Très chers compatriotes,
Je suis mauritanien; je suis né à Kankossa. Mon père est mauritanien; il est né à Harsounde Fulbe. Oui, c’est en Mauritanie aussi! D’ailleurs, il a passé une bonne partie de sa vie au service de l’administration de son pays: de Saint-Louis à Port-Etienne et de Rosso à Kankossa en passant par Nouakchott. C’est à partir de Kankossa, ma ville natale, qu’il fut arrêté puis transféré à Kiffa où il fut d’abord mis en résidence surveillée pendant quelques semaines avant d’être placé en détention au commissariat de police de Kiffa. Je le rejoignis plus tard dans ce centre de détention. J’ai passé mes examens de fin d’année alors que j’étais résident de ces lieux. J’attendais chaque matin l’autorisation de l’adjudant Chef Oumar Diarra pour aller passer mes examens avant de retourner au centre carcéral. C’est aussi ici qu’un ami m’a communiqué les résultats de nos examens. Oui, dans ce lieu de détention, nous connûmes la solitude, l’inquiétude et la torture psychologique. Nous vîmes le pire que l’humanité avait à offrir en Mauritanie. Nous restâmes dans ce lieu jusqu’au jour de notre déportation vers le Sénégal. C’est de cette façon que la Mauritanie remercia mon père pour ses 29 ans de service dans l’administration douanière. Vous comprenez peut être mieux pourquoi, bientôt, je fêterai 29 ans d’exil.
J’ai toujours pensé que les vagues d’injustice venant de la Mauritanie finiront par rompre ma fibre patriotique. Hélas! Tel ne fut pas encore le cas. C’est donc de ce lieu macabre que nous fûmes conduits des rives de Kankossa aux rives du fleuve Sénégal. C’est grâce au Sénégal et son généreux peuple, que nous commençâmes à panser nos plaies et à les laisser se cicatriser pour en faire des diadèmes que nous portons encore et pour l'éternité. Nous rejoignîmes ainsi des milliers d’autres Mauritaniens dont le seul tort était d’hériter du Créateur le fait d’être noir. Nous rejoignîmes des milliers de Mauritaniens prêts à combattre pour retrouver leur dignité. Au Sénégal, nous refusâmes de baisser les bras. Nous refusâmes de s’asseoir sur nos mains et nous refusâmes de garder le silence ou de pleurnicher sur notre sort. À la menace de la baïonnette, nous opposâmes la force de la plume acerbe. Nous fîmes de nos larmes une encre indélébile pour dénoncer l’injustice dans notre pays. Ce qui nous valut un autre exil, encore plus lointain quelques années plus tard.
Très chers compatriotes, sachez que, comme vous, nous n’avons pas, mon père et moi, choisi de naître dans ce pays. Je dirai simplement que c’est de cette porte que le Tout-Puissant a choisi de nous faire apparaître sur cette terre et nous ignorions les plans du Créateur, et j’ignore encore, par quelle porte il m’appellera pour boucler cet épisode. Mon père a rejoint le Créateur par la sienne.
Très chers compatriotes, nous ne sommes pas contre vous. Nous ne vous combattons pas. Nous ne disons pas que vous êtes tous mauvais de la même manière nous ne disons pas que vous êtes tous bons. Bien sur nous appliquons la même logique chez nous. Nous avons de bonnes volontés dans nos communautés noires mais nous avons aussi certainement des hommes et des femmes—mais surtout des hommes—qui seraient « de trop au banquet » de l’humanité. Nous avons même créé un nom pour eux : nègres de services. Tout cela pour vous dire que nous ne sommes pas tendre avec ceux qui, parmi nous, sont tombés sous le charme du mirage du système en place. J’ose penser que vous aimez ce pays autant que moi. C’est d’ailleurs et toujours mon postulat de départ. J’ose penser aussi que la majorité d’entre vous reconnaît que notre pays va mal. Laissez-moi-même ajouter qu’il va très mal car il souffre d’un cancer qu’on tente de soigner avec du plâtre. Je n’ai pas été déporté par des Maures mais plutôt par un système oppresseur, esclavagiste et raciste. Notre maison n’a pas été brûlé par des Maures mais plutôt par des Maures de ce système. Je ne reproche pas à toute la communauté maure le mal que moi, ma famille et ma communauté avons subi. Non!
