Comment exprimer l'extrême respect dans la juste mesure d'un hommage, sans être en deçà? Dilemme d'une conscience peu portée sur les apparences, qui veut simplement honorer la mémoire et le combat de l'enfant royal, revenu à Qunu dans cette vérité de l'existence qu'est la fin de toute vie. Sort, fatalité, déterminisme, de quelque côté qu'on la prenne, elle est cette part de notre présence comme marque de notre fragilité. Force du destin contre laquelle l'homme ne lutte que par les œuvres durables de la civilisation. La finitude comme égalité suprême entre les êtres, rappel à la modestie, nous inscrit ainsi dans une dimension de sujet où nous sommes nos œuvres. Nous sommes alors conduits à l'interrogation sur le sens, à la quête d'une réponse, au substantiel. Que sont la vie et la mort, le temps et l'éternité, la nature humaine comme spécificité? Renvoyés au complexe des choses et des hommes, à la finalité de l'existence pour façonner un ordre, nous situer, nous nous engageons alors avec des fortunes diverses, là dans une passion amoureuse, ici dans une recherche forcenée des plaisirs et des honneurs, ailleurs vers le bien et le salut publics, ou tout pris dans la création, dans le sacerdoce d'une pratique religieuse. Autant d'enseignements de l'expérience qui mènent vers des buts et des valeurs hiérarchisés. Ceux de Mandela ont été de renoncer à l'éphémère et au circonstanciel. Une biographie serait même anecdotique, un décompte des actions en dessous de la leçon de vie, du choix éthique. C'est dans l'orientation de l'action qu'il y a invention du sens, de la promotion de la permanence institutionnelle du vivre-ensemble.
Ce qui frappe est d'abord et avant tout le renoncement au petit bonheur personnel, aux arrangements du quotidien. Cependant Mandela n'est pas le sage détaché de Cioran, celui qui est indifférent aux drames et à la joie et qui, par sa posture, trouve raison et justification à tout. La sagesse de Madiba est de s'être saisi dans sa propre souffrance, de la lire dans et avec celle des autres, de son peuple banni, d'en faire une ouverture pour l'unité de la nation. Cette sagesse s'illustre dans la pondération du propos et l'intransigeance du principe. Mais des douleurs intimes, des drames plus personnels, ont aussi construit en lui un regard éclairé. C'est cette intelligence envers le prochain qui l'amène à essayer de comprendre plutôt que haïr. Dans une tolérance de différents tempéraments, il a appris à ne jamais railler, à ne pas tourner en dérision même ses adversaires et ennemis les plus farouches, au point de s'écrier devant la tombe du fondateur de l'apartheid, Hendrik Verwoerd, «Pourquoi est-elle si petite» ; au petit-fils de ce dernier adhérent à l'ANC il trouve l'empathie qui déculpabilise «pensons à l'avenir». Il a su garder raison en toute situation et c'est en sachant se commander lui-même qu'il prouve sa dimension de guide, de celui à qui échoit de gouverner, d'inspirer en qualité de figure morale. Robert Badinter dit de Mandela :«Ce qu'il y avait d'encore plus remarquable chez cet homme, c'est le fait qu'il ait dépassé Gandhi dans son approche. Mais il est allé bien au-delà. Il est passé de la non violence à la non vengeance. ... cela appelle une exigence éthique considérable.» Ce fut donc le couronnement d'une idée qui l'emporta sur tout le reste : bâtir un monde de fraternité et de justice, d'élévation du droit et de la liberté.
Ainsi le retour dans le Transkeï des racines est tout un symbole. C'est là que Madiba perçut, derrière les parois et les ombres, l'essence d'une réalité, l'apartheid. De ce bouleversement de soi naît alors le moment d'une foi dans le triomphe définitif de l'idée d'une humanité une. C'est cette conviction profonde qui explique cette destinée dans l'épreuve, la fermeté dans le projet. Comme inspiré par Spinoza pour qui il ne convient pas aux principes de l'Etat, même aristocratique, «qu'on ait égard aux races et aux clans», Mandela se fait tour à tour pacifiste, révolutionnaire, puis stratège dans le dialogue, dans la revendication d'un absolu: l'identité des personnes dans leur altérité gémellaire.
