L’opposition mauritanienne s’apprête à vivre une rude épreuve lors de la présidentielle de Juin prochain. Si elle a pu résister lors des élections locales de Mai 2023, en dépit de ses divisions et du rouleau compresseur de l’INSAF, elle va devoir relever de gros défis pour éviter une mort que d’aucuns présument certaine.
D’abord s’unir derrière un candidat unique afin d’affronter le candidat de la majorité ; c’est-à-dire, disons-le plus clairement, celui du système en place. Rares, pour ne pas dire rarissimes, ceux qui envisagent qu’elle puisse réussir ce pari. Depuis son apparition, elle n’est jamais parvenue à fédérer ses forces, hormis l’intermède de 1992-93. Un candidat indépendant – en l’occurrence Ahmed ould Daddah – était à l’époque venu la « sauver » in extrémis, alors qu’elle peinait à trouver en son sein un candidat unique disposant de moyens pour battre campagne contre un PRDS qui confondait sa poche et celles de l’État. Ould Daddah imprima à cette campagne sa marque indélébile. N’eut été la fraude à la soviétique, il aurait battu, sinon conduit à un second tour, Ould Taya.
Mais curieusement, cette espèce d’union sacrée, au lieu de consolider l’opposition, la fracassa en plusieurs groupes. Il aura fallu attendre dix-sept ans pour voir l’opposition désigner, en 2009, l’emblématique Messaoud ould Boulkheïr, président de l’Alliance Populaire Progressiste (APP). La Mauritanie s’apprêtait à sortir d’une transition militaire dirigée par le général Mohamed ould Abdel Aziz qui battra ledit candidat de l’opposition, certains des leaders de celle-ci, refusant, à l’instar d’Ahmed ould Daddah, de s’aligner derrière le candidat du Front National pour la Défense de la Démocratie (FNDD), constitué au lendemain du renversement par les militaires du président démocratiquement élu, feu Sidi ould Cheikh Abdallahi.
Mais le ver était déjà dans le fruit depuis l’élection de celui-ci en 2007. L’opposition avait alors raté l'occasion unique de se débarrer des militaires accrochés au pouvoir depuis 1978. Ahmed ould Daddah était pourtant parvenu à contraindre le candidat des militaires à un second tour. Mais Messaoud ould Boukheïr avait apporté son soutien à Sidi, une décision qui avait brisé un peu plus les rangs de l’opposition… Depuis, ses chefs n’arrivent pas à se départir de leur ego et de leurs intérêts égoïstes. Du coup, nombre de ses partisans ne cessent de s’interroger sur sa capacité à imposer une alternance au pouvoir et au système en place. Certains de ses cadres ayant trop « galéré » ont fini par rallier ou se rapprocher du pouvoir…
L’opposition peine également à réussir l’alternance générationnelle. Les vieux dirigeants de ses partis « traditionnels » s’entêtent à la tête de leur parti depuis 1992, congrès extraordinaires après congrès ordinaires qui les reconduisent toujours dans leur fonction. L’ex-président ould Abdel Aziz les traitait de « croulants ». Une situation cependant étrangère au parti Tawassoul qui vient d’élire son troisième président en 2023. Une exception qui confirme la règle et place ce parti au premier des organisations les plus démocratiques et représentatives des diverses composantes du pays. Bref, la jeunesse mauritanienne peine à se frayer un chemin. Pourquoi ? Un observateur a dit qu’elle était pire que la vieille garde…
« Anti-système » et jeunesse aux dents longues…
Parmi les nouveaux visages, on note celui de Biram Dah Abeïd, président du Mouvement Abolitionniste (IRA) et du parti non reconnu RAG. L’homme est issu d’un milieu haratine modeste. Très virulent et « antisystème », il s’est imposé en obtenant des scores honorables lors des deux présidentielles (2014 et 2019) auxquelles il a participé. Activiste des droits de l’Homme, Biram a réussi à démystifier plusieurs idées reçues du point de vue religieux et social en Mauritanie. La virulence de son discours mais aussi la justesse de son combat contre l’injustice et les inégalités dérangent les milieux religieux, les nationalistes arabes et même jusqu’au sommet de l’État. Le RAG se réclame, comme les FPC et l’AJD, de partis « anti-système ». Une raison suffisante pour le pouvoir de refuser de reconnaître les deux premiers. Du coup, l’homme peine à ratisser large du côté de la composante arabe du pays.
