Les nationalistes negro-mauritaniens se divisent. La semaine dernière, 300 militants des Forces de libération africaine de Mauritanie (Flam, opposition en exil), ont décidé de quitter le mouvement. Ils viennent de se doter d’une nouvelle structure dénommée Flam/Rénovation. Dans l’entretien qui suit, Mamadou Bocar Ba, son président, explique les raisons du divorce.
Vous êtes le président du mouvement Flam/Rénovation, la nouvelle organisation politique née d’une scission qui a éclaté la semaine dernière au sein des Forces de libération africaines de Mauritanie (Flam). Quelles sont les raisons de cette séparation ?
Depuis quelques temps, des divergences de stratégie nous opposaient à certains de nos amis au sein de la direction des Flam. Elles rendaient difficile la poursuite ensemble du combat qui est le notre : la cause des populations noires en Mauritanie. L’origine de cette situation remonte au dernier congrès de notre organisation qui s’est ténu fin décembre aux Etats-Unis.
Le congrès devait confirmer l’abandon définitif, suite à la chute du régime de Maaouiya Ould Taya, de l’option militaire décidée à Dakar par l’ensemble des forces patriotiques dont les Flam, qui avaient un moment adopté une telle stratégie de lutte. Après quoi, elle devait examiner les nouvelles perspectives de lutte que notre mouvement devait adopter. La question était de savoir,si après la confirmation de l’abandon de la lutte armée il n’était pas opportun d’envisager une implication directe de notre organisation dans le processus de transition actuellement en cours en Mauritanie. Contrairement aux autres membres de la direction, certains cadres, dont moi-même,avons estimé que les circonstances qui étaient été à l’origine de notre refus de prendre part à la vie politique sous l’ancien régime ayant cessé, il n’y avait plus de raison de continuer à rester à l’écart de la vie politique dans le pays. Aujourd’hui, il n’y a plus de répression, un nouveau climat politique règne en Mauritanie et notre renonciation à la lutte armée sont des éléments qui militent pour notre implication.
Selon notre analyse de la situation, nous devons saisir l’occasion. Nous ne voulons pas répéter les erreurs de certains mouvements d’opposition ou de libération nationale qui faute d’avoir analysé certaines circonstances avec lucidité ont fini par se retrouver isolés ou ont complètement disparu. Le dernier exemple qui me vient à l’esprit est le cas de la gauche palestinienne. Après les accords de paix d’Oslo, elle a accusé Arafat de jouer le supplétif d’Israël, et voilà que maintenant elle est complètement écartée de la scène politique palestinienne où les islamistes du Hamas, pourtant beaucoup plus récent, est venu s’imposer comme acteur majeur.
Voulez-vous donc inscrire votre action dans le processus de transition en cours en Mauritanie ?
Absolument. Cela va de soi. En politique, quand on change de stratégie de lutte et qu’on entend continuer le combat, il faut envisager d’autres moyens. Nous avons abandonné la lutte armée sans pour autant abandonner notre combat, il faut alors que nous soyons conséquent : investir le terrain politique en Mauritanie par la voie pacifique et légale. Bref la lutte des Négro-mauritaniens doit désormais se faire en d’abord Mauritanie.
Flam/Rénovation vont-ils se transformer en parti politique en Mauritanie ?
A ce stade, le plus important pour nous, c’est de ne pas rester en dehors de ce qui se passe actuellement chez nous. Le climat qui règne en ce moment laisse croire que le pays est peut-être entré dans une période décisive qui marquera pour longtemps son destin. Comme tous les autres acteurs politiques mauritaniens, il est de notre devoir d’apporter notre concours au processus actuel. Peu importe la manière. Que nous nous organisions en parti politique autonome ou que nous nous allions avec d’autres forces, l’essentiel est que la cause qui est la notre puisse trouver le meilleur cadre pour être portée au plus haut degré des préoccupations nationales et éviter donc d’être marginalisée.
Avec vos anciens camarades, vous faisiez du retour de déportés expulsés dans la foulée des événement entre la Mauritanie et le Sénégal en 1989 et du jugement des responsables des exactions qui ont visé les populations noires entre 1989 et 1991, un élément important de votre combat, contre l’ancien régime. Ses successeurs n’ont pourtant pas modifié la position de l’Etat sur ces questions. Gardez-vous les mêmes positions ?