Mais quel paradoxe quand, en Mauritanie, les voies de la réconciliation se rétrécissent. La démarche de vérité et de pardon, suite aux massacres, aux déportations, à l'exclusion de la communauté noire des principaux leviers de commande, n'a pas abouti. Cette catharsis aurait permis, comme en Afrique du Sud, de refonder une république de contrats des libertés où chaque individualité a autant de valeur que l'autre, où tout citoyen mauritanien serait lui-même et comme tout autre dans l'égale condition de nos nationalités, sans considération exclusive et privilégiée de l'une d'elles. De fait et par choix idéologique l'appartenance à la communauté arabe est devenue, en Mauritanie, un facteur de préférence et d'inégalité, à la place du mérite et du talent, censés être des signes distinctifs objectifs pour occuper les charges publiques ou privées. En deçà de ce qu'Aristote retenait déjà comme critère de la justice et d'élection, d'exercice de prérogatives à proportion de ses compétences intrinsèques. L'Etat perd de sa souveraineté redistributive et d'équité comme correction des déséquilibres et des écarts. Au lieu du partage du pouvoir, du développement de toutes les cultures nationales, il se préoccupe plus de mettre en avant l'ascension tribale, l'organisation de la prébende sur les biens communs, eau, électricité, services publics et autres rentes. S'il est éclaté en divers intérêts personnels et affairistes il dissout les différences dans des marges, dans une périphérie où se concentrent tous les mécanismes d'exclusion économique, sociale, culturelle. Brutalité à la fois symbolique parce qu'elle passe par l'école, les médias et physique en ce qu'elle réduit à la misère, soumet à la violence nombre de Négro-Mauritaniens du seul fait d'être non-Arabes.
Quel contresens que de nier l'Etat multinational produit d'une histoire plus complexe que le legs colonial ne le laisse supposer, que de vouloir instaurer l'Etat-nation c'est-à-dire dont le caractère est mononational. C'est refuser aux autres ce que l'on veut pour soi-même, à savoir que la langue, la culture sont des parties de l'identité collective. Ainsi les Peulhs, les Soninkés, les Wolofs ont autant de droits collectifs au sens d'une reconnaissance qualitative où leurs cultures ne sont pas sous-représentées, sous-estimées. La remise en cause de la mondialisation comme forme d'imposition d'un modèle culturel unique, d'une société de consommation sans âme vaut comme une apostrophe pour replacer l'Etat dans son rôle de préserver les héritages remontant à des passés lointains, passés communs, cultures, langues qui sont autant de ressources humaines, d'un ancrage d'identité. Ainsi le centralisme d'Etat au sein duquel s'exerce un monopole tribal et ethnique est un facteur évident de crise. S'il est vrai que la formation d'un Etat séparé n'est pas la réponse à la Question nationale, l'alternative de la large autonomie accordée aux originaires du Sud de la Mauritanie reste pertinente. La réduire à une expression a minima, à un modeste mécanisme d'élection de gouverneurs sans vrais moyens politiques, c'est affaiblir les pôles de diversité. Dans une telle formulation appauvrie de l'autonomie où l'Etat central, et on sait lequel, garde la main sur la nomination des préfets, des commissaires, de la politique éducative et culturelle, d'un contrôle accru de l'enseignement des langues, de la mainmise sur les médias, l'hégémonie politique perdurera encore.
Il me semble que le moment n'est plus à l'esquisse d'exigences nouvelles ni de formulation au rabais, tout a été pratiquement énoncé : justice, égalité des chances, respect des cultures, vérité et réconciliation dans le refus de l'impunité, Etat fédéral. Il y a là, me semble t-il, les moyens de préserver une cohérence d'Etat de droit dans une volonté commune.
