Spécialiste de la géopolitique de l’Afrique et des conflits émergents, Francis Laloupo réagit au report de l’élection présidentielle par le chef de l’Etat sénégalais et à l’affaiblissement de la démocratie en Afrique de l’Ouest.
Macky Sall qui reporte l’élection présidentielle au Sénégal à trois semaines du vote. Des militaires putschistes au Mali, au Burkina Faso et au Niger qui annoncent leur intention de sortir de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et ne semblent pas prêts à organiser des élections qui leur imposeraient de rendre le pouvoir.
Francis Laloupo est chercheur associé à l’IRIS, spécialiste de la géopolitique de l’Afrique et des conflits émergents. Il est notamment l’auteur de Blues démocratique, 1990-2020 (éd. Karthala, 2022).
Quel regard portez-vous sur la décision de Macky Sall de reporter l’élection présidentielle qui, selon le vote de l’Assemblée nationale, se tiendra finalement le 15 décembre ?
Ce qui est évident à travers à cette décision, c’est que depuis l’indépendance puis l’instauration du multipartisme intégral au Sénégal, Macky Sall vient provoquer une fracture dans l’ordre institutionnel du pays en instaurant un état d’exception dont on ne connaît pas aujourd’hui l’issue. C’est une rupture du consensus démocratique engagé depuis 1963 et conforté en 1981 par l’instauration du multipartisme intégral sous le président Abdou Diouf. Il y avait une forme de consensus qui laissait penser que le système, en lui-même, quelles que soient les tempêtes, était inébranlable et que le processus démocratique était irréversible. Cette rupture, aujourd’hui, est le fait d’un homme et les Sénégalais seront amenés à rebâtir un nouveau système démocratique, si cette crise aboutit favorablement.
C’est une tache sombre dans l’histoire du pays et un mauvais coup porté à l’Afrique de l’Ouest où le Sénégal apparaissait encore il y a quelques jours comme un des îlots où la démocratie était quelque peu sauvegardée. Aujourd’hui, on peut considérer qu’il s’agit d’un coup d’Etat institutionnel perpétré avec la complicité d’une partie de la classe politique.
Quels sont d’après vous les objectifs poursuivis par Macky Sall ?
Macky Sall s’est retrouvé dans une situation où le candidat qu’il a désigné [son premier ministre Amadou Ba] n’a pas le plein soutien de la majorité présidentielle. C’est comme s’il y avait une erreur de casting que le président a décidé de corriger de la pire des manières possibles. La fin de son deuxième mandat est désormais marquée du sceau de l’infamie. C’est comme si le seul souci de Macky Sall était d’assurer la continuité de son système après son départ du pouvoir. Le Sénégal mérite mieux.
Que nous dit cette décision de Macky Sall ? Et des tensions au sein de la majorité présidentielle ?
Avec Macky Sall, on assiste à une forme de dérive qui se caractérise par une forte personnification de la gestion du pouvoir d’Etat, un recul démocratique avec la confiscation des leviers du pouvoir et une mise sous surveillance de la liberté d’expression. Cela mit bout à bout entraîne une privatisation de l’Etat et de la gestion des processus électoraux.
Est-ce que cette décision est susceptible d’affecter la stabilité du Sénégal ?
Il y a une grande colère aujourd’hui au Sénégal. Le peuple a le sentiment d’avoir été trahi. La démocratie sénégalaise est considérée comme un patrimoine collectif et à ce titre chaque citoyen se sent blessé. Aujourd’hui, rien ne garantit que les Sénégalais vont se résigner à la décision du report de l’élection au 15 décembre comme cela a été voté par l’Assemblée nationale.
Quelles sont les conséquences pour la région de ce report qui intervient quelques jours après l’annonce du retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Cedeao ?
Au moment où l’organisation est traversée par une crise existentielle, elle avait besoin de s’appuyer sur certains pays de la région pouvant servir de repère afin de se positionner face aux pays de l’Alliance des Etats du Sahel [Mali, Burkina Faso et Niger]. L’acte que vient de poser Macky Sall est d’une certaine façon un encouragement aux putschistes de la région qui n’auront plus de complexe à quitter la Cedeao.
Est-ce que cela augure de la fin de la Cedeao et de son ambition de promouvoir la démocratie depuis les années 1990 ?
Nous assistons à un moment de crise. Certains tirent des conclusions radicales et rapides, mais il faut bien se rappeler que la Cedeao est une organisation régionale en construction. Les séquences de crises ne sont pas de nature à remettre en cause son existence. Il lui faut imaginer et réinventer de nouveaux outils pour s’adapter aux nouvelles formes de crises que connaît la région. La Cedeao doit évoluer avec son temps. Il faut renforcer le pouvoir de sa commission afin de la rendre plus opérationnelle et ainsi sortir d’une organisation de chefs d’Etats. La Cedeao est confrontée à de multiples crises multiformes mais au-delà des péripéties politiciennes, l’organisation est un outil absolument indispensable à la région. J’ai la conviction que l’avenir appartient aux institutions supranationales plutôt qu’aux Etats.
Entre les coups d’Etat qui se succèdent et les Constitutions modifiées pour permettre aux dirigeants d’effectuer un troisième mandat, qui peut aujourd’hui servir d’exemple en Afrique de l’Ouest ?
Quand on fait le bilan aujourd’hui, force est de constater que les pays qui se montrent vertueux en termes d’évolution démocratique sont le Cap-Vert, le Ghana, le Nigeria, très discrètement le Libéria et la Sierra Leone. Malgré leurs turbulences internes, ils ne remettent pas en cause le système démocratique. Objectivement, on se rend compte que ce sont les pays francophones qui sont en crise dans la région.