Abandonner la lutte armée et s’impliquer dans la transition ne signifie absolument pas que nous ne faisons plus de ces questions des sujets importants. Loin de là. Nous restons attachés au règlement de ces questions que nous voulons d’ailleurs porter au cœur du débat actuellement en cours dans le pays. Tout comme le problème plus global de la cohabitation inter-communautaire en Mauritanie et le problème de l’esclavage sans oublier les problèmes de tribalisme,népotisme,la gabegie…
La mouvance dont vous êtes issus n’a pas toujours été bien appréciée en Mauritanie. Les plus indulgents estiment que la publication de votre fameux manifeste en 1986, puis la tentative de coup d’Etat avortée menée par des éléments proches des Flam, qui ont servi de prétexte à la vague de répression contre les Noirs en Mauritanie, n’ont pas tenu compte du rapport de force réel entre les communautés. Ils vous tiennent donc pour responsable en partie des exactions dont votre communauté a été victime par la suite. Les plus sévères, eux, vous accusent tout simplement d’être`racistes, anti-arabes, puisque vous contestiez l’arabisation, parliez de «Système Beydane» ou d’«Apartheid mauritanien». Ils vous accusent même d’avoir été derrière la dégradation des relations avec le Sénégal, qui a conduit aux massacres inter-ethniques qui ont eu lieu en 1989 de part et d’autre de la frontière entre les deux pays. Vous ne craignez donc pas d’être mal accueillis en Mauritanie?
Nous ne nous impliquons pas dans le processus pour plaire. Notre objectif est de continuer notre combat avec les armes qui sont les mieux indiquées aujourd’hui : le débat d’idées et la mobilisation pacifique. Cela dit, sur l’opportunité d’avoir choisi de rompre le silence sur la situation des Noirs en Mauritanie, ou le choix fait par d’autres Noirs de faire un coup d’Etat, il me semble évident qu’à l’époque ces actions étaient inévitables. Soit nous continuons à nous taire et la situation de notre communauté allait s’aggraver ou nous lever pour attirer l’attention sur la situation grave des négro-mauritaniens. Notre action au contraire a été bénéfique, aussi bien pour notre communauté que pour le pays lui-même.
En Mauritanie, hier seuls les Noirs avaient conscience qu’ils étaient exclus. La majorité des Arabes ne voyaient pas cette exclusion. Aujourd’hui je pense qu’ils sont nombreux parmi cette communauté à être désormais conscients de l’inégalité de traitement qu’il y a dans le pays entre un arabe et un Noir. Parfois, ils l’expriment dans des termes beaucoup plus durs que ceux que peut avoir n’importe quel nationaliste noir. Je pense notamment à beaucoup de partis de l’opposition légale à l’ancien régime.
Il est vrai que pour certains de nos compatriotes Arabes, la mouvance historique à laquelle nous appartenons est considérée comme hostile à cette communauté. Ce qui pourtant est particulièrement faux. Sur notre position vis à vis des Arabes et de leur présence en Mauritanie, il faut lire le manifeste de 1986. Certes nous avons parlé de « système Beydane » et « Apartheid mauritanien », ce qui peut paraître un peu trop fort pour décrire la réalité en Mauritanie. Mais c’était pour faire passer un message fort en direction de la communauté internationale en attirant son attention sur la gravité de la situation des noirs dans le pays. Pour le reste, à aucun moment, nous nous sommes attaqués à la communauté en tant que telle. Ce que nous avons dénoncé, c’est la sous-représentation des Noirs dans les sphères du pouvoir et leur marginalisation dans l’appareil d’Etat et dans tous les secteurs de la vie nationale. Nous réclamions tout simplement un partage du pouvoir équitable qui reflète la réalité du pays.
La Mauritanie est un pays pluriculturel. C’est dans ce même esprit que nous avons aussi parlé de l’arabisation. L’Arabe est une langue nationale. On ne peut pas lui contester un tel statut. Au contraire, il faut qu’elle ait sa place dans ce pays. Mais cela ne doit pas se faire au détriment des autres langues nationales, le Pular, le Soninké et le Ouolof. Elles méritent elles aussi d’être officialisées, enseignées et donner les mêmes perspectives et chances que l’arabe. C’est une question de bon sens. Cette accusation de racisme anti-arabe est donc injuste. En fait, elle relève de la propagande que l’ancien régime a réussi à répandre dans certains esprits. Ses services ne nous ont-ils pas pendant longtemps accusés d’être liés aux milieux sionistes internationaux, avant que par ses propres actes il vienne se démentir lui-même en établissant des relations diplomatiques avec Israël ?
Le même procédé de la manipulation est d’ailleurs celui qui nous vaut aussi d’être perçu par certains comme impliqués dans la crise de 1989 avec le Sénégal et les regrettables massacres qu’elle a provoqués. A cette période la direction du mouvement était entièrement en détention en Mauritanie. Nous ne pouvions donc pas être à la fois en prison et être dans les rues du Sénégal pour massacrer nos compatriotes Arabes. Ce qui leur est arrivé est aussi à déplorer que les pillages et massacres de Sénégalais et de Noirs mauritaniens qui ont eu lieu un peu partout à travers notre pays.