La signification profonde de l’œuvre de Mandela aura été cette transcendance dans le respect de chaque communauté linguiste et historique que sont les Xhosas, les Zoulous, les Afrikaners. Les collectivités nationales sont ainsi des forces de cogestion dans un Etat fédéré indivisible auquel il faut appeler en Mauritanie comme l'avait souhaité un de nos patriarches Feu BÂ Mamoudou Samboly. Travailler à ce qui nous unit dans la considération des entités nationales au lieu de ce qui sépare rendrait durables et viables les institutions. Et Périclès pensait que c'est grâce à la polis, la cité comme lieu d'accord des actions humaines et des arts que les Athéniens transmettraient au monde des « monuments impérissables ». La vertu politique ne semble tenir alors qu'à un mot : rassembler.
BÂ Kassoum Sidiki
[Pour avomm.com]url:http://www.avomm.com/
Ce qui frappe est d'abord et avant tout le renoncement au petit bonheur personnel, aux arrangements du quotidien. Cependant Mandela n'est pas le sage détaché de Cioran, celui qui est indifférent aux drames et à la joie et qui, par sa posture, trouve raison et justification à tout. La sagesse de Madiba est de s'être saisi dans sa propre souffrance, de la lire dans et avec celle des autres, de son peuple banni, d'en faire une ouverture pour l'unité de la nation. Cette sagesse s'illustre dans la pondération du propos et l'intransigeance du principe. Mais des douleurs intimes, des drames plus personnels, ont aussi construit en lui un regard éclairé. C'est cette intelligence envers le prochain qui l'amène à essayer de comprendre plutôt que haïr. Dans une tolérance de différents tempéraments, il a appris à ne jamais railler, à ne pas tourner en dérision même ses adversaires et ennemis les plus farouches, au point de s'écrier devant la tombe du fondateur de l'apartheid, Hendrik Verwoerd, «Pourquoi est-elle si petite» ; au petit-fils de ce dernier adhérent à l'ANC il trouve l'empathie qui déculpabilise «pensons à l'avenir». Il a su garder raison en toute situation et c'est en sachant se commander lui-même qu'il prouve sa dimension de guide, de celui à qui échoit de gouverner, d'inspirer en qualité de figure morale. Robert Badinter dit de Mandela :«Ce qu'il y avait d'encore plus remarquable chez cet homme, c'est le fait qu'il ait dépassé Gandhi dans son approche. Mais il est allé bien au-delà. Il est passé de la non violence à la non vengeance. ... cela appelle une exigence éthique considérable.» Ce fut donc le couronnement d'une idée qui l'emporta sur tout le reste : bâtir un monde de fraternité et de justice, d'élévation du droit et de la liberté.
Ainsi le retour dans le Transkeï des racines est tout un symbole. C'est là que Madiba perçut, derrière les parois et les ombres, l'essence d'une réalité, l'apartheid. De ce bouleversement de soi naît alors le moment d'une foi dans le triomphe définitif de l'idée d'une humanité une. C'est cette conviction profonde qui explique cette destinée dans l'épreuve, la fermeté dans le projet. Comme inspiré par Spinoza pour qui il ne convient pas aux principes de l'Etat, même aristocratique, «qu'on ait égard aux races et aux clans», Mandela se fait tour à tour pacifiste, révolutionnaire, puis stratège dans le dialogue, dans la revendication d'un absolu: l'identité des personnes dans leur altérité gémellaire.
