Seize élections présidentielles sont prévues cette année en Afrique, en comptant les scrutins centrafricains et ougandais. Pour de nombreux citoyens du continent, le vote est une transaction marchande : leur voix ira donc au plus offrant. Pour certains, il est le véhicule de pulsions ethniques : leur voix ira au candidat de leur région ou de leur religion. Pour d’autres, une minorité, il est l’expression d’un choix qui se veut rationnel. Cette minorité, qui constitue l’avant-garde de ce que d’aucuns appellent un peu pompeusement la « démocratie africaine », voudra faire élire le « meilleur candidat ».
L’exercice n’est pas aisé car, dans l’absolu, un « bon » candidat, cela n’existe pas. Il est certes permis de penser que certaines qualités sont nécessaires à l’exercice du pouvoir. Mais un candidat est « bon » parce que ses qualités personnelles rencontrent les circonstances particulières d’un peuple à un moment donné de son histoire.
Des Etats inefficaces, des sociétés fragmentées
Pour les votants, l’équation est donc double : ils doivent identifier un profil unique, mais ils doivent aussi comprendre le contexte singulier dans lequel évolue leur pays. Car celui-ci devrait informer le choix de celui-là.
Or malgré d’importantes différences, les pays africains sont confrontés à des problèmes fondamentaux similaires : des Etats inefficaces, des sociétés fragmentées sur des bases ethniques ou religieuses, une souveraineté souvent relative, des poches de pauvreté importantes...
Tant que ces dysfonctionnements structurels ne seront pas résolus, les désillusions se succéderont. Le candidat idéal à la fonction suprême devrait donc avoir les qualités requises pour répondre à ces problèmes précis. J’en dénombre au moins trois.
Intelligence stratégique : Il n’y a pas de volonté sans moyens de donner corps à cette volonté. C’est particulièrement vrai dans de nombreux pays du continent, qui sont structurellement en position de dépendance vis-à-vis de l’extérieur. Par conséquent, l’urgence pour notre candidat sera de créer des espaces de liberté. Pour cela, il devra gérer rigoureusement les finances publiques et analyser finement l’équilibre des forces et les mécanismes d’influence sur l’échiquier mondial. Ses marges de manœuvre seront réduites, mais s’il identifie sa ligne de crête, et la suit sans faillir, il pourra avancer…
Caractère : Nous recherchons un bâtisseur, pas un gestionnaire. Mais construire un Etat qui fonctionne, faire émerger une conscience nationale, implanter une culture du droit, maintenir une forme d’ordre..., tout cela requiert de prendre des décisions qui sont nécessaires mais dont certaines mécontenteront les gardiens du moralement correct. Les critiques seront nombreuses, certaines fondées, d’autres malveillantes ; certaines pertinentes, d’autres dérisoires. Mais toutes seront virulentes. C’est ainsi : l’homme 2.0 croit à la grandeur sans labeur. Alors, au plus fort de la tempête, il faudra garder la tête haute, le ton sûr, la main ferme.
Humilité : Le suffrage universel a ceci d’agréable qu’il offre un débouché noble « l’élection ! » à de sombres passions. Des individus dont l’amour-propre précède, lorsqu’elle existe, la détermination à transformer la vie des peuples, peuvent dissimuler leurs vils instincts sous une pluie de mots qui sonnent bien, mais ne disent rien (« démocratie », « alternance », « changement »). Ces ambitieux parviendront peut-être au pouvoir, mais ils échoueront à améliorer le sort des populations. L’histoire de l’Afrique témoigne en effet de la difficulté de réformer en profondeur nos pays. Et donc ce défi appelle des hommes en mission plutôt que des hommes en fonction ; des « soldats » plutôt que des politiciens ; des individus pour qui le pouvoir ne sera pas le résultat d’une quête, mais une contrainte nécessaire : l’irrésistible appel de l’histoire.