Par contre, je vous reproche votre silence. Oui, votre silence. Je vous reproche cette attitude qui consiste à ne jamais critiquer votre communauté maure. Je vous reproche de placer votre solidarité communautaire et tribale au dessus de la fibre patriotique nationale et au dessus de l’intérêt de notre pays. Je vous reproche de louer l’unité tout en sachant qu’elle n’existe que dans votre imaginaire. Je vous reproche de chanter l’unité tout en semant la désunion. Je vous reproche votre hâte à hisser tous les critiques du système au sommet de la pyramide des ennemis de la patrie. Je vous reproche votre hâte à manifester pour la Palestine, l’Irak et la Libye mais jamais lorsqu’un citoyen Mauritanien noir, un Malien, un Sénégalais ou un Congolais est maltraité par notre raciste police ou lorsqu'ils sont injustement emprisonné et torturé. Je vous reproche de nier l’existence du racisme alors que vous savez que la majorité de vos compatriotes noirs ne peuvent se recenser ou doivent montrer leurs cartes d’identité à tous les points de contrôle alors que même votre grimace peut vous ouvrir les portes du sésame. Je vous reproche de nier l’esclavage alors que sous vos tentes croupissent des milliers d’esclaves. Je vous reproche de critiquer ceux qui ont fait de la lutte contre l’esclavage un sacerdoce et pourtant vous glorifiez tous les négationnistes de ce fléau. Je vous reproche de vouloir peindre une image de la Mauritanie qui n’existe nulle part, même pas dans le monde du virtuel.
Très chers compatriotes, les pyramides de l’ancienne Égypte sont là pour nous rappeler tous les jours que nos œuvres humaines résistent au temps plus que nos chairs et nos privilèges. Très bientôt, nous ne serrons plus que des tas de sable. Et croyez-moi, dans ce désert qui est notre patrie, un tas de sable sur une tombe serait un luxe environnemental. Nous ne serrons rien. Ou du moins sans nos œuvres.
Le premier palier de cet édifice que nous devons construire doit être une admission que notre pays va mal. Et le second palier doit être un effort individuel pour voir ce que chacun d’entre nous peut faire pour contribuer à ériger cet édifice. Je pense que la somme de nos bonnes volontés de bâtir un pays juste et prospère pourra résister et vaincre le tsunami d’extrémisme.
Serrons-nous la main, sauvons ce pays, transcendons nos divisons communautaires et tribales et nos peurs de l’autre pour forger une Mauritanie égalitaire, juste, prospère et réconciliée avec elle-même. Instaurons un pays juste et égalitaire, semons la concorde, la paix et la prospérité pour les générations à venir . Et alors nos œuvres seront les pyramides du désert de l’ouest.
Et Alors et alors seulement, nos plumes serviront à magnifier notre pays pour ses réalisations. En attendant, nous serons ces hirondelles de dénonciation. Nous n'avons pas le choix. Autrement, notre silence face à cette injustice serait de la complicité et nous refusons ce diadème.
Siikam Sy
Source: Siikam Sy
Je suis mauritanien; je suis né à Kankossa. Mon père est mauritanien; il est né à Harsounde Fulbe. Oui, c’est en Mauritanie aussi! D’ailleurs, il a passé une bonne partie de sa vie au service de l’administration de son pays: de Saint-Louis à Port-Etienne et de Rosso à Kankossa en passant par Nouakchott. C’est à partir de Kankossa, ma ville natale, qu’il fut arrêté puis transféré à Kiffa où il fut d’abord mis en résidence surveillée pendant quelques semaines avant d’être placé en détention au commissariat de police de Kiffa. Je le rejoignis plus tard dans ce centre de détention. J’ai passé mes examens de fin d’année alors que j’étais résident de ces lieux. J’attendais chaque matin l’autorisation de l’adjudant Chef Oumar Diarra pour aller passer mes examens avant de retourner au centre carcéral. C’est aussi ici qu’un ami m’a communiqué les résultats de nos examens. Oui, dans ce lieu de détention, nous connûmes la solitude, l’inquiétude et la torture psychologique. Nous vîmes le pire que l’humanité avait à offrir en Mauritanie. Nous restâmes dans ce lieu jusqu’au jour de notre déportation vers le Sénégal. C’est de cette façon que la Mauritanie remercia mon père pour ses 29 ans de service dans l’administration douanière. Vous comprenez peut être mieux pourquoi, bientôt, je fêterai 29 ans d’exil.
J’ai toujours pensé que les vagues d’injustice venant de la Mauritanie finiront par rompre ma fibre patriotique. Hélas! Tel ne fut pas encore le cas. C’est donc de ce lieu macabre que nous fûmes conduits des rives de Kankossa aux rives du fleuve Sénégal. C’est grâce au Sénégal et son généreux peuple, que nous commençâmes à panser nos plaies et à les laisser se cicatriser pour en faire des diadèmes que nous portons encore et pour l'éternité. Nous rejoignîmes ainsi des milliers d’autres Mauritaniens dont le seul tort était d’hériter du Créateur le fait d’être noir. Nous rejoignîmes des milliers de Mauritaniens prêts à combattre pour retrouver leur dignité. Au Sénégal, nous refusâmes de baisser les bras. Nous refusâmes de s’asseoir sur nos mains et nous refusâmes de garder le silence ou de pleurnicher sur notre sort. À la menace de la baïonnette, nous opposâmes la force de la plume acerbe. Nous fîmes de nos larmes une encre indélébile pour dénoncer l’injustice dans notre pays. Ce qui nous valut un autre exil, encore plus lointain quelques années plus tard.
