Des bulldozers s’affairent autour des amas de décombres. Un nuage de poussière et de fumée de plus d’un kilomètre de haut s’élève au-dessus des amas de baraques détruites des quartiers pauvres du sud de Beyrouth et un homme de petite taille, vêtu d’un T-shirt gris – un chauffeur de taxi de Brooklyn, en vérité – et au bord des larmes, regarde d’un air atterré ce qui constituera sans doute le tombeau de son grand-père, de son oncle et de sa tante. La moitié de sa famille au Liban a été ensevelie ici et le bloc voisin tout entier – de simples appartements – a également été anéanti quelques heures plus tôt par les deux missiles qui ont explosé dans la rue Assaad al-Assad.
(traduit de l’anglais par Jean-Marie Flémal)
Que dire à un homme dont la famille a été ensevelie sous les décombres ? Le dernier corps était celui d’un homme dont le visage avait été écrasé dans la poussière avant que les décombres fussent dégagés, au point qu’il n’était pas plus épais qu’une feuille de papier, à cause du béton qui l’avait parfaitement aplati. Mohamed al-Husseini avait quitté New York pour prendre des vacances en compagnie de sa jeune femme et de leur enfant – ils étaient en sécurité, au centre de Beyrouth – et pour revoir sa famille au pays et discuter avec les proches avec qui il avait passé son enfance.
« Voyez ce que les Israéliens ont fait », dit-il sans détacher le regard des sols des appartements, entre lesquels il n’y a même plus un pouce d’écart. « Je suis complètement paumé, vous vous rendez compte ? Je ne sais même pas que faire. Je pourrais retourner auprès de ma femme et de mon gosse, mais le reste de ma famille est là en dessous. Ils vivaient dans le sud et ils y avaient survécu. Après quoi, ils sont venus à Beyrouth, mais pour y mourir ! »
Le grand-père de Mohamed al-Husseini, Mohamed Yassin, a (ne disons pas encore « avait ») 75 ans. Son oncle s’appelle Hussein Yassin, sa tante Hila. La nuit dernière, on n’avait encore rien retrouvé d’eux. Et ceux de l’immeuble voisin ?
Au moins 17 civils ont été tués, dont beaucoup d’enfants. Un garçon de 12 ans appelé Hussein Ahmed Mohsen reposait à la mortuaire de l’hôpital du Mont Liban, a côté d’une femme qui était morte juste après avoir été dégagée, après que les missiles avaient anéanti son habitation le dimanche, à 19.30 h. La quasi-totalité des occupants de cet immeuble sinistré étaient des membres de la famille Rmeiti. Une fois de plus, ces gens provenaient de la région sud, très dangereuse, et 15 des morts étaient originaires du même village.
Une telle scène a de quoi provoquer colère et fureur. Une sentinelle du Hezbollah m’a demandé ma carte de presse et s’en est désintéressé quand il l’a eue sous les yeux. Mais un jeune Libanais en chemise jaune qui se trouvait sur les lieux s’est fait empoigner par le même homme, qui l’a entraîné par le col et remis à une poignée de costauds de grande taille qui, à leur tour, l’ont fait monter dans une voiture. Tout le monde aujourd’hui cherche les espions, hommes ou femmes, dont on dit qu’ils « marquent à la couleur » les blocs d’appartements de Beyrouth afin d’en faire des cibles pour les missiles de haute technologie des Israéliens.
Une triste et lugubre réunion tenue au même hôpital du Mont Liban a suggéré que la maison n’avait pas été « marquée » par personne. J’ai trouvé là Ali Rmeiti, employé à l’aéroport de Beyrouth, couvert de blessures sanglantes, le visage tout déformé, secouant la tête d’incrédulité. « J’étais sur le balcon avec ma femme, Huda, et trois de nos enfants… Je n’ai rien entendu, mais rien du tout, alors ! Je n’ai pas compris ce qui se passait. Ç’a été tout noir. Puis la seconde explosion a eu lieu et nous avons tous été précipités dans la rue avec le balcon. »
Huda Rmeiti est couchée sur le lit d’à côté, elle est sous perfusion et couverte de blessures encore plus sanglantes que celle son mari. Je sais – et eux pas ! – que trois de leurs quatre enfants ont été tués.
Et pourquoi cet immeuble a-t-il été touché ? Les Israéliens ont massacré des centaines de civils en attaquant des convois de réfugiés à qui ils avaient ordonné eux-mêmes de s’en aller. Mais Saadieh, la belle-sœur d’Ali Rmeiti, a vécu des événements dont l’horreur vaut bien celle des deux autres membres survivants de sa famille. Avant que les missiles explosent, dit-elle, un drone israélien (un petit appareil de reconnaissance, sans pilote, censé retransmettre des images à Tel Aviv) a survolé le district de Shiyyah. L’« Um Kamel » (le surnom donné par les Libanais à ce genre d’appareil) a vrombi tout un temps au-dessus des environs puis, sans avertissement, quelqu’un a descendu la rue Assaad al-Assad à moto et, juste en face de la maison des Rmeiti, a tiré un coup de fusil en l’air.
Après quoi il est parti, sans doute un jeune qui voulait prouver sa stupide virilité. On ne peut détruire ces drones à coups de fusil et chaque membre du Hezbollah le sait parfaitement. Mais, peu de temps après, les deux missiles sont venus frapper des demeures de personnes innocentes.
