Les populations de Pedandiour, c’est-à-dire des villages de Garlol, des trois N’Diawaldi, de Niaaki et de Thiooji N’Gouly, ont renoué avec le cauchemar qui hantait leurs esprits voici plus d’une trentaine d’années : l’expropriation de leurs terres arables de la plaine de Bouriloonde, Walilaaji et Touldé, située au bord du fleuve Sénégal.
Le samedi 24 Mai 2024, les propriétaires terriens des villages de Garlol, Thiooji N’Gouli, Niaaki et environs ont en effet constaté la présence d’un engin venu défricher leurs plaines, en vue de réhabiliter le périmètre d’un ancien commandant de l’armée.
Cette expropriation avait défrayé la chronique dans cette partie de la vallée du fleuve Sénégal, devenue tristement célèbre après l’exécution de certains de ses habitants, notamment du chef de village de Sorimalé, par les fusiliers marins installés à Bababé. Il faut rappeler que quelques mois avant le débarquement de cet engin et de ses travailleurs, les propriétaires ont constaté sur les lieux la présence de personnes étrangères qui se sont aussitôt mises à abattre les arbres de leur périmètre en terres walo. Interrogés par lesdits propriétaires qui avaient réussi à arrêter, il y a quelque trente ans, le processus d’accaparement de leurs terres, les bûcherons leur ont répondu que ces coupes étaient autorisées. C’est donc après cette espèce de test que les travaux d’aménagement viennent d’être relancés.
Mobilisation
Les populations de Pedanjour, Garlol et environs, se sont immédiatement mobilisées et ont été vite rejointes par plusieurs autres. Onze chefs de villages se sont ainsi rendus à M’Bagne le 26 Mai pour protester et réclamer au préfet l’arrêt immédiat des travaux. Ce dernier, rapportent nos sources dignes de foi, leur a rétorqué qu’il ne pouvait le faire, le propriétaire des lieux détenant des documents officiels d’attribution de la plaine, et leur a demandé de joindre à leur plainte un fond de dossier, c’est-à-dire des titres fonciers ou des papiers prouvant que la terre leur appartient. Selon nos sources, les chefs de village n’auraient pas transmis fidèlement le message des populations, en particulier, les jeunes. Ces derniers avaient menacé d’arrêter eux-mêmes les travaux si le hakem ne le faisait pas. Les chefs revenus à demeure, voici que les esprits s’échauffent.
Une réunion est prévue le lendemain pour arrêter une nouvelle stratégie. Entre temps, l’affaire est portée sur les réseaux sociaux, particulièrement, WhatsApp. Les internautes dénoncent une nouvelle expropriation des terres de la vallée du fleuve Sénégal au profit d’hommes d’affaires mauritaniens et exhortent les populations à la résistance, comme celle des propriétaires de la plaine de Koylal, rebaptisé, il faut le souligner au passage, commune de M’Bagne, département éponyme. On se rappelle qu’en 2021, face à la puissante mobilisation des villages du département de M’Bagne, appuyée par les organisations de défense des droits de l’Homme et de la Société civile, la mise en œuvre du projet destiné, prétendait-on, aux rapatriés du Sénégal et aux autochtones, avait été stoppée et la Banque Mondiale qui le finançait avait suspendu son financement.
À Garlol, les populations ont choisi d’user de voies légales. Pour contester l’attribution de leurs plaines à ce monsieur qui daterait des années 90, les propriétaires ont fourni des documents, dont l’un date de 1911, reconnaissant leur droit. Mais le hakem n’a pas accepté de les reconnaître. « Toute propriété est régie par de nouveaux textes réglementaires », leur a-t-il signifié, remettant ainsi en cause le Droit coutumier. Les propriétaires n’en ont pas pour autant baissé les bras et se sont apprêtés à rencontrer le wali du Brakna qui aurait reçu des « instructions pour régler le différend ». Mais selon nos sources, celui-là aurait déjà renvoyé la délégation vers le hakem chargé de trouver une solution à ce problème tombé au mauvais moment pour les acteurs locaux de l’INSAF.
Certains de ceux-ci se demandent d’ailleurs si cette affaire ne vise pas à saborder leur campagne présidentielle, en ce que ce genre de situation pollue toujours les rapports entre les politiques et les populations locales qui ne manqueront pas de les traiter de « collabos ». Les candidats de l’opposition ne manqueraient certainement pas d’exploiter cette crise. Aussi plusieurs cadres et élus ont-ils rapidement activé leurs relations pour « éteindre l’incendie ». Tous sont conscients que seul le président de la République, voire son ministre de l’Intérieur, peut arrêter « cette espèce de provocation ».
