A/ Témoignage du neveu de la victime, reçu, par SOS Esclaves, le 28 mars 2006
Je me nomme Ahmed Ould Lagdaf, né en 1975 à Moudjéria, fils de Mohamed Ould Lagdaf et de Tenja Mint El Mijriya
Le Maître s’appelle N’Dahid Ould Mohamed Dahid, de la tribu maraboutique Ehl Ebbat ; il est le propriétaire de mon oncle, Sidi Ould El Mijriya, de ma mère et, par conséquent, de moi-même ; c’est ainsi que notre communauté nous relègue au statut d’esclaves. Dahid nous a rendu visite à Daber II, dans la commune de Soudoud Achram, département de Moudjéria, région du Tagant. Là, vit une communauté de Hratine (esclaves et affranchis) pratiquant l’élevage et l’agriculture. Ils reçoivent souvent la visite de leur maîtres ancien maîtres, qui viennent leur soutirer une partie du fruit de la récolte et/ou du maigre bétail.
N’Dahid est venu dire - plutôt rappeler - à mon oncle Sidi, qu’il est son esclave et, de ce fait, ses biens lui appartiennent ; aussi lui a-il dit, en substance : « si tu veux, je t’accorde ta liberté, en contrepartie de la valeur de 200.000 ouguiya ( soit 500 euro), que je prendrai en valeur de têtes de bétail » ; l’évaluation correspondait à une vache en passe de mettre bas, cinq chèvres et un bouc, tous choisis par Dahid. Il fut ainsi décidé et le marché conclu. Les deux parties ont sollicité le témoignage de la Jemaa des paysans de l’Oued, dont le chef se nomme Dangui Ould Ahmed Abd. L’acte a été écrit, attestant l’accord des deux parties, avec la signature de huit témoins présents.
Lorsque j’ai appris ce qui s’est passé, je me suis empressé de voir N’Dahid, pour lui dire que je ne suis pas d’accord avec cette pratique d’exploitation, alors que l’esclavage est aboli ; aussi, je considère qu’il est en infraction et vais avertir les autorités parce que je suis révolté que l’on agisse encore ainsi, dans les lieux où j’habite, en plus, au détriment de mes parents. Dahid m’a répondu que, moi-même et Sidi sommes ses esclaves, sa propriété, dont il dispose comme il le souhaite. Il a ajouté que je lui manquais de respect.
Je l’ai quitté pour voir mon oncle Sidi et le convaincre de revenir sur sa décision de racheter sa liberté; il reconnaît m’avoir caché la transaction, sachant bien que j’allais m’y opposer. A présent, il me demande de laisser ce problème ; son épouse m’a aussi fait une demande dans ce sens. Je leur ai répondu que j’avertirai les autorités, dans tous les cas. Sidi m’a dit qu’il ne peut plus revenir sur l’accord avec le maître.
Je suis allé voir Dangui Ould Ahmed Abd, le chef de campement, pour lui demander de m’aider à convaincre mes parents de dénoncer cette transaction esclavagiste. Dangui et les autres m’ont dit qu’ils voient d’un mauvais œil ce rachat de liberté mais ne peuvent rien y faire contre les volontés du maître et de l’esclave, qui se recoupent, toutes les deux. Cependant, ils ne voient aucun inconvénient que quelqu’un comme moi (un proche parent de Sidi), alerte les autorités, pour savoir quelle sera leur réaction.
Je suis parti avertir les chefs locaux du PRDS1 que sont Beckaye Ould Elemine, Sid Ahmed Ould Ahmed et Machinou Ould Imijine ; toutes ces personnes ont été unanimes à me conseiller d’avertir, rapidement. Je suis revenu voir N’Dahid, pour le raisonner, toujours en vain. J’ai voyagé, sur une monture, jusqu’à Moudjéria et me suis rendu, alors, à la maison du Hakem ( Préfet ), monsieur Kaw Diakité ; ce dernier ne m’a pas cru et, d’emblée, m’a traité de menteur ; cependant, après avoir entendu les détails, il m’ a dit d’aller voir la gendarmerie, qu’il va appeler lui-même ; finalement nous sommes arrivés à la brigade ; le Hakem, lui-même, a raconté les faits au commandant ; celui-ci réagit en disant que ces faits ne peuvent pas avoir lieu dans le pays et m’a demandé de les raconter, moi-même ; à la fin de mon récit, il m’a dit que ces actes étaient interdits en Mauritanie depuis 46 ans et m’a demandé : « pourquoi vous n’avez pas frappé et même tué ce N’Dahid » ?. Je lui ai répondit que l’on ne doit pas frapper ni tuer les gens mais seulement solliciter l’intervention des autorités. Il m’a dit, ensuite : « est-ce que tu sais que si nous partons faire l’enquête et nous trouvons que ta déclaration est inexacte, tu vas le regretter, parce que je te châtierai durement, la foudre va te tomber dessus ? »
Je lui ai répondu que j’assume toutes les conséquences de mon témoignage. Je lui ai dit : « dans le cas où vous trouvez que mon récit est la vérité et verrez les papiers de la transaction et autres preuves, qu’est-ce que vous allez faire ? » Il n’a pas répondu et s’est tu.