Mais en dépit de ces contraintes, il est arrivé, à la surprise générale, second lors de la dernière présidentielle très contestée et mouvementée de 2019, avec dix points de plus qu’à celle de 2014. Le voilà à nouveau candidat à celle de Juin prochain. Dans cette optique, il multiplie les démarches auprès des présidents des partis de l’opposition – « anti-système » surtout – pour les convaincre de l’urgence à unir leurs forces afin d’imposer une alternance. L’union est la condition sine qua non pour réussir ce pari, clame-t-il. Mais certains partis, notamment l’AJD, ayant déjà annoncé la candidature de leur chef, on reste sceptique sur les chances de voir aboutir ces tractations.
Nouveauté à souligner : la montée des jeunes lors des dernières municipales régionales et législatives. Dirigée par le FRUD, la Coalition Espoir Mauritanie 2023 a laissé une bonne place à la jeunesse dont l’entrée en scène a fait vibrer l’Hémicycle. Ils fourbissent leurs armes auprès des acteurs expérimentés et rompus aux empoignades politiques, comme Kadiata Malick Diallo, l’icône de l’opposition ou Ibrahima Moctar Sarr, désormais ancien président de l’AJD/MR.
Dernier défi, enfin : le déroulement d’élections inclusives et transparentes. Bâ Mamadou Moctar, le tout nouveau président de l’AJD, ne se fait guère d’illusion : le système ne l’acceptera pas ; mais ce n’est pas une raison pour le laisser seul dans l’arène. Les signataires du Pacte républicain pourraient-ils rallier les autres partis de l’opposition à leur projet et, partant, parvenir à l’organisation d’élections consensuelles ? Ceux qui avaient accepté de participer à des concertations en vue des élections locales passées, accepteraient-ils de rééditer une expérience qui s’est conclue, il faut le rappeler, par un scrutin contesté jusqu’au sein des partis de la majorité présidentielle ? Tout cela laisse à surtout parier que la présidentielle de Juin prochain aboutira à des repositionnements...
Dalay Lam
Source : Le Calame (Mauritanie) - Le 31 janvier 2024
D’abord s’unir derrière un candidat unique afin d’affronter le candidat de la majorité ; c’est-à-dire, disons-le plus clairement, celui du système en place. Rares, pour ne pas dire rarissimes, ceux qui envisagent qu’elle puisse réussir ce pari. Depuis son apparition, elle n’est jamais parvenue à fédérer ses forces, hormis l’intermède de 1992-93. Un candidat indépendant – en l’occurrence Ahmed ould Daddah – était à l’époque venu la « sauver » in extrémis, alors qu’elle peinait à trouver en son sein un candidat unique disposant de moyens pour battre campagne contre un PRDS qui confondait sa poche et celles de l’État. Ould Daddah imprima à cette campagne sa marque indélébile. N’eut été la fraude à la soviétique, il aurait battu, sinon conduit à un second tour, Ould Taya.
Mais curieusement, cette espèce d’union sacrée, au lieu de consolider l’opposition, la fracassa en plusieurs groupes. Il aura fallu attendre dix-sept ans pour voir l’opposition désigner, en 2009, l’emblématique Messaoud ould Boulkheïr, président de l’Alliance Populaire Progressiste (APP). La Mauritanie s’apprêtait à sortir d’une transition militaire dirigée par le général Mohamed ould Abdel Aziz qui battra ledit candidat de l’opposition, certains des leaders de celle-ci, refusant, à l’instar d’Ahmed ould Daddah, de s’aligner derrière le candidat du Front National pour la Défense de la Démocratie (FNDD), constitué au lendemain du renversement par les militaires du président démocratiquement élu, feu Sidi ould Cheikh Abdallahi.
