Après radio Dar El Barka et l'hebdomadaire Jeune Afrique, relayant les propos du ministre mauritanien des affaires économiques et de la promotion des secteurs productifs, le maire (UPR - mouvance présidentielle) de la localité de Djowol a voulu « rassurer» par audios largement partagés tous ceux, nombreux, qu’inquiètent à juste titre les projets fonciers gouvernementaux dans le Sud. Ainsi, on voudrait nous faire croire que l'inique loi foncière de 1983, mur porteur d’une entreprise discriminatoire, pourrait être assouplie. On aimerait le croire mais que de raisons d’en douter très fortement. Il est même clairement permis de penser que l'on nous prépare une expropriation des terres de culture de la Vallée.
Les éclairages rapportés par l’élu appellent des interrogations sur des sujets déterminants. Au moins deux qui se fondent à juste titre sur la «marge» de manœuvre des élus locaux et sur les obstacles érigés par le système d'exclusion qui ont déjà placé depuis dix ans une partie des citoyens noirs, au centre et au cœur de ces projets fonciers, en situation d'étrangers et d'apatrides sur le sol national, sur leurs terres et à l'étranger. Le génocide biométrique est passé par là. La logique de ce système est implacable : vous n'êtes plus mauritaniens, vous perdez vos terres ancestrales.Tout se tient et est pensé de longue date.
Des institutions locales inféodées au pouvoir
Le premier sujet déterminant tient aux possibilités qui pourraient être accordées aux propriétaires d’en administrer les preuves. Le second porte sur le rôle qui pourrait être reconnu aux institutions locales en la matière. La nouveauté serait la reconnaissance aux populations d’un éventail élargi et diversifié de preuves. Rappelons que la possibilité de faire valoir divers titres de propriété figure au nombre des revendications constantes des populations. Quant aux instances locales, leur connaissance du terrain couplée à leur ancrage et leur rôle de mémoire auraient dû d’emblée en faire des partenaires naturels des pouvoirs publics.
Il n’en fut rien jusqu’ici. Elles sont inféodées au pouvoir et au système d'exclusion. On nous promet que ce mépris serait sur le point de cesser par miracle puisque ces institutions locales se verraient reconnaître désormais un rôle déterminant en matière d’administration de preuves de propriété. Dans ces conditions, l’Etat devrait se contenter d’assurer une mission d’accompagnement. Si un tel schéma devait se concrétiser, on serait en présence d’une véritable évolution vers une concertation. On en est loin pour l’instant. Y sera-t-on un jour sans que le rapport des forces ne soit défavorable au système? Le doute est permis. Le système triomphant d'exclusion des noirs de la Vallée n'a pas fini de tisser sa toile. Aucune parcelle ne doit lui échapper.
L'accaparement des terres par privation de la citoyenneté : refus d'enrôlement
Des précédents fâcheux. L’un de ces précédents est de taille et est porteur de conséquences rédhibitoires : l’enrôlement. N’oublions pas que les populations ostracisées de la Vallée s’étaient régulièrement vu promettre que tous les moyens de preuves leur seraient ouverts : témoignages de la famille, du voisinage…La réalité fut tout autre faite plutôt d’arbitraire et d’humiliations du sommet de l'Etat aux agents. Ainsi, des responsables de bureaux d’enrôlement avaient simplement reçu en parallèle des consignes strictes et à rebours des professions de foi généreuses. Consignes qui furent appliquées avec un zèle qui n’avait d’égal que la volonté d’ostraciser, d'humilier et d’exclure.
Une vidéo devenue virale d'une femme pullo humiliée et privée d'enrôlement donc de sa citoyenneté mauritanienne par le responsable d'un centre localisé à Kankossa, postée il y a quelques semaines, donne un avant-goût de leur nouveau projet. L'enrôlement biométrique, lancé depuis 2011 pour doter la Mauritanie d'un fichier d'état civil fiable, s'est avéré dans son application discriminatoire et a placé une bonne partie des citoyens noirs en situation d'étrangers et/ou d'apatrides sur le sol national et à l'étranger. Des entraves de taille demeurent.
A titre d’exemple, comment concrètement des populations déportées et/ou déportées-rapatriées en raison de leur appartenance raciale et ethnique en application d’un projet étatique, privées de ce fait de tout papier d’identité et peinant à en retrouver du fait d’un blocage délibéré, pourraient-elles faire la preuve administrative de quoi que ce soit? Idem pour celles qui n'ont pas été déportées mais qui sont privées de pièces d'état civil. La partie leur sera d’autant moins facile que la volonté de l’Etat est précisément de leur dénier tout droit de propriété. «Enfin», il ne faut pas perdre de vue une dimension essentielle de la loi foncière, l’équivalent mauritanien du Land Act de l’Apartheid sud-africain.
Le pouvoir exorbitant, sans contrôle des gouverneurs et des préfets
Ce projet à but éliminationniste confère aux autorités déconcentrées de l’Etat un pouvoir exorbitant et sans contrôle. C’est ainsi que des demandes de concessions de terres portant sur des superficies inférieures ou égales à 10 000 ha relèvent de la compétence des préfets et sous-préfets. Les gouverneurs sont compétents lorsque les demandes concernent des espaces s’échelonnant entre 10 000 et 30 000 ha. Autant dire que la marge de manœuvre tribale donc d’arbitraire reste grande.
Que vaudront les «assurances» d'un maire, d'un député, d'un ministre, de tout autre membre ou proche de la mouvance du pouvoir face à la volonté d’une administration provinciale monochromatique qui ne parle même pas les langues des administrés? Cette administration est le prolongement d’un pouvoir ouvertement raciste. La politique foncière du pouvoir n’est qu’un levier de la politique discriminatoire systémique? Il y a plus de raisons de douter très fortement que d’espérer. Le régime du général Mohamed Ould Ghazouani et ses démembrements ne veulent pas du bien aux paysans. La vigilance doit être de mise. La mobilisation des Sans-terre aussi.