Mais, à ce jour, le nouveau « propriétaire » poursuit ses travaux d’exploitation comme si de rien n’était. Une attitude qui révolte les populations locales. À en croire des sources fiables, elles pourraient descendre sur le périmètre pour contraindre les travailleurs à suspendre leurs travaux et quitter les lieux. Plus de onze villages seraient prêts à leur prêter main forte, comme à Koylal en 2021.
Le comité des sages avait sonné l’alerte
Cette expropriation intervient un mois à peine après le dépôt, le 13 Mai dernier, d’un mémorandum à l’appui d’une déclaration d’un comité de sages propriétaires terriens auprès du ministère de l’Agriculture. L’objectif de cette démarche était d’attirer l’attention des autorités mauritaniennes sur l’accaparement des terres de la vallée du fleuve Sénégal par d’autres mauritaniens ou par des multinationales. Ce mémorandum très fouillé documente les différentes formes de propriété en Mauritanie et les textes adoptés après l’Indépendance.
Dans leur déclaration distribuée lors d’une conférence de presse tenue le même jour au Forum national des organisations de défense des droits de l’Homme (FONADH), les sages invitaient le gouvernement à arrêter toute mesure foncière et agraire porteuse de conflit ; mettre un terme à une réforme agraire prise sous un régime d’exception imposée par un coup d’État ; et revenir au Droit coutumier islamique qui régit le foncier mauritanien depuis des siècles, favorisant une entente parfaite entre les différentes communautés nationales, à savoir les Maures, les Peuls, les Soninkés et les Wolofs.
Le comité des sages a ensuite demandé au gouvernement mauritanien de mettre en place un cadastre réactualisant la propriété, officialisée par titre foncier ; de manière à ce que chaque mauritanien puisse accéder à la terre chez lui ; que l’État et les bailleurs puissent en conséquence l’aider à demeurer en son terroir, à mettre en valeur celui-ci et à gagner ainsi sa vie, compétitif sur le marché national, voire mondial. Cela favorisera une politique d’accord tripartite gagnant-gagnant entre le propriétaire terrien, l’État et le bailleur national et/ou étranger. L’État jouera enfin son rôle régalien et veillera aux intérêts des citoyens et des bailleurs, en plein respect du Droit et dans l’impartialité totale. Mais quelle chance ce mémorandum et cette déclaration à déposer auprès des ministères de l’Intérieur, des Finances et du Développement économique ont-ils de prospérer auprès des autorités ? Question à un milliard impératif à une juste campagne présidentielle !
Dalay Lam
Source : Le Calame (Mauritanie)
Le samedi 24 Mai 2024, les propriétaires terriens des villages de Garlol, Thiooji N’Gouli, Niaaki et environs ont en effet constaté la présence d’un engin venu défricher leurs plaines, en vue de réhabiliter le périmètre d’un ancien commandant de l’armée.
Cette expropriation avait défrayé la chronique dans cette partie de la vallée du fleuve Sénégal, devenue tristement célèbre après l’exécution de certains de ses habitants, notamment du chef de village de Sorimalé, par les fusiliers marins installés à Bababé. Il faut rappeler que quelques mois avant le débarquement de cet engin et de ses travailleurs, les propriétaires ont constaté sur les lieux la présence de personnes étrangères qui se sont aussitôt mises à abattre les arbres de leur périmètre en terres walo. Interrogés par lesdits propriétaires qui avaient réussi à arrêter, il y a quelque trente ans, le processus d’accaparement de leurs terres, les bûcherons leur ont répondu que ces coupes étaient autorisées. C’est donc après cette espèce de test que les travaux d’aménagement viennent d’être relancés.
Mobilisation
Les populations de Pedanjour, Garlol et environs, se sont immédiatement mobilisées et ont été vite rejointes par plusieurs autres. Onze chefs de villages se sont ainsi rendus à M’Bagne le 26 Mai pour protester et réclamer au préfet l’arrêt immédiat des travaux. Ce dernier, rapportent nos sources dignes de foi, leur a rétorqué qu’il ne pouvait le faire, le propriétaire des lieux détenant des documents officiels d’attribution de la plaine, et leur a demandé de joindre à leur plainte un fond de dossier, c’est-à-dire des titres fonciers ou des papiers prouvant que la terre leur appartient. Selon nos sources, les chefs de village n’auraient pas transmis fidèlement le message des populations, en particulier, les jeunes. Ces derniers avaient menacé d’arrêter eux-mêmes les travaux si le hakem ne le faisait pas. Les chefs revenus à demeure, voici que les esprits s’échauffent.
