L’ancien président et son ex-épouse viennent d’annoncer leur divorce après avoir lutté cinquante ans pour le pouvoir.
C’est la fin officielle d’un couple historique de la politique ivoirienne. Cinquante années de compagnonnage faites de militantisme, d’emprisonnements, et d’exercice du pouvoir. Laurent Gbagbo et Simone Ehivet Gbagbo s’étaient mariés en 1989, ils ont officiellement divorcé trente-quatre ans plus tard, le 29 juin. Une rupture prononcée « aux torts exclusifs de M. Laurent Gbagbo, pour adultère caractérisé et notoire, abandon de domicile conjugal et injures graves à l’encontre de Madame Simone », indique un communiqué de l’avocat de cette dernière, Ange Rodrigue Dadjé. « Il reviendra [à l’ancien président] qui tenait tant à divorcer, de renoncer à faire appel de ladite décision de divorce, pour que son désir devienne enfin réalité », ajoute-t-il, cinglant. Le divorce des Gbagbo est en Côte d’Ivoire plus qu’une banale affaire de famille.
Dès son retour à Abidjan en juin 2021 après 10 ans d’absence, Laurent Gbagbo, fraîchement acquitté d’accusations de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI), avait fait de l’officialisation de cette procédure de divorce son premier acte public. Les images à l’aéroport de Simone, repoussée comme une étrangère, avaient surpris ses partisans et camarades. Chacun savait que l’amour était depuis longtemps dissipé, que l’époux avait refait sa vie avec une ancienne journaliste, Nady Bamba, mais l’exposition de la rupture fut brutale. Ce divorce, loin d’une anecdote de tabloïd, est autant intime que politique.
Partenariat politique
Les Gbagbo ont longtemps formé un tandem redoutable, aussi admiré que craint. Brillante lettrée, très tôt politisée, Simone Ehivet est une professeure, engagée dans le syndicalisme dès les années 1970, sa lutte pour le multipartisme lui vaut d’être plusieurs fois emprisonnée dans la Côte d’Ivoire du président Félix Houphouët-Boigny. Son destin politique s’accélère avec la rencontre en 1973 de Laurent Gbagbo. De quatre ans son aîné, il est déjà chevronné dans le militantisme marxiste et sort d’un camp d’internement militaire.
Les deux amants participent à des cellules révolutionnaires clandestines. Puis fondent ensemble en 1982, le parti emblématique de la gauche ivoirienne, le Front populaire ivoirien (FPI). Elle en est la cheville ouvrière, chargée de la mobilisation des bases du parti. Les deux compagnons de lutte ont deux filles, des jumelles, que Simone Ehivet élève seule, lorsque Laurent Gbagbo s’exile en France.
Le couple se marie juste après son retour à Abidjan, en janvier 1989. « Un mariage à 15 000 francs », avec une demi-douzaine d’invités, a coutume de raconter Laurent Gbagbo à ses amis proches. Les Gbagbo habitent ensemble à Cocody Riviera, un quartier d’Abidjan, militent ensemble, font campagne ensemble, et sont même incarcérés ensemble à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan. « C’était un couple très fusionnel, témoigne un ami de longue date du couple. Mais elle, ce n’est pas qu’une Madame Gbagbo, une Première Dame qui ferait dans le glamour et la représentation. C’est un pilier de la politique ivoirienne, solide, populaire, avec une personnalité très forte, de la poigne et des convictions. » Sous son influence, le catholique Laurent Gbagbo embrasse l’évangélisme, dont Simone Gbagbo est devenue une fervente adepte. Elle est aussi la vice-présidente de l’Assemblée nationale de 1995 à 2000, députée d’Abobo de 1996 à 2004.
Mais en coulisses, dès les années 1990, bien avant l’accession au pouvoir de Laurent, le couple n’est plus qu’une façade pour un partenariat politique. Laurent Gbagbo entretient une relation avec la journaliste Nadiana « Nady » Bamba depuis 1997, avec qui il se marie en 2001 selon les rites coutumiers malinké et musulman. Ils ont un fils l’année suivante.