Mais quel paradoxe quand, en Mauritanie, les voies de la réconciliation se rétrécissent. La démarche de vérité et de pardon, suite aux massacres, aux déportations, à l'exclusion de la communauté noire des principaux leviers de commande, n'a pas abouti. Cette catharsis aurait permis, comme en Afrique du Sud, de refonder une république de contrats des libertés où chaque individualité a autant de valeur que l'autre, où tout citoyen mauritanien serait lui-même et comme tout autre dans l'égale condition de nos nationalités, sans considération exclusive et privilégiée de l'une d'elles. De fait et par choix idéologique l'appartenance à la communauté arabe est devenue, en Mauritanie, un facteur de préférence et d'inégalité, à la place du mérite et du talent, censés être des signes distinctifs objectifs pour occuper les charges publiques ou privées. En deçà de ce qu'Aristote retenait déjà comme critère de la justice et d'élection, d'exercice de prérogatives à proportion de ses compétences intrinsèques. L'Etat perd de sa souveraineté redistributive et d'équité comme correction des déséquilibres et des écarts. Au lieu du partage du pouvoir, du développement de toutes les cultures nationales, il se préoccupe plus de mettre en avant l'ascension tribale, l'organisation de la prébende sur les biens communs, eau, électricité, services publics et autres rentes. S'il est éclaté en divers intérêts personnels et affairistes il dissout les différences dans des marges, dans une périphérie où se concentrent tous les mécanismes d'exclusion économique, sociale, culturelle. Brutalité à la fois symbolique parce qu'elle passe par l'école, les médias et physique en ce qu'elle réduit à la misère, soumet à la violence nombre de Négro-Mauritaniens du seul fait d'être non-Arabes.
Quel contresens que de nier l'Etat multinational produit d'une histoire plus complexe que le legs colonial ne le laisse supposer, que de vouloir instaurer l'Etat-nation c'est-à-dire dont le caractère est mononational. C'est refuser aux autres ce que l'on veut pour soi-même, à savoir que la langue, la culture sont des parties de l'identité collective. Ainsi les Peulhs, les Soninkés, les Wolofs ont autant de droits collectifs au sens d'une reconnaissance qualitative où leurs cultures ne sont pas sous-représentées, sous-estimées. La remise en cause de la mondialisation comme forme d'imposition d'un modèle culturel unique, d'une société de consommation sans âme vaut comme une apostrophe pour replacer l'Etat dans son rôle de préserver les héritages remontant à des passés lointains, passés communs, cultures, langues qui sont autant de ressources humaines, d'un ancrage d'identité. Ainsi le centralisme d'Etat au sein duquel s'exerce un monopole tribal et ethnique est un facteur évident de crise. S'il est vrai que la formation d'un Etat séparé n'est pas la réponse à la Question nationale, l'alternative de la large autonomie accordée aux originaires du Sud de la Mauritanie reste pertinente. La réduire à une expression a minima, à un modeste mécanisme d'élection de gouverneurs sans vrais moyens politiques, c'est affaiblir les pôles de diversité. Dans une telle formulation appauvrie de l'autonomie où l'Etat central, et on sait lequel, garde la main sur la nomination des préfets, des commissaires, de la politique éducative et culturelle, d'un contrôle accru de l'enseignement des langues, de la mainmise sur les médias, l'hégémonie politique perdurera encore.
Il me semble que le moment n'est plus à l'esquisse d'exigences nouvelles ni de formulation au rabais, tout a été pratiquement énoncé : justice, égalité des chances, respect des cultures, vérité et réconciliation dans le refus de l'impunité, Etat fédéral. Il y a là, me semble t-il, les moyens de préserver une cohérence d'Etat de droit dans une volonté commune.
La signification profonde de l’œuvre de Mandela aura été cette transcendance dans le respect de chaque communauté linguiste et historique que sont les Xhosas, les Zoulous, les Afrikaners. Les collectivités nationales sont ainsi des forces de cogestion dans un Etat fédéré indivisible auquel il faut appeler en Mauritanie comme l'avait souhaité un de nos patriarches Feu BÂ Mamoudou Samboly. Travailler à ce qui nous unit dans la considération des entités nationales au lieu de ce qui sépare rendrait durables et viables les institutions. Et Périclès pensait que c'est grâce à la polis, la cité comme lieu d'accord des actions humaines et des arts que les Athéniens transmettraient au monde des « monuments impérissables ». La vertu politique ne semble tenir alors qu'à un mot : rassembler.
BÂ Kassoum Sidiki
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