Propos recueillis depuis Paris par Lamine FALL
Vous êtes le président du mouvement Flam/Rénovation, la nouvelle organisation politique née d’une scission qui a éclaté la semaine dernière au sein des Forces de libération africaines de Mauritanie (Flam). Quelles sont les raisons de cette séparation ?
Depuis quelques temps, des divergences de stratégie nous opposaient à certains de nos amis au sein de la direction des Flam. Elles rendaient difficile la poursuite ensemble du combat qui est le notre : la cause des populations noires en Mauritanie. L’origine de cette situation remonte au dernier congrès de notre organisation qui s’est ténu fin décembre aux Etats-Unis.
Le congrès devait confirmer l’abandon définitif, suite à la chute du régime de Maaouiya Ould Taya, de l’option militaire décidée à Dakar par l’ensemble des forces patriotiques dont les Flam, qui avaient un moment adopté une telle stratégie de lutte. Après quoi, elle devait examiner les nouvelles perspectives de lutte que notre mouvement devait adopter. La question était de savoir,si après la confirmation de l’abandon de la lutte armée il n’était pas opportun d’envisager une implication directe de notre organisation dans le processus de transition actuellement en cours en Mauritanie. Contrairement aux autres membres de la direction, certains cadres, dont moi-même,avons estimé que les circonstances qui étaient été à l’origine de notre refus de prendre part à la vie politique sous l’ancien régime ayant cessé, il n’y avait plus de raison de continuer à rester à l’écart de la vie politique dans le pays. Aujourd’hui, il n’y a plus de répression, un nouveau climat politique règne en Mauritanie et notre renonciation à la lutte armée sont des éléments qui militent pour notre implication.
Selon notre analyse de la situation, nous devons saisir l’occasion. Nous ne voulons pas répéter les erreurs de certains mouvements d’opposition ou de libération nationale qui faute d’avoir analysé certaines circonstances avec lucidité ont fini par se retrouver isolés ou ont complètement disparu. Le dernier exemple qui me vient à l’esprit est le cas de la gauche palestinienne. Après les accords de paix d’Oslo, elle a accusé Arafat de jouer le supplétif d’Israël, et voilà que maintenant elle est complètement écartée de la scène politique palestinienne où les islamistes du Hamas, pourtant beaucoup plus récent, est venu s’imposer comme acteur majeur.
Voulez-vous donc inscrire votre action dans le processus de transition en cours en Mauritanie ?
Absolument. Cela va de soi. En politique, quand on change de stratégie de lutte et qu’on entend continuer le combat, il faut envisager d’autres moyens. Nous avons abandonné la lutte armée sans pour autant abandonner notre combat, il faut alors que nous soyons conséquent : investir le terrain politique en Mauritanie par la voie pacifique et légale. Bref la lutte des Négro-mauritaniens doit désormais se faire en d’abord Mauritanie.
Flam/Rénovation vont-ils se transformer en parti politique en Mauritanie ?
A ce stade, le plus important pour nous, c’est de ne pas rester en dehors de ce qui se passe actuellement chez nous. Le climat qui règne en ce moment laisse croire que le pays est peut-être entré dans une période décisive qui marquera pour longtemps son destin. Comme tous les autres acteurs politiques mauritaniens, il est de notre devoir d’apporter notre concours au processus actuel. Peu importe la manière. Que nous nous organisions en parti politique autonome ou que nous nous allions avec d’autres forces, l’essentiel est que la cause qui est la notre puisse trouver le meilleur cadre pour être portée au plus haut degré des préoccupations nationales et éviter donc d’être marginalisée.
Avec vos anciens camarades, vous faisiez du retour de déportés expulsés dans la foulée des événement entre la Mauritanie et le Sénégal en 1989 et du jugement des responsables des exactions qui ont visé les populations noires entre 1989 et 1991, un élément important de votre combat, contre l’ancien régime. Ses successeurs n’ont pourtant pas modifié la position de l’Etat sur ces questions. Gardez-vous les mêmes positions ?