Olorin Maquindus
Source : Le Monde
Macky Sall qui reporte l’élection présidentielle au Sénégal à trois semaines du vote. Des militaires putschistes au Mali, au Burkina Faso et au Niger qui annoncent leur intention de sortir de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et ne semblent pas prêts à organiser des élections qui leur imposeraient de rendre le pouvoir.
Francis Laloupo est chercheur associé à l’IRIS, spécialiste de la géopolitique de l’Afrique et des conflits émergents. Il est notamment l’auteur de Blues démocratique, 1990-2020 (éd. Karthala, 2022).
Quel regard portez-vous sur la décision de Macky Sall de reporter l’élection présidentielle qui, selon le vote de l’Assemblée nationale, se tiendra finalement le 15 décembre ?
Ce qui est évident à travers à cette décision, c’est que depuis l’indépendance puis l’instauration du multipartisme intégral au Sénégal, Macky Sall vient provoquer une fracture dans l’ordre institutionnel du pays en instaurant un état d’exception dont on ne connaît pas aujourd’hui l’issue. C’est une rupture du consensus démocratique engagé depuis 1963 et conforté en 1981 par l’instauration du multipartisme intégral sous le président Abdou Diouf. Il y avait une forme de consensus qui laissait penser que le système, en lui-même, quelles que soient les tempêtes, était inébranlable et que le processus démocratique était irréversible. Cette rupture, aujourd’hui, est le fait d’un homme et les Sénégalais seront amenés à rebâtir un nouveau système démocratique, si cette crise aboutit favorablement.
C’est une tache sombre dans l’histoire du pays et un mauvais coup porté à l’Afrique de l’Ouest où le Sénégal apparaissait encore il y a quelques jours comme un des îlots où la démocratie était quelque peu sauvegardée. Aujourd’hui, on peut considérer qu’il s’agit d’un coup d’Etat institutionnel perpétré avec la complicité d’une partie de la classe politique.
Quels sont d’après vous les objectifs poursuivis par Macky Sall ?
Macky Sall s’est retrouvé dans une situation où le candidat qu’il a désigné [son premier ministre Amadou Ba] n’a pas le plein soutien de la majorité présidentielle. C’est comme s’il y avait une erreur de casting que le président a décidé de corriger de la pire des manières possibles. La fin de son deuxième mandat est désormais marquée du sceau de l’infamie. C’est comme si le seul souci de Macky Sall était d’assurer la continuité de son système après son départ du pouvoir. Le Sénégal mérite mieux.
Que nous dit cette décision de Macky Sall ? Et des tensions au sein de la majorité présidentielle ?
Avec Macky Sall, on assiste à une forme de dérive qui se caractérise par une forte personnification de la gestion du pouvoir d’Etat, un recul démocratique avec la confiscation des leviers du pouvoir et une mise sous surveillance de la liberté d’expression. Cela mit bout à bout entraîne une privatisation de l’Etat et de la gestion des processus électoraux.
Est-ce que cette décision est susceptible d’affecter la stabilité du Sénégal ?
Il y a une grande colère aujourd’hui au Sénégal. Le peuple a le sentiment d’avoir été trahi. La démocratie sénégalaise est considérée comme un patrimoine collectif et à ce titre chaque citoyen se sent blessé. Aujourd’hui, rien ne garantit que les Sénégalais vont se résigner à la décision du report de l’élection au 15 décembre comme cela a été voté par l’Assemblée nationale.
Quelles sont les conséquences pour la région de ce report qui intervient quelques jours après l’annonce du retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Cedeao ?
Au moment où l’organisation est traversée par une crise existentielle, elle avait besoin de s’appuyer sur certains pays de la région pouvant servir de repère afin de se positionner face aux pays de l’Alliance des Etats du Sahel [Mali, Burkina Faso et Niger]. L’acte que vient de poser Macky Sall est d’une certaine façon un encouragement aux putschistes de la région qui n’auront plus de complexe à quitter la Cedeao.
Est-ce que cela augure de la fin de la Cedeao et de son ambition de promouvoir la démocratie depuis les années 1990 ?
Nous assistons à un moment de crise. Certains tirent des conclusions radicales et rapides, mais il faut bien se rappeler que la Cedeao est une organisation régionale en construction. Les séquences de crises ne sont pas de nature à remettre en cause son existence. Il lui faut imaginer et réinventer de nouveaux outils pour s’adapter aux nouvelles formes de crises que connaît la région. La Cedeao doit évoluer avec son temps. Il faut renforcer le pouvoir de sa commission afin de la rendre plus opérationnelle et ainsi sortir d’une organisation de chefs d’Etats. La Cedeao est confrontée à de multiples crises multiformes mais au-delà des péripéties politiciennes, l’organisation est un outil absolument indispensable à la région. J’ai la conviction que l’avenir appartient aux institutions supranationales plutôt qu’aux Etats.
Entre les coups d’Etat qui se succèdent et les Constitutions modifiées pour permettre aux dirigeants d’effectuer un troisième mandat, qui peut aujourd’hui servir d’exemple en Afrique de l’Ouest ?
Quand on fait le bilan aujourd’hui, force est de constater que les pays qui se montrent vertueux en termes d’évolution démocratique sont le Cap-Vert, le Ghana, le Nigeria, très discrètement le Libéria et la Sierra Leone. Malgré leurs turbulences internes, ils ne remettent pas en cause le système démocratique. Objectivement, on se rend compte que ce sont les pays francophones qui sont en crise dans la région.
Olorin Maquindus
Source : Le Monde