Très chers compatriotes, sachez que, comme vous, nous n’avons pas, mon père et moi, choisi de naître dans ce pays. Je dirai simplement que c’est de cette porte que le Tout-Puissant a choisi de nous faire apparaître sur cette terre et nous ignorions les plans du Créateur, et j’ignore encore, par quelle porte il m’appellera pour boucler cet épisode. Mon père a rejoint le Créateur par la sienne.
Très chers compatriotes, nous ne sommes pas contre vous. Nous ne vous combattons pas. Nous ne disons pas que vous êtes tous mauvais de la même manière nous ne disons pas que vous êtes tous bons. Bien sur nous appliquons la même logique chez nous. Nous avons de bonnes volontés dans nos communautés noires mais nous avons aussi certainement des hommes et des femmes—mais surtout des hommes—qui seraient « de trop au banquet » de l’humanité. Nous avons même créé un nom pour eux : nègres de services. Tout cela pour vous dire que nous ne sommes pas tendre avec ceux qui, parmi nous, sont tombés sous le charme du mirage du système en place. J’ose penser que vous aimez ce pays autant que moi. C’est d’ailleurs et toujours mon postulat de départ. J’ose penser aussi que la majorité d’entre vous reconnaît que notre pays va mal. Laissez-moi-même ajouter qu’il va très mal car il souffre d’un cancer qu’on tente de soigner avec du plâtre. Je n’ai pas été déporté par des Maures mais plutôt par un système oppresseur, esclavagiste et raciste. Notre maison n’a pas été brûlé par des Maures mais plutôt par des Maures de ce système. Je ne reproche pas à toute la communauté maure le mal que moi, ma famille et ma communauté avons subi. Non!
Par contre, je vous reproche votre silence. Oui, votre silence. Je vous reproche cette attitude qui consiste à ne jamais critiquer votre communauté maure. Je vous reproche de placer votre solidarité communautaire et tribale au dessus de la fibre patriotique nationale et au dessus de l’intérêt de notre pays. Je vous reproche de louer l’unité tout en sachant qu’elle n’existe que dans votre imaginaire. Je vous reproche de chanter l’unité tout en semant la désunion. Je vous reproche votre hâte à hisser tous les critiques du système au sommet de la pyramide des ennemis de la patrie. Je vous reproche votre hâte à manifester pour la Palestine, l’Irak et la Libye mais jamais lorsqu’un citoyen Mauritanien noir, un Malien, un Sénégalais ou un Congolais est maltraité par notre raciste police ou lorsqu'ils sont injustement emprisonné et torturé. Je vous reproche de nier l’existence du racisme alors que vous savez que la majorité de vos compatriotes noirs ne peuvent se recenser ou doivent montrer leurs cartes d’identité à tous les points de contrôle alors que même votre grimace peut vous ouvrir les portes du sésame. Je vous reproche de nier l’esclavage alors que sous vos tentes croupissent des milliers d’esclaves. Je vous reproche de critiquer ceux qui ont fait de la lutte contre l’esclavage un sacerdoce et pourtant vous glorifiez tous les négationnistes de ce fléau. Je vous reproche de vouloir peindre une image de la Mauritanie qui n’existe nulle part, même pas dans le monde du virtuel.
Très chers compatriotes, les pyramides de l’ancienne Égypte sont là pour nous rappeler tous les jours que nos œuvres humaines résistent au temps plus que nos chairs et nos privilèges. Très bientôt, nous ne serrons plus que des tas de sable. Et croyez-moi, dans ce désert qui est notre patrie, un tas de sable sur une tombe serait un luxe environnemental. Nous ne serrons rien. Ou du moins sans nos œuvres.
Le premier palier de cet édifice que nous devons construire doit être une admission que notre pays va mal. Et le second palier doit être un effort individuel pour voir ce que chacun d’entre nous peut faire pour contribuer à ériger cet édifice. Je pense que la somme de nos bonnes volontés de bâtir un pays juste et prospère pourra résister et vaincre le tsunami d’extrémisme.
Serrons-nous la main, sauvons ce pays, transcendons nos divisons communautaires et tribales et nos peurs de l’autre pour forger une Mauritanie égalitaire, juste, prospère et réconciliée avec elle-même. Instaurons un pays juste et égalitaire, semons la concorde, la paix et la prospérité pour les générations à venir . Et alors nos œuvres seront les pyramides du désert de l’ouest.
Et Alors et alors seulement, nos plumes serviront à magnifier notre pays pour ses réalisations. En attendant, nous serons ces hirondelles de dénonciation. Nous n'avons pas le choix. Autrement, notre silence face à cette injustice serait de la complicité et nous refusons ce diadème.
Siikam Sy
Source: Siikam Sy