Ciré Ba et Boubacar Diagana
Paris, 14/06/2021
Les éclairages rapportés par l’élu appellent des interrogations sur des sujets déterminants. Au moins deux qui se fondent à juste titre sur la «marge» de manœuvre des élus locaux et sur les obstacles érigés par le système d'exclusion qui ont déjà placé depuis dix ans une partie des citoyens noirs, au centre et au cœur de ces projets fonciers, en situation d'étrangers et d'apatrides sur le sol national, sur leurs terres et à l'étranger. Le génocide biométrique est passé par là. La logique de ce système est implacable : vous n'êtes plus mauritaniens, vous perdez vos terres ancestrales.Tout se tient et est pensé de longue date.
Des institutions locales inféodées au pouvoir
Le premier sujet déterminant tient aux possibilités qui pourraient être accordées aux propriétaires d’en administrer les preuves. Le second porte sur le rôle qui pourrait être reconnu aux institutions locales en la matière. La nouveauté serait la reconnaissance aux populations d’un éventail élargi et diversifié de preuves. Rappelons que la possibilité de faire valoir divers titres de propriété figure au nombre des revendications constantes des populations. Quant aux instances locales, leur connaissance du terrain couplée à leur ancrage et leur rôle de mémoire auraient dû d’emblée en faire des partenaires naturels des pouvoirs publics.
Il n’en fut rien jusqu’ici. Elles sont inféodées au pouvoir et au système d'exclusion. On nous promet que ce mépris serait sur le point de cesser par miracle puisque ces institutions locales se verraient reconnaître désormais un rôle déterminant en matière d’administration de preuves de propriété. Dans ces conditions, l’Etat devrait se contenter d’assurer une mission d’accompagnement. Si un tel schéma devait se concrétiser, on serait en présence d’une véritable évolution vers une concertation. On en est loin pour l’instant. Y sera-t-on un jour sans que le rapport des forces ne soit défavorable au système? Le doute est permis. Le système triomphant d'exclusion des noirs de la Vallée n'a pas fini de tisser sa toile. Aucune parcelle ne doit lui échapper.
L'accaparement des terres par privation de la citoyenneté : refus d'enrôlement
Des précédents fâcheux. L’un de ces précédents est de taille et est porteur de conséquences rédhibitoires : l’enrôlement. N’oublions pas que les populations ostracisées de la Vallée s’étaient régulièrement vu promettre que tous les moyens de preuves leur seraient ouverts : témoignages de la famille, du voisinage…La réalité fut tout autre faite plutôt d’arbitraire et d’humiliations du sommet de l'Etat aux agents. Ainsi, des responsables de bureaux d’enrôlement avaient simplement reçu en parallèle des consignes strictes et à rebours des professions de foi généreuses. Consignes qui furent appliquées avec un zèle qui n’avait d’égal que la volonté d’ostraciser, d'humilier et d’exclure.
Une vidéo devenue virale d'une femme pullo humiliée et privée d'enrôlement donc de sa citoyenneté mauritanienne par le responsable d'un centre localisé à Kankossa, postée il y a quelques semaines, donne un avant-goût de leur nouveau projet. L'enrôlement biométrique, lancé depuis 2011 pour doter la Mauritanie d'un fichier d'état civil fiable, s'est avéré dans son application discriminatoire et a placé une bonne partie des citoyens noirs en situation d'étrangers et/ou d'apatrides sur le sol national et à l'étranger. Des entraves de taille demeurent.
A titre d’exemple, comment concrètement des populations déportées et/ou déportées-rapatriées en raison de leur appartenance raciale et ethnique en application d’un projet étatique, privées de ce fait de tout papier d’identité et peinant à en retrouver du fait d’un blocage délibéré, pourraient-elles faire la preuve administrative de quoi que ce soit? Idem pour celles qui n'ont pas été déportées mais qui sont privées de pièces d'état civil. La partie leur sera d’autant moins facile que la volonté de l’Etat est précisément de leur dénier tout droit de propriété. «Enfin», il ne faut pas perdre de vue une dimension essentielle de la loi foncière, l’équivalent mauritanien du Land Act de l’Apartheid sud-africain.
Le pouvoir exorbitant, sans contrôle des gouverneurs et des préfets
Ce projet à but éliminationniste confère aux autorités déconcentrées de l’Etat un pouvoir exorbitant et sans contrôle. C’est ainsi que des demandes de concessions de terres portant sur des superficies inférieures ou égales à 10 000 ha relèvent de la compétence des préfets et sous-préfets. Les gouverneurs sont compétents lorsque les demandes concernent des espaces s’échelonnant entre 10 000 et 30 000 ha. Autant dire que la marge de manœuvre tribale donc d’arbitraire reste grande.
Que vaudront les «assurances» d'un maire, d'un député, d'un ministre, de tout autre membre ou proche de la mouvance du pouvoir face à la volonté d’une administration provinciale monochromatique qui ne parle même pas les langues des administrés? Cette administration est le prolongement d’un pouvoir ouvertement raciste. La politique foncière du pouvoir n’est qu’un levier de la politique discriminatoire systémique? Il y a plus de raisons de douter très fortement que d’espérer. Le régime du général Mohamed Ould Ghazouani et ses démembrements ne veulent pas du bien aux paysans. La vigilance doit être de mise. La mobilisation des Sans-terre aussi.
Ciré Ba et Boubacar Diagana
Paris, 14/06/2021