L’Union africaine vient d’octroyer à Robert Mugabe, l’inoxydable dictateur zimbabwéen, la présidence tournante en remplacement du Mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz. D’un côté, on se dit que l’organisation, installée à Addis Abeba depuis sa fondation en 1960, voudrait se tirer une balle dans le pied en tarissant l’aide internationale, elle ne s’y prendrait pas autrement. De l’autre, ce choix n’est pas si surprenant. On a déjà tout dit sur le naufrageur à la petite moustache hitlérienne, sur ses victimes qui souffrent le martyr, mais également sur les contradictions de la communauté internationale qui s’est habituée au malheur zimbabwéen.
Parfois une petite anecdote vaut mieux que toutes les analyses. En septembre 2014, l’université nationale du Zimbabwe remet en grande pompe un doctorat en sociologie à Grace Mugabe, la seconde épouse du président, qui n’était auparavant que l’une de ses multiples secrétaires. Des étudiants très remontés attirent l’attention de la presse régionale et internationale sur cette affaire cocasse. Ils soulignent notamment que la lauréate n’a pas assisté à un seul cours, et son nom n’a été ajouté en catimini sur le fichier des inscriptions qu’en juillet 2014, soit deux mois et une poignée de jours avant la cérémonie des remises de diplômes.
Alerté par les étudiants, mon collègue et ami de longue date, Chenjerai Hove (1), un poète et romancier célébré au Zimbabwe avant son départ en exil en 2001, écrit une lettre au vice-chancelier Levy Nyagura, sommant ce dernier de mettre fin à la supercherie et la vraie fausse doctorante de rendre son diplôme mal acquis. Sur place, la missive courroucée de Chenjerai Hove fait l’effet d’une tempête dans un verre d’eau, car le chancelier de l’université nationale n’est autre que le satrape en chef. En revanche, elle aura beaucoup circulé en Afrique australe et la BBC s’est longuement entretenue avec l’auteur d’Ossuaire. Il n’est venu à personne l’idée de parier un dollar zimbabwéen sur cette thèse portant sur la mutation des structures sociales et familiales, Grace Mugabe n’en a cure. J’imagine qu’elle a épinglé son parchemin sur le mur d’un de ses multiples salons où elle reçoit régulièrement, en qualité de première dame, du beau linge.
Bouffonnerie sanglante
Tout cela serait fort risible si l’UA n’offrait pas à un dinosaure qui a ruiné son pays une tribune diplomatique de tout premier rang, si elle ne lui permettait de parler au nom des millions de jeunes du continent. Certes, sa bouffonnerie sanglante a prospéré sur le terrain de nos incohérences, notre lâcheté et notre indifférence, mais ce n’est pas une raison pour courber à nouveau l’échine. Jeunes d’Afrique, n’est-il pas temps de crier haut et fort : « Non, non, pas en notre nom ! » ? Jeunes du Burkina, où êtes-vous ? Montrez-nous encore l’exemple ! Arrêtez vos sermons ! me couperont illico d’aucuns. Affirmer l’évidence, appeler le dictateur par son nom ou rappeler la chute de Blaise Compaoré vous attire la foudre sous les tropiques. J’en sais quelque chose.
Dans mon pays d’origine, les fervents supporteurs du potentat local, en quête d’un quatrième mandat avec ou sans l’aval d’une partie de ceux qui s’opposaient à sa gestion quelques semaines plus tôt, m’accusent de pactiser avec l’ennemi (ça fait mouche pour un petit nombre, théorie du complot oblige !), de cracher sur mes parents, de renier mes origines et j’en passe et des meilleurs. Laissons de côté les évidences. Place pour un petit calcul mental. Ça tombe bien, Grace Mugabe est né comme moi au cours de l’été 1965. Elle a 49 ans et 6 mois.
Régime répressif, opaque et corrompu
Le comrade Robert Gabriel Mugabe a officiellement vu le jour le 21 février 1924 dans ce qui était alors une effroyable colonie : la Rhodésie du Sud. Il aura 91 ans dans quelques semaines. La jeune Grace n’avait que 15 ans lorsque son futur époux a pris, en 1980, les commandes du nouvel Etat baptisé Zimbabwe, en souvenir de l’empire du Monomotapa qui a atteint son apogée au XIVe siècle. Davantage que les ruines du Monomotapa, c’est Bob Marley qui, à mes yeux, a porté sur les fonds baptismaux la jeune nation avec son album éponyme sorti un an plus tôt. Donc en 1979, vous me suivez ? Depuis les habitants de Harare et de Bulawayo n’ont connu qu’un seul président. Un seul, vous me suivez toujours ? Combien d’années son régime répressif, opaque et corrompu, perdure-t-il ? 2015 moins 1980. Ça fait donc 35 ans. Et il est parti pour durer, ajouteront les persifleurs.