Abandonner la lutte armée et s’impliquer dans la transition ne signifie absolument pas que nous ne faisons plus de ces questions des sujets importants. Loin de là. Nous restons attachés au règlement de ces questions que nous voulons d’ailleurs porter au cœur du débat actuellement en cours dans le pays. Tout comme le problème plus global de la cohabitation inter-communautaire en Mauritanie et le problème de l’esclavage sans oublier les problèmes de tribalisme,népotisme,la gabegie…
La mouvance dont vous êtes issus n’a pas toujours été bien appréciée en Mauritanie. Les plus indulgents estiment que la publication de votre fameux manifeste en 1986, puis la tentative de coup d’Etat avortée menée par des éléments proches des Flam, qui ont servi de prétexte à la vague de répression contre les Noirs en Mauritanie, n’ont pas tenu compte du rapport de force réel entre les communautés. Ils vous tiennent donc pour responsable en partie des exactions dont votre communauté a été victime par la suite. Les plus sévères, eux, vous accusent tout simplement d’être`racistes, anti-arabes, puisque vous contestiez l’arabisation, parliez de «Système Beydane» ou d’«Apartheid mauritanien». Ils vous accusent même d’avoir été derrière la dégradation des relations avec le Sénégal, qui a conduit aux massacres inter-ethniques qui ont eu lieu en 1989 de part et d’autre de la frontière entre les deux pays. Vous ne craignez donc pas d’être mal accueillis en Mauritanie?
Nous ne nous impliquons pas dans le processus pour plaire. Notre objectif est de continuer notre combat avec les armes qui sont les mieux indiquées aujourd’hui : le débat d’idées et la mobilisation pacifique. Cela dit, sur l’opportunité d’avoir choisi de rompre le silence sur la situation des Noirs en Mauritanie, ou le choix fait par d’autres Noirs de faire un coup d’Etat, il me semble évident qu’à l’époque ces actions étaient inévitables. Soit nous continuons à nous taire et la situation de notre communauté allait s’aggraver ou nous lever pour attirer l’attention sur la situation grave des négro-mauritaniens. Notre action au contraire a été bénéfique, aussi bien pour notre communauté que pour le pays lui-même.
En Mauritanie, hier seuls les Noirs avaient conscience qu’ils étaient exclus. La majorité des Arabes ne voyaient pas cette exclusion. Aujourd’hui je pense qu’ils sont nombreux parmi cette communauté à être désormais conscients de l’inégalité de traitement qu’il y a dans le pays entre un arabe et un Noir. Parfois, ils l’expriment dans des termes beaucoup plus durs que ceux que peut avoir n’importe quel nationaliste noir. Je pense notamment à beaucoup de partis de l’opposition légale à l’ancien régime.
Il est vrai que pour certains de nos compatriotes Arabes, la mouvance historique à laquelle nous appartenons est considérée comme hostile à cette communauté. Ce qui pourtant est particulièrement faux. Sur notre position vis à vis des Arabes et de leur présence en Mauritanie, il faut lire le manifeste de 1986. Certes nous avons parlé de « système Beydane » et « Apartheid mauritanien », ce qui peut paraître un peu trop fort pour décrire la réalité en Mauritanie. Mais c’était pour faire passer un message fort en direction de la communauté internationale en attirant son attention sur la gravité de la situation des noirs dans le pays. Pour le reste, à aucun moment, nous nous sommes attaqués à la communauté en tant que telle. Ce que nous avons dénoncé, c’est la sous-représentation des Noirs dans les sphères du pouvoir et leur marginalisation dans l’appareil d’Etat et dans tous les secteurs de la vie nationale. Nous réclamions tout simplement un partage du pouvoir équitable qui reflète la réalité du pays.
La Mauritanie est un pays pluriculturel. C’est dans ce même esprit que nous avons aussi parlé de l’arabisation. L’Arabe est une langue nationale. On ne peut pas lui contester un tel statut. Au contraire, il faut qu’elle ait sa place dans ce pays. Mais cela ne doit pas se faire au détriment des autres langues nationales, le Pular, le Soninké et le Ouolof. Elles méritent elles aussi d’être officialisées, enseignées et donner les mêmes perspectives et chances que l’arabe. C’est une question de bon sens. Cette accusation de racisme anti-arabe est donc injuste. En fait, elle relève de la propagande que l’ancien régime a réussi à répandre dans certains esprits. Ses services ne nous ont-ils pas pendant longtemps accusés d’être liés aux milieux sionistes internationaux, avant que par ses propres actes il vienne se démentir lui-même en établissant des relations diplomatiques avec Israël ?
Le même procédé de la manipulation est d’ailleurs celui qui nous vaut aussi d’être perçu par certains comme impliqués dans la crise de 1989 avec le Sénégal et les regrettables massacres qu’elle a provoqués. A cette période la direction du mouvement était entièrement en détention en Mauritanie. Nous ne pouvions donc pas être à la fois en prison et être dans les rues du Sénégal pour massacrer nos compatriotes Arabes. Ce qui leur est arrivé est aussi à déplorer que les pillages et massacres de Sénégalais et de Noirs mauritaniens qui ont eu lieu un peu partout à travers notre pays.
Propos recueillis depuis Paris par Lamine FALL