Mais le ver était déjà dans le fruit depuis l’élection de celui-ci en 2007. L’opposition avait alors raté l'occasion unique de se débarrer des militaires accrochés au pouvoir depuis 1978. Ahmed ould Daddah était pourtant parvenu à contraindre le candidat des militaires à un second tour. Mais Messaoud ould Boukheïr avait apporté son soutien à Sidi, une décision qui avait brisé un peu plus les rangs de l’opposition… Depuis, ses chefs n’arrivent pas à se départir de leur ego et de leurs intérêts égoïstes. Du coup, nombre de ses partisans ne cessent de s’interroger sur sa capacité à imposer une alternance au pouvoir et au système en place. Certains de ses cadres ayant trop « galéré » ont fini par rallier ou se rapprocher du pouvoir…
L’opposition peine également à réussir l’alternance générationnelle. Les vieux dirigeants de ses partis « traditionnels » s’entêtent à la tête de leur parti depuis 1992, congrès extraordinaires après congrès ordinaires qui les reconduisent toujours dans leur fonction. L’ex-président ould Abdel Aziz les traitait de « croulants ». Une situation cependant étrangère au parti Tawassoul qui vient d’élire son troisième président en 2023. Une exception qui confirme la règle et place ce parti au premier des organisations les plus démocratiques et représentatives des diverses composantes du pays. Bref, la jeunesse mauritanienne peine à se frayer un chemin. Pourquoi ? Un observateur a dit qu’elle était pire que la vieille garde…
« Anti-système » et jeunesse aux dents longues…
Parmi les nouveaux visages, on note celui de Biram Dah Abeïd, président du Mouvement Abolitionniste (IRA) et du parti non reconnu RAG. L’homme est issu d’un milieu haratine modeste. Très virulent et « antisystème », il s’est imposé en obtenant des scores honorables lors des deux présidentielles (2014 et 2019) auxquelles il a participé. Activiste des droits de l’Homme, Biram a réussi à démystifier plusieurs idées reçues du point de vue religieux et social en Mauritanie. La virulence de son discours mais aussi la justesse de son combat contre l’injustice et les inégalités dérangent les milieux religieux, les nationalistes arabes et même jusqu’au sommet de l’État. Le RAG se réclame, comme les FPC et l’AJD, de partis « anti-système ». Une raison suffisante pour le pouvoir de refuser de reconnaître les deux premiers. Du coup, l’homme peine à ratisser large du côté de la composante arabe du pays.
Mais en dépit de ces contraintes, il est arrivé, à la surprise générale, second lors de la dernière présidentielle très contestée et mouvementée de 2019, avec dix points de plus qu’à celle de 2014. Le voilà à nouveau candidat à celle de Juin prochain. Dans cette optique, il multiplie les démarches auprès des présidents des partis de l’opposition – « anti-système » surtout – pour les convaincre de l’urgence à unir leurs forces afin d’imposer une alternance. L’union est la condition sine qua non pour réussir ce pari, clame-t-il. Mais certains partis, notamment l’AJD, ayant déjà annoncé la candidature de leur chef, on reste sceptique sur les chances de voir aboutir ces tractations.
Nouveauté à souligner : la montée des jeunes lors des dernières municipales régionales et législatives. Dirigée par le FRUD, la Coalition Espoir Mauritanie 2023 a laissé une bonne place à la jeunesse dont l’entrée en scène a fait vibrer l’Hémicycle. Ils fourbissent leurs armes auprès des acteurs expérimentés et rompus aux empoignades politiques, comme Kadiata Malick Diallo, l’icône de l’opposition ou Ibrahima Moctar Sarr, désormais ancien président de l’AJD/MR.
Dernier défi, enfin : le déroulement d’élections inclusives et transparentes. Bâ Mamadou Moctar, le tout nouveau président de l’AJD, ne se fait guère d’illusion : le système ne l’acceptera pas ; mais ce n’est pas une raison pour le laisser seul dans l’arène. Les signataires du Pacte républicain pourraient-ils rallier les autres partis de l’opposition à leur projet et, partant, parvenir à l’organisation d’élections consensuelles ? Ceux qui avaient accepté de participer à des concertations en vue des élections locales passées, accepteraient-ils de rééditer une expérience qui s’est conclue, il faut le rappeler, par un scrutin contesté jusqu’au sein des partis de la majorité présidentielle ? Tout cela laisse à surtout parier que la présidentielle de Juin prochain aboutira à des repositionnements...
Dalay Lam
Source : Le Calame (Mauritanie) - Le 31 janvier 2024