Les gendarmes sont allés à Daber II et ont trouvé que N’Dahid venait de vendre les chèvres fruit de la transaction ; ils l’on emmené, avec mon oncle Sidi, à la brigade de Moudjéria puis à la compagnie de gendarmerie de Tidjikja ; la victime et son maître furent ainsi retenus, en garde à vue, pendant dix jours. Suite à leur élargissement, ils durent habiter chez des connaissances dans la ville mais, pendant 3 jours encore, ils furent contraints de se présenter, chaque matin, à la gendarmerie. Enfin ils ont été libérés et autorisés à retourner, dans leur village ; Sidi, mon oncle persiste à dire qu’il ne se plaint pas de N’Dahid. Les gendarmes ont confisqué le papier de rachat de liberté qui contient la transaction.
B/ Avis de SOS Esclaves :
Notre association a vérifié l’exactitude du témoignage ; les plus hautes autorités, en la personne du Colonel Ould Bekrine, Chef d’Etat Major de la Gendarmerie Nationale, ont donné instruction d’arrêter, immédiatement, cet acte de rachat et d’enquêter, sans complaisance ; néanmoins, comme dans les cas similaires, la justice n’a engagé aucune action contre le maître. Autre difficulté, la victime était consentante.
Cet exemple intervient quelques jours après une journée de concertation sur l’esclavage, au cours de laquelle les nouvelles autorités ont permis un débat public, exceptionnellement franc et documenté sur la question. SOS Esclaves s’en est félicité mais réclame, toujours, une législation spécifique contre les pratiques esclavagistes, notamment les récidives, les abus sexuels et l’exploitation des enfants.
Pour le Bureau d’Exécution de SOS Esclaves
Le Président, Boubacar Messaoud
Nouakchott, le 05/04/ 2006
Je me nomme Ahmed Ould Lagdaf, né en 1975 à Moudjéria, fils de Mohamed Ould Lagdaf et de Tenja Mint El Mijriya
Le Maître s’appelle N’Dahid Ould Mohamed Dahid, de la tribu maraboutique Ehl Ebbat ; il est le propriétaire de mon oncle, Sidi Ould El Mijriya, de ma mère et, par conséquent, de moi-même ; c’est ainsi que notre communauté nous relègue au statut d’esclaves. Dahid nous a rendu visite à Daber II, dans la commune de Soudoud Achram, département de Moudjéria, région du Tagant. Là, vit une communauté de Hratine (esclaves et affranchis) pratiquant l’élevage et l’agriculture. Ils reçoivent souvent la visite de leur maîtres ancien maîtres, qui viennent leur soutirer une partie du fruit de la récolte et/ou du maigre bétail.
N’Dahid est venu dire - plutôt rappeler - à mon oncle Sidi, qu’il est son esclave et, de ce fait, ses biens lui appartiennent ; aussi lui a-il dit, en substance : « si tu veux, je t’accorde ta liberté, en contrepartie de la valeur de 200.000 ouguiya ( soit 500 euro), que je prendrai en valeur de têtes de bétail » ; l’évaluation correspondait à une vache en passe de mettre bas, cinq chèvres et un bouc, tous choisis par Dahid. Il fut ainsi décidé et le marché conclu. Les deux parties ont sollicité le témoignage de la Jemaa des paysans de l’Oued, dont le chef se nomme Dangui Ould Ahmed Abd. L’acte a été écrit, attestant l’accord des deux parties, avec la signature de huit témoins présents.
Lorsque j’ai appris ce qui s’est passé, je me suis empressé de voir N’Dahid, pour lui dire que je ne suis pas d’accord avec cette pratique d’exploitation, alors que l’esclavage est aboli ; aussi, je considère qu’il est en infraction et vais avertir les autorités parce que je suis révolté que l’on agisse encore ainsi, dans les lieux où j’habite, en plus, au détriment de mes parents. Dahid m’a répondu que, moi-même et Sidi sommes ses esclaves, sa propriété, dont il dispose comme il le souhaite. Il a ajouté que je lui manquais de respect.