« Dame de fer »
Simone Gbagbo ne dit mot publiquement. Sa priorité est ailleurs. De 2000 à 2011, écrit Jeune Afrique en 2012, « il n’y a pas en Côte d’Ivoire un seul chef qui règne, mais deux ». Le duo se complète : à lui les traits d’humour, la conciliation. A elle, la ligne dure, sans concession, l’hostilité ouverte à la France, à l’opposition et aux rebelles. On la surnomme « la Dame de fer ». Parfois pire. Son aide de camp, Anselme Seka Yapo, a été condamné à la perpétuité en 2016 pour l’assassinat en 2002 de l’ancien président Robert Guéï et de sa famille. Elle a été suspectée par la justice française d’avoir joué un rôle dans la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer en 2004.
Après avoir refusé de concéder la défaite en 2010 face à Alassane Ouattara, le couple est arrêté dans le bunker de la résidence présidentielle après douze jours de combats dans Abidjan en avril 2011. Condamnée en 2015 à 20 ans de prison pour « atteinte à la sûreté de l’État », Simone Gbagbo bénéficie en 2018 d’une loi d’amnistie, au nom de la « réconciliation nationale ». Elle attend le retour de son époux, acquitté après avoir été jugé pour crimes contre l’humanité devant la CPI. Mais celui-ci s’installe avec Nady Bamba en Belgique dès sa libération en 2019. Les Gbagbo ont aussi pris des trajectoires politiques différentes. Ils ont dû abandonner l’étiquette du FPI entre les mains de Pascal Affi N’Guessan pour fonder chacun leur propre parti : le Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI) pour lui, le Mouvement des générations capables pour elle.
Quel intérêt d’un divorce aussi tardif ? Laurent Gbagbo ne s’est pas étendu sur ses motivations, depuis le glacial communiqué de 2021 où il dénonçait « le refus réitéré de Dame Simone Ehivet de consentir à une séparation amiable, au demeurant voie de règlement appropriée à leurs statuts personnel et politique réciproque ». Des observateurs y voient la volonté de Nady Bamba, qui le suit comme son ombre, ou la volonté de dissocier son nom de Simone Ehivet Gbagbo. Seule la quête du pouvoir semble être à même de les lier à nouveau.
Marine Jeannin (Abidjan, correspondance)
Source : Le Monde (Le 01 juillet 2023)
C’est la fin officielle d’un couple historique de la politique ivoirienne. Cinquante années de compagnonnage faites de militantisme, d’emprisonnements, et d’exercice du pouvoir. Laurent Gbagbo et Simone Ehivet Gbagbo s’étaient mariés en 1989, ils ont officiellement divorcé trente-quatre ans plus tard, le 29 juin. Une rupture prononcée « aux torts exclusifs de M. Laurent Gbagbo, pour adultère caractérisé et notoire, abandon de domicile conjugal et injures graves à l’encontre de Madame Simone », indique un communiqué de l’avocat de cette dernière, Ange Rodrigue Dadjé. « Il reviendra [à l’ancien président] qui tenait tant à divorcer, de renoncer à faire appel de ladite décision de divorce, pour que son désir devienne enfin réalité », ajoute-t-il, cinglant. Le divorce des Gbagbo est en Côte d’Ivoire plus qu’une banale affaire de famille.
Dès son retour à Abidjan en juin 2021 après 10 ans d’absence, Laurent Gbagbo, fraîchement acquitté d’accusations de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI), avait fait de l’officialisation de cette procédure de divorce son premier acte public. Les images à l’aéroport de Simone, repoussée comme une étrangère, avaient surpris ses partisans et camarades. Chacun savait que l’amour était depuis longtemps dissipé, que l’époux avait refait sa vie avec une ancienne journaliste, Nady Bamba, mais l’exposition de la rupture fut brutale. Ce divorce, loin d’une anecdote de tabloïd, est autant intime que politique.
Partenariat politique
Les Gbagbo ont longtemps formé un tandem redoutable, aussi admiré que craint. Brillante lettrée, très tôt politisée, Simone Ehivet est une professeure, engagée dans le syndicalisme dès les années 1970, sa lutte pour le multipartisme lui vaut d’être plusieurs fois emprisonnée dans la Côte d’Ivoire du président Félix Houphouët-Boigny. Son destin politique s’accélère avec la rencontre en 1973 de Laurent Gbagbo. De quatre ans son aîné, il est déjà chevronné dans le militantisme marxiste et sort d’un camp d’internement militaire.