Peut-être y a-t-il deux leçons de morale à tirer de ceci. L’une est évidente, l’autre plus familière. Ne tirez pas sur les drones. Et ne croyez pas un instant que les Israéliens hésiteront à envoyer des missiles sur votre maison quand leur petit jouet volant a repéré un homme se promenant avec un fusil.
Robert Fisk
(traduit de l’anglais par Jean-Marie Flémal)
Que dire à un homme dont la famille a été ensevelie sous les décombres ? Le dernier corps était celui d’un homme dont le visage avait été écrasé dans la poussière avant que les décombres fussent dégagés, au point qu’il n’était pas plus épais qu’une feuille de papier, à cause du béton qui l’avait parfaitement aplati. Mohamed al-Husseini avait quitté New York pour prendre des vacances en compagnie de sa jeune femme et de leur enfant – ils étaient en sécurité, au centre de Beyrouth – et pour revoir sa famille au pays et discuter avec les proches avec qui il avait passé son enfance.
« Voyez ce que les Israéliens ont fait », dit-il sans détacher le regard des sols des appartements, entre lesquels il n’y a même plus un pouce d’écart. « Je suis complètement paumé, vous vous rendez compte ? Je ne sais même pas que faire. Je pourrais retourner auprès de ma femme et de mon gosse, mais le reste de ma famille est là en dessous. Ils vivaient dans le sud et ils y avaient survécu. Après quoi, ils sont venus à Beyrouth, mais pour y mourir ! »
Le grand-père de Mohamed al-Husseini, Mohamed Yassin, a (ne disons pas encore « avait ») 75 ans. Son oncle s’appelle Hussein Yassin, sa tante Hila. La nuit dernière, on n’avait encore rien retrouvé d’eux. Et ceux de l’immeuble voisin ?
Au moins 17 civils ont été tués, dont beaucoup d’enfants. Un garçon de 12 ans appelé Hussein Ahmed Mohsen reposait à la mortuaire de l’hôpital du Mont Liban, a côté d’une femme qui était morte juste après avoir été dégagée, après que les missiles avaient anéanti son habitation le dimanche, à 19.30 h. La quasi-totalité des occupants de cet immeuble sinistré étaient des membres de la famille Rmeiti. Une fois de plus, ces gens provenaient de la région sud, très dangereuse, et 15 des morts étaient originaires du même village.
Une telle scène a de quoi provoquer colère et fureur. Une sentinelle du Hezbollah m’a demandé ma carte de presse et s’en est désintéressé quand il l’a eue sous les yeux. Mais un jeune Libanais en chemise jaune qui se trouvait sur les lieux s’est fait empoigner par le même homme, qui l’a entraîné par le col et remis à une poignée de costauds de grande taille qui, à leur tour, l’ont fait monter dans une voiture. Tout le monde aujourd’hui cherche les espions, hommes ou femmes, dont on dit qu’ils « marquent à la couleur » les blocs d’appartements de Beyrouth afin d’en faire des cibles pour les missiles de haute technologie des Israéliens.
Une triste et lugubre réunion tenue au même hôpital du Mont Liban a suggéré que la maison n’avait pas été « marquée » par personne. J’ai trouvé là Ali Rmeiti, employé à l’aéroport de Beyrouth, couvert de blessures sanglantes, le visage tout déformé, secouant la tête d’incrédulité. « J’étais sur le balcon avec ma femme, Huda, et trois de nos enfants… Je n’ai rien entendu, mais rien du tout, alors ! Je n’ai pas compris ce qui se passait. Ç’a été tout noir. Puis la seconde explosion a eu lieu et nous avons tous été précipités dans la rue avec le balcon. »
Huda Rmeiti est couchée sur le lit d’à côté, elle est sous perfusion et couverte de blessures encore plus sanglantes que celle son mari. Je sais – et eux pas ! – que trois de leurs quatre enfants ont été tués.
Et pourquoi cet immeuble a-t-il été touché ? Les Israéliens ont massacré des centaines de civils en attaquant des convois de réfugiés à qui ils avaient ordonné eux-mêmes de s’en aller. Mais Saadieh, la belle-sœur d’Ali Rmeiti, a vécu des événements dont l’horreur vaut bien celle des deux autres membres survivants de sa famille. Avant que les missiles explosent, dit-elle, un drone israélien (un petit appareil de reconnaissance, sans pilote, censé retransmettre des images à Tel Aviv) a survolé le district de Shiyyah. L’« Um Kamel » (le surnom donné par les Libanais à ce genre d’appareil) a vrombi tout un temps au-dessus des environs puis, sans avertissement, quelqu’un a descendu la rue Assaad al-Assad à moto et, juste en face de la maison des Rmeiti, a tiré un coup de fusil en l’air.
Après quoi il est parti, sans doute un jeune qui voulait prouver sa stupide virilité. On ne peut détruire ces drones à coups de fusil et chaque membre du Hezbollah le sait parfaitement. Mais, peu de temps après, les deux missiles sont venus frapper des demeures de personnes innocentes.
Peut-être y a-t-il deux leçons de morale à tirer de ceci. L’une est évidente, l’autre plus familière. Ne tirez pas sur les drones. Et ne croyez pas un instant que les Israéliens hésiteront à envoyer des missiles sur votre maison quand leur petit jouet volant a repéré un homme se promenant avec un fusil.
Robert Fisk