Je l’ai quitté pour voir mon oncle Sidi et le convaincre de revenir sur sa décision de racheter sa liberté; il reconnaît m’avoir caché la transaction, sachant bien que j’allais m’y opposer. A présent, il me demande de laisser ce problème ; son épouse m’a aussi fait une demande dans ce sens. Je leur ai répondu que j’avertirai les autorités, dans tous les cas. Sidi m’a dit qu’il ne peut plus revenir sur l’accord avec le maître.
Je suis allé voir Dangui Ould Ahmed Abd, le chef de campement, pour lui demander de m’aider à convaincre mes parents de dénoncer cette transaction esclavagiste. Dangui et les autres m’ont dit qu’ils voient d’un mauvais œil ce rachat de liberté mais ne peuvent rien y faire contre les volontés du maître et de l’esclave, qui se recoupent, toutes les deux. Cependant, ils ne voient aucun inconvénient que quelqu’un comme moi (un proche parent de Sidi), alerte les autorités, pour savoir quelle sera leur réaction.
Je suis parti avertir les chefs locaux du PRDS1 que sont Beckaye Ould Elemine, Sid Ahmed Ould Ahmed et Machinou Ould Imijine ; toutes ces personnes ont été unanimes à me conseiller d’avertir, rapidement. Je suis revenu voir N’Dahid, pour le raisonner, toujours en vain. J’ai voyagé, sur une monture, jusqu’à Moudjéria et me suis rendu, alors, à la maison du Hakem ( Préfet ), monsieur Kaw Diakité ; ce dernier ne m’a pas cru et, d’emblée, m’a traité de menteur ; cependant, après avoir entendu les détails, il m’ a dit d’aller voir la gendarmerie, qu’il va appeler lui-même ; finalement nous sommes arrivés à la brigade ; le Hakem, lui-même, a raconté les faits au commandant ; celui-ci réagit en disant que ces faits ne peuvent pas avoir lieu dans le pays et m’a demandé de les raconter, moi-même ; à la fin de mon récit, il m’a dit que ces actes étaient interdits en Mauritanie depuis 46 ans et m’a demandé : « pourquoi vous n’avez pas frappé et même tué ce N’Dahid » ?. Je lui ai répondit que l’on ne doit pas frapper ni tuer les gens mais seulement solliciter l’intervention des autorités. Il m’a dit, ensuite : « est-ce que tu sais que si nous partons faire l’enquête et nous trouvons que ta déclaration est inexacte, tu vas le regretter, parce que je te châtierai durement, la foudre va te tomber dessus ? »
Je lui ai répondu que j’assume toutes les conséquences de mon témoignage. Je lui ai dit : « dans le cas où vous trouvez que mon récit est la vérité et verrez les papiers de la transaction et autres preuves, qu’est-ce que vous allez faire ? » Il n’a pas répondu et s’est tu.
Les gendarmes sont allés à Daber II et ont trouvé que N’Dahid venait de vendre les chèvres fruit de la transaction ; ils l’on emmené, avec mon oncle Sidi, à la brigade de Moudjéria puis à la compagnie de gendarmerie de Tidjikja ; la victime et son maître furent ainsi retenus, en garde à vue, pendant dix jours. Suite à leur élargissement, ils durent habiter chez des connaissances dans la ville mais, pendant 3 jours encore, ils furent contraints de se présenter, chaque matin, à la gendarmerie. Enfin ils ont été libérés et autorisés à retourner, dans leur village ; Sidi, mon oncle persiste à dire qu’il ne se plaint pas de N’Dahid. Les gendarmes ont confisqué le papier de rachat de liberté qui contient la transaction.
B/ Avis de SOS Esclaves :
Notre association a vérifié l’exactitude du témoignage ; les plus hautes autorités, en la personne du Colonel Ould Bekrine, Chef d’Etat Major de la Gendarmerie Nationale, ont donné instruction d’arrêter, immédiatement, cet acte de rachat et d’enquêter, sans complaisance ; néanmoins, comme dans les cas similaires, la justice n’a engagé aucune action contre le maître. Autre difficulté, la victime était consentante.
Cet exemple intervient quelques jours après une journée de concertation sur l’esclavage, au cours de laquelle les nouvelles autorités ont permis un débat public, exceptionnellement franc et documenté sur la question. SOS Esclaves s’en est félicité mais réclame, toujours, une législation spécifique contre les pratiques esclavagistes, notamment les récidives, les abus sexuels et l’exploitation des enfants.
Pour le Bureau d’Exécution de SOS Esclaves
Le Président, Boubacar Messaoud
Nouakchott, le 05/04/ 2006