Mais la responsabilité des citoyens africains n’est pas uniquement de voter ! Elle est aussi de s’interroger sur l’utilité du suffrage universel dans nos pays : lorsqu’un Etat n’a pas le contrôle de son territoire, ne bat pas monnaie, ne possède pas d’armée autonome, le vote est-il l’exercice d’une souveraineté citoyenne ou l’acte d’une pièce de théâtre ? Lorsque les « opposants » sont des poseurs, et que l’Etat est la propriété des gouvernants, le vote est-il un mécanisme de changement ou un instrument de légitimation de l’absurde ? Peut-être est-ce à ces questions que les citoyens africains devraient d’abord répondre. Car le « devoir civique » est d’abord un devoir d’exigence…
Par Yann Gwet
Source: lemondeafrique
L’exercice n’est pas aisé car, dans l’absolu, un « bon » candidat, cela n’existe pas. Il est certes permis de penser que certaines qualités sont nécessaires à l’exercice du pouvoir. Mais un candidat est « bon » parce que ses qualités personnelles rencontrent les circonstances particulières d’un peuple à un moment donné de son histoire.
Des Etats inefficaces, des sociétés fragmentées
Pour les votants, l’équation est donc double : ils doivent identifier un profil unique, mais ils doivent aussi comprendre le contexte singulier dans lequel évolue leur pays. Car celui-ci devrait informer le choix de celui-là.
Or malgré d’importantes différences, les pays africains sont confrontés à des problèmes fondamentaux similaires : des Etats inefficaces, des sociétés fragmentées sur des bases ethniques ou religieuses, une souveraineté souvent relative, des poches de pauvreté importantes...
Tant que ces dysfonctionnements structurels ne seront pas résolus, les désillusions se succéderont. Le candidat idéal à la fonction suprême devrait donc avoir les qualités requises pour répondre à ces problèmes précis. J’en dénombre au moins trois.
Intelligence stratégique : Il n’y a pas de volonté sans moyens de donner corps à cette volonté. C’est particulièrement vrai dans de nombreux pays du continent, qui sont structurellement en position de dépendance vis-à-vis de l’extérieur. Par conséquent, l’urgence pour notre candidat sera de créer des espaces de liberté. Pour cela, il devra gérer rigoureusement les finances publiques et analyser finement l’équilibre des forces et les mécanismes d’influence sur l’échiquier mondial. Ses marges de manœuvre seront réduites, mais s’il identifie sa ligne de crête, et la suit sans faillir, il pourra avancer…
Caractère : Nous recherchons un bâtisseur, pas un gestionnaire. Mais construire un Etat qui fonctionne, faire émerger une conscience nationale, implanter une culture du droit, maintenir une forme d’ordre..., tout cela requiert de prendre des décisions qui sont nécessaires mais dont certaines mécontenteront les gardiens du moralement correct. Les critiques seront nombreuses, certaines fondées, d’autres malveillantes ; certaines pertinentes, d’autres dérisoires. Mais toutes seront virulentes. C’est ainsi : l’homme 2.0 croit à la grandeur sans labeur. Alors, au plus fort de la tempête, il faudra garder la tête haute, le ton sûr, la main ferme.
Humilité : Le suffrage universel a ceci d’agréable qu’il offre un débouché noble « l’élection ! » à de sombres passions. Des individus dont l’amour-propre précède, lorsqu’elle existe, la détermination à transformer la vie des peuples, peuvent dissimuler leurs vils instincts sous une pluie de mots qui sonnent bien, mais ne disent rien (« démocratie », « alternance », « changement »). Ces ambitieux parviendront peut-être au pouvoir, mais ils échoueront à améliorer le sort des populations. L’histoire de l’Afrique témoigne en effet de la difficulté de réformer en profondeur nos pays. Et donc ce défi appelle des hommes en mission plutôt que des hommes en fonction ; des « soldats » plutôt que des politiciens ; des individus pour qui le pouvoir ne sera pas le résultat d’une quête, mais une contrainte nécessaire : l’irrésistible appel de l’histoire.
Mais la responsabilité des citoyens africains n’est pas uniquement de voter ! Elle est aussi de s’interroger sur l’utilité du suffrage universel dans nos pays : lorsqu’un Etat n’a pas le contrôle de son territoire, ne bat pas monnaie, ne possède pas d’armée autonome, le vote est-il l’exercice d’une souveraineté citoyenne ou l’acte d’une pièce de théâtre ? Lorsque les « opposants » sont des poseurs, et que l’Etat est la propriété des gouvernants, le vote est-il un mécanisme de changement ou un instrument de légitimation de l’absurde ? Peut-être est-ce à ces questions que les citoyens africains devraient d’abord répondre. Car le « devoir civique » est d’abord un devoir d’exigence…
Par Yann Gwet
Source: lemondeafrique