35 ans de pouvoir sans partage, ça rend dingo son satrape. J’entends déjà des doigts se lever en signe de protestation. Non, il s’agit plutôt de précision, voire d’addition. Mugabe n’est d’ailleurs pas le seul à conserver le trône pour le restant de ses jours. Obiang Nguema (Guinée équatoriale) et José Eduardo dos Santos (Angola) affichent 36 ans au compteur. Paul Biya (Cameroun) 33 ans ; Denis Sassou Nguesso (Congo) 31 ans ; Yoweri Museveni (Ouganda) 29 ans ; Idriss Déby (Tchad), 25 ans ; Yaya Jammeh (Gambie) 21 ans. Vous êtes toujours là ?
Notre affaire se corse puisque certains experts nous soufflent, à juste titre, de prendre en compte la lignée dans certains pays où le pouvoir s’est transmis de père en fils, voire d’oncle en neveu. Au Gabon, les Bongo règnent depuis 48 ans ; au Togo, les Gnassingbè père et fils 48 ans ; à Djibouti, le couple Gouled/Guelleh 38 ans. Enfin, les Kabila, en République démocratique du Congo, font un piètre score : 18 ans. Pour les onze pays susmentionnés, on arrive à un total de 398 ans. Les populations ont subi le joug du dictateur (et/ou de sa progéniture) pendant quatre siècles. L’âge moyen de la population est de moins de 20 ans. Faites les calculs, c’est vertigineux.
Dans ce contexte, on comprend pourquoi un barbon de 91 balais peut se targuer de représenter le continent le plus jeune de la planète. A Harare, ce n’est probablement pas un fils qui va prolonger le règne de Mugabe mais une épouse, la bien nommée Grace. À moins que les Zimbabwéens en décident autrement.
Abdourahman A. Waberi
Source: Le Monde
(1) Réfugié en France de 2001 à 2004, accueilli par la ville de Rambouillet, dans le cadre du réseau de « villes refuges » impulsé par le parlement international des écrivains, son œuvre est disponible chez Actes Sud.
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Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti, il vit entre Paris et les États-Unis où il a enseigné les littératures francophones à l’université de Californie (Ucla). Auteur entre autres de « Aux États-Unis d’Afrique » (JCLattès, 2006), il vient de publier « La Divine Chanson » (Zulma, 2015).
Parfois une petite anecdote vaut mieux que toutes les analyses. En septembre 2014, l’université nationale du Zimbabwe remet en grande pompe un doctorat en sociologie à Grace Mugabe, la seconde épouse du président, qui n’était auparavant que l’une de ses multiples secrétaires. Des étudiants très remontés attirent l’attention de la presse régionale et internationale sur cette affaire cocasse. Ils soulignent notamment que la lauréate n’a pas assisté à un seul cours, et son nom n’a été ajouté en catimini sur le fichier des inscriptions qu’en juillet 2014, soit deux mois et une poignée de jours avant la cérémonie des remises de diplômes.
Alerté par les étudiants, mon collègue et ami de longue date, Chenjerai Hove (1), un poète et romancier célébré au Zimbabwe avant son départ en exil en 2001, écrit une lettre au vice-chancelier Levy Nyagura, sommant ce dernier de mettre fin à la supercherie et la vraie fausse doctorante de rendre son diplôme mal acquis. Sur place, la missive courroucée de Chenjerai Hove fait l’effet d’une tempête dans un verre d’eau, car le chancelier de l’université nationale n’est autre que le satrape en chef. En revanche, elle aura beaucoup circulé en Afrique australe et la BBC s’est longuement entretenue avec l’auteur d’Ossuaire. Il n’est venu à personne l’idée de parier un dollar zimbabwéen sur cette thèse portant sur la mutation des structures sociales et familiales, Grace Mugabe n’en a cure. J’imagine qu’elle a épinglé son parchemin sur le mur d’un de ses multiples salons où elle reçoit régulièrement, en qualité de première dame, du beau linge.
