondance)
Source: Le Monde
Barack Obama a présidé à l’inauguration, samedi 24 septembre, du désormais plus grand musée du pays consacré à l’histoire afro-américaine. Devant une foule de plusieurs milliers de personnes, en grande majorité noires, et en présence de son prédécesseur, Georges W. Bush, qui avait autorisé le lancement du projet en 2003, le président s’est félicité de l’ouverture, maintes fois ajournée, d’un tel musée, estimant qu’« une grande Nation ne se cache pas la vérité ». Et c’est en président afro-américain qu’il s’est exprimé, donnant à l’inauguration de ce lieu culturel une dimension politique.
« Nous sommes l’Amérique »
« Nous ne sommes pas un fardeau pour l’Amérique, nous sommes l’Amérique », a-t-il déclaré devant une foule enthousiaste. « Moi aussi, je suis l’Amérique », a-t-il répété, reprenant les mots du poète noir américain Langston Hughes. « L’histoire afro-américaine n’est pas séparée de l’histoire américaine, elle en est une partie centrale, a-t-il ajouté. Ce musée va permettre de raconter une histoire plus riche, plus complète de ce que nous sommes. Il va nous aider à nous parler, à nous écouter les uns les autres et surtout, à nous voir les uns les autres. »
En référence aux mouvements de protestations qui ont émaillé l’histoire des Afro-américains et qui perdurent aujourd’hui dans la société, le président a rappelé qu’« aimer son pays et protester » sont deux attitudes qui non seulement « coexistent mais s’enrichissent ». « Ce musée peut, peut-être, aider un visiteur blanc à comprendre la souffrance et la colère de manifestants, dans des endroits tels que Ferguson et Charlotte », a-t-il ajouté, en référence à deux villes où des émeutes ont éclaté après la mort d’un Noir tué par la police, en 2014 à Ferguson (Missouri), et ces derniers jours à Charlotte (Caroline du Nord).
Posé à l’ombre de l’obélisque du Washington Monument et au cœur des mémoriaux et musées qui fondent l’identité nationale américaine, à mi-chemin du Congrès et de la monumentale statue d’Abraham Lincoln, qui mit fin à l’esclavage, l’imposant bâtiment de six étages évoque une couronne africaine composée de 3 600 plaques forgées – hommage au travail des esclaves dans les Etats américains du Sud aux XVIIIe et XIXe siècles.
Projet centenaire
L’idée d’honorer la mémoire des Afro-Américains remonte à 1915 : des anciens combattants noirs de la guerre civile (1861-1865) demandent alors – en vain – l’érection d’un mémorial. En 1929, le Congrès donne son accord à la création d’un musée mais, alors que le pays plonge dans la crise, lui refuse toute subvention.
A la fin des années 1960, dans la foulée des victoires liées aux droits civiques, l’idée est relancée, mais là encore, ni le monde universitaire ni le monde politique ne pousse en ce sens. « Longtemps, le groupe dominant, l’homme blanc d’origine européenne, a choisi de ne pas inclure cette histoire dans le récit national », nous déclarait Rhea L. Combs, la conservatrice du nouveau musée, lors de l’exposition préfigurant son ouverture, fin 2015.
Aussi l’ouverture du NMAAHC constitue-t-elle l’événement culturel de l’année dans la capitale fédérale. Les tickets d’entrée – gratuits, comme l’accès à tous les musées nationaux gérés par la Smithsonian Institution – se sont arrachés en quelques heures et il faut attendre le mois de décembre pour avoir une chance d’y accéder. Sur près de 40 000 mètres carré, dans un entrelacs de galeries, le visiteur va découvrir plusieurs milliers des 33 000 objets collectés depuis treize ans.
Présence de psychologues
Trois thèmes majeurs ont été retenus : l’esclavage, la ségrégation, la culture et le sport. La partie consacrée à l’esclavage fut la plus difficile à documenter. Au-delà des classiques chaînes d’esclaves ou des listes d’hommes, de femmes et d’enfants mis à prix, visibles dans bien d’autres musées à travers le pays, le NMAAHC est parvenu à réunir des objets inédits.
La collerette d’Harriet Tubman, une esclave du Maryland qui a facilité l’évasion de nombre de ses compagnons, voisine avec la Bible de Nat Turner, l’esclave de Virginie qui, en 1831, mena la rébellion la plus sanglante de l’histoire de l’esclavage. Cette Bible a été remise au musée par les descendants blancs d’une famille tuée durant ce soulèvement.
Pour illustrer la période ségrégationniste qui s’acheva officiellement dans les années 1960, le musée a réalisé un tour de force : exposer au sous-sol un wagon de train datant de 1918 avec des sièges réservés aux Noirs. Le wagon a été acheminé sur place avant les débuts des travaux et le musée a été construit autour de cette pièce.
On y découvre aussi la nappe sur laquelle fut rédigé l’argumentaire demandant la déségrégation scolaire dans les années 1950, ou le premier cercueil du jeune Emmet Till, un adolescent de 14 ans battu à mort dans le Mississippi pour avoir sifflé au passage d’une femme blanche. Les concepteurs du musée, conscients de la charge émotionnelle de certains passages de l’exposition, ont prévu la présence de psychologues.
Récit national
Plus légère, la partie consacrée à l’apport des Afro-américains à la vie culturelle, artistique et sportive des Etats-Unis présente la combinaison du premier astronaute noir, des costumes de scène d’artistes, la Cadillac du musicien Chuck Berry…
Ce voyage dans l’histoire sombre des relations raciales dans la société américaine doit, selon les concepteurs du NMAAHC, redonner à la population afro-américaine sa place dans le récit national. Tout en évitant plusieurs écueils : verser dans le militantisme ou risquer « de victimiser les Noirs et de culpabiliser les Blancs ».
La commission mise en place par M. Bush l’avait conçu comme un lieu de « guérison » susceptible de contribuer à « la réconciliation entre les races ».
Signe que les tensions liées à la place de la communauté afro-américaine aux Etats-Unis n’appartiennent pas qu’au passé, le musée a fait le choix d’évoquer les événements les plus récents. Les visiteurs pourront donc découvrir un T-shirt siglé « Black Lives Matter », référence au mouvement qui prospère aujourd’hui dans la communauté noire pour protester contre les violences policières à l’encontre des Noirs.
Souhaitant toucher une audience qui irait bien au-delà de la population afro-américaine, les responsables du musée espèrent attirer 3 millions à 3,5 millions de visiteurs par an, juste derrière le Musée de l’espace.
L’ampleur de ce projet a nécessité une levée de fonds de plus de 500 millions de dollars (445 millions d’euros). La moitié du budget est assuré par le gouvernement fédéral, l’autre par des dons privés. Parmi ces donateurs, l’animatrice et actrice afro-américaine Oprah Winfrey a apporté à elle seule 21 millions de dollars, la fondation de Bill et Melinda Gates plus de 10 millions, la famille du basketteur Michael Jordan plus de 5 millions… En compagnie de l’acteur Will Smith, Mme Winfrey a déclamé des citations d’auteurs noirs lors de l’inauguration.
Par Stéphanie Le Bars (Washington, correspondance)
Source: Le Monde