Une réunion est prévue le lendemain pour arrêter une nouvelle stratégie. Entre temps, l’affaire est portée sur les réseaux sociaux, particulièrement, WhatsApp. Les internautes dénoncent une nouvelle expropriation des terres de la vallée du fleuve Sénégal au profit d’hommes d’affaires mauritaniens et exhortent les populations à la résistance, comme celle des propriétaires de la plaine de Koylal, rebaptisé, il faut le souligner au passage, commune de M’Bagne, département éponyme. On se rappelle qu’en 2021, face à la puissante mobilisation des villages du département de M’Bagne, appuyée par les organisations de défense des droits de l’Homme et de la Société civile, la mise en œuvre du projet destiné, prétendait-on, aux rapatriés du Sénégal et aux autochtones, avait été stoppée et la Banque Mondiale qui le finançait avait suspendu son financement.
À Garlol, les populations ont choisi d’user de voies légales. Pour contester l’attribution de leurs plaines à ce monsieur qui daterait des années 90, les propriétaires ont fourni des documents, dont l’un date de 1911, reconnaissant leur droit. Mais le hakem n’a pas accepté de les reconnaître. « Toute propriété est régie par de nouveaux textes réglementaires », leur a-t-il signifié, remettant ainsi en cause le Droit coutumier. Les propriétaires n’en ont pas pour autant baissé les bras et se sont apprêtés à rencontrer le wali du Brakna qui aurait reçu des « instructions pour régler le différend ». Mais selon nos sources, celui-là aurait déjà renvoyé la délégation vers le hakem chargé de trouver une solution à ce problème tombé au mauvais moment pour les acteurs locaux de l’INSAF.
Certains de ceux-ci se demandent d’ailleurs si cette affaire ne vise pas à saborder leur campagne présidentielle, en ce que ce genre de situation pollue toujours les rapports entre les politiques et les populations locales qui ne manqueront pas de les traiter de « collabos ». Les candidats de l’opposition ne manqueraient certainement pas d’exploiter cette crise. Aussi plusieurs cadres et élus ont-ils rapidement activé leurs relations pour « éteindre l’incendie ». Tous sont conscients que seul le président de la République, voire son ministre de l’Intérieur, peut arrêter « cette espèce de provocation ».
Mais, à ce jour, le nouveau « propriétaire » poursuit ses travaux d’exploitation comme si de rien n’était. Une attitude qui révolte les populations locales. À en croire des sources fiables, elles pourraient descendre sur le périmètre pour contraindre les travailleurs à suspendre leurs travaux et quitter les lieux. Plus de onze villages seraient prêts à leur prêter main forte, comme à Koylal en 2021.
Le comité des sages avait sonné l’alerte
Cette expropriation intervient un mois à peine après le dépôt, le 13 Mai dernier, d’un mémorandum à l’appui d’une déclaration d’un comité de sages propriétaires terriens auprès du ministère de l’Agriculture. L’objectif de cette démarche était d’attirer l’attention des autorités mauritaniennes sur l’accaparement des terres de la vallée du fleuve Sénégal par d’autres mauritaniens ou par des multinationales. Ce mémorandum très fouillé documente les différentes formes de propriété en Mauritanie et les textes adoptés après l’Indépendance.
Dans leur déclaration distribuée lors d’une conférence de presse tenue le même jour au Forum national des organisations de défense des droits de l’Homme (FONADH), les sages invitaient le gouvernement à arrêter toute mesure foncière et agraire porteuse de conflit ; mettre un terme à une réforme agraire prise sous un régime d’exception imposée par un coup d’État ; et revenir au Droit coutumier islamique qui régit le foncier mauritanien depuis des siècles, favorisant une entente parfaite entre les différentes communautés nationales, à savoir les Maures, les Peuls, les Soninkés et les Wolofs.
Le comité des sages a ensuite demandé au gouvernement mauritanien de mettre en place un cadastre réactualisant la propriété, officialisée par titre foncier ; de manière à ce que chaque mauritanien puisse accéder à la terre chez lui ; que l’État et les bailleurs puissent en conséquence l’aider à demeurer en son terroir, à mettre en valeur celui-ci et à gagner ainsi sa vie, compétitif sur le marché national, voire mondial. Cela favorisera une politique d’accord tripartite gagnant-gagnant entre le propriétaire terrien, l’État et le bailleur national et/ou étranger. L’État jouera enfin son rôle régalien et veillera aux intérêts des citoyens et des bailleurs, en plein respect du Droit et dans l’impartialité totale. Mais quelle chance ce mémorandum et cette déclaration à déposer auprès des ministères de l’Intérieur, des Finances et du Développement économique ont-ils de prospérer auprès des autorités ? Question à un milliard impératif à une juste campagne présidentielle !
Dalay Lam
Source : Le Calame (Mauritanie)