Les deux amants participent à des cellules révolutionnaires clandestines. Puis fondent ensemble en 1982, le parti emblématique de la gauche ivoirienne, le Front populaire ivoirien (FPI). Elle en est la cheville ouvrière, chargée de la mobilisation des bases du parti. Les deux compagnons de lutte ont deux filles, des jumelles, que Simone Ehivet élève seule, lorsque Laurent Gbagbo s’exile en France.
Le couple se marie juste après son retour à Abidjan, en janvier 1989. « Un mariage à 15 000 francs », avec une demi-douzaine d’invités, a coutume de raconter Laurent Gbagbo à ses amis proches. Les Gbagbo habitent ensemble à Cocody Riviera, un quartier d’Abidjan, militent ensemble, font campagne ensemble, et sont même incarcérés ensemble à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan. « C’était un couple très fusionnel, témoigne un ami de longue date du couple. Mais elle, ce n’est pas qu’une Madame Gbagbo, une Première Dame qui ferait dans le glamour et la représentation. C’est un pilier de la politique ivoirienne, solide, populaire, avec une personnalité très forte, de la poigne et des convictions. » Sous son influence, le catholique Laurent Gbagbo embrasse l’évangélisme, dont Simone Gbagbo est devenue une fervente adepte. Elle est aussi la vice-présidente de l’Assemblée nationale de 1995 à 2000, députée d’Abobo de 1996 à 2004.
Mais en coulisses, dès les années 1990, bien avant l’accession au pouvoir de Laurent, le couple n’est plus qu’une façade pour un partenariat politique. Laurent Gbagbo entretient une relation avec la journaliste Nadiana « Nady » Bamba depuis 1997, avec qui il se marie en 2001 selon les rites coutumiers malinké et musulman. Ils ont un fils l’année suivante.
« Dame de fer »
Simone Gbagbo ne dit mot publiquement. Sa priorité est ailleurs. De 2000 à 2011, écrit Jeune Afrique en 2012, « il n’y a pas en Côte d’Ivoire un seul chef qui règne, mais deux ». Le duo se complète : à lui les traits d’humour, la conciliation. A elle, la ligne dure, sans concession, l’hostilité ouverte à la France, à l’opposition et aux rebelles. On la surnomme « la Dame de fer ». Parfois pire. Son aide de camp, Anselme Seka Yapo, a été condamné à la perpétuité en 2016 pour l’assassinat en 2002 de l’ancien président Robert Guéï et de sa famille. Elle a été suspectée par la justice française d’avoir joué un rôle dans la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer en 2004.
Après avoir refusé de concéder la défaite en 2010 face à Alassane Ouattara, le couple est arrêté dans le bunker de la résidence présidentielle après douze jours de combats dans Abidjan en avril 2011. Condamnée en 2015 à 20 ans de prison pour « atteinte à la sûreté de l’État », Simone Gbagbo bénéficie en 2018 d’une loi d’amnistie, au nom de la « réconciliation nationale ». Elle attend le retour de son époux, acquitté après avoir été jugé pour crimes contre l’humanité devant la CPI. Mais celui-ci s’installe avec Nady Bamba en Belgique dès sa libération en 2019. Les Gbagbo ont aussi pris des trajectoires politiques différentes. Ils ont dû abandonner l’étiquette du FPI entre les mains de Pascal Affi N’Guessan pour fonder chacun leur propre parti : le Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI) pour lui, le Mouvement des générations capables pour elle.
Quel intérêt d’un divorce aussi tardif ? Laurent Gbagbo ne s’est pas étendu sur ses motivations, depuis le glacial communiqué de 2021 où il dénonçait « le refus réitéré de Dame Simone Ehivet de consentir à une séparation amiable, au demeurant voie de règlement appropriée à leurs statuts personnel et politique réciproque ». Des observateurs y voient la volonté de Nady Bamba, qui le suit comme son ombre, ou la volonté de dissocier son nom de Simone Ehivet Gbagbo. Seule la quête du pouvoir semble être à même de les lier à nouveau.
Marine Jeannin (Abidjan, correspondance)
Source : Le Monde (Le 01 juillet 2023)