Bouffonnerie sanglante
Tout cela serait fort risible si l’UA n’offrait pas à un dinosaure qui a ruiné son pays une tribune diplomatique de tout premier rang, si elle ne lui permettait de parler au nom des millions de jeunes du continent. Certes, sa bouffonnerie sanglante a prospéré sur le terrain de nos incohérences, notre lâcheté et notre indifférence, mais ce n’est pas une raison pour courber à nouveau l’échine. Jeunes d’Afrique, n’est-il pas temps de crier haut et fort : « Non, non, pas en notre nom ! » ? Jeunes du Burkina, où êtes-vous ? Montrez-nous encore l’exemple ! Arrêtez vos sermons ! me couperont illico d’aucuns. Affirmer l’évidence, appeler le dictateur par son nom ou rappeler la chute de Blaise Compaoré vous attire la foudre sous les tropiques. J’en sais quelque chose.
Dans mon pays d’origine, les fervents supporteurs du potentat local, en quête d’un quatrième mandat avec ou sans l’aval d’une partie de ceux qui s’opposaient à sa gestion quelques semaines plus tôt, m’accusent de pactiser avec l’ennemi (ça fait mouche pour un petit nombre, théorie du complot oblige !), de cracher sur mes parents, de renier mes origines et j’en passe et des meilleurs. Laissons de côté les évidences. Place pour un petit calcul mental. Ça tombe bien, Grace Mugabe est né comme moi au cours de l’été 1965. Elle a 49 ans et 6 mois.
Régime répressif, opaque et corrompu
Le comrade Robert Gabriel Mugabe a officiellement vu le jour le 21 février 1924 dans ce qui était alors une effroyable colonie : la Rhodésie du Sud. Il aura 91 ans dans quelques semaines. La jeune Grace n’avait que 15 ans lorsque son futur époux a pris, en 1980, les commandes du nouvel Etat baptisé Zimbabwe, en souvenir de l’empire du Monomotapa qui a atteint son apogée au XIVe siècle. Davantage que les ruines du Monomotapa, c’est Bob Marley qui, à mes yeux, a porté sur les fonds baptismaux la jeune nation avec son album éponyme sorti un an plus tôt. Donc en 1979, vous me suivez ? Depuis les habitants de Harare et de Bulawayo n’ont connu qu’un seul président. Un seul, vous me suivez toujours ? Combien d’années son régime répressif, opaque et corrompu, perdure-t-il ? 2015 moins 1980. Ça fait donc 35 ans. Et il est parti pour durer, ajouteront les persifleurs.
35 ans de pouvoir sans partage, ça rend dingo son satrape. J’entends déjà des doigts se lever en signe de protestation. Non, il s’agit plutôt de précision, voire d’addition. Mugabe n’est d’ailleurs pas le seul à conserver le trône pour le restant de ses jours. Obiang Nguema (Guinée équatoriale) et José Eduardo dos Santos (Angola) affichent 36 ans au compteur. Paul Biya (Cameroun) 33 ans ; Denis Sassou Nguesso (Congo) 31 ans ; Yoweri Museveni (Ouganda) 29 ans ; Idriss Déby (Tchad), 25 ans ; Yaya Jammeh (Gambie) 21 ans. Vous êtes toujours là ?
Notre affaire se corse puisque certains experts nous soufflent, à juste titre, de prendre en compte la lignée dans certains pays où le pouvoir s’est transmis de père en fils, voire d’oncle en neveu. Au Gabon, les Bongo règnent depuis 48 ans ; au Togo, les Gnassingbè père et fils 48 ans ; à Djibouti, le couple Gouled/Guelleh 38 ans. Enfin, les Kabila, en République démocratique du Congo, font un piètre score : 18 ans. Pour les onze pays susmentionnés, on arrive à un total de 398 ans. Les populations ont subi le joug du dictateur (et/ou de sa progéniture) pendant quatre siècles. L’âge moyen de la population est de moins de 20 ans. Faites les calculs, c’est vertigineux.
Dans ce contexte, on comprend pourquoi un barbon de 91 balais peut se targuer de représenter le continent le plus jeune de la planète. A Harare, ce n’est probablement pas un fils qui va prolonger le règne de Mugabe mais une épouse, la bien nommée Grace. À moins que les Zimbabwéens en décident autrement.
Abdourahman A. Waberi
Source: Le Monde
(1) Réfugié en France de 2001 à 2004, accueilli par la ville de Rambouillet, dans le cadre du réseau de « villes refuges » impulsé par le parlement international des écrivains, son œuvre est disponible chez Actes Sud.
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Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti, il vit entre Paris et les États-Unis où il a enseigné les littératures francophones à l’université de Californie (Ucla). Auteur entre autres de « Aux États-Unis d’Afrique » (JCLattès, 2006), il vient de publier « La Divine Chanson » (Zulma, 2015).